Chapitre 1
Sergueï pointa son silencieux en direction du mur et tira dans l'affiche pour la seconde fois. Réputé pour être un faux calme, un homme volontairement impassible pour masquer ses véritables intentions, aujourd'hui, sa patience commençait à se fendre à mesure des entretiens.
— Tu vas finir par trouer la tête de quelqu'un si tu ne fais pas attention, prévint Jared.
— Cette pensée m'a effectivement effleuré l'esprit, répondit-il en se redressant dans le fauteuil en cuir.
— Bon sang je dois vraiment t'aimer pour m'être aventuré là-dedans, soupira Jared en ôtant sa cravate.
Sergueï pivota son siège dans sa direction en levant un sourcil.
— Quoi ? Tu ne trouves pas ça excitant d'être dans la peau du bras droit du directeur ? Ce n'est pas si différent de ton quotidien à mes côtés.
— Pour chasser nos ennemis, arme à la main, et là je me retrouve armé d'un stylo.
Sergueï esquissa un sourire en coin presque moqueur.
— Pense à Vassili et à sa fille, reprit-il avec sérieux. Il a été longtemps mon mentor, si je suis ici c'est pour lui et de toute façon ton rôle n'est que temporaire je t'envoie en mission dans trois jours.
Jared acquiesça.
— Je sens que ça va être très divertissant, ajouta-t-il pensivement.
— En parlant de ça je peux savoir comment tu as fait pour obtenir cette place ?
Un sourire fendit les lèvres de Sergueï.
— Quatre longues années d'études entre deux coups de feu, répondit Sergueï en se levant. J'ai toujours voulu jouer au professeur c'est une occasion unique que je n'aurai rater pour rien au monde. Combiné à cela, je vais pouvoir savourer ma vengeance.
— Quel est le plan ? S'enquit Jared.
— Détruire de l'intérieur toutes les personnes impliquées dans le l'accident de Tamara. Ils étaient plusieurs, et beaucoup semble protégé par le système. Je veux les renvoyer les uns après les autres, détruire leur avenir comme ils ont contribué à détruire le sien.
Sergueï marqua une pause dans laquelle il pointa Jared du doigt.
— En fait, vois ceci comme un exercice, reprit-il en le rejoignant près des fenêtres.
— Utiliser d'autres options que les armes pour se venger ? S'enquit Jared en esquissant un lent sourire.
— Exactement, confirma Sergueï en feignant de chuchoter.
Les deux hommes partagèrent un sourire qui en disait long sur le cours de leurs pensées.
Sergueï attrapa son arme laissée sur le coin du bureau et la rangea derrière son dos prenant le soin de la cacher avec sa veste. Peu à peu il reprit son sérieux. Sa patience était en train de s'effondrer aussi rapidement que lorsqu'il chassé ses ennemis. Bien que la situation était plaisante, la raison l'était moins. Tamara, fille d'un ancien mafieux était pour l'heure condamné dans un fauteuil roulant après avoir été la cible d'un bizutage forcé.
Ciblé depuis des années pour ce genre de pratique dangereuse, le campus de l'université semblait s'enfoncer délibérément dans un sordide silence sur ces agissements. Sergueï comptait asseoir son autorité et sa soif de vengeance pour bannir cette pratique dangereuse visant à humilier les nouveaux étudiants. Grâce à dieu, et selon les médecins la jeune Tamara sera capable de remarcher. Étrangement, Sergueï était partagé entre deux sentiments. D'un côté il voulait sauver l'honneur de la fille de son mentor et d'un autre il voulait achever ce qu'il n'avait jamais pu faire autrefois.
En effet avant d'être embarqué dans le monde sombre de la mafia, Sergueï avait toujours voulu enseigner son savoir acquis pendant de longues années. Un désir qu'il s'était forcé d'étouffer pour venger sa défunte mère tuée par balle lorsqu'il avait dix-neuf ans. Sensible à son éducation, sa mère avait toujours fait en sorte de lui offrir d'autres opportunités que d'être l'héritier de son père, chef de la mafia. En le poussant vers les études elle était parvenue à lui donner la passion pour la littérature. Aujourd'hui il avait hâte de pouvoir conjuguer le mafieux sans pitié au professeur qu'il aurait pu devenir s'il ne s'était pas tourné vers son père pour venger sa mère. Des regrets ? Aucun. Il adorait l'homme qu'il était devenu aux côtés de ses frères d'armes. Le pouvoir qu'il avait entre les mains lui donnait une puissance dangereuse qu'il comptait bien utiliser pour parvenir à ses fins.
