Chapitre 5 : Comme chien et chat


"T'as voulu voir Vierzon et on a vu Vierzon...t'as voulu voir Vesoul et on a vu Vesoul..." chantait Jacques Brel dans la Ferrari rouge rubis que conduisait Magnus Fucking Bane. Le Grand Sorcier de Brooklyn venait de quitter l'autoroute pour échapper aux embouteillages et filait droit en direction de Los Angeles pour mener sa petite troupe de Nephilims à bon port. S'il avait été des plus désagréables au début de leur trajet, bien qu'il n'ait pas eu besoin de prononcer un seul mot pour ça, l'Indonésien s'était relativement calmé et les chansons que diffusait sa magie leur tapaient de moins en moins sur le système. Ou alors peut-être s'étaient-ils tous les trois habitués aux goûts musicaux relativement spéciaux de l'immortel ? Quoi qu'il en soit, la route se déroulait bien mieux que ce à quoi ils s'attendaient. Jace, remis de son attaque de panique provoquée par cette ignoble chanson destinée à faire l'apologie des canards, ces démons assoiffés de sang, avait finit par renoncer à embêter Magnus tant que ce dernier aurait un volant entre les mains et s'était assoupis, s'accordant une sieste bien méritée après tant d'émotions. Alec, assis à ses côtés, veillait sur son sommeil, non sans jeter quelques coup d'œil appuyés en direction de son ex-compagnon. Le directeur de l'Institut de New York ne savait pas exactement ce qu'il espérait. S'il préférait voir un signe d'espoir, n'importe lequel, qui signifierait que Magnus n'était pas le parfait connard qu'il était devenu depuis un an ou si, au contraire, il attendait d'avoir la preuve irréfutable que l'asiatique ne l'avait jamais véritablement aimé. Dans ce cas-là, Alec arriverait peut-être à enfin tourner la page et à oublier les années passées à ses côtés. Dans tous les cas, jusqu'à présent, soit le descendant d'Asmodée s'était montré horrible à vivre, soit il s'était muré dans le silence, ce qui n'était guère plus agréable. Il n'avait d'ailleurs pas prononcé un mot depuis qu'Isabelle lui avait poliment demandé de mettre une chanson qui ne leur donnerait pas envie de l'étriper à mains nues. Se contentant de fixer la route ou de lâcher un marmonnement inaudible dans sa langue maternelle lorsqu'il se faisait faire une queue de poisson par un autre conducteur, Magnus était aussi bavard que les Frère Silencieux, ce qui devenait même un peu inquiétant à la longue. Seule Isabelle paraissait ne s'apercevoir de rien. La jeune femme avait posé ses pieds nus sur le tableau de bord et profitait des derniers rayons du soleil qui déclinait peu à peu dans le ciel pour leur offrir un magnifique spectacle de son couché.

