Chapitre 42
Se tenir là, allongé dans ce lit le rendait irritable depuis bientôt plus d'une heure. Agacé par le temps d'attente et l'odeur que dégageait cette chambre d'hôpital, Sergueï jeta un regard noir à l'infirmier.
— La balle est ressortie, dois-je faire le pansement moi-même ?
Le jeune infirmier se décida enfin à dérouler la bande. Il grogna doucement en tournant la tête vers cette porte fermée qu'il brûlait de démolir. Cela faisait bientôt plus d'une heure que la jeune femme avait été prise en charge et plus les secondes passaient plus il sentait la colère bondir hors de ses entrailles. Puis enfin, la porte s'ouvrit sur elle. La légère entaille sur son front était recouvert d'un pansement et elle portait sa veste noire en guise de manteau. Il tendit son bras valide pour la serrer contre lui.
Stalder entra à son tour mais Sergueï l'ignora, trop occupé à humer l'odeur délicate de la jeune femme qui l'aidait à oublier la putréfaction qui se dégageait dans cette chambre stérile et pourvue de chaleur.
— Je sais que vous avez horreur des hôpitaux et tout ce qu'ils comportent mais c'était la seule solution pour ne pas attirer l'attention sur votre...statut, déclara Stalder quand ils furent seuls.
— Vous voulez dire pour éviter que mon nom écrase la presse dès demain matin, rectifia Sergueï en levant un sourcil.
— Je ne comprends pas, murmura Ivana dont la voix affaiblie par le choc lui arracha une douleur intérieure.
— Stalder ne peut pas prendre le risque que je sois reconnu sinon les journalistes les plus curieux essaierons de creuser dans cette affaire étouffée grâce à moi et ils pourraient trouver de quoi la faire rebondir.
Stalder se gratta le front gêné.
— C'est un véritable massacre, la presse qui est sur place parle d'une boucherie sans précédent.
Sergueï n'en avait que faire des commentaires, le principal c'est que ces hommes sans valeur ne soient plus de ce monde.
— C'est l'affaire du siècle pour vous Stalder, vous n'allez pas vous en plaindre. Où sont les filles ? Vous les avez retrouvé ?
— Dans le champ voisin, elles étaient cachées là-bas. Elles sont prises en charge par des médecins et des psychologues.
Sergueï inspira imperceptiblement en tournant la tête vers Ivana. Épuisée, le teint pâle, Sergueï n'avait malheureusement pas oublier qu'il avait tué un homme devant ses yeux.
— Sergueï il va tout de même falloir m'expliquer comment c'est possible de tuer plus de soixante-dix hommes tout seul, il y en a partout autour de la ferme et il faudra probablement des semaines avant de pouvoir tous les identifier.
— Bienvenue dans mon monde inspecteur Stalder, je n'ai aucune pitié, répondit-il sans une once de remord dans la voix.
Il marqua une pause dans laquelle il expira bruyamment par le nez.
— Je n'étais pas seul, il y avait quelqu'un d'autre là-bas et il ne s'agissait pas de mes hommes.
Stalder releva les yeux, l'air incrédule.
— Qui c'était ?
— Malheureusement je n'ai pas eu le temps de bavarder avec lui, ironisa-t-il. Il a tiré une balle dans la tête de Drake Agon presque en même temps que moi et lorsque nous nous sommes confrontés, tout ce que j'ai relevé c'est qu'il était autant déterminé que moi.
— Mais comment a-t-il su pour la ferme ? Comment est-ce possible ?
— Monsieur Stalder vous seriez époustouflé par le nombre d'hommes qu'il y a sur cette planète qui désirent régler d'eux mêmes ce que la police est incapable de faire.
— Tout de même, répliqua Stalder, vous étiez le seul à connaître l'endroit exacte où se trouvait la ferme.
— Il faut croire que non, lança Ivana. Peut-être que l'une des filles étaient de sa famille.
