CH1: FAR FROM THE RED CITY
De l'autre côté de la fenêtre du train, le paysage défilait si vite que les arbres se fondaient dans une bouillie verte qui ne s'arrêtait que pour laisser entrevoir la forme d'un bâtiment décrépi par les années et intempéries. La silhouette d'un animal broutant dans un pré se devinait parfois avant que le bruit soudain des wagons sur les rails ne provoque sa fuite. Rien ne se détachait.
Une jeune adulte ne parvenait pas à quitter le sublime panorama de ses yeux marron soulignés de cernes violacés. Le coude reposant contre le rebord de la vitre et la joue contre le dos de sa main, elle se perdait dans ces formes floues. Rien d'autre que son esprit exténué de trop réfléchir et les arbres se fondant entre eux n'existait. Même les deux garçons qui partageaient son compartiment depuis Édimbourg disparaissaient de son champ de vision. Ils devaient avoir son âge et ils se connaissaient depuis de longues décennies si elle en croyait leur jacassement animé. Elle les avait salués d'une voix morne lorsque la porte avait dévoilé leurs corps dans son coulissement. Ils s'étaient installés sur la banquette en velours côtelé et s'étaient empressés de lui demander son prénom.
« Hermione. »
Ses intonations rauques de ce silence qui pesait tant sur ses cordes vocales lui avaient arraché une grimace. Elle ne supportait plus cette voix morte à cause de l'effervescence de son quotidien. Elle perdait ses émotions. Elle n'avait pourtant pas semblé déranger les garçons qui s'étaient empressés de se présenter. Elle avait ainsi fait la connaissance de Harry Potter et Ronald Weasley. Le premier portait des lunettes rondes aux branches tordues sur son nez et le second arborait un visage moucheté de taches de rousseur sous ses cheveux orange. Ils n'avaient pas échangé un seul mot depuis. Ils n'en ressentaient pas le besoin et elle non plus. Hermione ne traversait pas le pays pour entretenir une conversation avec deux personnes qu'elle ne reverrait jamais. Il ne servait à rien de créer des liens factices et éphémères.
« Hermione ? l'interpella celui aux mèches fauves d'une voix hésitante.
— Hum ? elle se redressa sur sa banquette et croisa son regard.
— Tu vas où ? »
Les rouages de son esprit s'activèrent. Mal huilés, leurs mouvements provoquèrent une douleur qu'elle peina à camoufler. Les yeux bleus de Ronald luisaient de cette chaleur transpirante de bonté et ils la conviaient dans leur bulle amicale. Le sourire de Harry chercha à lui offrir ce courage qui lui faisait défaut. Elle ne les connaissait pas ; elle ne rencontrerait certainement plus leur route ; mais quelque chose chez eux l'invitait et la rassurait.
« Merrowcoe, souffla-t-elle. Je crois que c'est au bord du...
— Loch Neònach, la coupa Harry. On a grandi là-bas. »
L'étiquette d'illustre inconnu qu'elle ne reverrait jamais s'embrasa. Si elle croyait toutes les informations qu'elle avait collectionnées sur Merrowcoe au cours des mois précédant son départ de Londres, la jeune adulte croiserait souvent le chemin des garçons. Elle avait porté son choix sur un village perdu au milieu de nulle part pour oublier l'effervescence de la capitale britannique.
Londres avait toujours paru rouge à ses yeux.
Le rouge des bus. Le rouge des néons. Le rouge des cabines téléphoniques.
Le rouge qui accélérait les battements de son cœur et lui donnait la nausée.
Le rouge dont elle ne supportait plus la présence et qui l'angoissait.
Ses sourcils se froncèrent alors qu'elle comprenait l'implication des mots de ses camarades de trajets et ses doigts s'enfoncèrent dans les coussins doux de son assise. Ils n'étaient plus d'illustres inconnus. Ils possédaient une identité et un lieu de résidence. Hermione n'aimait pas les coïncidences — elle ne les avait jamais aimées — et encore plus ces instants où on lui affirmait que le monde était petit. Faux. La Grande-Bretagne s'étendait sur un territoire si vaste que le pourcentage de croiser la route d'une personne se rendant au même endroit qu'elle se rapprochait de zéro. Alors deux ?