Ils roulaient depuis des heures maintenant et ne s'étaient arrêtés qu'une seule fois dans une station service pour faire le plein et un détour aux toilettes. Magnus s'était contenté de les attendre sur le parking où il avait garé leur bolide, le temps que les trois Chasseurs d'Ombres se paient un café et remontent en voiture pour repartir. C'était il y a plusieurs heures déjà, et ils n'avaient plus fait de pauses depuis. Jace et Isabelle ne s'en souciaient pas, confortablement installés qu'ils étaient, mais Alec commençait à avoir des crampes et il n'aurait pas dit non à la possibilité de pouvoir se dégourdir les jambes, ne serait-ce que quelques minutes. De toute façon, il leur faudrait sans doute bientôt s'arrêter : certes, ils devaient se rendre au plus tôt à la cité des anges, mais il était impossible de traverser les Etats Unis d'un bout à l'autre en une seule journée à peine. Il leur faudrait rouler au moins deux ou trois jours de plus. Deux ou trois jours à supporter l'asiaitique. Malgré tout, si Magnus se contentait de se taire, la mission serait plus simple et moins éprouvante moralement que prévue. Lançant un regard dans sa direction, le noiraud vit l'Indonésien faire craquer sa nuque et soupirer en se frottant un œil. La route devait être longue pour lui aussi, sans doute. D'une certaine manière, ils étaient trois contre un, et s'il ne leur parlait pas, c'était aussi, peut-être, parce qu'aucun des trois n'avait envie d'engager la conversation avec lui. Au final, c'était l'histoire du serpent qui se mord la queue, et l'ambiance n'en était que plus tendue entre eux. Malgré tout, ce n'était pas à eux de faire des efforts mais bien à Magnus. Après tout, c'était lui qui s'était montré hostile et les avait chassés de sa vie sans donner la moindre explication valable. Il était le seul responsable de cette situation catastrophique. Convaincu de son raisonnement, Alec se renfonça dans son fauteuil et ferma les yeux pour essayer de se reposer, comme son parabatai. Ses paupières couvrirent ses orbes cobalts et il somnola quelque peu, non sans garder une main protectrice posée sur la poignée de son arc qui reposait sur ses genoux. Après tout, on n'était jamais trop prudent. Isabelle était donc la dernière éveillée, à part Magnus, évidemment. Le soleil venait tout juste de se coucher, ses derniers rayons disparaissant à l'horizon, et elle se retourna pour faire face à la route et s'étendait devant eux. La chanson de Brel se terminait enfin et débuta une musique plus douce qu'elle ne reconnut pas tout de suite. Tout à coup, sans prévenir, Isabelle sentit un changement dans l'air qui se chargea d'électricité.

La magie de Magnus, toujours aussi bleue et électrique, crépita du bout de ses doigts sans qu'il ne semble s'en rendre compte. La Chasseuse d'Ombre assise à côté de lui fronça les sourcils et remarqua que ses yeux de chats étaient mi-clos, comme s'il plissait les yeux, mais que quelques étincelles bleues brillaient de sous ses paupières. Alors qu'elle tendait la main pour la poser sur son bras, Isabelle sursauta en entendant la radio grésiller d'un son strident qui la força à plaquer ses mains sur ses oreilles. Son cri de surprise tira Jace et Alec de leur sommeil, l'un et l'autre prêts à dégainer leur arme pour parer à toute éventuelle attaque mais grognant de frustration d'avoir ainsi été réveillés. Lorsque leurs regards rencontrèrent celui, figé de stupeur, de leur cadette, les deux parabatais relachèrent quelque peu la pression et cherchèrent davantage à comprendre ce qui était en train de se passer. Elle désigna l'Indonésien d'un discret signe de tête et les garçons froncèrent les sourcils sans comprendre avant que la radio ne fasse de nouveau des siennes. Enveloppée d'une brume nuageuse de magie bleue électrique, la radio grésilla une nouvelle fois avant qu'une nouvelle chanson ne résonne à leurs oreilles. Cette fois, il ne s'agissait pas d'une quelconque musique agaçante, mais plutôt d'un grand classique que tout le monde connaissait, même Jace, qui pourtant n'en menait pas large en culture Terrestre. "Help ! I need somebody ! Help ! Not just anybody ! Help ! You know I need someone, help !" chantaient les Beatles dans les enceintes de la Ferrari. Les frères et sœur échangèrent un regard circonspect, dubitatifs, mais avant qu'ils n'aient pu comprendre ce qu'il se passait, une fois encore, la magie trafiqua la radio qui changea de disque pour passer une chanson en français. "Je suis...malade, complètement malade...". Isabelle secoua la tête et appuya sur tous les boutons qui lui passaient sous la main pour arrêter cet étrange phénomène. Jace, lui, hurlait de toutes ses forces sur Magnus pour le faire réagir et qu'il arrête son manège mais le Grand Sorcier de Brooklyn était imperturbable et ne semblait même pas les entendre. L'immortel à la peau caramel continuait à conduire sans bouger d'un iota, comme possédé par sa propre magie. S'il jouait la comédie, la blague n'était vraiment pas de bon goût et même Isabelle commençait à avoir peur de cette situation. Comme son frère un peu plus tôt dans la journée, elle donna un coup de botte dans l'autoradio qui grésilla une nouvelle fois. "Goodbye my lover, goodbye my friend...You have been the one...You have been the one for me".