— De ce que j'ai pu apercevoir, il avait un profil type des pays où seul le désert impose sa loi, je n'ai pas vu de filles qui auraient pu porter les mêmes origines. Ce qui m'amène à penser que soit il y a eu une tentative d'enlèvement de la part d'Agon qui a échoué et cet homme à tout de même voulu se venger soit cet homme mystère avait autre chose en tête. Ce qui est certain c'est qu'il a tué tout ceux qui tentaient de s'enfuir et si j'étais vous, je n'essayerai pas de le retrouver.
Stalder nota son conseil mais demeurait toujours intrigué. Qui ne le serait pas. Sergueï ignorait qui était cet homme mais une chose est sûre, ils avaient un objectif en commun et cet objectif était désormais hors d'état de nuire.
— Je vais vous laisser, vous allez pouvoir partir quand j'aurai trouvé un moyen de vous faire sortir d'ici à l'abri des journalistes.
— Approche, viens t'allonger près de moi.
— Tu as mal ? Demanda-t-elle en s'installant au bord du lit.
— J'ai déjà reçu une balle dans l'autre épaule il y deux ans, je connais la douleur alors je dirais qu'elle est supportable. Parle-moi Ivana dis-moi n'importe quoi.
— J'aurai dû t'écouter, j'aurai dû rester à la maison et...
— Non, c'est moi qui avait tort, la coupa-t-il en baissant les yeux sur sa main égratignée lors de sa chute.
— Quoi ? Je ne comprend pas.
Lui aussi avait eu du mal à le comprendre jusqu'à ce que la vérité le frappe.
— Avant de tuer Gregson, il était au téléphone avec un homme. Lors du traçage de l'appel nous avons trouvé avec Diego qu'il se trouvait à proximité de ta maison. En fouillant dans les messages, j'ai compris que cet homme avait pour ordre de remplacer Jenny dans le cas où elle ne réussissait pas sa tâche. Pour être plus précis, c'est toi qui avait raison. Si je t'avais laissé seule, ça aurait été la plus grosse erreur de ma vie.
Mâchoires contractées, Sergueï leva sa main pour caresser son visage.
— Mais, c'était la première et dernière fois qu'on la joue à la Bonnie and Clyde, ajouta-t-il en lui souriant. Des notre retour à Moscou je t'attache au lit pour une durée indéterminée.
Enfin elle lui sourit.
— Tu as légalement droit de ne pas être d'accord avec ce que tu as vu cette nuit, reprit-il d'une voix incertaine car il ne voulait pas entamer ce lourd sujet.
Elle inspira profondément en fermant les yeux.
— C'est rude et choquant à voir mais je n'arrête pas de me dire que si je ne t'avais jamais rencontré, toutes ces jeunes femmes probablement moi...mon Dieu je ne veux pas y penser.
— Alors n'y pense pas et embrasse-moi, ordonna-t-il en effleurant son menton du bout des doigts.
Ivana se pencha en avant pour atteindre sa bouche ombragée de barbe et ferma les yeux, profondément soulagée qu'il soit en vie.
— Tu aurais pu perdre la vie, murmura-t-elle en refoulant les larmes qui montaient.
— Ce n'est pas la première fois que je me fais tirer dessus trésor, et cette balle je ne la regrette pas, pour moi elle est symbolique. Désormais tu n'as plus rien à craindre.
Il écrasa une larme qui venait de glisser sur sa joue et avec le revers de sa main, caressa sa joue.
Il se redressa sur le lit en grimaçant légèrement.
— Partons d'ici, j'ai autre chose à faire en cette belle journée, décréta-t-il en passant sa chemise tâchée de sang.
— Qu'as-tu à faire de si important si ce n'est te reposer ? Demanda-t-elle alors qu'il se levait du lit.
— D'abord, tenir ma promesse et te donner la fessée, commença-t-il en la regardant droit dans les yeux avec un sourire enjoué. Ensuite que tu deviennes ma femme au plus vite.
Ivana observa le cœur battant la détermination qui ravageait son regard.
Le bras plaqué contre son torse il s'avança vers elle pour glisser sa main dans ses cheveux.