— En tout cas, tu fais sensations auprès des étudiantes, nota Jared en l'extirpant de ses pensées.
— Les midinettes ne m'intéressent pas, dit-il d'une voix blasée.
— En parlant de femmes, niveau sexe tu vas gérer ? Enfin je veux dire on est à des milliers de kilomètres du club où tu as laissé une certaine Angelina toute chose et seule...
Sergueï étouffa un rire.
— Elle s'en remettra, quant à mes envies sexuelles, je pense pouvoir gérer, répondit-il plus froidement qu'il l'aurait voulu.
Jared lui lança un regard perplexe puis leva les mains en signe de paix.
Ce sujet, il n'aimait pas forcement l'aborder, sensible à garder secret ses pratiques qui pour lui représentaient la seule chose sur laquelle il avait un contrôle absolu que rien ni personne était autorisé à piétiner.
— Je pense que l'on devrait arrêter les entretiens pour aujourd'hui, ils n'ont pas été très concluant jusqu'ici.
— Parce que ces étudiants ont beaucoup trop à perde s'ils révèlent ne serait-ce qu'un minuscule détail sur ces pratiques et je les soupçonne d'avoir obtenu une place importante sur le campus. Tout a un prix, même le silence. Espérons que les derniers sur cette longue liste se montrent plus coopératifs.
— Monsieur Koskov, déclara Jared en quittant les fenêtres pour se diriger vers la porte.
— Ce nom me plaît beaucoup, commenta Sergueï avant qu'il ouvre la porte.
L'homme qui entra dans le bureau n'avait rien de comparable avec les autres parents qu'il avait reçus jusqu'ici. Il n'avait ni costume ni cravate et aucun femme vêtue d'un tailleur sur-mesure ne semblait l'accompagner. Il se contenta d'ôter sa casquette en guise de respect et s'approcha vers le bureau sans prétention manifeste. Jared fut aussi surpris que lui. C'était là peut-être une chance d'obtenir de lui quelques renseignements.
— Monsieur Koskov, je suis ravi de vous rencontrer, lança-t-il d'une voix chaleureuse pour le mettre à l'aise. Je suis Sergueï Volkov, le nouveau directeur.
— Tout le monde parle que de vous, même dans les couloirs, répondit-il en s'installant sur l'une des chaises. Difficile de ne pas savoir qui vous êtes, néanmoins je trouve cela étrange de savoir que vous venez d'aussi loin pour ce travail.
— Si je ne me trompe pas votre nom est d'origine Russe, répondit Sergueï.
— En effet, il l'est, confirma-t-il sans plus de détail.
— Me séparer de mon cher et tendre pays n'a pas été chose aisée mais je ne pouvais pas rater une telle...occasion.
Sergueï tentait de le mettre en confiance, cependant l'homme en face de lui ne semblait pas ouvert à la chaleur de son accueil. Il nota de la nervosité en lui, ainsi qu'une lueur de tristesse dans son regard.
— Je constate que vous êtes venu seul, votre fils n'a pas désiré se joindre à la discussion ?
— Ma fille, rectifia-t-il d'une voix tendue.
Sergueï pencha légèrement la tête sur le côté pour le dévisager.
— Veuillez m'excuser monsieur Koskov, j'ai vu plus de garçons que de filles aujourd'hui.
— Parce qu'elles sont exemptées de tout soupçons concernant les récents incidents qui se sont produits ici monsieur Volkov.
Sergueï nota de la rage dans ses paroles.
— Votre fille fait donc partie des victimes ? S'enquit-il en s'installant dans le fauteuil.
Son regard devint triste, accablé par des souvenirs qu'il venait de réveiller en lui accidentellement. Sergueï était déterminé à le faire parler parce qu'il était probablement le seul à pouvoir lui apporter un récit proche de celui de Tamara.
— Ma fille a été victime d'humiliations il y a plus d'un an maintenant et les conséquentes qui ont suivi cette nuit-là ont été terribles.
— Racontez-moi, insista Sergueï très sérieusement. Cela restera confidentiel et cela m'aidera à mettre les coupables hors de ses murs.
L'homme hésita dans un silence pesant pour lui comme pour Jared.
— Ma femme est décédé il y a maintenant deux ans, emportée par une foudroyante maladie, commença-t-il difficilement. Ma fille était dévastée. Pour combler son absence, elle s'est réfugiée dans la nourriture. C'était pour elle un refuge qui l'aidait à combler sa tristesse. Seulement je ne vous apprends rien, de nos jours les regards et les commentaires ne se font généralement pas attendre, les moqueries suivent et se ressemblent.
