Chapitre 13
Sergueï n'avait jamais été en proie à une telle colère. En pénétrant dans l'établissement qui avait été en charge de la guérison d'Ivana il comprenait mieux pour quelle raison la jeune femme semblait privée de ses émotions, éteinte, complètement vidée. En plus des commentaires rudes qu'il avait survolé la veille sur internet, une ancienne aide-soignante chargée de s'occuper des patients lui avait certifié au téléphone que cette clinique était dangereuse. Son témoignage précieux lui avait permis de resserrer ses recherches à l'aube après une nuit blanche dans laquelle il n'avait pas cessé de penser à la jeune femme. Dans le cabinet du fameux psychologue chargé d'aider la jeune femme, Sergueï serra les poings en s'approchant du mur sur lequel des dizaine de photos étaient accrochées, représentants des patients et toutes représentaient des jeunes femmes. Il survola les photos et serra progressivement les mâchoires quand il vit le portrait de la jeune femme. Il arracha sèchement la photo de ce mur qui ressemblait à un tableau de chasse morbide et inquiétant. Les yeux cernés, en blouse blanche, le regard vide accompagné d'un sourire forcé, Ivana ressemblait à l'ombre d'elle-même sur cette photo comme si son esprit ne lui appartenant plus. Comme si elle était contrôlée par une voix malsaine. Le pire c'est que toutes les autres jeunes femmes arboraient la même expression faciale sur toutes les photos.
Sergueï plia la photo et la plaça dans la poche intérieure de sa veste. La porte s'ouvrit et lorsqu'elle se referma, il se retourna avec l'envie furieuse de saisir son arme pour buter l'homme qui venait d'entrer.
— Bonjour, je suis le docteur Gregson, et vous êtes ?
Sergueï l'observa d'un œil mauvais.
La quarantaine ce charlatan arborait un sourire prétentieux mais son retard lui...exprimait un vent d'inquiétude qu'il venait de lui souffler en un seul regard noir.
— Je suis l'homme qui veut des réponses, répondit-il sèchement.
Son adversaire fronça des sourcils en feignant de ne pas comprendre. Mâchoires serrées, Sergueï le regarda de haut en bas puis s'approcha vers lui d'un pas menaçant.
— Je ne comprends pas, avez-vous une patiente ici ?
— Une patiente ? Répéta-t-il en étouffant un rire amer. Donc il n'y a que des femmes ici ? Comme c'est intéressant.
Il rajusta sa veste blanche d'un mouvement de fierté puis se glissa derrière son bureau pour s'installer dans son fauteuil.
— Nous avons pour règle d'accueillir que des femmes pour éviter tout malentendu avec les patients si vous voyez ce que je veux dire.
Sergueï sentit sa main brûler à l'idée de prendre son arme pour lui coller une balle dans la tête.
— Je suis venu vous parler de mademoiselle Koskov, ça vous dit quelque chose ?
Gregson se redressa à l'évocation de ce prénom et une lueur intrigante passa dans ses yeux. Tendu comme un fil de fer, Sergueï serra le poing le long de sa hanche.
— Une patiente très douce et très intelligente mais malheureusement très malade psychologiquement, se désola le médecin.
— À cause de qui ? S'enquit Sergueï sèchement. La camer de médicaments n'est pas la méthode que j'aurai préconiser docteur Gregson.
— C'est pour l'aider à affronter son quotidien, Ivana est très fragile et je fais en sorte de l'aider. D'ailleurs elle doit me voir dans quatre jours.
Sergueï nota le sourire qui venait de se glisser sur ses lèvres comme si cette information lui était très plaisante .
— Ne comptez pas la revoir de sitôt, le menaça Sergueï les yeux noirs. Depuis qu'elle est sortie de ce centre elle n'est plus rien, vous ne l'avez pas aidé vous l'avez fait plonger dans un état comateux.
Sergueï s'approcha du bureau pour abattre froidement ses mains dessus.
— Vous dressez un mur rempli de photos de femmes complètement droguées et sa semble presque vous exciter.
— Elles viennent ici de leur plein gré, personne ne les forces monsieur.
— Mais pour sortir c'est un peu plus difficile n'est-ce pas ? Plusieurs témoignages me l'ont confirmés. Vous avez fait sortir Ivana en vous assurant bien qu'elle était toujours sous votre contrôle. Pour les autres en revanche, vous avez évité de justesse la justice.
