Mon enfance
Mon enfance a été dorée. Je m'en rends compte aujourd'hui. Mais je ne souhaite pas revenir en arrière.
Je passais mes journées dans les jardins de notre demeure, à Mitras. J'observais ce jardin si bien entretenu. J'étais toujours bien habillée : de belles robes, de beaux bijoux.
Une vie paisible. En apparence cependant. En réalité, les soirées mondaines faites de révérences, d'hypocrisie, de faux sourires de la part des adultes, m'énervaient.
Ce que j'appréciais c'était de passer du temps avec Walter. Le majordome de papa.
Il m'apprenait beaucoup de choses. Bien plus que mon précepteur.
Il était toujours gentil. Papa ne m'a jamais vraiment accordé du temps. Il était toujours occupé, même quand j'étais malade, il venait peu de fois me voir.
Le seul à s'occuper de moi, c'était bien Walter. Quand j'attrapais la grippe, il me faisait cette infusion avec du jus de citron, des clous de girofle, et du miel. En 24 h, j'allais mieux.
Il m'a aussi montré le livre des images de l'extérieur des murs : en secret, pendant qu'il allait rouspéter contre le personnel, il me prêtait le livre que j'essayais de lire. Le soir, en rentrant de ma promenade dans nos immenses jardins, je lui rendais discrètement.
Pour m'endormir, avant il me lisait ce livre. Puis j'ai grandi et c'est moi qui devais lui expliquer le contenu de ma lecture. Simple exercice de compréhension écrite.
Il faisait aussi du thé. Il trouvait souvent l'alchimie pour me faire déguster un thé nouveau. Mais mon préféré était le thé noir avec la menthe poivrée.
Les années passaient si vite, dans ce monde paisible. Ce qui m'importait le soir était de choisir à l'avance quelle robe j'allais mettre le lendemain.
Cependant à l'âge de 17 ans, peu à peu je vis mon père changer. Il était encore plus froid que d'habitude, me regardait de haut, et rentrait de plus en plus tard des soirées.
Lors d'une soirée chez l'un des proches du roi, il demanda soudainement à Walter : « Majordome, veuillez rentrer avec Cassandre. Je rentrerais plus tard avec votre apprenti majordome. »
Il fut surpris, tout comme moi.
Je lui demandai : « Mais papa... »
Froidement, papa me dit : « Cassandre Alba Letizia Von Diertrichtat, rentrez dans vos appartements. Il se fait tard. »Il me fusilla du regard. Walter m'invita à le suivre pour rentrer en calèche. Je lui demandai une fois dans le véhicule : « Walter... pourquoi papa est comme ça ? »
Le majordome aux cheveux de plus en plus grisonnants répondit : « Je ne sais pas Mademoiselle Cassandre. »
Il savait forcément : « Walter ! tu le sais ! dis-le-moi s'il te plait. »
Il se résigna : « Écoutez... » il s'éclaircit la voix : « Il semblerait que votre père entretienne une liaison avec une femme. »
Mon cœur loupa un battement. Mais bon. Il fallait s'y attendre. Ça faisait déjà un moment que maman était partie.
Je demandai : « Que sais-tu d'elle ? »
Il me dit : « Je n'ai que peu d'informations, je suis désolé. »
Les jours se succédèrent, et ce que m'avait dit Walter se confirma. Lors des soirées mondaines quotidiennes d'été, une femme venait se coller contre papa, le prenant par le bras. Chaque jour, papa lui offrait de nouvelles choses. En quelque sorte, ça me refroidissait. Papa la prenait par les hanches, avait le sourire. Comme il n'avait jamais été avec maman. Cette femme me regardait d'un sourire de victoire quand elle était dans les bras de papa. Elle avait les yeux noirs, le visage ovale, et une chevelure noire. Elle était très fine, mais avec des formes généreuses. Elle avait un sourire hypocrite et demandait chaque jour à mon père de la combler « d'amour ».
Voyant ma mine pensive lors d'un retour en calèche avec Walter, ce dernier demanda : « Cassandre, vous allez bien ? »Je ne répondis rien.
Walter questionna : « Que pensez-vous de cette femme ? Sandra Frolla. »
Sandra Frolla. C'était son nom, alors.
Agacée, je lui dis le fond de ma pensée : « une femme vénale. Rien de plus. »Il ricana, en réponse je le questionnai : « quoi ? »
Walter lâcha : « autre chose vous agace. Je vous connais. »
Il savait parfaitement lire en moi cet homme. Tout en regardant la pleine lune, je demandai : « Walter, à quoi ça ressemble la vie quand tu n'es pas noble ? »
Il fut surpris.
Je répondis : « je semble t'avoir surpris, vieil homme. »
Il esquissa un sourire avant de me répondre : « la vie est bien plus simple. Pas de révérences à faire. Pas de père à suivre lors de soirées embêtantes. L'idéal reste de trouver un travail convenable, et de vivre simplement. »
Je questionnai encore : « simplement ? »
Il précisa : « avoir un toit au-dessus de la tête, quelques vêtements, et surtout avoir le plaisir de savourer un bon thé noir menthe poivrée, les soirs d'hiver. »
Je conclus : « ça sonne comme un conte ce que tu me racontes. »
Le lendemain, Lord Bruth, un ami de mon père vint le voir pour discuter affaires. J'étais avec lui, sur le canapé de velours. Le lord finit par demander à mon père : « en parlant d'affaires, avec qui comptes-tu marier Cassandre ? »
Mon cœur se serra, mais il se glaça quand mon père lâcha : « eh bien, c'est comme en affaires mon ami, je la donnerais quand je serais sûr d'un bon placement et qui me rapporte un gros bénéfice. »
C'était quoi ça ? J'avais la haine simplement. La discussion dévia. Walter tendit le thé aux deux hommes, ainsi que le mien. Thé noir menthe poivrée. Il avait ajouté une touche de miel. Ça me réconfortait, je n'entendais plus les deux hommes parler. Mon cœur se réchauffait au fur et à mesure que mon esprit retournait vivre les bons souvenirs avec notre majordome.
