CH3: IN HIS BLUE EYES
L'eau froide du Loch Neònach caressa les chevilles nues de Hermione Granger alors que le monde s'affolait aux alentours du Terrier. Les parents de la famille Weasley hurlaient des instructions sur la meilleure façon pour monter les chapitraux que leurs enfants n'écoutaient pas. Ils préféraient se chamailler entre eux et improviser. L'effervescence soudaine se transformait en une réminiscence de ses années dans la capitale britannique et le besoin de s'approcher du lac pour s'éloigner du bruit avait animé ses membres. Des taches rouges parasitaient son champ de vision et modifiaient le paysage verdoyant pour en faire une masse brune informe. Son cœur pulsa avec violence dans sa poitrine. Il pulsa si fort qu'elle le sentit au bord de l'explosion. Ses doigts s'enfoncèrent dans le bois humide du ponton sur lequel elle s'était assise. Elle imagina la créature anthropomorphe se déplacer dans les profondeurs, effrayée par l'animation à la surface autant qu'elle ; ses dents aiguisées mordant ses lèvres jusqu'au sang et ses iris clairs tremblant de terreur dans ses yeux.
« Ils font un bruit monstre, soupira une voix dans son dos. »
La Londonienne tourna la tête et adressa un sourire amical à Harry. S'installant en tailleur sur le ponton, il posa ses orbes verts sur sa copine devenue autoritaire avant de les plonger dans celle de Hermione. Il cherchait à se faire oublier quelques secondes pour se reposer. Rien de plus compréhensible. Il paraissait exténué. Sa respiration courte peinait à reprendre un rythme normal et marquait les soulèvements irréguliers de ses épaules. Il étala la sueur de ses joues écarlates de son avant-bras. Un soupir quitta ses lèvres lorsqu'il découvrit sa peau humide et décida de s'appuyer sur ses mains.
« On peut dire ça, rit Hermione. C'est toujours comme ça quand vous préparez un barbecue ?
— Si tu veux tout savoir, commença-t-il en affichant un rictus malicieux, ils sont plutôt calmes aujourd'hui. Je les ai connus mille fois plus survoltés pour le barbecue annuel de la famille Weasley. Je les suspecte de faire des efforts pour ne pas te terrifier. »
Le cœur de la jeune femme se gonfla de gratitude à l'attente de cette supposition. Elle tourna la tête en direction du loch pour camoufler les rougeurs intempestives de ses joues. Dans la ville rouge, on se fichait bien de ce vacarme qui la rendait malade. Cormac et leurs amis n'avaient jamais éprouvé la moindre culpabilité quand l'angoisse s'emparait de son corps. La famille Weasley restait plus bruyante que toutes les personnes qui avaient croisé sa route au cours de sa vie, mais ses membres essayaient de s'adapter à sa présence sans se dénaturer. Les chamailleries fraternelles s'accompagnaient toujours de ce soutien indéfectible. Ils avaient accueilli Hermione comme l'une des leurs. Jamais personne n'avait fait ça pour elle.
« Il n'est pas un peu tard pour faire un barbecue ? demanda-t-elle.
— Il n'est jamais trop tard, blagua Harry. Puis si on devait attendre le soleil pour faire des grillades, on n'en ferait pas souvent à Merrowcoe. Et je pense que les Weasley tenaient à faire le barbecue annuel en la présence du plus de monde possible. »
Son nouvel ami n'avait pas tort. Les journées pluvieuses s'enchaînaient depuis qu'elle avait mis les pieds dans le bourg. Le ciel cessait de pleurer lorsque la brume se levait. Drago s'épanouissait dans cette atmosphère et remontait à la surface à l'heure où les regards peineraient à le remarquer. C'était la première fois en un mois que deux jours se succédaient sans qu'une seule goutte chût des nuages. Molly Weasley en avait profité pour réveiller tout le monde aux aurores et elle avait séparé tous les habitants encore somnolents en deux groupes : ceux qui partaient dans la ville la plus proche pour acheter tous les ingrédients nécessaires au plus délicieux des barbecues et ceux qui installaient le chapiteau qui abriterait la population du village. Ron s'était plaint entre deux bâillements et il avait reçu un coup à l'arrière de la tête en réponse.
« Charlie repart pour la Roumanie dans trois jours, l'avait grondé sa mère. Il faut qu'on fasse le barbecue avant.
