CH2: HIDDEN BEHIND THE WHITE MIST
Une brume épaisse s'étendait à perte de vue sous les yeux marron de Hermione Granger. Elle caressait l'eau sombre du Loch Neònach et camouflait les dangers potentiels sous la surface. Debout sur le ponton qui craquait sous son poids, la jeune femme devinait les contours du paysage. Les maisons de l'autre côté de la rive, l'étrange architecture du Terrier où des silhouettes fantomatiques s'amusaient, les conifères dont l'odeur emplissait chaque jour ses narines, les montagnes dont le sommet disparaissait derrière de lourds nuages. Comment était-elle arrivée de ce côté du loch ? Hermione l'ignorait.
Évite de t'aventurer près du Loch Neònach lorsqu'il y a du brouillard.
Le conseil de Molly Weasley, prononcé d'une voix autoritaire et tremblante d'inquiétude, résonnait dans son esprit comme une chanson aux sonorités menaçantes. Que se cachait-il sous la surface du loch ? Quel danger se camouflait derrière la brume blanche ? Ces questions ne quittaient jamais les pensées de la jeune femme. Elles trottaient dans un coin de sa tête. Elles activaient les rouages de son cerveau.
Puis Hermione les vit.
Ces dents ivoire brillant dans l'obscurité de la nuit. Ces dents tranchantes qui se dévoilaient dans un sourire abominable. Elles s'approchaient ; encore et toujours. Ce rictus sans corps avançait dans sa direction. Cette mâchoire s'approchait tant que Hermione eut l'impression qu'elle caressait sa nuque pour la déchiqueter.
La piqure désagréable de la morsure.
Le sang humide et chaud s'échappant de la blessure et glissant sur sa peau miel.
Le champ de vision s'obscurcissant.
Et le sursaut.
Les paupières de la jeune femme se soulevèrent dans la panique. Ses cheveux ébouriffés collaient à son front trempé de sueur et des spasmes agitaient son corps. Ses yeux cernés d'aubergine se figèrent sur le miroir minuscule qui surmontait l'évier de sa chambre. Ses doigts tremblants se portèrent sur sa nuque où la douleur lancinante de la morsure paraissait réelle. Elle découvrit une peau lisse. Aucune blessure. Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres alors qu'elle basculait ses jambes sur le rebord de son lit.
Encore ce rêve.
Hermione occupait cette chambre dans le Terrier depuis plusieurs semaines. Ce songe avait animé chacune de ses nuits depuis. Elle secoua la tête de gauche à droite pour chasser le souvenir de ses dents acérées. Peine perdue. Elle se complaisait dans ce cauchemar où elle se voyait mourir. La jeune femme se traîna jusqu'à l'évier et elle s'appuya sur le rebord. La sueur rendait son épiderme luisant et la fatigue creusait ses traits. Elle ouvrit le robinet et s'empressa de passer le liquide glacé contre la peau de son visage. Elle se sentait engourdie de sommeil et encore perdue dans son angoisse nocturne. Ses prunelles incertaines se portèrent sur le loch de l'autre côté de la fenêtre. Pas de brume. Le soleil glissait sur l'eau aux reflets verts. Aucun danger ne se trouvait sous la surface. Molly l'avait mis en garde contre une chute potentielle. Rien de plus. Hermione cherchait à s'en persuader chaque jour, mais cette sensation mystérieuse ne la quittait jamais.
« Hermione ? »
Une voix féminine l'interpella de l'autre côté du battant. Elle vibrait de cette inquiétude pour laquelle elle éprouvait une aversion réelle. Une grimace naquit sur les traits de Hermione. Elle passa une main sur son visage pour en dégager les mèches rebelles qui obstruaient son champ de vision et se traîna vers la porte pour l'ouvrir. Ginny apparut. Ses yeux marron la détaillèrent de la tête aux pieds comme s'ils cherchaient une nouvelle raison pour se préoccuper de son état de fatigue. S'empêchant de prononcer le moindre commentaire indélicat, sa cadette se mordit les lèvres. Hermione lui adressa un sourire qu'elle espérait rassurant. Elle se refusait de créer du souci aux personnes qui lui offraient un toit.
« Tu veux venir prendre le petit-déjeuner ? s'enquit Ginny. Maman a préparé du porridge et des galettes de pommes de terre.