« Pourquoi tu vas te perdre à Merrowcoe ? l'interrogea Ronald dont la voix trahissait sa curiosité. Ce n'est pas un endroit stimulant.
— Envie de tout recommencer loin de chez moi. »
Si elle en croyait leur silence entendu, sa réponse suffit à leur imagination. Ils ne cherchèrent pas à l'intégrer dans leur conversation. Elle reporta ses yeux sur le paysage défilant à toute vitesse. Les arbres s'espaçaient de plus pour laisser entrevoir d'immenses étendues d'eau noire creusant les montagnes. Ses méninges et rêvasseries se perdirent dans la quiétude que lui inspiraient ses reliefs. Tout serait différent. Cette sensation de nausée qui ne cessait jamais de nouer sa gorge se relâcherait et respirer redeviendrait naturel. Ses ongles sillonnèrent les rainures des coussins alors qu'elle se souvenait des heures précédant son départ de la capitale.
Le sourire amer de celui qu'elle aimait avant d'apprendre que son cœur palpitait pour toutes les femmes de la ville. Les yeux inondés de larmes de ses parents qui la voyaient disparaître derrière le battant de l'immense maison où ils vivaient tous les trois. L'effervescence de la gare qui se tarissait à la fermeture des portes du train. Londres était de l'histoire ancienne. Elle respirait pour la première fois depuis plusieurs années.
« Le train arrive en gare d'Inverness. »
La voix déformée par le haut-parleur de la cabine arracha la jeune femme à ses pensées. Elle s'étira comme un chat et adressa une œillade incertaine à ses camarades de voyage. Ils ne paraissaient pas s'inquiéter de la soudaine annonce et discutaient toujours de ces sujets que les amis de longue date abordaient sans s'en rendre compte. Leurs mots perdaient leur sens pour quiconque percevait une bribe de leur échange sans avoir passé plus d'une année en leur compagnie.
« Dis Hermione, l'appela le garçon aux lunettes. Tu as un moyen de te rendre à Merrowcoe ?
— Pas vraiment, sourit-elle, gênée par la question. Je pensais improviser.
— On pourrait t'emmener là-bas ! s'enthousiasma Ronald.
— Je ne veux pas déranger, refusa-t-elle en secouant la tête de droite à gauche.
— La voiture est assez grande pour une personne de plus. »
La détermination dans les prunelles bleues de Ronald brisa le mur de réticence qui la protégeait. Hermione ne pouvait pas ajouter une telle proposition. Sans voiture et sans permis de conduire, ses chances d'arriver à Merrowcoe s'amenuisaient. Elle avait besoin de se rendre dans ce village. C'était devenu primordial à ses yeux. Elle refusait de passer une seule seconde de plus dans une ville où l'énergie des autres la drainait de la sienne. Un sourire fleurit sur ses lèvres avant qu'elle n'accepte la proposition du garçon aux cheveux flamboyants.
« Génial ! s'enthousiasma-t-il. Tu verras que c'est super la vie à Merrowcoe ! Même si on n'a pas beaucoup de choses à faire si ce n'est flâner aux bords du lac en journée et boire des bières dans le restaurant de l'auberge. »
Le parking de la gare d'Inverness s'emplissait et désemplissait de voitures. Elles s'alignaient sur la surface goudronnée, attendant un passager pour disparaître. Le vrombissement des moteurs créait un bruit tel que Hermione se demanda si rester à proximité d'un réacteur d'avion ne causerait pas moins de dégât à ses tympans. Sa valise traînant derrière elle, elle s'appliquait à suivre ses camarades de compartiment sur les passages piétons. Les yeux clairs de Ronald cherchaient une forme familière sur le parking et ceux de Harry se portaient parfois sur elle. Il s'assurait qu'ils ne l'avaient pas semé dans la foule. Chacun de ses regards s'accompagnait de sourires radieux qu'elle copiait avec maladresse.
« Pourquoi aller se perdre à Merrowcoe ? lui demanda-t-il.
— C'est une longue histoire, souffla-t-elle. Je te la raconterai peut-être un autre jour. »
Les prunelles vertes du jeune adulte pétillèrent de cette curiosité enfantine à l'entente de sa réponse. Il n'insista pourtant pas pour connaître les raisons de son départ. Le cœur de Hermione se gonfla de reconnaissance dans sa poitrine. Harry et Ronald étaient de bonnes personnes. Leur rencontre remontait à quelques heures, mais elle ne se mouillait pas trop en l'affirmant.