— Désolé Ron, avait articulé la voix ensommeillée de son grand frère. »
Hermione s'était proposée pour les aider. Le regard menaçant que Molly avait dardé sur sa silhouette l'avait dissuadé de demander pour la sixième fois si elle pouvait faire quelque chose pour les décharger d'une tâche ennuyante.
Les ondes de l'eau caressèrent la plante de ses pieds de leur douce fraicheur. Elle crut presque sentir les doigts fins de Drago glisser sur sa peau telle une plume. Son corps se figea quelques secondes avant qu'elle ne se penche. Aucune forme anthropomorphe ne se dessina sous la surface. Elle n'aperçut que son propre reflet dans ce miroir liquide. Hermione ne s'était jamais considérée comme jolie. Elle se trouvait quelconque ; le genre de fille qui ne se remarque pas dans la foule. Cormac avait tant craqué sur son apparence que ses mots durs étaient devenus une réalité. Ses cheveux partaient dans tous les sens. Ses dents n'étaient pas assez alignées. Elle avait deux ou trois kilos en trop. Lorsqu'elle avait quitté Londres et son couple mort, elle ne supportait plus son propre reflet. Émacié, ses yeux soulignés d'épais cernes et sa peau terne ; son corps ne ressemblait en rien aux descriptions de son amant. Pourtant elle ne voyait qu'elle et ça lui donnait la nausée. Hermione n'irait pas jusqu'à se considérer comme jolie, mais jamais elle n'avait paru aussi vivante que depuis qu'elle occupait cette chambre au quatrième étage. Ses cernes s'estompaient un peu plus chaque jour ; il n'en restait que des marques violacées qui ne disparaîtraient jamais. Sa peau avait repris des couleurs et ses joues s'étaient arrondies. Elle paraissait en meilleure santé.
« Hermione ? l'interpela Harry d'une voix soucieuse qui la poussa à quitter son reflet déformé par des vaguelettes pour plonger ses yeux dans les siens. Je t'ai vu. Je t'ai vu que le ponton à une heure brumeuse.
— Tu m'as suivie ? »
Un regard fuyant et une main gênée dans des mèches brunes. Aucune parole ne répondit au froncement des sourcils de Hermione et à son ton accusateur. Il sembla chercher ses mots dans l'eau froide du loch comme s'il possédait le pouvoir de verbaliser ses inquiétudes.
« Pas vraiment, souffla-t-il. Je me promène un peu quand je n'arrive pas à m'endormir. Je faisais ça tout le temps avec Sirius lorsqu'il était encore en vie — un sourire mélancolique traversa son visage à la mention de son parrain décédé — et ça m'est resté. C'est comme ça que je t'ai vu.
— Pourquoi tu me dis tout ça ? s'enquit-elle.
— Parce que je sais que tu l'as rencontré. Je ne te reproche rien, mais je veux juste que tu fasses attention à toi. Promets-le-moi. »
Harry tendit son auriculaire dans sa direction. La jeune femme dévisagea son doigt quelques secondes. Rien ne l'obligeait de prêter le moindre serment avec son nouvel ami. Rien ne l'obligeait à se montrer raisonnable. Ça semblait pourtant être la meilleure décision ; une décision qui plaçait sa sûreté avant tout le reste et qui restreignait toutes actions insensées. Sceller cette promesse avec Harry ne la tuerait pas alors pourquoi hésitait-elle tant ? Que risquait-elle à promettre sa sécurité ? Un long soupir s'échappa de ses lèvres. Elle souleva son bras.
« Promis, sourit-elle en entrelaçant son petit-doigt au sien. »
Le Loch Neònach frémit sous sa peau comme si une présence réagissait au serment. Discret comme la caresse d'une brise estivale, Hermione crut rêver le contact. Elle se pencha vers le lac, espérant découvrir la silhouette de Drago sous la surface, mais un klaxon lui arracha un sursaut avant qu'elle ne puisse l'entrevoir. Ses pieds déplacèrent des gerbes d'eau, déformant les formes aquatiques et aspergeant Harry et elle.