— Je m'habille et j'arrive. »
La silhouette de Ginny disparut dans un tourbillon de mèches rousses. La cage d'escalier s'emplit de ses talons percutant les marches avec force. Sans quitter le couloir désert du regard, Hermione crut l'entendre répéter son réveil à l'étage inférieur où les garçons dormaient encore. Ses poings s'écrasèrent à de nombreuses reprises sur la porte de Ronald. Ce dernier préférait renoncer aux bras de Morphée sans aucune intervention et cela revenait souvent à se lever aux alentours du déjeuner. La famille Weasley ne semblait pas décidée à lui laisser cette possibilité et il s'en plaignait tous les jours. Un sourire naquit sur les lèvres de la jeune femme lorsqu'elle perçut les intonations larmoyantes qui suppliaient sa sœur de lui offrir encore dix minutes de sommeil.
« Il est particulièrement insupportable quand il se réveille trop tard, lui avait un jour expliqué Percy sans quitter son magazine d'économie du regard. »
Refermant la porte dans son dos, Hermione jeta un regard à sa valise ouverte aux pieds de son lit. Ses habits pliés avec minuties s'empilaient à la perfection et dégageaient ce parfum de lessive qui embaumait le Terrier dès qu'une machine séchait sur les étendoirs. La jeune femme piocha un pull en laine que la propriétaire de l'auberge lui avait tricoté quelques jours après son arrivée et elle l'enfila. Hermione avait refusé de recevoir un cadeau comme celui-ci, mais Molly avait tant insisté que sa réticence disparut bien vite. Le lainage lui tenait plus chaud que tous les vêtements rangés dans sa valise et elle mentirait en affirmant qu'elle n'appréciait pas le geste. Elle avait l'impression de faire partie d'une grande famille. Tous se fichaient de ses origines et des problèmes de son passé. Elle glissa ses jambes dans un jean difforme et le referma autour de sa taille. Des chaussons aux pieds, elle les traîna jusqu'à sa porte. Une odeur de porridge et de thé bouillant flottait dans l'air de l'auberge. Son ventre gargouilla. Elle mourrait de faim.
Une table bondée de tête rousse l'accueillit dès qu'elle pénétra dans la salle à manger. Seuls les cheveux bruns de Harry et ceux blonds de Fleur se détachaient du feu des mèches ébouriffées des Weasley. Tous discutaient avec une animation anormale pour un matin. Ils la drainaient presque de son énergie. Hermione chercha une place libre et en trouva une aux côtés de la Française. Elle adressa un sourire poli à sa voisine en s'installant sur la chaise, glissant un pied sous sa cuisse. La jeune femme n'avait pas beaucoup parlé à Fleur. La mère de famille racontait avec fierté la rencontre de son aîné avec sa belle-fille.
Le couple s'était croisé sur un contrat. Bill commençait sa vie post-étude dans une grande banque d'Inverness. L'élégante allure de sa future épouse lui avait tapé dans l'œil. Habillée d'un tailleur hors de prix et les cheveux lisses retenus par un serre-tête, Fleur avait échangé de longues heures avec le banquier responsable de l'entreprise pour laquelle elle travaillait. Bill n'avait jamais tenu son contrat entre ses mains, mais leurs rencontres les avaient rapprochés. Ils avaient pris leur temps et étaient tombés amoureux de façon si simple et belle que Hermione se sentait envieuse.
Tout différait de sa romance maudite avec Cormac et de leurs familles qui considéraient leur relation comme une finalité. Le souvenir de son ancien compagnon fana le sourire de ses lèvres.
« Bonjour Hermione, la salua Fleur d'une voix douce teintée d'un accent charmant.
— Bonjour. »
Les conversations ne cessaient jamais chez les Weasley. Ils avaient toujours de nouvelles histoires à raconter, anecdotes amusantes à partager ou informations érudites à lui apprendre. Leur allégresse portait Hermione et elle en oubliait les problèmes qui l'avaient chassé de la ville rouge. Son sourire discret ne quitta pas ses lèvres durant toute la période du petit-déjeuner. Elle admirait cette famille soudée qui ne cessait de transmettre des rires. Lorsque tous disparurent et vaquèrent à leurs occupations, il ne subsista que l'écho de leur joie et des assiettes vides dans la salle à manger. Hermione resta pour aider l'aubergiste. Les prunelles courroucées de Molly lui intimèrent de s'éloigner des plats, mais elle ne l'écouterait pas. Elle était décidée à participer aux tâches quotidiennes et l'une d'elles constituait à ranger la vaisselle. Son hôte finit par abdiquer, non sans grommeler des propos incompréhensibles à l'oreille humaine.