« Je l'ai trouvée ! »
Ronald les interpella. Debout à quelques mètres d'eux, il désignait une vieille voiture bleue aux phares sphériques de la pointe de son index. Adossée contre la carrosserie se trouvait une jeune femme dont la fraternité avec Ronald ne surprenait pas. Sa crinière de feu ramenée dans une queue de cheval et ses yeux camouflés derrière des lunettes de soleil rondes, elle adressait d'amples signes de la main à leur groupe. Son sourire large dévoila ses dents. Un froncement agita les sourcils de Hermione. Elle doutait que la voiture puisse accueillir trois valises et une personne supplémentaire. Elle se retint cependant de partager ses réflexions. Elle se contenta de suivre les garçons jusqu'à la jeune femme aux mèches rousses. Ronald décoiffa sa chevelure pour la saluer — son statut de grand frère lui offrait cette autorisation — et Harry plaqua un rapide baiser sur ses lèvres. Elle resta à deux mètres de ce groupe, immobile et penaude.
« Je vous avais dit de ne pas vous embrasser devant moi, bouda Ronald dont les joues cherchaient à reproduire la couleur de ses cheveux. Ça me met mal à l'aise.
— On sort ensemble depuis cinq ans, lui fit remarquer la jeune femme dont les yeux se posèrent sur la silhouette figée de Hermione. Qui est-ce ? »
Hermione tenta de camoufler sa gêne derrière un sourire poli. Elle ne parvint cependant pas à prononcer la moindre syllabe. Les mots mourraient dans sa gorge, avalée par ce nœud qui la serrait. Seuls d'incohérents balbutiements quittèrent ses lèvres. Un rire attendri échappa à Ronald.
« Elle s'appelle Hermione, la présenta-t-il. Elle va aussi à Merrowcoe et n'a pas de voiture. On s'était dit que ce serait sympa de l'emmener.
— Pourquoi Merrowcoe ? les sourcils de la rouquine se froncèrent dans son incompréhension. Il ne se passe presque rien là-bas.
— Elle a ses raisons Ginny. »
Un sentiment de reconnaissance gonfla dans sa poitrine. La réponse de son amant parut satisfaire Ginny et elle ne lui posa aucune question supplémentaire. Harry lui adressa un clin d'œil complice et marqua le front de sa petite amie d'un rapide baiser. Un grognement vibra dans les cordes vocales de Ronald en réponse à ce geste affectueux. Ce dernier se tenait droit comme un piquet devant le coffre ouvert. Les rouages de son cerveau s'activèrent alors que son regard glissait de valise en valise. Il cherchait un moyen de faire entrer chacune d'elles dans un espace restreint. Hermione s'approcha de lui, son bagage roulant derrière elle.
« Je peux aider ? se proposa-t-elle.
— Je veux bien, sourit-il. Je n'ai jamais été très doué au Tetris. »
Un ricanement amusé s'échappa des lèvres de la jeune femme dont les prunelles se portèrent sur le coffre du véhicule. Elle s'attendait à un espace à peine plus large qu'une boîte à chaussures où trois valises ne se glisseraient jamais. Elle souleva son bagage et elle le cala contre le font du conteneur. Ses yeux passèrent sur les deux autres malles. Elles partageaient la même taille que la sienne. Elles tiendraient. Ses doigts frôlèrent ceux de Ronald lorsqu'elle les referma autour de l'anse. Ce court contact provoqua une décharge discrète contre sa peau. Hermione retira sa main comme si elle venait de se faire piquer par une créature mortelle. La valise s'écrasa contre le goudron dans un bruit sonore.
« Je suis désolée ! s'excusa-t-elle d'une voix se brisant sous le coup de l'émotion. J'espère que tu ne transportais rien de...
