Chapitre 2




Lorsqu'elle entra dans la salle de cours la première chose qu'elle fit c'est survoler l'amphithéâtre d'un regard anxieux. Les étudiants déjà installés lui étaient jusqu'ici méconnu ce qui dans un sens était une bonne nouvelle. Mais lorsqu'elle croisa le regard de Julia Stuart, Ivana sentit son estomac se retourner. Au prix d'un effort presque surhumain elle monta les marches en tachant de l'ignorer et s'installa le plus haut possible, à l'écart des étudiants. Maladroitement elle posa son sac à ses pieds puis sortit son livre de cours et son ordinateur.

Elle prit une grande inspiration brutale espérant d'abord que la silhouette qui montait les marches dans sa direction n'était qu'une illusion. Hélas...

— Bienvenue parmi nous Ivana ! Tu as l'air en forme, lança Julia en se glissant sur le siège à côté du sien.

Ivana ouvrit son livre, gardant la bouche scellée.

— À propos de ce qui s'est passé par le passé, commença-t-elle d'une voix faussement calme. Je tenais à m'excuser. Jamais je n'aurai crû que les événements te conduirait à une telle situation.

Ivana tourna la tête dans sa direction et crut vomir rien qu'en la regardant. Rien de ce qu'elle disait était sincère. Cette fille respirait la fausseté.

— Tu acceptes mes excuses ? Reprit-elle tout sourire.

— Que veux-tu réellement Julia ? Demanda-t-elle d'une voix posée pour ne pas attirer les regards plus qu'il y en avait déjà levés dans leur direction.

Julia Stuart se mordit la lèvre en tripotant ses cheveux.

— J'aimerais que ce qu'il s'est passé reste confidentiel parce que le nouveau directeur est apparemment en train de renvoyer beaucoup d'étudiants suite...enfin tu comprends. Mon avenir est en jeu, mon père serait fou de rage si jamais j'étais renvoyée pour de telles absurdités. On ne voulait pas vraiment te faire du mal à l'époque et...

— Ce que je veux c'est pouvoir reprendre ma vie et que tu n'en fasse plus jamais partie, je veux oublier ton visage empreint de frustrations refoulés et là, tu ne m'aides pas, la coupa-t-elle froidement avant de tourner la tête en direction de son ordinateur.

Julia Stuart se racla la gorge et se leva maladroitement sans masquer son irritation. Ivana tourna les pages de son livre d'une main tremblante en essayant de refouler les larmes qui menaçaient de tomber. Julia reprit sa place au premier rang et échangea quelques mots avec ses deux amies tout aussi venimeuses qu'elle l'était. Dire qu'à une époque très lointaine elle pensait que l'université était différente du lycée. Que l'âge et la mentalité ferait de cet endroit un monde différent et plus adulte. Elle s'était lourdement trompée. Grâce au ciel tous les étudiants ne pensaient pas comme ça, et c'est essentiellement pour cette raison qu'elle avait décidé de revenir ici.

La porte de la salle s'ouvrit et un silence de cathédrale suivit l'entrée du nouveau directeur. Des chuchotements commencèrent à s'élever et il y avait de bonnes raisons à cela. Ce n'était pas du tout ce à quoi elle s'attendait. Sergueï Volkov embrassait déjà l'espace de sa hauteur renversante. Une puissante aura semblait se dégager de lui si bien qu'elle sentit les autres étudiants retenir leur souffle. Son visage aux traits virils était marqués d'une implacable autorité naturelle. Ses mâchoires volontaires soulignées par une barbe de trois jours rehaussaient les lignes musclées de son visage. Sa carrure athlétique, ses larges épaules semblaient souffrir derrière le tissu tendu de sa chemise ainsi que sa veste noire. Ses cheveux noirs de jais rendaient ses yeux perçants mais à cette distance elle ne pouvait distinguer leur couleur. Ivana lui donnait la trentaine. Lorsqu'il se plaça devant eux, survolant les étudiants d'un regard furtif, Ivana frémit. Une réaction qui contrastait avec celles des autres étudiantes qui elles, vouaient leur nouveau professeur avec des larges sourires rêveurs et d'admirations mêlés.