Mais le pire fut à venir.
Un après-midi, papa nous fit convoquer moi et Walter, interrompant ma leçon de musique.
Papa était assis avec cette femme sur le canapé.
Il dit : « asseyez-vous. »
Et continue : « Voici, vous l'avez déjà vu, Sandra Frolla. Dorénavant, elle vivra ici, et deviendra mon épouse dans 10 jours. »
Je m'y attendais. Walter ne dit rien, mais beaucoup de choses passaient dans ses yeux.
Il fallait accepter.
Un mois plus tard, c'était devenu l'enfer. Cette saleté me faisait des crasses, comme me déchirer discrètement mes robes en passant prés de moi, où encore me prendre mes chaussures pour m'empêcher de me présenter aux invités. Sans chaussures, impossible de se présenter à la noblesse.
Une fois, sous les yeux de Walter, lors du thé, elle avait tiré la nappe pour faire renverser ma tasse brulante sur moi.
Papa m'avait traitée de maladroite empotée.
Heureusement je n'étais pas devenue folle, Walter à chaque fois avait tout vu, et savait que c'était Sandra qui faisait le coup. Mais il ne pouvait rien dire. Sa position ne lui permettait pas.
Le soir, Walter qui était toujours franc avec moi, en me coiffant les cheveux, m'annonça : « Cassandre. Cette femme a pour but de vous faire partir de la demeure. Peut-être d'avoir un enfant avec votre père, pour créer une lignée. »
Ça me noua la gorge. Mais il m'avait appris à être forte et faire bonne figure. Je soupirai.
Le jour fatidique arriva très rapidement, trois jours plus tard. J'avais baffé cette peste, qui avait voulu me tirer les cheveux pour me les couper. J'avais même rajouté un deuxième coup de poing, dans le nez.
Évidemment, papa était furieux et me convoqua. Walter aussi était là, au fond de la pièce.
Sandra pleurait des larmes de crocodile.
Papa m'annonça sèchement : « Cassandre. Tu vas partir de cette maison. Je n'ai plus rien en commun avec toi, tu n'as plus rien à voir avec ma noble famille. »
Walter m'avait prévenu que ça allait arriver, mais ça me cloua sur place.
Il rajouta : « pour que tu effaces tous liens avec moi, je te donnerais la somme de 20 000 pièces d'or. Et tu pourras garder tes bijoux. »
J'étais en colère. Mais je repensais au mois d'enfer qui venait de s'écouler. J'allais être libre. Je ne savais pas où j'allais aller, mais j'allais enfin connaitre la liberté.
La femme en face de moi demanda aussi : « chéri, tu devrais aussi congédier Walter, il n'a rien fait pour empêcher cette folle de s'attaquer à moi. »
Il sembla réfléchir et licencia sur le champ le vieux majordome.
Ma haine explosa : « Comment tu peux faire ça connard ? Pas à ton majordome ! »
J'avais insulté mon père.
J'allais encore l'insulter, m'avancer, crier... mais Walter se posta devant moi en acceptant sa démission.
Ce qui était autrefois mon père conclut : « vous avez jusqu'à la fin de la journée pour partir de cette demeure. Cassandre, voici votre argent, le temps que vous trouviez à un mari pour vous entretenir. » Il balança une bourse de pièces d'or sur la table. Il venait pour la première fois de me vouvoyer.
Il invita Walter à venir récupérer son salaire, dans son bureau.
De rage, je pris la bourse et partis dans ma chambre.
Je pleurai encore et encore tout en regardant ce que j'allais rajouter dans la valise. Ma brosse à cheveux, et ma trousse de toilette.
Je me regardai dans le miroir encadré d'or. Mon visage était déformé par la rage.
Je voulais devenir forte. Je repensais à ce que venait de dire mon père et une chose était sûre : je ne compterais jamais sur un homme pour m'entretenir. Je deviendrais forte, capable de travailler.
Quelqu'un cogna à ma porte. Walter annonça, la voix éteinte : « nous devons partir. »
Nous traversâmes l'immense jardin. Personne n'était venu nous dire au revoir. Le reflet de Sandra derrière une vitre laissait entrevoir un rictus diabolique.
Une vie nouvelle m'attendait à présent. Une fois en dehors de la demeure je demandai : « Où comptes-tu aller Walter ? »
Il rétorqua : « vers une vie plus simple. A Stohess. J'ai déjà prévenu un ami de notre situation. Il va nous accueillir le temps que l'on se trouve un toit décent. »
J'étais étonnée : « tu m'emmènes ? Tu ne me laisses pas me débrouiller ? »
Walter en homme ayant le sens du devoir, répondit : « Non. Votre mère aurait souhaité que je m'occupe de vous-même si cette situation arrivait. »
Je soupirai. On commanda une simple calèche pour faire le trajet.
Ce voyage signait ma nouvelle vie. Un nouveau départ, qui j'espérais serait le bon.
Je décrétai : « puisque je n'ai plus rien en commun avec les Von Diertrichtat, appelle-moi dorénavant Alba. »
Walter s'interrogea : « Alba ? Pourquoi votre deuxième prénom ? »
Je lui rappelai : « c'est le prénom que maman m'avait choisi non ? »
Il acquiesça, un sourire se dessina sur ces lèvres.
Nous arrivâmes devant une petite maison, simple, déjà caressée par la nuit.
Il conclut avant de sortir du véhicule : « eh bien Alba, bienvenue dans votre nouvelle vie.
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