- Mais qu'est-ce qu'il se passe par Raziel ! S'énerva Alec qui secouait Magnus pour lui aussi essayer de le faire réagir.

- Si seulement je le savais ! Gémit Isabelle en secouant la tête. Il faut arrêter cette voiture, je n'aime pas ça du tout...

Avant qu'il n'ait pu répondre et lui demander comment elle comptait s'y prendre pour arrêter une Ferrari lancée à pleine vitesse de nuit, Alec se figea. La radio venait de changer une nouvelle fois de chanson et cette fois, l'extrait passé était bien plus long, bien plus clair et audible que les précédents : "Ce soir, ma solitude et moi, on parle que de toi, on attend tous les deux que tu reviennes, quand il n'y a que tes yeux qui me retiennent. Ce soir, ma solitude et moi, c'est fou comme on a froid, je me nourris de silence et tout me pèse, ce sont mes apparences, mais rien ne m'apaise..." Stupéfaits, les trois Nephilims s'entre-regardèrent pour tâcher de comprendre le sens de tout ça quand un gémissement de Magnus les ramena à la réalité. Aussi brusquement qu'elle était apparue, la magie de l'Indonésien disparue sans laisser de trace et l'asiatique aux yeux félins s'écroula la tête sur le volant, sa joue enfonçant le klakson. Son corps basculant en avant entraina le volant avec lui et la voiture quitta la route, toujours lancée à pleine vitesse, pour s'enfoncer dans les fourrées qui composaient le bas-côté. Bien qu'ils eurent tous trois affronté des démons et fassent partie des Chasseurs d'Ombres les plus courageux de leur génération, Alec, Jace et Isabelle se retrouvèrent à hurler à la mort. Ils étaient coincés, enfermés dans un cercueil sur roue lancé à toute allure sur l'autoroute de la mort qui les mènerait tout droit à Edom. Au moins, leurs cris de désespoir et d'agonie eurent le don de faire réagir Magnus qui se redressa, s'éveillant enfin de sa micro-sieste impromptue. Le sorcier aggripa le volant comme si sa vie en dépendait et braqua en frainant de toutes ses forces, écrasant la pédale pour les faire enfin s'arrêter. Le choc propulsa les trois enfants de l'Ange en avant, malgré la ceinture, mais la magie de l'immortel atténua le coup, par chance. Ils se retrouvèrent donc arrêtés au milieu de nulle part, à plusieurs centaines de mètres de la route, tous les quatre tétanisés, leur respiration saccadée et des larmes de panique dans les yeux. Magnus lui-même avait le corps tremblant sous l'effet de l'adrénaline et ses mains crispées sur le volant blanchissaient à vue d'œil. Peu à peu, leur brouillard de confusion se dissipa et oubliée la crise de magie avec la radio, la réalisation les frappa : Magnus s'était endormis au volant, Magnus avait failli les tuer. Alors qu'il tentait encore de reprendre son souffle, Jace hurla de rage, défit sa ceinture et se fraya un chemin vers l'avant pour abattre ses poings vengeurs sur le visage de l'Indonésien qui avait attenté à leur vie.

- Tu as voulu nous tuer, espèce de cinglé ! Qu'est-ce qu'il t'a pris de t'endormir au volant !! On a tous failli crever par ta faute !! Je vais te tuer, Magnus Bane, je jure que je vais te faire la peau !!

- Jace, ça suffit ! Plaida Isabelle alors qu'Alec, bien que comprenant la colère de son meilleur ami, le ceinturait pour l'empêcher de tuer leur seul espoir de détruire efficacement les cerbères. Ce n'est pas de sa faute !!

- Pas de sa faute ?! S'égosilla le blond alors que les veines de son front et de son cou menaçaient d'exploser. C'est lui qui tenait le volant, c'est lui qui a fait une sortie de route !! Pourquoi tu prends sa défense ?!

