Dernier amour
Il est grand temps alors de dire combien j'aime ton adolescence
Cette discrète éclipse de raison même au plus fort de l'océan quand tu m'entraînes
Bleue sur tes pentes impatientes et je me demande quand
Viendra mon silence si je t'entendrais encore rire
Dans le silence, leurs voix sonnent faux.
Harry, assis sur son lit en tailleur, le programme du cinéma à la main. Il le parcourt pensivement pendant l'appel. Gabriel l'a invité samedi. Il veut trouver un film drôle et romantique. Il veut trouver un film où ils pourront s'embrasser à un moment sans être gênés. Il a envie de faire les choses bien avec Gabriel, parce que Gabriel lui plaît.
Louis, de l'autre côté du téléphone est comme à des kilomètres, des années lumières, plongé dans un été sans fin, une autre dimension. Harry n'a pas oublié Louis. Ce qu'ils ont vécu, ce qu'ils vivent encore. L'amour comme une barre transversale plantée dans son coeur. Il n'a pas oublié. Pas vraiment. Mais il s'imagine Louis sans lui et l'imaginer lui fait mal. Ils ne sont rien de concrets. Louis doit déjà avoir d'autres amant-e-s. Louis doit déjà avoir oublié la chaleur de la peau d'Harry. Alors il se protège, il fait comme si rien n'était important, comme si le manque de Louis n'était pas terrible, chaque jour, comme s'il ne s'était pas jeté sur son téléphone en entendant l'appel.
Il est déçu pourtant, un peu. Il ne se l'avoue pas encore mais c'est cette déception qui va peu à peu faire qu'il n'appellera plus Louis. Jamais. Cet appel est seul et unique. Il entend sa voix presque sans l'écouter. Et c'est la dernière fois.
— Alors, c'est bien, tes cours ?
La voix de Louis est si lointaine. Harry hoche la tête, se rappelle soudain qu'il ne peut pas le voir. Il souffle :
— Ça va. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ?
— Oh... Pas grand chose.
Je m'emmerde. Harry enroule son doigt autour du fil du téléphone, allonge ses jambes sur le lit.
— Tu en as mis du temps avant de me téléphoner.
Trois mois. Depuis la fin de l'été.
— C'est vrai... Je ne voulais pas t'ennuyer.
Harry hoche à nouveau la tête. Il sait que c'est un mensonge. Ses yeux se perdent dans le vide. Il a mal au coeur. Il repense aux mains de Louis sur son dos. Il n'arrive plus à réaliser que tout ça a eu lieu. L'amour. L'été lui semble si loin. Tout ce qu'il a ressenti est resté dans cet été, dans le soleil et sa chaleur immense.
— Tu m'ennuies pas.
— Est-ce que tu reviens pour les vacances d'hiver ?
Harry ne perçoit pas l'espoir dans la voix de Louis. Il a l'impression que la question est détachée, qu'au fond, il s'en fout un peu de ce qu'il va répondre. Il pense aussi à l'invitation de Gabriel, la promesse d'un chalet dans la montagne, celui de ses parents. Harry n'a jamais été au ski. Harry a envie de Gabriel, sans arrêt.
— Je crois pas, non.
— D'accord.
— Tu voulais que je vienne ?
— Non, pas forcément. Tu dois avoir mieux à faire de toute façon.
Amertume qu'Harry n'entend pas. Il hésite à lui parler de Gabriel. Il repense à la façon dont Louis envisageait l'amour, libérée. Il décide finalement qu'il ne veut pas lui raconter.
Le souffle de Louis résonne dans l'appareil, quand il murmure :
— Tu penses à moi parfois ? À nous.
Le ton est hésitant. Harry ferme les yeux. Dans le silence et le noir complet de ses paupières, il a l'impression de retrouver Louis. Le sien. Celui qui le faisait trembler. Celui pour qui il aurait pu mourir. Pas cette voix si distante, à l'autre bout du monde.
— Oui... Tout le temps.
Louis ne dit pas que lui aussi. Ce sont des mots qu'il est incapable de prononcer, le plus souvent. Il tient le téléphone entre ses mains. Ses yeux sont brouillés de larmes. Le goût des médicaments lui donne la nausée. La voix d'Harry est lente.
— Je cherche dans les visages à retrouver le tien, mais je ne trouve pas.
— Je suis le seul visage qui importe ?
Une hésitation. Harry ne peut pas mentir.
— Non. Il y en a d'autres. Quelques uns. Mais aucun qui puisse me bouleverser comme le tien l'a fait.
— Je ne voulais pas te bouleverser.
Je voulais faire en sorte que tu m'aimes à t'en crever le coeur. Je voulais qu'on se crève le coeur à deux. Mais peut-être que tout seul, c'est mieux.
— Qu'est-ce que tu voulais ?
— Je ne sais pas. Je ne sais pas.
Un silence. Harry demande :
— Est-ce que c'était un rêve, nous ?
— Parfois... J'ai l'impression.