Le docteur Gregson afficha une mine sombre et serra les accoudoirs de son fauteuil.
— Ivana est ma patiente et c'est à elle de décider monsieur, dit-il sèchement.
Sergueï remarqua dans le timbre de sa voix qu'il se battait pour protéger son terrain qu'il venait de piétiner.
— Oh elle décidera docteur charlatan, rassurez-vous et si jamais vous vous approchez d'elle de nouveau je vous brise les reins, articula Sergueï d'une voix menaçante.
Il se redressa lentement, dominant son adversaire qui malgré son irritation avait le teint le livide. Satisfait il esquissa un lent sourire machiavélique et quitta le bureau sans prendre la peine de refermer la porte. En traversant l'établissement aux murs blanc et froid il eut le terrible sentiment d'être intervenu trop tard. Dire qu'il y a quelques jours en arrière cette jeune femme lui était insignifiante. Aujourd'hui il avait envie de l'aider plus qu'il la désirait secrètement. Pour la première fois de sa vie il était confronté à un défi qu'il se fit la promesse de relever. Il fallait à tout prix qu'il la sorte de cette emprise pour qu'elle puisse enfin ressentir toutes les émotions qu'elle avait inconsciemment banni.
Son téléphone sonna quand il s'installa au volant de sa voiture.
— Je viens aux nouvelles, lança Vladimir qu'il venait de mettre en haut-parleur.
Sergueï fit ronfler le moteur en guise de réponse et quitta cette clinique maudite, les mains crispées sur le volant.
De l'autre côté de la ville, Ivana était plongée dans ses pensées quand son père se glissa sur une chaise de la cuisine, l'air inquiet.
— Parle-moi mon petit cœur, dis-moi à quoi tu penses.
Elle pensait à Sergueï Volkov mais était-ce raisonnable de lui dire ?
— Je penses à mon professeur, avoua-t-elle en buvant une gorgée de café.
Contre toute attente Igor se contenta d'un bref mouvement de tête.
— Il était en colère hier soir après t'avoir ramenée, lui confia son père.
Ivana releva la tête en état d'alerte absolue. Elle n'avait aucun souvenir de ce qu'il s'était passé après s'être endormie dans la voiture.
— Que s'est-il passé ? Pourquoi était-il en colère ?
Igor se passa une main sur sa bouche, l'air nerveux, fuyant délibérément son regard.
— Papa !
— Il était en colère parce qu'il pense que tu n'es pas toi-même et que tout ça a un rapport avec la clinique. Chérie est-ce que je dois savoir quelque chose que je ne sais pas encore ?
Livide, Ivana faillit renverser sa tasse de café. Cette clinique, elle ne voulait plus en parler. Les souvenirs qu'elle en gardait n'étaient pas forcément les plus aidant pour sa guérison même si l'infirmière qui s'était chargée d'elle avait été d'une extrême bienveillance envers elle. Le docteur Gregson lui...
Un frisson lui glaça le sang.
— J'ai fait ce qu'on m'a demandé de faire pour sortir.
— Comment ça Ivana ? De quoi tu parles ?
La porte fut cinglée de coups violents qui les firent sursauter tous les deux. Ivana se leva précipitamment pour ouvrir la porte d'entrée et découvrit l'homme qui hantait ses pensées. Vêtu de vêtements entièrement noir, ce dernier avait l'air d'une humeur massacrante. Ses traits ciselés étaient crispés, son regard fiévreux d'une colère méconnue et sa bouche formait un rictus qu'elle ne sut interprété.
— As-tu un endroit on nous pouvons parler en privé ou dois-je t'emmener dans un endroit en particulier ? Déclara-t-il d'une voix sombre.
Déconcertée elle ouvrit la bouche pour mieux la refermer.
— Monsieur Koskov, veuillez me pardonner pour mon attitude d'hier soir mais je dois parler à votre fille en privé et de préférence tout de suite, ajouta-t-il à l'adresse de son père qui se tenait derrière elle.
— Nous avons un jardin où vous serez tranquille, je vais dans mon atelier.
