Chapitre 1: Dans la gueule du loup
Au milieu du silence qui régnait dans la pièce, je n'entendais que la caresse rugueuse de mon chiffon sur le sol. Guidé par mes mains écorchées, il lustrait ces pierres maintes et maintes fois nettoyées, ne faisant qu'accroitre leur éclat. Autour de moi, les murmures des plumeuax sur les murs, ornés de tapisseries aux couleurs splendides où s'égaraient des fils d'or, s'étaient dissipés. Les chuchotements des balais sur les délicats tapis de laine qui décoraient le sol s'étaient évanouis.
Tous ces bruits coutumiers étaient submergés par l'angoisse qui grandissait en mon coeur, l'égratinant de ses épines familières. A l'image de tous les autres humains dans cette pièce qui suintait la richesse.
Soudain, des bottes claquèrent sur les pierres accompagnées par le cliquetis des épées, qui parvenait à franchir cette torpeur qui m'empoisonnait l'esprit. Je gardai mon attention rivée vers le sol et retins ma respiration, consumée par mon appréhension qui s'embrasait. J'esssayai de calmer les tremblements qui parcourraient mes muscles tétanisés.
Les pas se rapprochèrent de moi. J'espérais qu'ils passeraient sans me voir, comme ils en avaient l'habitude.
Mais cet infime espoir, le seul qui me restait encore, explosa en mille morceaux lorsque des ombres me recouvrèrent. Des larmes, uniques preuves de mon marasme, brillèrent aux coins de mes paupières, sans toutefois couler le long de mes joues parsemées de poussière.
Je n'avais nul besoin de voir les gardes pour savoir qu'ils me dévisageaient, me regardant de haut, me surplombant de toute la hauteur que leur donnait le piédestal sur lequel ils se plaçaient. Ils se croyaient tous puissants parce qu'ils étaient des vampyyrs et moi, une simple, une pauvre humaine.
— Humaine ! s'écria l'un d'eux. Le Seigneur Alaric t'a désignée pour avoir l'immense honneur de sauver sa vie lors de la traversée de la forêt maudite pour rejoindre notre éminent souverain Euaemon Empaïeur !
Ces paroles furent suivies par les discrets soupirs de soulagement des autres humains. Leur existence avait été négligée; ils continueront donc de vivre pour peu que ce mot ait un sens pour eux. Pour nous...
Leurs affres s'étaient fanées.
Au contraire des miennes, qui se décuplaient...
Cependant, la graine qui abritait ce poison vivait encore, enfouie au fond de leur psyché, attendant le moment propice pour resurgir.
Quant à moi, mon esprit était inondé par un torrent de pensées et de questions, ce qui m'empêchait de réfléchir correctement.
Pourquoi ? Pourquoi vouloir m'envoyer à la mort ? Pourquoi m'avoir choisie moi ?
Pourquoi ?
C'était le mot qui dominait dans ce déluge d'interrogation.
Obnubilée par celui-ci, je fus à peine consciente que les vampyyrs m'empoignèrent pour me mener aux cachots. Seule la mer de questionnements comptait, mon espirt ne traita donc aucunement les bribes de parole qui lui parvenaient:
— Il s'en défait enfin...
— Quelle utilité y avait-il à garder une infirme ?
— Néanmoins, le paysage n'était pas désagréable à regarder.
— Exception faite de ses jambes...
***
Des fragments de cette réminiscences dansaient dans ma tête tandis que ma mère m'enlaçait. Elle m'entourait de ses bras protecteurs, le seul endroit où je n'avais rien à craindre. Où j'étais en sécurité. Où j'étais aimée...
Ses doigts courraient dans mes cheveux emmêlés, au rythme de mes pleurs. Ses lèvres les embrassaient, les faisant disparaitre comme s'ils n'avaient jamais existé.
— Maman, sanglotai-je, les épaules secouées par la tristesse, la gorge bloquée par tous ces non-ditss.