Assis à l'avant de la Ford Anglia, un sourire si rayonnant étirant ses traits qu'il rendait presque ses cheveux roux terne, les jumeaux leur adressèrent de grands signes. Percy s'extirpa de l'habitacle avec précipitation. Le ton verdâtre et une main sur l'estomac, il longea le véhicule jusqu'au coffre. Ginny le rattrapa avant qu'il ne s'effondre, commenta quelque chose à ses frères qui répondirent par un haussement d'épaules. Les autres s'occupèrent de vider la voiture des nombreux achats. Fred et George se chamaillèrent avec Ronald dès qu'ils se redressèrent. Charlie les ignora et porta deux grands sacs de course près du barbecue.
« Au moins Percy ne jouera pas les inspecteurs des travaux finis. »
La moquerie de Harry lui arracha un ricanement. Les joues gonflées comme un personnage de cartoon s'apprêtant à vomir, il adressait des gestes dramatiques à tous ceux qui s'inquiétaient. Un rictus en coin étirant ses lèvres, Hermione se redressa et enfila ses chaussures. Elle les rejoignit avec son ami aux yeux verts.
« Vous avez besoin d'aide ? se proposa-t-elle.
— Maman a dit pas de travail pour les invités, lui informa Ronald en s'éloignant avec un cabas.
— Moi je veux bien de l'aide, sourit Fred avec une innocence factice.
— Pas de travail pour les invités, répéta Molly en lui donnant une légère tape à l'arrière de la tête de son fils. Suis-moi Hermione, lui intima-t-elle. On va mettre la table.
— Je croyais que les invités avaient interdiction d'aider ! s'exclama George alors qu'elles se séparaient du groupe. »
Hermione marcha dans les pas de l'aubergiste, non sans adresser un large sourire aux garçons dont les visages rouges témoignaient des allers-retours entre la voiture et Le Terrier. Mettre la table pour le barbecue annuel des Weasley s'avéra être une tâche plus complexe qu'elle ne l'eût anticipé. Molly se transforma en un monstre de perfectionniste qui ne cessait de donner des indications avec un débit de parole si élevé que la jeune femme peina à tout assimiler. Pour son plus grand bonheur, Harry et Ginny les avaient rejointes. Ils apportèrent un coup de main précieux.
« Tu aurais dû les aider à décharger le coffre, lui murmura la rouquine en posant un large plat au centre de la table. Tu aurais évité les ordres du despote.
— Je vois ça. »
Les consignes de Molly s'enchaînèrent et tous se plièrent à chacune d'elles. Elles n'arrêtèrent pas avant l'arrivée des premiers villageois affamés par la senteur des grillades. Assise en face de Dumbledore et de Hagrid autour de la table, elle écouta d'une oreille distraite les babillages incessants du maire. Le vieil homme à la longue barbe disparaissant dans sa masse capillaire commenta avec vivacité ses dernières lectures. Il venait de terminer un livre de tricot « tout bonnement passionnant » et intimait tout le monde à le découvrir. Hermione déclina son offre d'un sourire poli. Ses yeux malicieux s'illuminèrent lorsque Hagrid accepta sa proposition avec un enthousiasme communicatif. Elle doutait qu'il puisse tricoter avec son adresse, mais elle le suspectait de ne pas pouvoir refuser la moindre chose au maire.
« Un grand homme, répétait-il sans cesse. »
Son apparence impressionnante érigeait un mur entre lui et les autres. De ses deux mètres et de sa passion pour les bestioles en tout genre, il n'invitait pas autrui à créer des relations. Dumbledore n'écoutait pas les avis d'autrui et il avait recueilli le géant sous son aile. Il lui avait offert un poste de jardinier adjoint pour décharger Pomona de quelques tâches désagréables. Il mangea les brochettes avec un appétit d'ogre et vanta les mérites des araignées qu'il élevait. La simple mention d'animaux à huit pattes arracha une grimace horrifiée à Ronald qui se penchait par-dessus son épaule pour récupérer sa cuillère abandonnée dans un plat.
« Pourquoi aimer autant les araignées ? se plaignit-il. Tu aurais pu aimer les papillons comme tout le monde.
— Elles sont fascinantes. »
Il énuméra les qualités des arachnides avec passion. Il n'en fallut pas plus pour que Ronald s'éloigne, les mains sur les oreilles pour se couper de ces informations qu'il refusait de découvrir. Hermione perdit le fil de la conversation. Son attention se dirigea vers cette silhouette inconnue qui se dessinait dans la cour de l'auberge. Elle appartenait à une femme d'environ cinquante ans dont les cheveux blancs se confondaient dans sa blondeur. Ses yeux d'un bleu profond naviguèrent sur l'assemblée. Hermione lut cette tristesse familière dans son regard ; cette tristesse qui frappait comme un tsunami lorsqu'on ne se sentait à sa place nulle part.
