En dépliant la serviette blanche, Ivana sentit sur son visage un courant d'air glacé. Sa nervosité était à son paroxysme et elle n'arrêtait pas de lisser ses cheveux détachés volontairement pour dissimuler l'oreillette qu'elle portait. Entendre la voix de Sergueï dans son oreille lui était d'un grand réconfort mais jusqu'où elle serait prête à aller pour piéger Gregson ?

— Tu dois juste garder en mémoire que je suis juste à côté moy angel, à quelques mètres seulement.

Ivana ne pouvait pas répondre car Sergueï redoutait la présence d'individus sur place travaillant pour Gregson. Il fallait qu'elle soit le plus naturel possible mais lorsque Gregson se matérialisa devant la table, grand sourire aux lèvres tout changea brutalement.

— Ivana, je suis ravi de te revoir, déclara-t-il en ne perdant pas une seconde pour s'installer.

— Je suis ravie également, mentit-elle un goût amer dans la gorge.

Il la toisa d'un regard proche...très proche de la concupiscence. Soudain son regard se voila et Ivana savait pourquoi.

— Notre dernière rencontre n'a pas été des plus amicale je le reconnais, lui dit-elle en feignant de ne pas avoir vu son regard baissé sur sa bague de fiançailles.

— En effet, confirma-t-il en ajustant sa cravate tout en forçant un léger sourire. Il faut dire que le démon qui t'accompagnait n'a pas rendu les choses faciles.

Sa voix teintée de méprise était une preuve évidente que Sergueï était bel et bien son ennemi. Son attitude était désormais agitée, il se tenait sur la chaise en donnant l'impression qu'il devait lutter contre une colère qui prenait peu à peu son visage.

— Ce démon semble t'avoir pervertie Ivana et je dois dire que je peine à comprendre la raison de ton appel ? Veux-tu me parler de quelque chose en particulier.

Démon, perversion...

Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait ces mots, bien avant l'arrivée tonitruante de Sergueï dans sa vie. Gregson avait de nombreuse fois fait usage de ces termes lors des séances.

— Avez-vous des liens avec l'église docteur Gregson ? Le questionna-t-elle.

Cette question n'avait rien à voir avec le plan initiale qu'elle avait élaboré dans sa tête mais elle tenait à la poser car sa réponse pouvait être cruciale.

— Pourquoi cette question Ivana ? S'enquit-il les lèvres pincées d'un sourire en coin.

— Eh bien parce que je vous ai toujours entendu employé ces termes et je me pose la question.

— Je suis en effet proche de l'église et je sais reconnaître un démon quand il se trouve sur mon chemin.

Un rire diabolique se glissa dans son oreille. Ivana se racla la gorge en se tortillant sur sa chaise.

— Pour tout vous avouer, j'ai...je crois que j'ai précipité les choses avec cet homme et j'avais besoin de conseils de votre part.

Ivana se pinça les lèvres et remarqua tout de suite l'agitation du docteur Gregson qui fixait désormais ses lèvres.

Étrangement Ivana se sentit alors plus forte et décida de poursuivre son plan. Si elle voulait comprendre comment il fonctionne et surtout ce qu'il cherchait à atteindre il fallait à tout prix qu'elle fasse en sorte que son autre façade se manifeste.

— Tu peux tout me confier, tu le sais n'est-ce pas ? Insista-t-il visiblement impatient qu'elle lui fasse des révélations.

— Il m'a demandé en mariage il y a peu et j'ai accepté mais...

Ivana s'interrompit volontairement pour faire planer le doute.

— Mais tu réalises que tu as fait une erreur ?

— Je ne sais pas, c'est difficile de le dire, je crois que je suis perdue.

Cette révélation lui arracha la moitié d'un sourire qu'il ne chercha même pas à dissimuler.

— Tu as peur de m'en parler ?

— Disons qu'il s'agit de ma vie sexuelle alors je ne sais pas si vous êtes la bonne personne pour répondre à mes questions.

Cette fois-ci, son sourire s'effaça et son regard essayait en vain de dissimuler une sorte de sauvagerie à peine voilée. Ivana espérait le piéger en usant de son point faible. Le fait de ne pas avoir réussi à la contrôler le rendait fou et c'est exactement ce qu'il était en train de lui prouver là maintenant. Elle décela de l'excitation dans son regard. Bien qu'elle sentait sa gorge se nouer de dégoût Ivana devait continuer.