« Que vas-tu faire de ta journée ? s'enquit Molly.
— Je vais aller à la salle des archives. »
L'eau mousseuse montait jusqu'aux poignets de la jeune femme alors qu'elle répétait pour la même phrase pour la énième fois. Hermione ignorait les raisons qui la poussaient à se rendre presque tous les jours aux archives du village. Comme tous les matins, les yeux de Molly s'obscurcirent. Elle s'inquiétait.
La curiosité de Hermione l'exhortait d'en connaître les motifs. Pourquoi semblaient-ils tous se soucier des informations qu'elle glanerait aux archives ? Pourquoi planait-il un mystère que tous cherchaient à lui cacher ? Plus les secrets s'accumulaient, plus elle souhaitait les dévoiler. Molly aurait pu lui interdire de s'y rendre et lui trouver une autre occupation pour combler son temps. Hermione n'aurait pas bronché une seule seconde. Mais ce n'était pas le cas. Elle se contentait de cette œillade, oscillant entre la préoccupation et la méfiance. Elle ne prononça pas le moindre mot pour la mettre en garde.
***
Les archives de Merrowcoe s'entassaient dans une minuscule salle sous-terrain de la mairie. Des cartons sur lesquels des étiquettes jaunies par le temps avaient été collées s'empilaient dans une pièce si poussiéreuse que des quintes de toux se multipliaient par l'ouverture de sa porte. Hermione passait la plupart de ses journées entre ses quatre murs où les rayons du soleil traversaient l'unique fenêtre rectangulaire et où le seul néon clignotait avec une agaçante régularité. A quelques centimètres au-dessus du sol goudronné qui bordait les façades de la mairie, la lucarne offrait une vue saisissante sur le parking et les chevilles des promeneurs.
Deux jours après son arrivée dans le village, Hermione avait poussé la porte de l'hôtel de ville. Une femme âgée aux yeux perçants comme ceux d'un chat l'avait accueillie. Perplexe et curieuse, elle l'avait observé de longues minutes sans prononcer le moindre mot. Miss McGonagall habitait depuis tant d'années à Merrowcoe que toutes les nouvelles présences dans ce village coincé entre deux montagnes ne manquaient jamais de la laisser sans voix. Hermione avait découvert une femme réservée et brillante qui lui proposait un thé bouillant toutes les deux heures.
Ses doigts fins caressant les étiquettes usées, la jeune adulte analysa les écritures en pattes de mouche qui indiquaient le contenu des cartons. L'encre des mots s'était effacée avec le temps. Hermione peinait à en déchiffrer les lettres. Parfois elle piochait dans les boîtes et feuilletait des dossiers pour trouver les événements marquants du village.
Merrowcoe s'illustrait par son calme suspect. Les célébrations s'organisaient souvent autour d'un habitant et elles conviaient toujours l'intégralité du bourg. Hermione apprit sur le barbecue annuel des Weasley et découvrit l'incident des cheveux brûlés de Ginny par la plume d'un journaliste facétieux. Les nouvelles décrivirent naissances, anniversaires, anecdotes amusantes et décès sur ce le ton incisif de Rita Skeeter. Seule gazetière opérant dans une région aussi déserte, elle s'illustrait par une absence de pincette et son manque de tact. Ses publications s'accompagnaient toujours par la rubrique astrologique décalée de Sibylle Trelawney. Elles expliquaient l'incident des araignées géantes de Hagrid comme s'il représentait l'unique dégénéré du village. Pour l'avoir rencontré quelques fois, Hermione trouvait qu'il se distinguait plutôt par une sympathie teintée de fascination pour les animaux dangereux.
Ses fouilles lui apprirent sur le quotidien des habitants de Merrowcoe et sur leurs habitudes. Hermione se sentit proche de cet ensemble d'êtres humains qui évoluait dans une région que certains touristes arpentaient durant les beaux jours. Les parents de Harry avaient élu domicile après une découverte agréable de la ville. Ils ne l'avaient jamais quitté, même après cet accident de voiture qui leur avait coûté la vie et fait de Harry Potter un orphelin. Leurs tombes se décoraient de fleurs dans le cimetière du village. Tout avait été consigné dans ses caisses.