— Je sais, Siméa, je sais...
Son menton vint se poser sur mon front, comme lorsque j'étais petite, pendant que sa main caressait mon dos. Je pus alors sentir des gouttes se perdre entre mes mèches ébènes.
— Pourquoi ? Pourquoi moi ? me lamentai-je en recourbant les doigts, jusqu'à griffer son dos en une supplique muette.
— Tu le sais très bien, ma petite flamme.
Je reniflai.
Evidemment que je savais. Depuis ce jour, je vivais avec le danger constant de cette sentence. Il régentait chacun de mes gestes, me donnant conscience que même le plus infime d'entre eux pouvait me conduire à ma tombe. Plus cette annonce approchait, plus ses filets destructeurs se refermaient sur moi, ne me laissant aucune répit. Et mon handicap nuisait grandement à l'espoir de m'y soustraire.
Brusquement, un fracas, qui me fit sursauter, couvrit les échos de ma détresse, mêlée à celle, silencieuse, de ma mère. Il eut à peine le temps de s'estomper que l'absence de ses bras se fit sentir. Avant de s'éloigner de moi, elle se pencha à mon oreille et ses lèvres vinrent me susurrer:
— Tu ne dois pas y aller, Siméa. Je ne peux rien te dire mais il faut à tout prix que tu évites de te retrouver devant le ដំបូន្មាន. Fais-moi confiance quand je te dis que tu y trouveras pire que l'esclavage, que tu y vivras l'enfer.
Et elle me lâcha pour sortir de la pièce, emportant avec elle son parfum réconfortant. Au moment d'en franchir le seuil, pour disparaitre à jamais, elle se retourna une ultime fois et un sourire, aux accents de tristesse, sculpta sa bouche.
— Et n'oublie pas, Karysañ: je t'aime...
Ce fut sur ces derniers mots que son ombre s'évanouit, se confondant avec celles qui gouvernaient déjà ces murs, en compagnie des coulées sombres qui les teintaient et de la pestilence qui imprégnait l'air.
Je restai un instant figée; l'avertissement de ma mère, qui résonnait encore dans mes pensées, semblait promettre de me hanter. Cependant, lorsque deux silhouettes me cachèrent la faibles lumière qui arrivait à trouver son chemin jusqu'ici, j'essuyai mes larmes, dissimulant les preuves de ma faiblesse, et me composai un visage stoïque.
Deux vampyyrs apparurent. Leur visage pâle et sans défaut, que je savais tourner vers moi, tranchait avec les murs imparfaits. Une armure, recouverte de minimes relfets qui m'éblouissaient, les habillait et détonait dans l'obscurité du cachot. Elle contrastait avec ma misérable jupe marron et mon chemisier miteux. Mais ce qui les différenciait vraiment de nous autres, pauvres humains, étaient les deux canines acérées qui dépassaient de leur lèvre supérieure et leurs yeux écarlate, où brillait une lueur de mépris.
Ils avancèrent vers moi d'une démarche souple et assurée, celle qu'on avait quand on savait qu'on était obéi et craint.
Arrivés à ma hauteur, ils m'empoignèrent les bras, leurs doigts s'enroulant autour de ma peau qui gardait encore des séquelles de la punition d'il y a quelques jours. Je serrai les dents, m'efforçant de masquer ma douleur.
Je sentis alors une main, recouverte d'un gantelet de cuir, se posait sur mon dos, recouvrant les derniers vestiges de l'amour de ma mère. L'effaçant par son contact non désiré et abhorré.
— Penses-tu qu'elle est consciente de l'honneur que lui accorde le Seigneur Alaric ? s'enquit un des vampyyrs pendant que nous avancions pour sortir de ces cachots, dont je ne reverrai jamais les ténèbres.