— Ne t'inquiète pas, la coupa-t-il. Il n'y a rien de fragile dedans. »
Il souleva son bagage comme s'il ne pesait rien et le plaqua contre celui de Hermione au fond de la soute. Un sourire accueillant se dessina sur ses lèvres et illumina ses traits. Des prunelles compréhensives se posèrent sur elle. Ses joues brûlantes d'émotions, Hermione détourna le regard. Elle remarqua à peine que Harry eût rejoint leur groupe pour glisser sa valise dans le coffre du véhicule. Ses yeux verts se déplacèrent entre leurs deux silhouettes et Hermione y lut toutes ses interrogations. Jamais elle n'avait ressenti autant de gratitude envers ce pincement de lèvres qui la retenait de mourir noyer sous ces interrogations qui fâchaient. Certainement parce que personne ne se gênait pour poser ce genre de questions auxquelles elle détestait répondre.
« Tout le monde dans la voiture ! les mains de Ginny se rencontrèrent dans un claquement sonore et attirèrent l'attention de tous. On devrait y aller maintenant si on ne veut pas arriver en pleine nuit. »
Ronald ouvrit la portière arrière gauche et il invita Hermione à pénétrer dans l'habitacle. Elle s'exécuta et se retrouva installée sur une banquette au confort relatif. Glissé à l'avant, Harry avait reculé son siège pour que ses jambes ne se plient pas dans un angle improbable. Compressées entre le dossier et l'assise, celles de Hermione hurlaient déjà des heures de trajet. Elle se contorsionna pour trouver une posture plus agréable alors que Ronald se calait derrière sa sœur. Il imitait sa position. Le sommet de son crâne frôlait le toit. Le voyage risquait de paraître long.
Ginny jeta un coup d'œil à l'arrière du véhicule pour vérifier que tous s'étaient attachés et elle tourna la clé. Le moteur vrombit sous le capot. Les os de Hermione réagirent aux vibrations. Elle chercha à retenir une grimace. Sa tentative se conclut par un échec si elle en crut l'expression inquiète que lui adressa Ronald. Elle esquissa un sourire qu'elle espérait rassurant, mais elle devina que ses lèvres formaient un rictus crispé.
***
La bouillie verdoyante des arbres se montrait plus digeste dans une Ford Anglia que dans un train. La végétation se distinguait avec plus d'aisance et les animaux sauvages courant dans les champs arrachaient des sourires attendris à la jeune femme assise à l'arrière de la voiture. Habituée à l'inconfort dans lequel ses jambes se pliaient, Hermione ne ressentait presque plus la douleur qui les avait tiraillées lors de la première heure du trajet. Les autres passagers discutaient avec animation autour d'elle. Elle participait parfois à la conversation, répondait à leurs questions quand elles n'entraient pas dans sa vie privée. Puis Ronald s'était endormi dans une posture improbable. Hermione se demanda comment il était possible de trouver le sommeil avec les genoux si proches de son torse et le dos courbé dans un angle pareil. Cela ne le dérangeait pourtant pas.
« Ron s'endort dans n'importe quelle position depuis petit, expliqua Ginny en captant son œillade dans le rétroviseur. Ça impressionne toujours la première fois. »
Un acquiescement plus tard, les conversations mourraient sur les lèvres. Harry somnolait sur son siège, le crâne coincé entre la portière et le repose-tête, et Ginny chantonnait les paroles des chansons que la radio diffusait. La jeune femme reporta son regard sur le paysage. La Ford Anglia s'engagea dans des virages de plus en plus serrés et sur des routes étroites de montagnes. Entre deux massifs se dessinèrent parfois des vallées verdoyantes où des habitations s'agglutinaient pour construire des villages minuscules.
Les heures s'écoulèrent, le soleil déclina dans le ciel et la voiture s'aventura sur une descente. Le paysage ressemblait à celui qui avait accompagné leur trajet depuis qu'ils avaient quitté les alentours d'Inverness. Un bourg apparut dans un vallon. Il s'organisait autour d'un loch. Des reflets émeraude agitaient son eau. Des arbres bordaient les berges et quelques barques voguaient sur la surface.
Merrowcoe.
Le cœur de Hermione se serra dans sa poitrine alors que sa destination s'approchait un peu plus chaque seconde. Elle se sentait lourde et légère à la fois. L'effervescence de la ville quittait ses épaules pour que la peur de l'inconnu la remplace. La voiture s'engagea dans une rue encadrée d'habitations rustiques. La Londonienne aperçut une école, une supérette et un garage avant que les phares du véhicule illuminent un bâtiment particulier. Une maison à l'architecture improbable se dressait sur plusieurs étages. Ils étaient agencés de façon si étrange que la jeune femme se demanda comment la gravité n'avait pas provoqué l'effondrement de la bâtisse entière. La voiture s'arrêta sur une place de parking. Hermione en profita pour déchiffrer l'écriteau qui se balançait au-dessus de la porte : Le Terrier.