Mains dans les poches de son pantalon qui sculptait ses longues jambes musclées, il demeura longuement silencieux, faisant ainsi languir les jeunes femmes sans doute impatiente d'entendre sa voix qui achèverait de compléter ce parfais portrait.

— Bonjour à tous, commença-t-il alors.

Sa voix virile était si puissante qu'elle était parvenue à elle sans difficulté. Ivana nota un accent particulier qui fit fondre l'amphithéâtre à l'exception des étudiants qui eux, voyaient en lui, un adversaire redoutable.

— Je suis votre nouveau directeur et professeur, poursuivit-il en survolant à nouveau l'amphithéâtre.

Puis soudain, sous le masque de pierre qu'il arborait jusqu'ici, un sourire étrange balaya ses lèvres.

— Bienvenu en enfer, termina-t-il si brutalement que ses groupies ne mirent pas longtemps à sortir de leurs rêveries ramenées brutalement de réalité.

Ivana déglutit, la bouche sèche avant de se cacher derrière l'écran de son ordinateur.

Il n'avait l'air ni tendre ni susceptible de faire dans l'empathie.

Julia Stuart au premier rang, croisa discrètement ses jambes en faisant un signe à l'une de ses amies. Ivana n'eut aucun mal à traduire de loin ses intentions.

— Je n'ai qu'un mot d'ordre pour réussir, la discipline, donc je vous conseille vivement d'être attentifs sinon c'est inutile de vous donner la peine de revenir dans mes cours.

Ivana prit cette déclaration plutôt comme une menace. D'ailleurs elle ne fut pas la seule. Il fit le tour de son bureau, et donna le top départ à cette année d'études qui pour elle résonnait déjà comme son plus grand défi.

Les dix minutes suivantes furent étonnement très instructives. Ivana était même stupéfaite par les connaissances de cet homme à l'accent russe perçant. Ses pratiques d'apprentissages n'avaient rien à voir avec celles de son ancien professeur de littérature monsieur Lawrence. Ajouté à cela son incontestable beauté l'aidait à attirer l'attention même si certaines semblaient boire ses paroles plus que d'en prendre des notes.

Le cours se poursuivit dans la même atmosphère. La soif de savoir de l'homme était si grande qu'elle commença à se détendre peu à peu. Mais lorsqu'il monta les marches sur le côté droit, pile dans la rangée où elle se trouvait, Ivana se raidit subitement. Il grimpa plus haut, sans cesser de parler. Plus il se dirigeait vers elle plus Ivana sentit un frisson glacial parcourir sa nuque. Sa stature imposante devenait de plus en plus évidente lorsqu'il fut bientôt à quelques mètres d'elle. De plus près, elle put enfin distinguer la couleur de ses yeux. D'un bleu profond, elle remarqua une nuance de gris durcir son regard. Ivana détourna le regard lorsqu'il arriva à sa hauteur. Au lieu de poursuivre sa montée, il pila net à côté de sa table. D'ordinaire Ivana se serait contenté d'écouter tout en prenant des notes mais quelque chose l'en empêcha. Une puissance magnétique s'émanait de lui, une aura dangereuse qu'elle ne sut expliquer. Peut-être parce qu'elle n'était pas habituée à ce genre de professeur, songea-t-elle en jouant avec son crayon nerveusement.

Ce dernier lui échappa des mains avec maladresse. Écarlate, elle suivit sa trajectoire jusqu'à sa chute. Maladroite elle se pencha pour le ramasser. Une chaussure noire interrompit son geste quand celle-ci se posa sur le crayon, l'empêchant de le ramasser. Forcée de relever la tête vers le professeur Volkov, Ivana serra les pages écornées de son livre en peinant à soutenir son regard.

Il la dévisagea silencieusement, le regard étrangement dur puis se pencha pour le ramasser à sa place. Il le posa sur son livre puis redescendit les marches pour rejoindre son bureau. Ivana ferma son ordinateur portable avant l'heure et attendit patiemment qu'il déclare la fin du cours pour ranger ses affaires.

L'amphithéâtre se vida rapidement. Ivana tenta de se frayer un passage jusqu'à la sortie mais fut arrêtée après avoir dépassé le bureau.