Sergueï demeura silencieux, accroché au récit de l'homme au corps affaissé de chagrin.
— Deux semaines après son entrée en université, elle a été la cible d'un bizutage forcé après une invasion d'étudiants dans son dortoir à plus de minuit. Elle a été humilié, insulté, forcé de se déshabiller et prise en photos, des clichés qui grâce à dieu, ont été intercepté avant leur mise en ligne sur les réseaux sociaux. Après cela, ma fille ne pouvait plus faire un pas sur le campus sans être la cible de moquerie. Puis plus les jours ont passé plus en s'est renfermée sur elle-même et je n'ai pas vu à quel point elle était en détresse jusqu'au jour où je me suis aperçu qu'elle ne mangeait plus, que son corps était de plus en plus affaibli, son visage creusé. Le 25 mai de l'année dernière, elle a fait un arrêt cardiaque. J'ignore encore par quel miracle elle a réussi à survivre.
Ce récit n'était pas proche de celui de Tamara, il était différent mais avec des conséquences tout aussi désastreuses.
— Comment se porte votre fille aujourd'hui ? Demanda-t-il en creusant ses doigts dans les accoudoirs du fauteuil.
— Je l'ai fait intégrer un centre qui s'est occupé d'elle bien mieux que j'aurai pu le faire. Elle est sur la voie de la guérison, elle est forte et je crois en elle.
— Nous sommes sincèrement désolés pour votre fille, monsieur Koskov, déclara Jared pour combler le silence qu'avait laissé cet homme après ce douloureux récit.
— Personne n'a rien fait à l'époque ? Ajouta Sergueï aussitôt.
— J'ai contacté l'association qui a été créée il y a trois ans après la mort d'un étudiant mais hélas ils n'ont rien pu faire. D'ailleurs personne ne fait rien à ce sujet. Le conseil se contente de fermer les yeux.
— Plus maintenant, s'empressa de dire Sergueï d'une voix grave en se levant lentement. Monsieur Koskov je vous remercie pour votre témoignage, et je vous promets que je compte bien faire en sorte que cela n'arrive plus à l'avenir. Je souhaite à votre fille qu'elle se rétablisse au plus vite.
— Ma fille vient de faire sa rentrée aujourd'hui, je crois qu'elle se trouve dans certains de vos cours, je compte sur votre silence concernant cette discussion Monsieur Volkov. C'est assez difficile pour elle.
Sergueï ne dissimula pas sa surprise de la savoir ici, de retour dans cette université qui lui avait causé tant de malheurs.
— C'est très courageux de sa part de revenir ici, nota-t-il.
— Si j'avais eu le choix, croyez-moi sur parole, elle ne serait pas ici aujourd'hui, répondit-il en remettant sa casquette.
Ils échangèrent une poignée de main avant que ce dernier disparaisse en refermant la porte derrière lui.
— Je suis forcé d'admettre que son histoire m'a touché, lança Jared.
En règle générale, Sergueï éprouvait que très rarement des sentiments ou de l'empathie mais à cet instant précis il dut reconnaitre qu'il rejoignait Jared. Ce témoignage ne lui avait pas apporté de nom, ni même des renseignements sur les auteurs de l'accident de Tamara mais au moins il savait qu'une autre jeune fille avait été dans la souffrance et l'était toujours.
— Je dois y aller, déclara Jared en remettant sa cravate, j'ai une réunion avec une certaine Madame Stinley.
— Tâche de ne pas la culbuter en chemin, lui dit-il avant qu'il franchisse la porte.
Jared lui décocha un clin d'œil avant de fermer la porte.
Mains dans les poches, Sergueï lâcha un long soupir puis rejeta lentement la tête en arrière en fermant brièvement les yeux puis les braqua sur l'horloge indiquant l'heure de son premier cours. Secrètement impatient, il fit craquer sa nuque avant de se diriger vers la porte et accrocha la poignée pour l'ouvrir. Il traversa le couloir sous les regards tournés vers lui. Sergueï les ignora ostensiblement, souriant intérieurement tout en gardant un visage impassible. Aujourd'hui il était sur le point de pénétrer dans un univers totalement différent et plus il touchait au but, plus Sergueï avait l'étrange sensation que cet univers lui réservait bien plus qu'une vengeance...
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