Y compris les accidents du loch.
Cette étiquette se détachait de toutes les autres. Plaqués sur un carton qui ressemblait aux dizaines qui l'entouraient, ses mots se remarquaient. Rondes, les lettres se distinguaient des autres dans leur lisibilité et appelaient sa curiosité. Hermione déplaça plusieurs lourdes boîtes pour se frayer un chemin. Elle s'accroupit au niveau des dossiers des accidentés du village de Merrowcoe, passa une main sur le couvercle pour retirer la poussière qui s'y entassait. Elle souleva les bords et découvrit avec surprise de nombreuses archives. Le carton regorgeait de feuillet et d'articles. Des dizaines de témoignages s'agglutinaient. Elle s'empara d'une chemise et en lut le contenu en diagonale. La rédactrice parlait du Loch Neònach et d'une suite d'accidents. Tous relataient les mêmes événements : le froid piquant, la brume épaisse, la créature du loch.
Les sourcils de la jeune femme se froncèrent alors qu'elle découvrait des histoires similaires. Ce monstre aux dents aussi aiguisées que des rasoirs attaquait les petits animaux assez téméraires pour s'approcher du lac durant des journées brumeuses. Les revues racontaient que l'être aquatique n'hésitait pas à tuer avec cruauté ceux qui pénétraient sur son territoire. Les images de la créature qui animait ses rêves revinrent à l'esprit de Hermione. Ils relataient tous cette même présence.
Les conseils de Molly résonnèrent une nouvelle fois dans son crâne. Ils lui interdisaient de s'approcher du lac lors des nuits brumeuses. Serait-ce pour la protéger de l'animal du loch ?
Un soupir s'échappa de ses lèvres. Tout cela était ridicule. Les êtres mythiques et autres monstres n'existaient que dans les contes. Ils dissuadaient les enfants intrépides des bêtises. Le surnaturel ne prenait vie que dans les histoires qu'on se racontait pour se faire peur.
Les gonds de la porte émirent un grincement familier lorsqu'elle s'ouvrit sur la silhouette de Miss McGonagall et ils arrachèrent un sursaut à la jeune femme qui s'empressa de glisser un feuillet dans son sac avant de se redressa. Elle poussa le carton entrebâillé de son talon et ébaucha un rictus qu'elle espérait innocent pour Minerva dont les yeux plissés cherchaient à déterminer si elle se présentait comme coupable d'un quelconque méfait. Puis elle esquissa un sourire chaleureux. Hermione se rendit compte qu'elle avait retenu sa respiration quand une expiration soulagée quitta ses lèvres.
« Souhaitez vous prendre un thé, Miss Granger ? lui proposa-t-elle d'une voix aimable.
— Je veux bien. »
Hermione la suivit hors de la pièce. Elle slaloma entre les boîtes et referma la porte derrière elle. Une volute de poussière s'envola dans le courant d'air créé par le battant. Le feuillet des accidents lacustres alourdissait son sac. Il doublait de masse à chacun de ses pas et se transformait en enclume. Jamais Hermione n'avait jamais ressenti de façon aussi physique le poids de la culpabilité. Celui-ci l'accompagna dans le bureau de l'adjointe au maire et ne la quitta que lorsqu'elle regagna sa chambre au Terrier.
Des orbes bleus qui glacent le sang
MERROWCOE. Une vraie purée de pois habillait le village bordant le Loch Neònach hier soir lorsque le corps inconscient d'une adolescente a été épargné de la noyade. Son sauveur, un adulte d'une petite trentaine d'années menant une existence d'ermite, a repéré la jeune fille s'enfoncer sous la surface. Il raconte son effroi qui l'a poussé à quitter son confort pour se transformer en héros. Son plongeon dans l'eau glaciale marquera les années malgré l'anonymat réclamé par les protagonistes de cette histoire.
Désorientée, la noyée nous conte avec cette folie propre à ceux qui ont vécu un traumatisme sa rencontre avec une créature dans le Loch Neònach. Il aurait de grands yeux bleus et des dents aussi aiguisées que des couteaux de cuisine. Sa voix parait éloignée et rêveuse lorsqu'elle parle du monstre qui l'a intimé de la rejoindre dans le loch. Notre héros du jour nous décrit les deux orbes bleus qui glacent le sang qu'il a observé avant de plonger dans l'eau froide.