— Tu n'imagines pas à quel point je suis heureux d'avoir écouter la voix de ma mère celle qui me poussait à découvrir un autre univers que le mien. Si elle n'avait jamais existé, jamais je ne serais venu jusqu'à toi. Je serais sans doute un mafieux sanguinaire sans aucun désir de construire autre chose qu'une montagne d'argents.
Il marqua une pause dans laquelle il caressa sa joue.
— Je ne peux plus attendre Ivana, la nuit dernière m'a fait comprendre que la vie est fragile et qu'il ne faut pas attendre lorsque l'on veut profondément quelque chose.
Émue, Ivana n'avait plus de voix.
Il se pencha pour poser son front contre le sien, les yeux ancrés dans sa paire d'yeux emplie de larmes.
— C'est toi que je veux, murmura-t-il d'une voix rauque.
La gorge serrée d'émotions elle lui sourit et regretta l'arrivée impromptue de Stalder qui ouvrit la porte.
— C'est bon, vous pouvez partir, annonça-t-il en saluant Sergueï de la tête.
— Allons-y moy angel, sortons d'ici...
Ils passèrent la porte ensemble et fut arrêtés par Diego.
— Après un bon nombres de recherches, je n'ai aucune idée de qui est cet homme, je ne pourrais même pas te dire un nom.
— Attendez, lança Stalder qui referma la porte de la chambre. Vous avez exigé des recherches sur cet homme ?
— Évidemment, chaque fois que je croise un homme armé jusqu'au dents et potentiellement dangereux je tente de savoir qui c'est mais je dois dire que je suis plutôt impressionné par cet inconnu.
Sergueï requise un sourire en coin.
— Est-ce un problème pour vous inspecteur ?
— Non, seulement si jamais...
— Je n'ai pas l'intention de faire d'autres recherches, le coupa-t-il. Pour ma part ça s'arrête là. Il n'est pas une menace pour moi mais vous...peut-être...
Sergueï émit un rire diabolique et salua Stalder d'un mouvement de tête puis entra dans l'ascenseur pressé de quitter cet endroit.
Deux heures plus tard c'est dans son appartement new-yorkais qu'il se reposait avec Ivana blottie contre lui.
Pour la première fois de sa vie dans ce silence paisible Sergueï sentait en lui une profonde paix. Une paix rompu lorsqu'il dut descendre en la laissant seule pour accueillir le père de la jeune femme.
— Elle va bien, indiqua-t-il alors qu'il fouillait le salon à sa recherche.
— Où est-elle ? Demanda-t-il d'une voix chargée d'émotions.
— À l'étage, elle se repose.
Igor pointa son regard sur son épaule blessée.
— Merci, merci d'avoir sauvé ma fille.
Dans les yeux de cet homme fatigué, Sergueï décela du soulagement mêlé à une peur légitime.
— Elle est tout aussi précieuse pour moi qu'elle l'est pour vous. C'est terminé maintenant.
Igor se passa les mains sur le visage.
— Je l'aime, et je ne pourrai rien faire sans votre bénédiction.
Igor leva son regard et se mit à le dévisager mais cette fois-ci, il n'y avait ni animosité ni mépris.
— Je déteste la Russie et cela demeura inchangé, déclara-t-il d'une voix ferme. Ils m'ont privé de tout parce que j'aimais une femme qui n'était pas de mon milieu.
Sergueï ne répondit rien par crainte de le couper dans son élan.
— Néanmoins je peux pas nier que ma fille vous aime, et je ne pourrais pas lui arracher ça, je ne peux pas sinon je ne vaux pas mieux que ceux qui espéraient m'arracher ma femme.
— Je n'ai pas l'intention de vous arracher votre fille, je veux la rendre heureuse et qu'elle poursuive ses rêves, seulement je crains qu'elle n'ait pas la force de me suivre parce qu'elle refusera de vous laissez seul ici.