Sous le choc Ivana avait l'impression que ses jambes étaient vissées au sol. Le mafieux lui avait bien l'intention de la faire décoller du sol. Il saisit son bras pour la guider vers la porte qui donnait sur la petite terrasse extérieure.
Il referma la petite porte et la guida vers l'arbre au fond de son petit et modeste jardin en mauvaise état.
— Que se passe-t-il ? C'est à propos de hier soir ? Vous avez des regrets ?
— Aucun regret, je viens seulement de faire une petite visite dans cette clinique où tu as séjourné. Je comprends mieux maintenant pourquoi tu ressembles à une âme perdue, expliqua-t-il sans lui masquer son étonnement.
Il sortit une photo de sa poche et lorsqu'il la déplia Ivana lui arracha des mains pour la déchirer et jeta les morceaux dans l'herbe. Cette photo est la dernière chose qu'elle voulait voir.
Sa réaction surprit le mafieux dont le regard venait de s'adoucir.
— Est-ce qu'il t'a fait du mal ? Il t'a touché ?
Le cœur martelant ses tempes alors qu'elle peinait à se faire à se brusque tutoiement, Ivana secoua vivement de la tête en grimaçant.
— Est-ce qu'il t'a fait du mal ? Répéta-t-il plus fort en lui saisissant le menton.
— Non pas physiquement, répondit-elle en peinant à soutenir son regard.
Les yeux du mafieux changèrent de couleur comme si un sombre orage s'approchait d'elle sans qu'elle puisse l'arrêter.
— Il a disait que ses méthodes étaient les meilleurs. Apprendre à se détester pour mieux s'aimer. Le problème c'est que...je...n'étais pas sensible à ses exercices et plus je m'y opposé plus ma sortie était retardée. Alors j'ai pris ce qu'on me donnait à avaler et j'ai fait...
— Est-ce qu'il t'a touché ? La coupa-t-il sur un ton glacial.
— Non je ne pense pas, je n'arrive pas à me souvenir, murmura-t-elle d'une voix tremblante avant de prendre sa main pour qu'il retire ses doigts de son menton. Je veux oublier ! Ça suffit ! Assez !
Ivana se retourna en posant ses mains sur ses oreilles afin d'étouffer la voix du docteur Gregson qui reprenait le dessus sur la bataille qu'elle livrait pour l'oublier.
Le mafieux l'obligea à se retourner et prit ses poignets dans ses grandes mains.
Prisonnière, Ivana plongea son regard dans le sien et distingua dans les profondeurs impassibles de ses yeux qu'il était en colère mais pas contre elle.
— Les médicaments qu'il t'a prescrit, combien tu en as pris depuis ta sortie ?
— Assez pour ne plus entendre sa voix et effacer les souvenirs de la nuit ou ma vie à basculer, murmura-t-elle les lèvres tremblantes.
Rictus aux lèvres il affichait une expression de plus en plus terrifiante.
— À partir de maintenant tu n'en prendras plus et je ne veux plus que tu ailles dans cette clinique, décréta-t-il sévèrement.
Il relâcha ses poignets et glissa sa main sur sa joue. Ce contact chaud contrastait avec l'épaisse colère qui le rendait presque effrayant.
Ivana n'avait plus le mot pour décrire les secousses de son cœur.
— C'est moi ton docteur maintenant, poursuivit-il d'une voix plus amène. Je veux que tu puisses à nouveau ressentir des émotions qui t'ont été arraché. Je veux te montrer à quel point tu es belle et désirable. Je ne veux plus que tu ressentes de la peur, la liste est longue ma belle...mais je m'y tiendrait.
Il pressa ses pouces sur ses joues, les yeux baissés sur sa bouche.
— Je ne sais plus ce que c'est de ressentir, avoua-t-elle honteuse d'avoir l'impression d'être vide...du moins avant que cet homme qui la tenait fermement par les joues débarque dans sa vie.
Sergueï sentit son cœur se serrer...oui, il était serré, si serré qu'il dut déglutir pour endiguer la douleur qu'il venait de ressentir. De son pouce, il écrasa la larme qui venait de tomber sur son visage timide et ce fit alors la promesse de libérer cet oiseau rare de cette cage et lui redonner le goût à la vie, le goût d'aimer avec ses propres méthodes...
Des méthodes qu'il brûlait déjà de mettre à l'œuvre...
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