A quelques sièges de la jeune femme, Molly remarqua sa présence. Ses muscles se tendirent comme un arc et ses prunelles brûlèrent d'une agressivité que Hermione ne lui connaissait pas. La mâchoire crispée, l'aubergiste l'observa se déplacer dans la foule, saluer avec timidité les quelques habitants acceptant de lui adresser la parole et se servir une assiette de crudité.
« Qui est-ce ? s'enquit-elle auprès de Dumbledore en désignant la femme seule à un bout de la table.
— Narcissa Black, répondit-il. Pauvre petite. Il ne lui est arrivé que des malheurs dans sa vie.
— On raconte que sa famille est maudite, commenta Hagrid d'un ton sombre. »
Black.
Hermione avait déjà entendu ce nom. Ses hôtes et amis l'avaient mentionné plusieurs fois depuis qu'elle occupait sa chambre au quatrième étage de l'auberge. Si elle se souvenait bien, le parrain de Harry possédait ce nom et il avait perdu dans un accident atroce. La Londonienne posa ses yeux sur son ami. Il observait Narcissa, les lèvres pincées et les prunelles oscillant entre la peine et la colère. Mille questions lui vinrent. Elle n'en articula aucune. Elle se contenta de jeter quelques œillades à cette femme entre deux discussions et de compatir avec sa tristesse lorsque son regard mélancolique s'égarait sur le Loch Neònach.
Perdue dans ses pensées, Hermione en oublia le temps défilant. Quand son esprit revint dans le monde réel, les habitants de Merrowcoe avaient déserté Le Terrier et la brume s'était levée. Toujours assise sur sa chaise, elle offrit un sourire rassurant à Harry. Tout irait bien. Elle ne ferait rien d'insensé. Il posa une main sur son épaule avant de rejoindre la chaleur de l'auberge.
Les pas hésitants de Hermione la conduisirent sur le ponton où le corps anthropomorphe de Drago l'attendait. Il lui adressa ce sourire monstrueux auquel elle s'était habituée par leurs contacts répétés. La jeune femme observa l'aisance avec laquelle il se déplaçait dans l'eau sombre du loch et elle se perdit dans ses mouvements gracieux. Elle retrouva la place qu'elle avait abandonnée sur le ponton alors qu'il s'accoudait au bois humide. Ses griffes palmées dessinèrent les contours d'un nœud. Les fentes sous ses oreilles palpitèrent de plus en plus vite. Il s'empressa de plonger lorsque sa respiration se coupa. Puis il remonta à la surface après quelques secondes qui parurent durer une éternité pour Hermione. Sa peau blanche s'habilla de paillettes d'eau reflétant la lueur de la lune et ses cheveux argentés s'emmêlèrent devant ses yeux envoûtants. Hermione aurait dû garder ses mains pour elle. Elle en avait conscience. Son corps bougea avant que sa raison ne stoppe ses mouvements. Elle se pencha pour glisser ses doigts dans ses mèches. Drago eut un brusque geste de recul ; comme si son épiderme suintait un poison.
Ses phalanges se refermèrent sur du vide. Elle les ramena contre son cœur serré et ses lèvres crispées dans un sourire factice. Drago remarqua son changement d'expression et s'approcha avec méfiance. Il lui permit de replonger ses mains dans ses mèches claires. Ses doigts se montrèrent tendre et s'affairèrent à retirer les nœuds qui ternissaient ses cheveux fins. Ils glissèrent sous sa peau comme des fils de soie. Elle enleva quelques algues verdâtres qui décoraient sa chevelure. Ses mouvements ralentirent et se transformèrent en de délicats massages. Il ferma les yeux au contact de ses mains contre son scalp. Dans son soupir de bienêtre, son souffle caressa l'épiderme de Hermione.