- Je prends sa défense parce que de nous quatre c'est le seul qui sache conduire et qu'après sept heures d'affilée à conduire avec à peine cinq minutes de pause, n'importe qui s'écroulerait d'épuisement ! Alors oui on a failli mourir mais ça ne veut pas dire qu'on est pas coupable non plus, on a rien fait pour prendre le relais ou faire des pauses !!

- Tout le monde sort de la voiture..., articula Magnus d'une voix d'outre tombe. Tout de suite...

Jace serra les dents et sortit en claquant la portière, suivit par Alec qui le rejoignit pour parler à voix basse et tâcher de le calmer, interrompant le silence pesant de la nuit autour d'eux. Isabelle inspira et souffla plusieurs fois pour se calmer et elle descendit à son tour. Pourtant, plutôt que de rejoindre ses aînés, elle fit le tour du véhicule et ouvrit la portière conducteur avant de s'accroupir et de poser une main hésitante sur le genoux de l'asiatique qui continuait de fixer le vide par delà le pare-brise. Magnus ne réagit même pas au geste de sa cadette qui remarqua alors les larmes dans ses yeux dorés à la pupille fendue et son souffle pratiquement inexistant qu'il s'efforçait de retenir, sans doute pour ne pas craquer et hurler à son tour. La Chasseuse d'Ombre aux longs cheveux noirs sentit son cœur se fendre quelque peu et elle déglutit difficilement en voyant les ecchymoses se former peu à peu sur le visage de l'immortel. Jace n'y était vraiment pas aller de main morte pour lui faire payer sa tentative de meurtre involontaire. Une goutte de sang perla également de son front pour couler le long de sa tempe et Isabelle constata qu'il était ouvert à la racine de ses épis sombres aux reflets bleutés. D'un geste hésitant et presque maternel, la cadette Lightwood dégaina un mouchoir qu'elle sortait de l'Ange seul savait où et le pressa sur la plaie pour faire cesser le flot de sang. Magnus grimaça et elle remarqua qu'il comptait ses respirations, comme des exercices fait pour l'aider à se calmer. Peu à peu, l'immortel retrouva quelques couleurs et il posa sa main sur celle de sa cadette pour l'inviter à s'arrêter. Isabelle le fixa un moment, les yeux dans le vague et l'inquiétude à son paroxysme. Il n'y avait plus de Magnus connard, plus de rancœur, plus de haine : seulement son inquiétude persistante pour cet homme qui ressemblait en cet instant davantage à un petit garçon perdu qu'à un sociopathe misanthrope. Magnus souffla à voix basse, lui demandant d'une voix enrouée de le laisser seul, mais elle ne réagit pas, trop sonnée pour esquisser le moindre geste. Constatant qu'il ne ferait pas entendre raison à la jeune femme qui ne l'avait sans doute même pas entendu, le Grand Sorcier de Brooklyn la dégagea brusquement et sortit de la voiture d'un seul bond comme un diable en boite. La Chasseuse d'Ombre le regarda sans comprendre, son mouchoir imbibé de sang toujours pressé entre ses doigts blancs.

- Magnus....

- Dégage ! Hurla-t-il en la fusillant du regard. Fou moi le camp ! Tu crois que j'ai besoin d'aide ? Qu'on me prenne en pitié ?! Trouve toi une autre âme à secourir Lightwood !!

- Hey ! Intervint Alec en revenant vers eux, accompagné de Jace. Je t'interdis de lui parler comme ça, c'est clair ?!

- Ou sinon quoi ? Se moqua outrageusement l'Indonésien en écartant les bras. Tu vas me cogner ? Vas y, je t'attends !!

- Je ne me battrait pas, même si j'en meurs d'envie, rétorqua Alec en serrant les poings. Tu es un parfait connard mais je n'ai pas besoin d'en être un aussi et de rentrer dans ton jeu. Tu fais vraiment pitié...Si tu ne veux pas qu'on t'aide, débrouille toi seul dans ce cas, nous au moins on est trois. Tu es loin de pouvoir en dire autant.