« Bienvenue à Merrowcoe. »
Le moteur s'arrêta de ronronner sous le capot de la Ford et les os de Hermione cessèrent de vibrer. Les garçons quittèrent de leur torpeur dans un bâillement sonore qui résonna dans l'habitacle. La jeune femme ouvrit la portière et se glissa hors du véhicule. Une douleur lancinante parcourut ses jambes et elle s'étira dans l'espoir vain de la faire disparaître. Une brise fraîche fouetta son visage comme si des aiguilles rencontraient par centaine sa peau. Ses camarades de voyages sortirent à leur tour de la voiture. Ronald boîta jusqu'au coffre et il en extirpa les valises. Il marmonnait des propos à peine compréhensibles sur une gêne au niveau de son dos et de sa nuque qui ne manqua pas de provoquer l'hilarité de sa sœur.
« Je te présente le Terrier, la voix de Harry lui arracha un sursaut ; elle ne l'avait pas perçu son arrivée. C'est la seule auberge de Merrowcoe. Elle appartient à la famille de Ron et Ginny. Prépare-toi à entrer dans un endroit très animé. »
Hermione hocha la tête. Elle ignorait ce qu'il entendait par très animé. Cela ne pouvait pas être plus bondé qu'un bar de la capitale britannique. Son cœur marqua une nette accélération dans sa poitrine à la simple imagination d'un lieu semblable à celui-ci. La ville rouge la poursuivait comme son ombre. La jeune femme récupéra sa valise et suivit les autres à l'intérieur de ce bâtiment à l'architecture si particulière. Des voix qui conversaient avec plus ou moins de bruit l'assaillirent aussitôt. Les discussions se mêlèrent pour former un brouhaha indiscernable. Elles s'accentuèrent pour devenir un sifflement désagréable aux oreilles de Hermione. Sa tête la lança. Elle détestait cette sensation. Ses jambes se transformèrent en coton et elle manqua tomber sous son propre poids. Des bras s'enroulèrent autour de son corps avant qu'elle ne s'effondre sur le parquet devant le comptoir. Serrant sa taille pour la maintenir debout, Ronald lui adressa un sourire encourageant. Son contact ne provoqua pas l'habituelle et atroce décharge qui lançait sa colonne vertébrale. Elle écarquilla les yeux à ce constat.
« Je te tiens, lui assura Ronald.
— Merci, souffla-t-elle. »
Les formes se fondaient entre elles dans ses angles morts. Sa vision se brouilla et sa gorge se noua. Jamais elle ne se déferait de cette impression de brebis au milieu d'une meute de loups qui s'accrochait à elle. Seul le bras de Ronald autour de sa taille la maintenait dans cette réalité. Personne ne lui voulait du mal. Ils n'étaient pas Cormac. Elle n'avait pas à s'inquiéter de leur présence. Elle prit une grande inspiration par le nez et expira tout l'air contenu dans ses poumons. Elle recommença trois ou quatre fois. Puis sa vue redevint normale, son cœur se calma et ses jambes retrouvèrent leur consistance habituelle. Ronald perçut le changement, car il s'éloigna de quelques pas.
« Maman ! hurla-t-il. On est arrivé. »
Une femme à la forte ossature et aux cheveux orange apparut devant le comptoir. Sa parenté avec Ginny et Ronald ne faisait aucun doute. Ils partageaient la même crinière flamboyante et les mêmes taches de rousseur. Elle claqua un baiser sonore sur les joues des deux garçons, les accueillant par des remarques inquiètes sur leur aspect amaigri, et s'arrêta face à Hermione. Ses yeux perçants la détaillèrent de la tête aux pieds. Hermione eut l'impression qu'elle pouvait lire chaque trouble de son âme et elle s'empressa de détourner le regard.
« Voici Hermione, la présenta Ronald. Elle était dans notre train et se rendait à Merrowcoe. Et non, ce n'est pas ma copine, devança-t-il sa mère.