Elle l'observa sans quitter une seule fois cette bulle silencieuse qui les enveloppait. Leurs rendez-vous s'enchaînaient depuis les derniers jours. Ils se rencontraient sur les bords du lac et faisaient connaissance sans échanger un mot. Elle le regardait nager dans l'eau sombre et lisait d'épais livres glanés dans la bibliothèque des Weasley. Il ne représentait aucun danger pour elle. Ses dents aiguisées et ses griffes acérées pouvaient déchirer sa peau telle une feuille de papier. Hermione n'éprouvait pas la moindre peur. Sa vie ne s'écourtait pas en sa présence. Elle n'en oubliait cependant pas sa promesse envers Harry.
« Tes cheveux sont si beau Drago, souffla-t-elle. Tu es si beau. »
Leurs yeux se rencontrèrent lorsque les paupières lourdes de la créature aquatique se soulevèrent. Hermione se perdit dans la clarté de ses iris. Elle se noya dans l'océan de ses émotions. Dans ses orbes envoûtants étincelèrent une surprise brute et une faim féroce. Le cœur de Hermione pulsa contre sa cage thoracique. Elle avait parlé sans réfléchir. Ça ne lui ressemblait pas. Ses mains se figèrent dans ses mèches d'argent.
« Je... hésita-t-elle. Oublie. »
Ses mots moururent sur ses lèvres et s'asséchèrent dans sa gorge. Que cherchait-elle à communiquer avec tant de maladresse ? Drago se redressa, son corps longeant le sien et sa queue écaillée émergeant de l'eau. Son souffle s'écrasa contre la peau de la jeune femme et lui arracha un frisson. Leurs prunelles s'exprimèrent à la place de leurs mots. Son épiderme irradia d'une agréable fraicheur contre la sienne. Il esquissa un sourire en coin avant de déposer ses lippes à la commissure de sa bouche. Les yeux de Hermione s'écarquillèrent alors qu'il s'éloignait d'elle. Il disparut sous la surface de l'eau avant qu'elle ne comprenne ce qu'il venait de se passer. Ses doigts effleurèrent la pliure de ses lèvres où elle sentait encore la chaleur de sa peau contre la sienne. Elle attendit quelques minutes, immobile, et dans l'attente de se perdre une dernière fois dans ses orbes clairs. Une chouette hulula dans la nuit, la tirant de sa léthargie. Hermione se redressa, ses genoux émettant un craquement sonore et ses vêtements dégoulinants d'eau froide. Elle regagna l'auberge dans un état second.
***
Les bras chargés de provision que Molly lui avait demandé de récupérer dans la supérette du bourg et les pensées portées en direction de Drago, la jeune femme déambula dans les rues étroites. Plusieurs fois, le contenu des sacs en papier kraft qu'elle maintenait sur ses avant-bras manqua de se renverser sur le goudron humide. Les rayons du Soleil caressèrent la surface du loch et transformèrent en un miroir d'émeraude. Jamais Hermione n'avait observé un endroit aussi sublime. Ses pas ralentirent et finirent par s'arrêter. Sous cette eau précieuse dormait Drago.
Toutes les nuits, elle se tenait debout sur le ponton alors qu'il bougeait avec aisance à la surface de l'eau. Il ne s'était pas approché une seule fois d'elle depuis le barbecue où ses lèvres avaient effleuré la commissure des siennes. Hermione savait qu'il avait remarqué sa présence. Il la remarquait toujours. Son regard glissait sur sa silhouette avec une malice inhumaine. Son corps s'inclinait vers le sien avant de disparaître dans les profondeurs. Les douleurs de la curiosité et de l'appréciation paralysèrent son cœur serré. Se rapprocher de Drago ne parut pas raisonnable. Ses parents auraient émis un reniflement réprobateur s'ils entendaient une seule de ses pensées.
Hermione soit raisonnable dans tes fréquentations.
Hermione soit raisonnable dans tes ambitions.
Hermione soit raisonnable dans tes mots.
Hermione en avait plus que marre de se montrer constamment raisonnable.
Alors qu'ils longèrent la rive du Loch Neònach où des vaguelettes s'écrasaient, ses prunelles se posèrent sur la silhouette de Narcissa Black. Habillée dans un tailleur noir offrant une froideur supplémentaire à ses traits et ses mèches blondes tombant comme une pluie délicate sur ses épaules anguleuses, elle contempla le lac, son corps parcouru de tremblants à peine visible pour quiconque ne les rechercherait pas. Hermione hésita à la rejoindre.
Qu'observait-elle avec tant de peine ? Connaissait-elle l'existence de Drago ?