Secouant la tête, le Chasseur d'Ombre serra sa sœur dans ses bras et déposa un baiser sur son front pour l'apaiser. Jace se contenta de fusiller Magnus du regard et le sorcier lui adressa un doigts d'honneur provocateur avant de se détourner pour laisser sa magie soigner sa plaie et faire disparaître ses bleus. S'installant dans son coin, l'immortel aux yeux de chat fit apparaître une tente individuelle en toile bleue et s'y enferma. Les trois Chasseurs d'Ombres, eux, sortirent quelques affaires du coffre de la Ferrari dont deux tentes et trois sac de couchages, ainsi que quelques affaires de rechange. Le blond s'occupa d'allumer un feu avec sa stèle, Alec installa les tentes et Isabelle récupéra du petit bois là où elle pouvait pour alimenter le foyer. Régulièrement, face à son silence, les garçons lui demandaient si elle allait bien, si ça n'avait pas été trop dur, lui répétait qu'elle ne devait pas s'en faire pour Magnus et qu'il ne méritait pas son aide, mais Isabelle n'était pas d'accord avec eux, bien qu'elle préféra ne pas le leur dire à voix haute. Elle était là, pas eux. Elle avait vu la peine, la douleur et la panique dans les yeux du sorcier, pas eux. Elle avait vu ses larmes contenues et le tremblement de son corps, pas eux. Elle était à l'avant, elle avait vu la magie de Magnus bloquer son esprit. L'Indonésien ne s'était pas endormie au volant, bien qu'elle fut convaincue de son épuisement après avoir conduit aussi longtemps. Non, il ne s'était pas endormis, il s'était effondré, suite à un malaise. Isabelle en était sûre et certaine : quoi qu'ai cherché à faire sa magie, elle avait vidé l'asiatique de toute l'énergie qu'il possédait et il s'était écroulé d'épuisement sans comprendre ce qui lui arrivait. Sa colère était sans doute sa manière à lui de gérer le stress et son refus de recevoir de l'aide la manifestation de sa culpabilité. Pourtant, elle savait que ni Jace ni Alec n'accepteraient d'entendre son explication, aussi préféra-t-elle rester silencieuse et n'écouter leurs conseils et avis que d'une oreille bien peu attentive. Une fois les tentes et les sacs de couchages installés, ainsi que la réserve de bois approvisionnée, les frères et sœurs s'installèrent autour du feu pour souffler, non sans jeter de temps à autres des coups d'œils inquisiteurs vers la tente silencieuse de leur aîné. Ils savaient qu'ils devraient coopérer avec lui dès le lendemain, que leur contrat les y obligeait, mais pour l'heure ils avaient surtout besoin de calme et de repos pour repartir sur des bases plus ou moins solides.

- Donne moi ton bras, souffla Alec à sa soeur après avoir apposé une rune de guérison sur l'avant bras de son frère de coeur.

- Je ne suis pas blessée, je n'ai pas besoin d'iratze, rétorqua Isabelle en croisant les bras sur sa poitrine.

- Tu es sous le choc de l'accident, ça t'aidera à récupérer. S'il te plait, Izzy, donne moi ton bras.

- C'est Magnus qui devrait recevoir des soins, pas nous, contra-t-elle en lui tendant cependant son bras. Mais enfin, Jace, qu'est-ce qui t'a pris de le tabasser comme ça ? Il nous suffit d'une rune pour guérir, lui avec son état d'épuisement même sa magie ne fera pas de miracles. Tu répètes à longueur de temps que c'est un connard qui ne mérite que la peste et la mort mais tu agis exactement pareil !

- Parce qu'on a failli mourir !! Se défendit le dernier Herondale en levant les bras au ciel. J'aurais dû faire quoi à ton avis ? Le prendre dans mes bras et le remercier ?

- S'il avait voulu nous tuer, il l'aurait fait avant même qu'on ne puisse quitter New York, intervint Alec en se levant. Je vais aller le voir. On a pas de nourriture et on ne tiendras pas jusque demain sans manger quelque chose.

- Reviens ! Je chasserais des lézards, il parait que ça a un goût de poulet !