Choc hypothermique ? Hallucination ? Créature lacustre ?
Médecin et psychiatre analysent nos deux protagonistes pour en apprendre plus sur leur état de santé.
Les doigts serrés autour de cet article à l'écriture signature de la gazetière, Hermione le relut pour la quinzième fois depuis qu'elle était rentrée de sa visite quotidienne à la mairie de Merrowcoe. La caisse contenait des témoignages semblables par centaine. La plume mordante de Rita Skeeter attirait son attention. Elle se sentait comme un insecte prisonnier de la lueur hypnotique d'un lampadaire en pleine nuit. Les mots de la journaliste réveillèrent sa curiosité alors que ses prunelles noisette parcouraient ce texte qu'elle connaissait de mémoire. Dehors, la brume se levait à une insupportable lenteur. Le Loch Neònach se ravivait avec elle.
Sa raison balayée et son intérêt piqué, Hermione plongea ses pupilles sur le loch. Que se cachait-il derrière le brouillard blanc ?
***
Le ponton en bois humide émit un grincement sinistre sous la pression de son talon. Hermione s'approcha vers son rebord à peine visible dans la purée de pois survolant la surface. Elle devina les ombres des barques sur lesquelles des vaguelettes se cassaient dans un clapotis discret. Les planches craquèrent sous son poids. Serait-elle capable de s'extirper de l'eau s'il se brisait ? Une chute marquerait-elle la fin de cette succession de fuites et de déceptions construisant son existence ? Son cœur pulsa dans sa cage thoracique. Ses mains tremblèrent dans les poches de son manteau épais. Elle jeta une œillade au Terrier. Les lumières allumées du bâtiment l'invitèrent à retrouver le confort des canapés et la chaleur des conversations. Elles lui rappelèrent les mises en garde de l'aubergiste qui lui conseillait de ne jamais s'approcher du loch en temps de brouillard. Les mises en garde échappaient toujours à Hermione Granger. Lorsqu'elle arpentait encore les rues enivrantes de la ville rouge, cette témérité lui brûlait les ailes. Ses chutes vertigineuses ne lui avaient jamais appris la leçon. Cormac, ses parents, les amis qui n'en étaient pas réellement... Tous lui reprochaient sans cesse de ne pas prendre les avertissements au sérieux et de se plier aux volontés dangereuses de cette curiosité qui la suivait comme son ombre.
Son inclinaison au danger l'énervait la majeure partie du temps, mais elle ne pouvait pas s'en détacher. L'encre noire des mots de Rita Skeeter trottait dans un coin de son esprit, y imprimait la silhouette de cette créature se déplaçant sous la surface du loch, et alimentait son imagination cartésienne d'images invraisemblables. Morphée lui offrait cette vision chaque nuit. Les monstres n'existaient pas. Ils n'avaient jamais existé. Ils ne nageaient pas sous le ponton comme des prédateurs attendant une proie assez naïve pour risquer d'arpenter le ponton alors que le brouillard s'épaississait. Ils étaient le fruit de ses nombreuses histoires que les êtres humains se racontaient pour se faire peur.
Puis un mouvement, une ondulation si discrète à la surface de l'eau que Hermione crut la rêver. Elle se répéta. Encore et encore. Quelque chose nageait dans le loch et déplaçait de lourds nuages dans son sillage. Hermione se pinça l'intérieur du coude pour s'assurer qu'elle ne dormait pas. Ses paupières papillonnèrent et ses yeux s'habituèrent à l'obscurité. Elle essaya de deviner les contours de ces choses opaques dans la nuit.