— Oh ! une forme de déception teintait sa voix mélodieuse et elle la chassa par un sourire chaleureux. Bienvenue ! On va te préparer une chambre, commença-t-elle sans que la jeune femme ne puisse articuler le moindre mot. Vous devez avoir faim. On a cuisiné de la panse de brebis. »
Elle continua de parler avec ses intonations chantantes. Hermione perdit le fil de la conversation. Elle se contenta de suivre le mouvement jusqu'à une table où plusieurs têtes rousses étaient réunies. Elles formaient la principale source de boucan de l'auberge. Tous les six discutaient autour d'un repas chaud et de bières moussantes. Hermione se retrouva assise aux côtés de Ronald. En face d'elle se trouvaient deux garçons aux traits identiques. Les jumeaux se présentèrent comme Fred et Georges. Elle se sentait bien incapable de dire lequel était Fred et lequel était Georges. Ils échangeaient des plaisanteries qui arrachaient des soupirs désespérés à un membre plus vieux de la fratrie. Ronald introduisit Percy comme le pisse-froid serviable de la famille. La jeune femme camoufla son ricanement derrière sa main. Elle se refusait de paraître impolie devant ces personnes qui l'accueillaient à leur table. Il lui présenta ensuite les trois autres. Charly travaillait en Roumanie et il passait ses vacances en famille. Bill revenait de temps à autre au village même s'il occupait un poste important dans une banque d'Inverness. Sa femme dormait déjà à poings fermés dans une chambre à l'étage avec leur adorable petite fille. Et Arthur, le père de toute cette famille, lui adressa un sourire si large que Hermione se sentit presque chez elle.
« Voilà pour toi ma chérie. »
Une assiette pleine apparut devant la jeune femme. Son ventre gargouilla aussitôt que les effluves s'infiltrèrent dans ses narines. Sa faim lui sauta aux yeux. Elle avait l'eau à la bouche par la simple observation du plat fumant dans son assiette. Elle n'avait rien avalé depuis la barre de céréale grignotée dans le train et son corps lui hurlait qu'elle avait besoin de se nourrir. Ronald avait déjà attaqué son dîner lorsqu'elle s'empara de sa fourchette. Elle n'avait jamais vu quelqu'un manger avec autant d'appétit. Tous devaient afficher une allure distinguée dans la ville rouge. Les repas prenaient place dans des silences ponctués de conversations sur la politique et sur les mouvements de cette ville qui la rendait si nauséeuse. Tout était différent au Terrier. Les personnes autour d'elle discutaient sans avoir besoin de se montrer sous une apparence parfaite. Ronald parlait la bouche pleine et sa sœur le réprimandait par des grimaces écœurées. Hermione suivait les échanges d'une oreille distraite. Elle ne comprenait pas tout, mais elle se sentait reconnaissante. Ils l'avaient invité à cette table si vivante.
« D'où viens-tu ? l'interrogea la mère de famille — elle se prénommait Molly et ne cessait de lui offrir les sourires les plus chaleureux qu'Hermione n'eut vus — lorsqu'elle remit sa fourchette à côté de son assiette.
— De Londres, répondit-elle avec timidité.
— Merrowcoe va beaucoup te changer, remarqua Percy d'une voix où perçait une pointe d'envie depuis l'autre bout de la salle à manger. Il ne se passe jamais rien ici.
— C'est pour ça que je suis là. »
Des regards curieux se plantèrent sur elle. Hermione les remercia de ne pas demander plus de détails pour combler leur intérêt. Elle ne possédait pas la force nécessaire pour partager plus. Ronald détourna l'attention d'elle en réclamant des restes de brebis. Molly leva les yeux au ciel et Ginny ne se gêna pas pour commenter l'appétit d'ogre de son frère. Il passa une main dans ces cheveux roux. Les regards quittèrent la silhouette de la Londonienne. Elle eut l'impression qu'on la déchargeait d'un poids. Seules les prunelles de Molly la couvèrent de cette douceur maternelle. La jeune femme tourna la tête vers elle et elle lui adressa un sourire sincère ; son premier sourire sincère depuis plusieurs années. Hermione ne se souvenait même pas de la dernière fois où elle avait esquissé un sourire qui n'était pas crispé par les attentes.