Le noiraud secoua la tête aux paroles de son parabatai et se dirigea vers la tente de Magnus. Puisqu'il s'agissait de toile, le Chasseur d'Ombre ne pouvait frapper comme à la porte d'une chambre, aussi se contenta-t-il de l'appeler pour essayer de le faire réagir. Le Grand Sorcier de Brooklyn grogna d'une fois étouffée et Alec cru l'entre renifler et s'écarta de justesse lorsque son aîné ouvrit la fermeture de la tente. Le Nephilim aux yeux cobalts l'observa attentivement et constata qu'Isabelle avait raison en disant que l'immortel serait sans doute trop épuisé pour que sa magie puisse soigner ses blessures. Sa pommette droite était bleuie des coups de Jace, tout autant que son œil gonflé et cerné de traces violacées et jaunâtre, signe d'une ecchymose à moitié estompée. La plaie de son front n'avait pas encore cicatrisée et s'était transformée en une croûte rouge sombre d'où perlaient encore quelques gouttes de sang. Dans ses yeux de chat où l'étincelle de malice semblait avoir définitivement disparue, Alec remarqua quelques larmes de Magnus essaya discrètement de ravaler en secouant la tête.

- Si tu attends des excuses, Lightwood, tu peux aller te faire fou...

- En fait on a besoin de toi, admit le noiraud en tâchant d'adopter le ton le plus calme possible pour ne pas braquer le plus vieux. Il n'y a rien à manger et on a tous besoin de reprendre des forces, même toi. Surtout toi, se corrigea-t-il rapidement.

- On était pas censé se débrouiller chacun de notre côté ? marmonna le sorcier en levant les yeux au ciel avant de grimacer. Ah c'est vrai, on vient toujours mendier quand on a besoin d'aide, je n'ai servi qu'à ça depuis des années. Au risque de te décevoir, monsieur le directeur de l'Institut, ma magie est épuisée, ce qui veut dire que je ferme boutique pour la soirée, alors démerde toi et va chasser comme un grand garçon.

- Tout service supplémentaire devra être accepté tant que le paiement est fait, récita Alec en brandissant une copie de leur contrat. Il y a une ville pas loin, on est passé devant. On va faire quelques courses et l'Enclave te remboursera. Si tu refuses...

- Ouais, ouais, séjour à la Basilia j'ai compris, s'agaça l'immortel. Bouge toi, que je me lève. Et je te préviens c'est toi qui portera, je suis pas un esclave.

Le Nephilim s'écarta pour laisser Magnus se relever et le Grand Sorcier de Brooklyn soupira longuement avant de partir dans le sens inverse de la marche pour remonter jusqu'à la petite ville qu'ils avaient repéré en venant. Alec sur les talons, les deux hommes avancèrent lentement, dans le silence le plus absolu. Ils ne voyaient pas à trente centimètres devant eux et, comme il l'avait indiqué à son cadet plus tôt, Magnus n'était même plus capable d'invoquer ces jolies flammes inoffensives mais si brillantes qui avaient autrefois éclairées nombre de leurs soirées en amoureux. Le Chasseur d'Ombre sortit donc sa pierre de rune et se força à marcher côte à côte avec le plus vieux qui fixait l'obscurité droit devant lui. Les soupirs de Magnus étaient toujours plus nombreux et le noiraud renonça à faire la conversation. Malgré tout, cela ne l'empêchait pas d'observer son ancien amant. Sa silhouette longiligne, ses longues jambes, ses cheveux dressés sur sa tête. Il paraissait avoir maigri depuis un an, mais Alec pouvait tout aussi bien se tromper. Après tout, cela faisait un an, justement. Contre sa volonté, son esprit le ramena à cette époque où tout allait bien entre eux. Il s'était installé chez Magnus, ils vivaient ensemble comme un couple plus amoureux que jamais. Aucun nuage noir à l'horizon. Alors pourquoi avait-il fallu que l'Indonésien le quitte ? Pourquoi se comporter ainsi ? Avait-il prit peur, alors que les choses devenaient sérieuses entre eux, que la blague n'ailles trop loins ? Peut-être n'avait-il pas menti ce soir-là, peut-être ne l'avait-il jamais réellement aimé...Le noiraud soupira et secoua la tête à ce triste constat. A ses côtés, Magnus marchait toujours en silence, mais ses mains s'étaient mises à trembler, comme le reste de son corps d'ailleurs. Fronçant les sourcils, intrigué, Alec tourna le visage de l'asiatique vers lui et constata que ses lèvres étaient bleues de froid et son visage plus pâle qu'auparavant. Sa peau était glacée aussi, complètement gelée. Magnus était tout bonnement frigorifié, des larmes perlant au coin de ses yeux. Si le noiraud commençait à s'inquiéter grandement, Magnus, lui, voulut s'éloigner de la main du Nephilim posée sur sa joue qui lui avait fait relever la tête. S'écartant pour reprendre sa marche, il manqua de voir le rocher qui lui bloquait le passage et bascula vers l'arrière. Dans un réflexe, Alec agrippa les pans de la veste du Grand Sorcier et, sans qu'aucun d'eux ne le veuille, leurs visages se retrouvèrent à quelques centimètres l'un de l'autre, leurs lèvres s'effleurèrent, leurs souffles se mêlant. Magnus ne bougeait plus, impossible avec ses tremblements de froid. Alec, lui, sentait son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine. Le temps était comme suspendu autour d'eux. Puis, réalisant l'ambiguïté de la situation, le noiraud relâcha brusquement l'immortel comme s'il s'était brûlé les mains.