Igor n'essaya pas de le contrer et il ne pouvait pas lui en vouloir. Si Ivana partait, Igor n'avait plus rien et ça, la jeune femme ne l'accepterait jamais du moins si elle le faisait, Sergueï savait que son cœur allait saigner silencieusement.
— C'est pour cette raison que j'ai pris une décision, ajouta Sergueï en allant jusqu'au bar.
Il tenta de dévisser la bouteille de whisky comme il le put et fit couler le liquide dans deux verres.
— Quelle décision ? S'interrogea Igor en acceptant le verre qu'il lui tendit.
— J'ai décidé de vivre ici une partie de l'année et l'autre en Russie, comme ça Ivana trouvera son équilibre et vous l'aurez près de vous.
Surpris, Igor le dévisagea l'air incrédule.
— Vous seriez prêt à faire ça ?
Oui, il était prêt à tout pour le bonheur de la jeune femme car en contrepartie Sergueï avait tout ce qu'il avait toujours désiré. Quelqu'un qui l'aime d'un amour pur et sincère.
— Je suis prêt en effet, répondit-il en s'arrachant de sa torpeur. Je ferais en sorte de transférer les affaires de ma société à New-York et cela permettra à votre fille de s'inscrire dans l'école de son choix pour poursuivre son rêve d'être un jour photographe. Quand les premières feuilles de l'automne tomberont, nous irons en Russie et quand un jour vous serez prêt, mon pays sera honoré de vous recevoir.
Sergueï but une gorgée sans le quitter des yeux.
— Est-ce que cela vous convient ?
— Moi ça me convient, lança une voix depuis l'escalier.
Ivana avait tout entendu et elle était la seule dans cette pièce à réaliser l'étendu du sacrifice de Sergueï pour la rendre heureuse. Il renonçait à pratiquement toute sa vie de mafieux pour elle. Il ressemblait à un loup quittant sa meute pour suivre son propre chemin et Ivana ne put s'empêcher de verser une larme.
— Ma chérie, murmura son père en la prenant dans ses bras.
Le cœur serrée Ivana ne quitta pas des yeux Sergueï. Elle n'avait plus les mots et ce jusqu'au départ de son père qui avait enfin accepté leur amour.
— Sergueï tu n'as pas à faire...
— Je ne quitte pas mon post de mafieux Ivana, je le délaisse seulement pour une partie de l'année.
— Sergueï tu sais qu'il s'agit d'un lourd sacrifice ? Que tu délaisse ou non ce post, tu vas l'abandonner quoiqu'il arrive.
— Je serais toujours disposé, toujours loyal envers mes frères, je serais en Russie pour deux saisons et capable de reprendre mes fonctions si besoin à ce moment-là. Vladimir est déjà au courant et il accepte mon choix. Tu es plus importante à mes yeux alors oui, je renonce à ça pour toi et aussi pour moi. Je ne veux pas passer ma vie à chasser des hommes sans honneurs, je veux passer ma vie avec toi. Je veux des enfants, je veux vieillir avec toi et non comme mon père avec une arme à la main. Après la mort de ma mère il a continué sa vie avec des armes et de la haine dans les yeux et je ne veux pas de ça, ce n'est pas ce que je veux et dans le fond je ne l'ai jamais voulu. Ce que je veux c'est toi.
Ivana fondit en larmes et vint écraser son visage dans son torse. Il chercha à capturer ses joues en saisissant ses mâchoires et l'embrassa tendrement.
— Je t'aime, chuchota-t-il en la serrant contre lui.
Sergueï ne renonçait pas seulement à sa vie d'avant, il renonçait à ce qui l'avait fait souffrir lorsqu'il était enfant car derrière l'amour fort de ses parents, sa mère avait sacrifié ses rêves, sa sécurité entachée par les ennemis de son père, et aujourd'hui il refusait l'égoïsme qui avait brisé son père quand trop tard, il s'était rendu compte de ses erreurs...des erreurs reconnues quand sa mère n'était plus là pour entendre ses regrets.
Sergueï ferma les yeux et enfin, retrouva la paix...
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