— Ivana mon enfant je connais ta vie, tes peurs, tes envies, tes rêves, je pense que je suis capable d'entendre ça.

Ivana réprima un sourire amer.

— Eh bien il n'a pas les mêmes besoins que moi et j'ai peur de ne pas être à la hauteur pour le satisfaire.

Sergueï qui se trouvait dans une voiture blindée à cent mètres du restaurant était en train de bouillonner de l'intérieur. Bien qu'elle se débrouillait extrêmement bien, Sergueï était à l'affût du moindre détail, du moindre bruit et mouvement suspect. Les yeux rivés sur l'écran il serra les poings jusqu'à sentir ses phalanges craquer.

Il n'y avait plus de doute, Gregson et sa secte était basé sur la sexualité et rien d'autre. Le regard qu'il affichait désormais parlait plus que n'importe quel discours. La concupiscence se refermait sur lui et plus Ivana lui livrait des détails intimes plus sa main gauche le trahissait car celle-ci était littéralement crispée sur le rebord de la table.

— Ces désirs sont-ils différent des tiens ?

Sergueï décela dans le timbre de sa voix une déroute brûlante qu'il tentait de maîtriser.

Ses hommes qui entouraient le périmètre de sécurité qu'il avait mis en place étaient sur leur garde tout comme il l'était.

— Totalement différent des miens, confirma Ivana alors qu'elle entendait le souffle du mafieux se tendre et devenir rêche au creux de son oreille.

Il était maintenant temps de passer à la vitesse supérieure.

— Pour tout vous dire docteur c'est un homme qui exige une soumission totale de moi lorsque nous sommes au lit et j'ignore si je suis en mesure de lui apporter ça toute ma vie.

Gregson exécuta une violente rotation sur sa chaise en étouffant un rire nerveux. Ivana avisa sa main qui chiffonnait désormais la nappe blanche. Il donnait l'impression d'être complètement excité. Ivana réprima toutes les formes de dégoût qui passaient dans son esprit et inspira profondément.

Sa main droit se balada sur la table puis il s'en servit pour tirer sur sa cravate.

— Eh bien Ivana je dois dire que je ne m'attendais pas à ça.

— Veuillez me pardonner, je dois vous choquer, je...

— Non pas du tout ! S'empressa-t-il de dire en posant sa main sur la sienne.

Ivana se raidit à ce contact mais dut se reprendre avant d'attirer la moindre suspicion.

— Si cet homme désire de toi que tu te soumettes à lui et que tu ne le veux pas alors il faut que tu le quittes.

Évidemment, songea-t-elle amèrement.

— Vous pensez que c'est la bonne solution ? Parce que malgré ça je l'aime.

— Tu ne peux pas l'aimer ! S'énerva Gregson en réalisant trop tard qu'il avait hausser le ton assez fort pour attirer les regards.

— Reste calme moy angel, gronda une voix rageuse dans l'oreillette.

Ivana exhala un soupir tremblant en récupérant sa main. Gregson se redressa maladroitement tout en essayant de reprendre le contrôle sur la façade qu'il venait de lui dévoiler.

— Pardon, je ne sais pas ce qu'il m'a prit, s'excusa-t-il en recouvrant un semblant de calme qui ne la trompait pas. Ce n'est pas à moi de décider pour toi, tu es une grande fille après tout n'est-ce pas Ivana.

— Oui, en effet, répondit-elle avec un soupçon de sécheresse dans la voix.

Gregson la regardait à présent avec insistance et continuait de présenter beaucoup d'agitation.

— Et je peux savoir où est ton professeur ? Est-ce qu'il sait au moins qu'il n'avait pas le droit d'entretenir des relations avec toi ?

Ainsi Gregson était si naïf qu'il continuait de croire que Sergueï était un simple directeur d'université et enseignant ?

Voyant là un avantage pour continuer de garder l'identité secrète de Sergueï, elle décida d'entrer dans son jeu.

— Il n'est pas ici mais en Californie pour un travail. Pour ce qui est de notre relation, il a démissionné avant que les choses deviennent sérieuses.

— Mais au-delà de cette relation précipitée tu crains de ne pas satisfaire ses désirs ?

Ivana remarqua qu'il était obsédé par les désirs et la satisfaction de plaire.

— J'ai peur de ne pas être à la hauteur de ses désirs oui.

— Je peux t'aider Ivana mais il faut que ça reste entre nous.