Hermione crut observer un homme de son âge barboter dans le lac glacial. Son épiderme gris, presque cadavérique, déplaçait des volutes d'eau dans ses mouvements. Ses vaisseaux sanguins, oscillant entre le noir et le vert de chrome, dessinaient des formes abstraites sur cet épiderme sur lequel les rayons lunaires s'accrochaient. Sa tête couverte de cheveux comme des fils d'argent sortit de sous la surface. Un pli inquiet barrant son front brisait l'harmonie de ses traits : un nez noble, des yeux ronds si clairs que l'iris se perdait presque dans sa sclère blanche, des lèvres fines et se fondant avec sa peau que des dents aiguisées telles des larmes de rasoir mordaient. Hermione sentit son cœur s'arrêter un court instant. Elle ignorait si la vision de ses crocs la fascinait ou si elle la terrorisait. Son cerveau lui hurlait de prendre ses jambes à son cou, de fuir un village comme Merrowcoe où des monstres vivaient dans le loch, de retrouver son quotidien monotone et angoissant dans la ville rouge. Elle aurait pu faire tout cela. Elle aurait même pu refonder ce couple malheureux qu'elle formait avec Cormac. Mais son corps refusa. Ses pieds restèrent fichés dans le bois trempé du ponton et ses yeux noisette ne quittèrent pas une seule seconde cette silhouette étrange.
La créature nagea plusieurs minutes, indifférente à sa présence. Elle dévoila trois larges fentes sous ses oreilles qui palpitaient au rythme de ses respirations terrestres. Hermione devina une queue de poisson à l'endroit où des jambes auraient dû terminer ce corps. Elle aperçut des écailles verdâtres émergeant de la surface alors qu'il se propulsait plus loin.
La mâchoire entrouverte dans une expression ahurie, Hermione le suivit du regard. Jamais elle n'aurait pensé voir une créature comme celle-ci au cours de sa vie. Elles habitaient les contes de son adolescence et les cauchemars de ses jours d'adultes. Pulsant sous sa poitrine à un rythme effréné qui ne faisait qu'accentuer son angoisse, la jeune femme se sentit perdre l'audition. Une inspiration pour se donner du courage. Une expiration pour détendre ses muscles. Un schéma se répétant et retirant un poids de ses épaules.
Les yeux clairs de la créature frémirent d'émotion dès qu'ils découvraient une parcelle vierge de cette chose qu'elle cherchait tant. La glace de ses iris croisa la chaleur des siens. Ses jambes cédèrent sous son propre poids. Ces prunelles-là possédaient le pouvoir de métamorphoser les os en coton. Son enveloppe corporelle tremblait comme une feuille. Elle en vint même à craindre qu'une bourrasque ne la brise. Sans qu'elle en comprenne la raison, des larmes bouillantes coulèrent sur les rondeurs de ses joues. Elles brouillèrent son champ de vision et transformèrent l'homme en une masse flou. Ses rotules frottèrent contre les planches du ponton dans sa chute.
Il se trouvait juste là.
Le sensationnalisme journalistique des articles de Rita Skeeter narrait une part de vérité inattendue. Les accidents du Loch Neònach témoignaient de créatures aquatiques. Elles existaient. Hermione en avait un spécimen sous les yeux.
Endormie au fond de son subconscient, une enfant quittait sa longue torpeur. L'irrationalité de la situation s'additionnait à son déménagement hors de la ville rouge. Les barrages de son esprit cédèrent un à un et ses émotions ses déversèrent en torrent de larmes sur ses joues.
À travers ses pleurs, la silhouette de l'homme du loch s'agita. De l'écume blanche entoura son corps que la panique parcourait. Il se débattit contre des liens invisibles qui le gardaient à la surface. Ses branchies se dilatèrent alors que sa nervosité lui empêchait de plonger pour respirer. Hermione sécha ses larmes du revers de la manche de son pull. Écho de la terreur qui les maintenait en vie, deux pupilles inhumaines la dévisagèrent. Ils partageaient la même peur de l'inconnu. Rien chez lui n'indiquait la moindre agressivité.
Une douleur lancinante. Ce fut la première chose que Hermione ressentit lorsqu'elle retrouva son calme. Ses prunelles noisette découvrirent les hématomes et coupures qui décoraient sa peau de miel. Rien de grave. Une grimace tira ses traits et elle siffla un juron. Comme si leurs peurs s'alimentaient entre elles, la créature s'apaisa. Immergé jusqu'à l'arête de son nez, il reprit ses recherches.
Hermione la regarda nager dans un silence que seuls les bruits de la nuit perturbaient. Elle esquissa un sourire discret en remarquant certaines de ses habitudes. Il passait des mains palmées dans ses cheveux lorsque la frustration s'emparait de son corps. Il plongeait sous la surface quand sa respiration s'intoxiquait d'air. Il émettait des grognements mécontents. Il ignorait ses œillades insistantes. La jeune femme s'apprêtait à abandonner son observation lorsqu'elle repéra cet éclat dans l'obscurité à quelques centimètres de ses mains.