- Ouch..., grommela le plus vieux en atterrissant lourdement au sol. Mais ça va pas non ? Pourquoi tu m'as laissé tomber ?!

- Pour que tu saches ce que ça fait, souffla Alec du tac au tac. Toi aussi tu m'as laissé tomber. Bien tenté le coup du baiser, mais il va falloir trouver autre chose si tu veux te foutre de moi. Tu peux arrêter de jouer à l'hypothermie avec moi, ça prend pas. Aller, on est arrivé, conclut-il en désignant les lumières de la ville à quelques minutes à pied de là.

Magnus gémit en se relevant et tâcha de ralentir ses tremblements en suivant le noiraud jusqu'à la supérette de la ville qui ne devait pas compter beaucoup d'habitants. Heureusement pour eux, il s'agissait d'un magasin ouvert de jour comme de nuit et il n'y avait personne à part eux pour faire des courses au milieu de la nuit. Magnus ne décrochait toujours pas un mot, le corps encore tremblant et les traits tirés comme s'il souffrait d'une quelconque blessure mais Alec décida de ne pas s'y attarder tant qu'il ne le retrouverait pas s'écroulant à même le sol. Après tout, il allait très bien jusqu'à maintenant et il ne faisait pas particulièrement froid au dehors. Ils prirent donc le strict nécessaire : de l'eau, des sandwichs, quelques paquets de chips et de gâteaux secs et ils payèrent avant de faire la route en sens inverse pour retourner au campement improvisé qu'ils s'étaient constitués pour passer la nuit. Ils le regagnèrent en moins de temps qu'il ne leur en avait fallu qu'à l'allée. Jace et Isabelle bavardaient à voix basse près du feu et se redressèrent en les voyant arriver. La jeune femme perdit son maigre sourire en voyant le visage tuméfié de l'Indonésien et le blond fit la moue sans pour autant s'excuser. Magnus les balaya d'un regard las et haussa les épaules avant de prendre sa part des courses et de retourner dans sa tente pour s'isoler loin du trio.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? S'enquit Isabelle alors que son frère distribuait leur repas.

- Rien, souffla-t-il en s'asseyant entre eux pour entamer son sandwich. Jace avait raison, c'est tout.

- Quoi, comment ça ? Explique nous ! S'emballa le blond.

- Il n'y a rien à dire. C'est fini, c'est tout. En fait, je crois que ça n'avait jamais commencé...

Le noiraud fondit brusquement en larme contre son frère et sa soeur et, alors qu'elle le berçait pour le rassurer, Isabelle se demanda si l'écho des sanglots de son grand frère qu'elle entendait au loin n'étaient pas, en réalités, ceux du coeur déchirés de l'Indonésien. 

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