Chapitre 4



Ivana le regarda partir en direction de l'université avec une superbe démarche proche de la nonchalance. Instinctivement elle posa sa main sur son bras et le massa comme si elle voulait effacer sa marque. Seulement celle-ci semblait vouloir rester, jusqu'à en ressentir des frissons.

Son charisme incroyable était capteur de foule. Les regards convergeaient sans cesse sur lui, les conversations brutalement interrompues. Ivana jeta un coup d'œil sur sa droite avant de traverser la route puis emprunta le même chemin que son troublant professeur. Elle aurait dû profiter de cet instant pour rattraper son erreur de la veille. Au lieu de ça elle s'était contentée de le regarder partir. À présent elle allait devoir trouver le bon moment pour lui présenter un autre auteur connu et de préférence en dehors d'un flot continu de polémique. Elle monta l'escalier qui menait au premier étage puis s'enfonça dans le couloir au milieu des autres étudiants. Sa tenue vestimentaire fit émerger quelques commentaires qu'elle tenta d'ignorer et lorsqu'elle fut arrivée devant la porte, Ivana marqua un temps d'arrêt. Sa main levée et fermée en poing était sur le point de frapper la porte, seulement quelque chose d'étrange en elle l'empêchait de franchir le pas.

Mais ni sa main ni elle fut capable de franchir le pas. Le professeur lui...

La porte s'ouvrit brusquement, un léger coup de vent balaya ses cheveux. Bêtement elle fit retomber sa main alors qu'il dardait un troublant regard sur elle. Il s'effaça pour l'inviter à entrer, seulement Ivana sentait que ses pieds refusaient d'avancer.

La situation devenait de plus en plus malaisante alors elle pénétra dans la salle de cours.

— Si vous êtes venue pour me remercier c'est inutile mademoiselle Koskov, lança-t-il en premier après avoir refermé la porte derrière elle.

Cette fois-ci il ne portait pas de veste, juste une chemise noire ouverte au col, dévoilant sa musculature impressionnante. Ivana se pinça les lèvres en baissant furtivement le regard sur le sillon de muscles sur ses bras duvetés de noir.

- En fait c'était...pour hier, je me suis trompée d'auteur et je...

- Oh non mademoiselle Koskov, la coupa-t-il de sa voix rocailleuse. Vous ne pouvez pas faire marche-arrière sous prétexte que vous vous êtes rendu compte trop tard que l'auteur en question a subi beaucoup de controverses.

Il planta son regard dans le sien, une lueur imperceptible dans cette nuance de gris.

- J'ai dit ça au hasard et...

- Mais vous l'avez dit, la coupa-t-il encore. Pourquoi vous excuser ?

- Je l'ignore, sans doute parce que je ne voulais pas que vous pensiez que...

Ivana s'interrompit parce qu'il avait raison. Pourquoi ressentait-elle le besoin de s'excuser ? Quelle raison idiote l'avait poussée jusqu'ici ?

Un léger sourire se forma sur les lèvres du professeur la rendant encore plus mal à l'aise.

- Ne regrettez jamais un choix, essayez au contraire de le défendre, lui conseilla-t-il en faisant un pas dans sa direction.

- En fait je crois que je tente par tout les moyens de communiquer avec vous sur un sujet bien différent, lâcha-t-elle décidée à crever l'abcès tout de suite.

Il demeura impassible, ne laissant aucune indication filtrer sur son visage.

- Si vous parlez de mon entretien avec votre père sachez mademoiselle Koskov qu'il n'y aura aucun impacte quel qu'il soit.

- Tant mieux parce que je refuse le moindre traitement de faveur de votre part, lui dit-elle un peu nerveuse.

Il la dévisagea de son regard bleu perçant puis enfonça ses mains dans les poches de son pantalon.

- Aurais-je donné l'impression de vous en donner un ? Demanda-t-il enfin, sourcil levé.

- Non, pas encore, mais je préfère que la situation soit claire maintenant.

- Je ne suis pas du genre à offrir des traitements de faveur mademoiselle Koskov, soyez sans crainte, chuchota-t-il d'une voix énigmatique.

Ivana réprima un frisson en affrontant son regard et son visage sculpté à serpe. La gorge sèche elle dévia le regard en premier, réprimant l'odeur épicé de son parfum.

- Si j'étais vous, je me dépêcherai de m'installer avant que les autres n'arrivent sinon je crains que de vilaines rumeurs soient lancées, ajouta-t-il un léger sourire en coin.

Ivana rougit et s'aventura dans les marches pour grimper tout en haut. Elle se dépêcha de sortir ses livres et son ordinateur portable consciente que le regard de son professeur était encore sur elle. Confortablement installé, Sergueï profita des quelques secondes qu'il lui restait en compagnie de l'étudiante pour l'observer depuis son bureau. Affaissée sur sa chaise elle laissait entrevoir les profondeurs de son âme jugé pure et innocente. Derrière l'écran de son ordinateur, ses yeux ambrés brûlaient de curiosité et d'hésitation à la fois. D'ordinaire Sergueï se laissait peu distraire par les femmes et encore moins par des petites étudiantes. Il attendait qu'elles viennent à lui, le regard désespéré et suppliant. Mais aujourd'hui, et contre toute attente Sergueï se laissa surprendre par une pensée étonnamment dangereuse. Cette pensée affectait son regard sur elle, rendant ainsi son exercice plus compliqué. S'il écoutait les profondes pensées de l'homme qu'il était réellement, il serait déjà en haut de l'amphithéâtre en train de lui tresser les cheveux, rajustant son port de tête pour qu'elle révèle sa beauté. Pire...