J'ignorais ce qui était le pire dans cela. Que le vampyyr pensait vraiment que c'était un privilège de faire partie des humains sélectionnés — ou devrais-je dire condamnés — ou qu'il savait très bien que je courrais à ma mort ? Parce qu'il me poussait dans ses bras. Me jettait dans la gueule du loup.
Littéralement...
Cette traversée de la forêt maudite sera la cause de mon trépas et cette fameuse sylve mon tombeau.
A chaque éclipse solaire, les seigneurs vampyyriques, à savoir Alaric, Lucian et Horacio, devaient rejoindre leur suzerain Euaemon Empaïeur pour fêter cette énième année qui témoignait de leur hégémonie. Pour cela, ils devaient traverser une forêt infestée par des loups, ces monstres sans pitié. Dans le but de les éviter et de les empêcher de faire un nouveau carnage parmi leurs semblables, les seigneurs vampyyriques attachaient des humains derrière leur diligence, dans l'espoir que les loups se contenteraient de la maigre pitance que nous étions.
Et si, par un heureux miracle — évènement que nous savions inexistant car sinon, pourquoi foulions-nous encore cette terre remplie de douleur ? — nous nous en sortions vivants, Alaric nous ferait passer devant le ដំបូន្មាន qui décidera de notre sort.
Pour changer...
Après... Ce n'était qu'un amassement de supposition qui rendait cela encore plus effroyable.
« Pire que l'esclavage...»
Et aucun humain ne souhaitait découvrir ce qui se cachait sous ce voile de mystère. Nous préférions tous mourir déchiquetés par les loups plutôt qu'affronter les tourments hypothétiques qui nous guettaient.
Car lorsque l'on nait homme dans un monde où cela est considéré comme une faiblesse, comme une tare, l'ignorance est synonyme de souffrance. Comme beaucoup d'autres choses... Mais quand on sait qu'il existe pire que la mort, il est parfois préférable de fuir l'inconnu...
— Songes-tu vraiment que ces bélîtres ont en conscience ? Ils sont juste assez intelligents pour récurrer les sols et encore ! plaisanta le deuxième vampyyr.
Je n'intervins pas. J'avais depuis longtemps appris que cela ne servait à rien, si ce n'est pour se retrouver à terre, le visage mouillé de larmes teintées de rouge, la gorge nouée par des cris ignorés, le coeur et l'esprit grignotés par la douleur, la peau marquée par une pluie de coups.
Un courant d'air frais me caressa le visage, chassant mes sinitres pensées. Je sus que nous étions sortis du château pour déboucher dans la cour où s'activaient les humains qui avaient échappé à cette sélection mortelle, les yeux baissés, l'échine courbée...
Comme moi, il n'y avait pas si longtemps...
La grande cour, plongée dans l'obscurité à cause de l'éclipse solaire totale, était entourée d'épaisses murailles, percées d'une unique porte. Celle-ci était faite en bois sculpté et constituait l'unique accès au château. La diligence avait été préparée, comme me le prouvaient les hennissements impatients des chevaux harnachés. Mes compagnons de voyage y étaient déjà attachés, un sac de toile sur la tête. Cette pratique avait été mise en place par les vampyyrs pour que nous, les humains, ne puissions pas voir le chemin menant à la demeure d'Euaemon Empaïeur. Les vampyyrs faisaient cela depuis qu'ils avaient découvert que nous pouvions voir la nuit, nos yeux s'étant habitués à l'obscurité continuelle dans laquelle nous vivions.
Cependant, aucun garde ne vint me poser de cabas. Ils pensaient, comme tous les autres habitants du château, vampyyr comme humain, que cela était futile. En effet, pourquoi s'encombrer à obscurer la vision d'une aveugle ?
Si seulement ils connaissaient l'étendue de leur bêtise...
© 2025 Sélène Rivers
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J'espère en tout cas qu'il vous a plu et qu'il vous a donné envie de lire la suite.
Sélène <3
📚 Prochain chapitre: vendredi 7 février à 18h
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