Ses questions se bousculèrent dans son esprit. Hermione les chassa en secouant la tête et elle pressa le pas pour regagner l'auberge où Molly l'accueillit en la déchargeant de ses sacs. Elle les porta avec adresse dans la cuisine et désigna la pièce à vivre d'un mouvement de menton.
« Ron t'attend pour une partie d'échecs.
— Il m'attend toujours pour une partie d'échecs, commenta-t-elle. »
Une moue boudeuse déformant ses traits, la jeune femme pénétra dans le salon. Son ami attendait, un sourire victorieux plaqué sur le visage. Sur un canapé moelleux à l'autre bout de la pièce, Harry oscillait entre l'éveil et le sommeil. Il baragouina quelques salutations à son égard, les yeux à demi ouverts, et rajusta la couverture sur ses épaules.
« Tu me proposes toujours de jouer aux échecs, lui reprocha-t-elle.
— C'est parce que je gagne toujours et que tu es la seule à bien vouloir faire une partie contre moi. »
Ron n'avait pas tort : il ne perdait jamais aux échecs. Les autres avaient abandonné bien avant son arrivée l'idée de se mesurer à lui. Un soupir s'échappant de ses lèvres, elle s'installa sur un pouf moelleux en tartan. Son ami aux mille taches de rousseur disposa les pièces sur le plateau sans se débarrasser de son sourire victorieux. Ils n'avaient pas encore entamé la partie. Des pièces sculptées avec finesse dans du bois clair s'alignèrent de son côté du plateau.
« On commence ?
— Prépare-toi à connaître ta première défaite, le provoqua-t-elle en entourant son pion blanc entre son pouce et son index. »
Hermione essuya une défaite cuisante qui enorgueillit son adversaire. Harry murmura quelque chose sur une évidence d'une voix ensommeillée lorsque les exclamations victorieuses de son ami résonnèrent dans la pièce. Il avait fallu moins d'une heure au jeune adulte pour qu'il lui fasse comprendre qu'il n'existait pas meilleur joueur d'échecs que lui à Merrowcoe.
« Une autre ou tu admets ma supériorité ? la nargua-t-il.
— Une autre évidemment. »
Les défaites s'enchaînèrent dans une bonne humeur où les commentaires endormis de Harry étiraient des sourires aux coins des lèvres sans que Ronald lui octroie une seule victoire. Une expression satisfaite illuminant ses traits, il plaqua un rapide baiser contre les joues de la jeune femme avant de sautiller jusqu'à sa chambre. L'auberge plongea dans un silence. Les discrets ronflements de Harry sur le canapé se transformèrent en une mélodie régulière. Hermione se redressa, épousseta des poussières invisibles sur ses vêtements et se faufila hors du bâtiment. Elle sentit les orbes émeraude suivre ses mouvements avec inquiétude. L'air frais de la nuit fouetta son visage de milliers d'aiguilles. Elle trottina jusqu'à l'extrémité du ponton. La brume enveloppa ses chevilles et s'étendit sur toute la surface du Loch Neònach.
Ses yeux bruns glissèrent sur les nuages blancs, cherchant les contours familiers de Drago. Ils n'échangeaient aucun mot ; ils ne parlaient pas la même langue ; lors de leurs entrevues, mais ils se comprenaient. Hermione en était persuadée. Son soupir déchira la nuit quand un rivage désert se dévoila à son regard. Les chouettes avaient aussi abandonné la forêt de Merrowcoe. Elle resta immobile sur le ponton plusieurs minutes, immobile comme une statue de marbre destinée à sonder indéfiniment la surface du lac.
Puis elle l'aperçut.
Ses cheveux clairs se fondirent dans la brume alors que son corps émergea sur la rive opposée. Il bondit hors de l'eau. Ses griffes s'animèrent et plongèrent sur une ombre mouvante. Un glapissement puis le silence. Figée sur le ponton, incapable de se soustraire à ses dents se plantant dans cette chair molle, Hermione sentit son cœur s'affoler dans sa cage thoracique. Le sang encore chaud de l'animal coula sur l'ivoire blanc et sur sa peau blafarde. Il s'éloigna du petit mammifère après plusieurs minutes qui parurent durer une éternité ; le cadavre minuscule abandonné sur le rivage pour les rapaces.