— Mademoiselle Koskov, veuillez rester un moment je vous prie.

Oh non...

Les yeux baissés, Ivana se déplaça sur le côté, le cœur battant à la chamade.

Il pressa les étudiants jusqu'à la sortie puis referma la porte. La dernière chose dont elle avait envie en ce premier jour c'est d'être au centre de l'attention. Elle voulait se faufiler dans la foule, raser les murs et faire taire son nom.

Forcée de relever la tête, Ivana replaça la lanière de son sac sur son épaule, ayant peine à le regarder dans les yeux. Il revint sur ses pas, puis s'arrêta à quelques mètres d'elle. Il darda son regard sur elle, d'une façon si étrange qu'elle se sentit extrêmement mal à l'aise. Il était grand, bien plus grand qu'elle l'avait imaginée depuis sa chaise une heure plus tôt. Mais ce qui la troubla le plus ce fut sa prestance redoutable. Pour parfaire son résumé il n'avait rien d'un professeur normal.

— Vous avez une idée sur la raison de cette brève entrevue mademoiselle Koskov ?

Oh oui elle en avait une mais préférait la taire au risque de se tromper.

— Aucune idée, répondit-elle avec un léger haussement d'épaule.

Une boule d'angoisse se forma dans sa gorge alors qu'il l'observait en silence. La dernière chose qu'elle voulait c'était se faire prendre en pitié. Elle soupçonnait presque son père d'avoir fait tout son possible pour qu'elle obtienne une sorte d'immunité auprès du directeur.

Il gravit les mètres qui les séparaient dans lesquels Ivana sentit une essence parfumé chatouiller ses narines.

— Vous n'êtes pas intéressé par ça ? Lâcha-t-il en brisant le silence, le doigt pointé vers son bureau.

Déroutée, Ivana dévia son regard sur son bureau. Voilà plusieurs minutes qu'elle se préparait mentalement à répondre à une série de questions concernant son bizutage alors qu'en réalité il s'agissait d'un livre ? Un livre qu'elle n'avait pas pris pour une raison très simple...

— Je l'ai déjà lu...

Il leva un sourcil étonné.

— Vous avez déjà lu Slavage the bones de Jesmyn Ward ? Intéressant, dit-il en s'installant sur le rebord du bureau.

— Ce qui est intéressant c'est de savoir que vous l'avez lu, dit-elle à voix haute alors qu'il s'agissait plutôt d'une pensée.

Consciente qu'elle rougissait, Ivana dut faire face à sa réaction en priant pour ne pas s'enfoncer un peu plus.

— Cela vous étonne pour quelle raison ? Je n'ai pas le profil pour ce genre de lecture ? Demanda le professeur en plissant ses yeux.

Ivana acquiesça en se pinçant la lèvre.

— Un bon littéraire se soit de toucher à tout vous n'êtes pas d'accord ? S'enquit-il avec sa voix rocailleuse aux intonations profondes qui la firent rougir.

— Bien sûr...

Il se redressa avec un léger sourire en coin sans la quitter des yeux puis lui tendit un exemplaire.

— En souvenir de cette...intéressante conversation.

Ivana le prit en se mordant l'intérieur de la joue mais il ne semblait pas vouloir lâcher l'ouvrage.

— Vos origines sont russes n'est-ce pas mademoiselle Koskov ?

Elle releva les yeux dans les siens.

— Oui, professeur, pourquoi ?

Ivana lança un léger coup d'œil à la ligne de ses mâchoires qui venait de se contracter.

— Citez-moi un livre d'un grand écrivain Russe, je suis certain que vous en connaissez un et vous serez libre de partir.

Ivana ne mit pas longtemps à en trouver un pour relever cet étrange défi.

— Lolita de Vladimir Nabokov.

Il lâcha l'ouvrage la seconde suivant sa réponse puis s'écarta pour la laisser passer. Elle nota la naissance d'un sourire dans le coin de ses lèvres puis passa tout près de lui, la tête baissée. Cet échange pour le moins troublant s'acheva dans le silence mais au moment d'ouvrir la porte, elle l'entendit glisser au loin :

— À très bientôt mademoiselle Koskov...

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