Il l'aurait probablement invité à manger quelque chose en plein milieu du cours pour renflouer ses joues roses.

Sergueï dévia son regard vers la porte qui venait de s'ouvrir pour échapper à ses divagations et fit craquer sa nuque engourdie. Les premiers étudiants à s'installer s'empressaient déjà de commenter la présence de la jeune femme, perchée tout en haut de l'amphithéâtre. Bien qu'il l'avait prédit, Sergueï se sentit quelque peu agacé.

- Un problème monsieur Savino ? Lança-t-il assez fort pour que ça parvienne à lui.

Alex Savino s'empressa de quitter des yeux la jeune femme pour le confronter. Sergueï lui lança l'un de ses regards les plus noirs tout en gardant son masque impassible.

- Aucun monsieur Volkov, répondit-il en baissant les yeux.

Il glissa un léger coup d'œil vers la jeune femme carrément planquée derrière son ordinateur, affaissée sur sa chaise.

Sergueï expira brutalement et se leva pour contourner le bureau. Les midinettes au premier rang ne manquaient jamais l'étonner surtout lorsqu'elles cherchaient à attirer son attention.

Les ignorants délibérément il commença son cours avec humeur, sentant alors en lui, une frustration, une tension palpable froisser ses muscles.

Ivana avait attendu que le cours démarre pour se redresser, souffrant maintenant du dos. Elle n'aurait pas pu mieux faire pour attirer l'attention sur elle en s'enfermant dans la salle avec son professeur qui était également le directeur. Mal à l'aise elle se passa une main sur le front en fermant les yeux. Alex Savino se retourna à plusieurs reprises pour lui lancer des regards qu'elle ne sut décrire. Était-il en train de se moquer d'elle ? Ivana reporta son attention sur son livre, le ventre noué.

Ajouté à cela, le professeur grimpa à nouveau les marches, les mains dans les poches, assommant les étudiants de questions pièges. Grâce au ciel il l'épargna. Son humeur n'était en rien comparable avec celle de la veille. Le regard assombri, l'air glacial, ces deux détails avaient transformés le cours en un glacier cédant sous la pression du dérèglement climatique. Était-ce de sa faute ? Ivana préféra ne pas y penser. Au lieu de ça, elle tendit l'oreille pour suivre l'orateur avant que ce dernier se place juste derrière elle. Son corps se mit à réagir instantanément à cette approche. Sa présence si imposante était comme une onde sismique qui se propageait silencieusement dans son espace personnel. Dans sa voix virile, Ivana nota quelque chose de terrifiant. Il se déplaça sur sa gauche. Le cœur battant à la chamade elle glissa un lent et faible regard dans sa direction, faisant face à ses longues jambes musclées.

- Ça c'est inutile de le noter, dit-il en glissant sa large main sur le clavier de son ordinateur pour effacer la note qu'elle venait de taper.

Ivana déglutit, remuant sur sa chaise sous l'effet de la nervosité jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'autre rang. Lorsque le cours s'acheva, Ivana en fut presque soulagée. Très vite elle rangea son ordinateur prit ses affaires et se faufila comme une voleuse entre les autres étudiants pour quitter le cours.

- Ivana attend !

Elle se retourna en prenant un air presque effrayé à l'approche de Savino.

Il leva les mains en signe de paix.

- Je voulais savoir comment tu allais depuis...enfin...tu as compris.

Non, elle peinait à comprendre.

- Si tu parles du soir où ta petite-amie m'a humilié sache que je ne veux pas en parler, répondit Ivana sèchement.

Alex la rattrapa et se planta devant elle.

- Justement, je voulais te présenter des excuses, crois-moi beaucoup regrette ce qu'il s'est passé cette nuit-là.

Ivana lui jeta un regard mauvais parce qu'elle ne lui faisait pas confiance. À une époque pas si lointaine elle aurait tout tenté pour se faire des amis. Aujourd'hui seule la solitude lui apportait le réconfort et la paix.

- Je veux oublier, conclut-elle en le contournant pour poursuivre son chemin.

- Et c'est bien normal, insista-t-il en marchant à ses côtés. Seulement c'était important pour moi que tu le saches. Tu es une fille bien, tu n'aurais pas dû subir tout ça.

- Comment peux-tu savoir si je suis une fille bien ? Tu ne m'as jamais adressé la parole.

- Pas la peine de s'adresser la parole pour le savoir, rétorqua-t-il en haussant des épaules. Je sais que tu n'es pas comme nous Ivana, tu n'as jamais aimé supporter l'équipe de football, tu préfères avoir la tête plongée dans tes bouquins et tu détestes le campus et tout ce qui concerne notre fraternité.