Ses doigts s'en approchèrent et délogèrent un collier doré des lattes du ponton. Les bibelots qui la décoraient rencontrèrent son poignet. Des algues en recouvraient la surface, mais Hermione crut deviner une pièce de dix cents et un pendentif ancien. Le reflet de la lumière sur le métal et le balancement des breloques sur leur chaine attirèrent l'attention de la créature. Ses prunelles s'écarquillèrent et son corps entier se figea. Ainsi, il cherchait ce collier.
Un sourire rassurant étirant ses lèvres, la jeune femme se pencha et tendit le bras en direction de cet être à l'apparence anthropomorphe. Son brusque mouvement de recul l'aspergea d'eau glacée et dévoila les écailles irisées. Le bijou se balança de droite à gauche à quelques centimètres au-dessus de la surface du loch.
« N'aie pas peur, l'encouragea-t-elle. Je ne souhaite aucun mal. »
La méfiance assombrit les prunelles de la créature. Quelques minutes s'écoulèrent sans qu'elle fasse le moindre geste. Hermione sentit son bras s'alourdir. Il parut presque insoutenable lorsque l'homme lacustre combla la distance qui les séparait. Centimètre par centimètre. Ses traits se précisèrent et une beauté froide émanait de lui. Sous ses oreilles, ses branchies pulsèrent à un rythme frénétique. Une main palmée terminée par de longs doigts s'enroula autour de la chaine. Leurs peaux se rencontrèrent. Un contact qui ne dura pas plus d'une seconde, mais qui provoqua une décharge telle que leurs corps s'éloignèrent. Ses yeux ronds papillonnèrent et l'étudièrent.
« Comment t'appelles-tu ? »
Une langue inhumaine et inconnue quitta ses lèvres. Hermione esquissa un sourire désolé. Il fronça les sourcils et observa son environnement comme s'il cherchait un moyen de communiquer. Ses prunelles s'arrêtèrent sur l'étendue étoilée. Il le désigna de la pointe de son index qu'une longue griffe prolongeait. La jeune femme analysa le ciel où la constellation du dragon se détachait des autres. Lorsqu'elle reporta son regard sur la surface de l'eau, il avait disparu.
Plusieurs minutes s'écoulèrent sans qu'elle eût le courage de bouger. Son cerveau n'acceptait pas l'existence de cette créature aquatique malgré leur interaction. Elle se sentait embuée comme dans un rêve. Des voix scandèrent son nom depuis Le Terrier et la tirèrent de sa torpeur. Hermione se redressa avec précipitation. Elle parcourut la distance qui la séparait de l'auberge par de grandes enjambées. Ronald l'accueillit dans une effusion d'inquiétude. Ses phalanges se refermèrent autour de ses épaules et il la secoua avec délicatesse.
« Arrête ! lui implora-t-elle. Tu vas me rendre malade.
— Pardon, s'excusa-t-il d'une petite voix en desserrant ses poings. Où étais-tu ?
— J'avais besoin de prendre un peu l'air, mentit-elle.
— C'est dangereux avec le brouillard, la réprimanda-t-il en enroulant ses doigts autour de son poignet. Tu es glacée. On va se mettre au chaud. »
Hermione acquiesça sans un mot. Elle jeta un dernier regard au lac avant qu'il ne l'entraîne à l'intérieur du Terrier où plusieurs paires d'yeux inquiets analysèrent sur son corps en quête de la moindre blessure, comme s'ils cherchaient à découvrir si elle n'avait pas fait une rencontre malheureuse. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire et articulèrent des paroles rassurantes. Ronald la manipula pour qu'elle s'installe sur un canapé et enveloppa ses épaules dans une couverture épaisse. Elle le remercia du bout des lèvres et accepta la tasse fumante que Harry glissa entre ses mains. Alors qu'elle se réchauffait et que les garçons l'embarquaient dans une partie de cartes, ses pensées partirent vers le Loch Neònach où une créature nageait ; où Drago nageait.
la description de drago a été compliquée à écrire mais j'en suis particulièrement fière. je trouve qu'elle rend bien. j'espère que vous aimez bien l'ambiance qui se dégage de l'histoire. je me suis vraiment éclatée à l'écrire.
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