« Tu dois être exténuée, devina Molly.
— Un peu, admit-elle.
— Elle n'a pas réussi à dormir dans la voiture, ajouta Ronald.
— Je vais te montrer ta chambre. »
La matriarche l'invita à la suivre dans le couloir. Les autres membres de la famille lui souhaitèrent une bonne nuit avant de reprendre leurs conversations. Hermione leur répondit avec un signe de la main. Molly s'empara de sa valise sans qu'elle n'eût le temps de passer ses doigts autour de l'anse et elle l'entraîna dans des corridors et escaliers si étroits qu'elle se remercia de ne pas être claustrophobe. Molly poussa une porte au quatrième étage. Le battant émit un grincement sinistre auquel la jeune femme ne prêta pas attention. Une pièce minuscule se dessina dans son champ de vision. Elle ne comportait qu'un lit, une commode, une table de chevet et un évier. Une couette en patchwork recouvrait l'épais matelas et Hermione mourut d'envie de se glisser dessous.
« La douche et les toilettes sont au bout du couloir, expliqua Molly en posant la valise au pied du lit. Les garçons ne viennent pas souvent à cet étage, continua-t-elle. La chambre de Ginny se trouve juste à côté, mais elle ne va pas y dormir avant quelque temps. Elle va sûrement rester avec Harry.
— Donc je vais avoir l'étage pour moi seule ?
— C'est ça ! valida-t-elle en lissant un pli imaginaire sur la couverture. On sert le petit-déjeuner jusqu'à 9 h 30 et tu peux venir à n'importe quelle heure pour dîner. Il y aura toujours quelqu'un. N'hésite pas à nous demander à Arthur et moi si tu as besoin de la moindre information.
— Merci beaucoup pour l'accueil. »
Molly lui adressa un sourire si large qu'il rejoignait presque ses oreilles. Elle se dirigea vers la porte et poussa le battant. Hermione grimaça à l'entente du grincement. La propriétaire de l'auberge jeta une œillade aux gonds.
« On passera huiler tout ça demain, promit-elle. Je te souhaite une bonne nuit, Hermione. »
La porte allait se clore derrière la silhouette de Molly, mais elle arrêta son mouvement. Une barre d'inquiétude traversa ses traits et accentua ses rides. Ce fut si rapide que la jeune femme crût rêver.
« Evite de t'aventurer sur les rives du Loch Neònach lorsqu'il y a de la brume, lui conseilla-t-elle avec un sérieux qui arracha un frisson à Hermione. Ça peut être dangereux.
— D'accord. »
Une expression satisfaite illumina le visage de l'aubergiste et le battant se ferma derrière elle. Hermione ouvrit sa valise et en sortit un épais pyjama. Elle se débarrassa de ses vêtements et enfila sa tenue de nuit avant que le froid ne perce sa peau de mille aiguilles. Elle se brossa les dents et but un grand verre d'eau.
Puis ses yeux se portèrent sur le paysage qui se devinait derrière la fenêtre de la chambre malgré l'obscurité de la nuit. Un chemin menant au Loch Neònach se dessinait entre des conifères dont elle percevait presque l'odeur. Une brume fine caressait la surface du loch.
Le conseil de Molly résonna dans son esprit. Hermione ne put s'empêcher de se demander pourquoi on lui interdisait de s'approcher du point d'eau. Un bâillement décrocha sa mâchoire et elle ferma les rideaux. Elle était exténuée. Hermione se glissa sous les couettes. Le poids de la couverture sur son corps, le trajet de ses yeux sur les poutres qui parcouraient le plafond, l'écho des conversations au rez-de-chaussée et le bruit du vent contre les arbres la plongèrent dans un état second. Ses paupières s'alourdirent et elle s'endormit.
Demain serait un jour nouveau.
Un jour nouveau loin de la ville rouge.
on commence cette histoire par un chapitre assez long. sachez que ça a été un enfer à corriger parce que j'essaie de faire moins de répétition qu'avant et je suis visiblement très attachée à certaines expressions. il ne se passe pas beaucoup de choses dans ce chapitre (comme souvent dans mes 1ers chapitres) mais j'espère qu'il vous plait quand même. et qu'il vous présente assez le personnage de hermione.
on se retrouve dans deux semaines pour la suite de cette histoire.
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