- Où veux-tu en venir ? S'impatienta Ivana en s'arrêtant au milieu du couloir.

- J'organise une petite fête Samedi soir, je voulais t'inviter à passer. Ça serait sympas.

Sympas ?

Ivana dévisagea son sourire en essayant de l'interpréter au mieux. Était-il en train de flirter avec elle au beau milieu de ce couloir ou était-ce son imagination ?

- Je vais y réfléchir, répondit-elle tout simplement.

Il se frotta les mains avec un large sourire tout en reculant.

- Vingt heures précise, n'oublie pas.

Bien sûr Ivana n'irait pas. Elle venait de mentir pour s'en débarrasser. Lui et sa bande d'amis quittèrent le couloir, visiblement ravis de la nouvelle. Ce détail frappa Ivana si fort qu'elle soupçonnait l'ancien quarterback de l'avoir délibérément traîné dans un piège.

Elle secoua de la tête et se dirigea vers son prochain cours et ce jusqu'à la fin de la journée.

Sur le parking presque désert après avoir passé plus d'une heure à la bibliothèque, elle monta dans la vieille camionnette de sa mère et au premier tour de clé celle-ci lui fit comprendre qu'elle n'était pas prête à démarrer.

- Pas ça s'il te plaît ! Pas maintenant !

Ivana tenta de la démarrer à plusieurs reprises sans succès et dut s'arrêter avant de noyer le moteur. Elle appuya sa tête sur le volant en poussant une plainte désespérée. Seulement elle dut se redresser à la hâte lorsque la portière s'ouvrit.

Une large et sombre silhouette fendit la lumière du jour et rendit sombre l'habitacle. Ivana tenta de refouler les battements alarmants de son cœur mais il était trop tard. Son professeur se pencha pour atteindre la manette afin d'ouvrir le capot. Il referma la portière grinçante, l'enfermant à l'intérieur. Ivana le suivit des yeux, la gorge sèche. Il semblait toujours aussi froid, le regard incompatible avec toutes traces d'humour ou de douceur. Il ouvrit le capot et disparut derrière. Ne sachant pas quoi faire, Ivana demeura interdite plusieurs minutes, les mains sur le volant avant d'ouvrir la portière pour descendre de la camionnette.

- C'est très gentil à vous professeur mais c'est inutile, elle...je crois que c'est la batterie.

Il releva la tête, révélant à la lumière du jour ses yeux bleus, teintés d'un gris perçants. Son regard s'enfonça dans le sien avec une telle intensité qu'elle avait l'impression qu'il essayait de brûler son âme.

- Ce n'est pas la batterie, c'est le moteur, rétorqua-t-il d'une voix définitive, mettant fin à son diagnostique.

Ivana sursauta lorsqu'il fit retomber le capot.

- D'un simple coup d'œil vous êtes parvenu à dresser cette conclusion ?

Il sortit un impeccable mouchoir de la poche intérieure de sa veste pour essuyer ses mains tout en s'approchant d'elle. Ivana heurta son rétroviseur en reculant contre la portière.

- Disons que j'ai de l'expérience dans ce domaine comme bien d'autres d'ailleurs.

Cette remarque accompagnée d'un léger sourire presque illisible la fit frémir.

- Prenez vos affaires, je vais vous ramener, j'appellerais une dépanneuse en chemin.

Ivana écarquilla les yeux comme s'il venait de lui faire la plus scandaleuse des propositions et sa réaction de ne manqua pas de le faire réagir.

- Que se passe-t-il mademoiselle Koskov ?

Elle remarqua trop tard qu'il avait posé ses deux mains sur le haut de sa camionnette, forçant sa tête à s'incliner en arrière pour le regarder. Cette proximité quelque peu inappropriée l'invita à vérifier les alentours.

- Vous avez perdu votre langue ? Demanda-t-il en baissant seulement ses yeux sur elle.

- Non.

- Dans ce cas exprimez-vous, s'enquit-il en s'écartant pour lui redonner son espace qui l'aida mieux à respirer.

- Ce n'est pas approprié je le crains.

Un rire de gorge suivit sa réponse. Un rire qui la fit rougir autant qu'il lui provoqua une flambée de frissons.

- Si vous pensez sincèrement que cela m'inquiète...

Il prit ses affaires qu'il avait laissé sur le trottoir et fit le tour d'une splendide voiture noire aux vitres teintées.

- Venez mademoiselle Koskov, dépêchez-vous je ne suis pas de nature très patient, la prévint-il en ouvrant la portière passagère.

Ses yeux foudroyèrent les siens, ses mâchoires volontaires se serrèrent soudain et son aspect jusqu'ici de professeur s'affaissa dans les abîmes, laissant entrevoir un autre homme. Ivana prit ses affaires et se glissa dans la voiture à la plus grande satisfaction du professeur qui claqua la portière aussitôt...scellant alors la suite incertaine de ce moment tout aussi inattendu qu'étrangement troublant...

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