Comme des orbes brillants dans la nuit, les yeux clairs de Drago se posèrent sur elle. Des émotions qu'elle ne comprit pas les traversèrent. Son corps se figea et s'anima. Il fondit à la surface de l'eau dans sa direction. Sa main tremblante s'enfouit dans sa poche. Elle n'avait pas peur de lui. Elle n'avait aucune raison d'avoir peur de lui, de se sentir menacée par lui. Les coudes de la créature aquatique s'appuyèrent sur le ponton et Hermione oublia ses doutes. L'eau sombre du loch avait nettoyé le sang de son visage à l'exception de quelques gouttes carmin mouchetant l'ivoire de ses crocs.
La dangerosité de Drago s'éveilla dans cette nuit de charbon. Il aurait pu lui arracher le bras à la simple force de sa mâchoire. Elle en avait conscience. Mais elle ne vit que son sourire ; son sourire resplendissant et joueur qui l'invitait presque à le rejoindre sous le lac d'émeraude. Rien de raisonnable ne découlait de leur relation, mais elle s'en fichait. Elle se fichait de tout tant que ses yeux se posaient sur sa silhouette surnaturelle. Aimanté par cette aura qu'il dégageait, il lui hurlait de la rejoindre sans prononcer un mot. Hermione s'accroupit sur le ponton et lui adressa un sourire.
« Bonsoir Drago, prononça-t-elle dans un souffle. »
Un grognement animal lui répondit. Ses doigts hésitants dégagèrent son front de ses mèches rebelles et dévoilèrent le dessin de ses veines sur sa peau. Ils glissèrent sur sa pommette où des traces rouges se transformaient en taches de rousseur. Sa joue froide et humide comme de la glace se lova contre sa paume.
« Tu es si beau. »
Son reflet s'anima dans ces yeux clairs qui la dévisageaient. Elle parut amoureuse. Ses joues roses rendirent son visage plus vivant qu'il ne l'avait jamais été lorsqu'elle arpentait encore les rues de la ville rouge comme un fantôme et ses prunelles pétillèrent d'une adoration qu'elle ne pensait pas être capable de ressentir. Jamais son apparence n'avait autant crié de tels sentiments. Elle était habituée à la dépression et l'angoisse de la capitale. Elle était foutue. Les inquiétudes de Harry lui revinrent. Trop tard. Il pouvait lui arriver n'importe quoi et elle ne s'en serait pas souciée.
Les fentes sous les oreilles de Drago palpitèrent à un rythme effréné et elles lui implorèrent de plonger hors de sa portée. Ses lèvres s'étirèrent de tristesses et il rompit le contact magique de leur peau pour s'immerger. Immobile et incapable de savoir s'il rejoindrait de nouveau la surface, Hermione patienta, le cœur battant si fort dans sa cage thoracique que ses os vibraient en harmonie.
Il remonta à la surface après plusieurs secondes qui parurent durer une éternité. Les fils d'argent de ses cheveux tombèrent devant ses yeux. Hermione se pencha une nouvelle fois vers lui. Il bougea avant elle. Ses bras se propulsèrent autour de sa nuque et attirèrent son visage vers le sien. Leurs lèvres se rencontrèrent dans une explosion. Jamais elle n'avait ressenti ça. Ses dents se plantèrent dans ses lippes comme dans du beurre. Un gout ferreux se répandit dans sa bouche alors qu'elle dut s'accrocher au ponton pour ne pas sombrer dans l'eau sombre. La langue de Drago passa sur ses lèvres et en nettoya le sang avec une avidité monstrueuse. Un geignement vibra dans sa nuque quand il mordit une nouvelle fois ses lippes. La réalité revint comme un coup de massue. Se tendant à l'entente de sa douleur, le corps de Drago s'éloigna comme si un feu ardent caressait sa peau. Dans ses yeux exorbités, brilla une terreur animale. Il s'enfuit sous la surface sans que Hermione prononce la moindre phrase pour le retenir. Ses mains glissèrent de ses lèvres ankylosées d'où coulait encore du sang à sa nuque sur laquelle reposait un collier identique à celui qu'il cherchait lors de leur rencontre.
les choses avancent encore un peu. hermione et drago n'étaient pas supposés s'embrasser avant le dernier chapitre dans mon idée initiale. ça a changé lors de la correction de l'histoire et je crois que j'en suis particulièrement satisfaite. j'espère que vous avez passez un bon halloween !
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