Ivana se redressa lentement, tendit son dos douloureux et hocha de la tête.

— Nous y voilà, déclara Sergueï d'une voix sombre en observant la scène impuissant et épris de pulsions meurtrières.

— Il faut que tu en parles à personne est-ce que c'est compris ? As-tu confiance en moi Ivana ?

" Feindre d'être facilement manipulable " se cria-t-elle intérieurement.

" Feindre et lui donner l'impression qu'il est son sauveur "

— Oui je vous fais confiance, lui dit-elle en y mettant toute son énergie. Je vous promets de tenir parole.

Satisfait, il lui lança un regard lubrique qui lui donna la nausée et lui sourit en sortant de sa veste un papier déjà noté d'une adresse.

— Je te propose de me rejoindre à cette adresse le plus rapidement possible et je t'aiderai à être meilleure que tu l'es déjà.

Sa phrase lui fit froid dans le dos.

— Merci docteur Gregson, je viendrais le plus vite possible.

Ivana se leva, les jambes en coton et dans un dernier effort surhumain elle lui serra la main. Son cœur se souleva quand il la baisa avec sa bouche immonde et dut faire preuve d'un dernier sursaut de force pour ne pas s'enfuir en courant.

— Marche doucement bébé, lui conseilla Sergueï alors qu'elle quittait le restaurant. Il est juste derrière toi, continue de marcher jusqu'au quatrième taxi et entre à l'intérieur du cinquième.

Ivana suivit les directives et s'engouffra dans le cinquième taxi. Le chauffeur impassible verrouilla les portières et ne perdit pas de temps pour démarrer.

— Mon dieu, souffla-t-elle en posant une main sur son cœur.

— Ivana est en sécurité patron, annonça l'homme qui conduisait le taxi. Où dois-je la déposer ?

Ivana retira l'oreillette la gorge nouée, les joues enflammées par l'adrénaline. Maintenant qu'elle possédait l'adresse bientôt Gregson devra payer de ses crimes, du moins elle l'espérait.

Tirée de sa torpeur par une paire de bras musclés, Ivana ne réalisa même pas qu'elle venait d'être transférée dans une voiture blindée, avec des équipements de haute qualité. Sergueï referma la porte derrière elle puis écrasa sa bouche sur la sienne. L'urgence de ce baiser devint alors presque un besoin vital pour oublier ce qu'il venait de se passer.

— Tu as été parfaite, stupéfiante, dit-il d'une voix rauque.

Ivana ignorait si cette effusion de sang était à l'origine de l'adrénaline qui tremblait dangereusement dans son corps mais elle ressentait l'envie furieuse de faire l'amour là tout de suite.

Sergueï serra les mâchoires pour refluer cette envie de la prendre là immédiatement. Elle avait les yeux pétillants et ses joues étaient en feu. Sergueï passa une main sous son vêtements pour lui arracher les micros et tout s'enchaîna très vite. Assise à califourchon sur lui, la jeune femme commença à faire entendre son désir et ils firent l'amour dans cette voiture blindée où mes ses cris ne pouvaient traverser l'habitacle. Dans un dernier gémissement épic elle posa sa tête sur son épaule et s'accrocha à lui désespérément. Sergueï la serra contre lui jusqu'à ce qu'elle s'épuise et s'endorme contre son épaule.

— C'était pour moi l'un des pires jour de ma vie jusqu'à maintenant, murmura-t-elle alors qu'il la pensait endormie.

Sergueï tira sur ses cheveux pour qu'elle redresse la tête et empoigna ses mâchoires.

— Je sais trésor et je te promets que tu ne le reverra plus jamais, articula Sergueï.

— Je veux rentrer à la maison s'il te plaît, implora-t-elle en posant de nouveau sa tête contre son épaule.

Sergueï avisa d'un regard noir l'adresse qui s'était échouée par terre et nota un détail qui provoqua en lui une rage sourde.

L'adresse correspondait à l'une des nombreuses qu'il avait étudié dans les zones les plus proche de la maison d'Ivana. Cette adresse se trouvait à vingt kilomètres au sud sur un terrain miné par une vaste forêt et qui avait déjà retenu toute son attention...

Sans le savoir Gregson venait de lui adresser un message clair. Ivana était sa proie et Sergueï n'avait plus le choix, il allait devoir le tuer dès demain. Peu importe le temps que ça lui prendra, peu importe le sang qui en découlera, il fallait en finir maintenant.