— Tu es si loin de moi. J'ai peur de t'oublier, je crois que c'est ce qui arrive.
— Je te l'avais dit.
Il n'y a aucune trace d'humour dans cette réponse. Harry secoue la tête. Il a envie de le contredire mais il sait, il sait que Louis, oui, avait raison. Il murmure :
— Pardon... Ici, le ciel est gris... Le vent me pique les joues. Il n'y a rien de brûlant. Ma peau ne transpire plus. Les corps sont lisses et froids. Je n'arrive plus, je n'arrive plus...
Louis ne répond pas. Qu'y a t-il à répondre ?
Le silence s'étale.
Les coeurs sont crevés, éventrés.
Harry ouvre à nouveau les paupières. Ses yeux tombent sur le programme du cinéma. Il se redresse lentement. Il n'aime pas entendre la voix de Louis, finalement. Il se sent triste, si triste. Il serre le téléphone entre ses doigts, il souffle quand même, c'est douloureux :
— Louis je n'aimerais jamais quiconque plus fort que toi.
Louis ferme les yeux.
Son coeur est lent.
Tous ces mots d'amours qui résonnent et sonnent creux, tous ces mots hurlants le manque et tous ces mots disant aussi l'oubli, la fin d'un monde.
Et pourtant,
Je sais Harry, je sais, j'ai su que l'été ne serait qu'un espace figé entre tes bras. Et que rien ne pourrait être sauvé.
Il ne répond pas. Harry soupire à l'autre bout du fil. Louis le devine déçu. Lassé peut-être. C'est pour ça qu'il a mis tant de temps à lui téléphoner. Il avait peur de sa voix. Il avait peur de sa voix lui parlant d'autres univers. Il avait peur de sa voix ne lui appartenant plus, ne résonnant plus au creux de sa seule oreille.
Il a eu raison d'avoir peur. Quelque chose a changé.
Il s'accroche au téléphone. Il ne pleure pas. Mais sa bouche a le goût amer de la douleur.
— Je crois que je ne serais plus là l'été prochain, murmure t-il.
Est-ce que Harry comprend ? Lui aussi, serre le téléphone. Comme s'il s'agissait de Louis qu'il voulait retenir. Mais Louis ne peut pas être retenu.
— Tu pars ?
— Oui. Je ne sais pas encore où.
— Je comprends.
Harry pleure. Il ne sait pas pourquoi. Les larmes sont salés sur sa langue. Il répète :
— Je comprends...
— Je déposerais quelque chose pour toi chez tes grands-parents.
— Pour qu'on se retrouve ?
— Oui... Pour ça.
La voix de Louis est en train de disparaître. Est-ce qu'il s'éloigne du téléphone ? Est-ce qu'il veut raccrocher ? La gorge d'Harry s'étrangle.
— On se retrouvera, hein, Louis on se retrouvera ?
Il y a un petit rire, bas. Les yeux de Louis sont clos, il souffle, c'est comme un dernier baiser :
— Bien sûr. Quelque part. Ailleurs. Les gens qui s'aiment ne peuvent pas se perdre.
Le téléphone glisse lentement de ses mains. Harry l'entend à peine murmurer :
— Et j'ai l'empreinte de ta peau sur la mienne... Tout le soleil, de ton sourire.
C'est le silence ensuite.
Un silence épais et lourd.
Harry écoute. Incapable de parler.
Il croit que Louis a raccroché.
Il le croira longtemps, jusqu'à apprendre, la vérité.
Jusqu'à tenir entre ses doigts, un an plus tard, assis sur le lit de sa chambre d'été, assis sur le lit où la peau de Louis s'était mêlée à la sienne, le journal, le journal avec tous les mots, les mots durs tendres doux les mots de la lumière éteinte dans les yeux de Louis, les mots amers les mots terribles les mots qui ne voulaient rien d'autre que s'effacer les mots qui lui disait, à lui, ne m'en veux pas. Ne m'en veux pas.
Je n'ai jamais voulu que tu me sauves de moi-même.
Tu as fait mieux.
Tu m'as aimé.
Je sais que c'était ça.
Je t'ai aimé aussi, sans le dire.
J'espère que tu l'avais compris.
Je n'ai jamais voulu que tu me sauves de moi-même.
C'était terrifiant, d'être moi, tu sais.
Entre tes bras j'avais l'impression que ce n'était plus le cas.
Ou un peu moins.
Je n'ai jamais voulu que tu me sauves de moi-même.
Je n'ai jamais voulu que tu saches.
Je voulais que tu m'aimes, de toute ton âme, je voulais
Que tu touches mon corps, sans savoir, le désastre,
Les ténèbres.
Je voulais que tu rallumes la lumière de mes veines,
Mais je savais, j'ai toujours su,
Que le ciel brûlant de l'été,
Que tes yeux verts adolescents,
Que ta peau nue collante de sel,
Que tes soupirs et tes sourires,
Seraient notre première et notre dernière fois.
FIN.
[Update du 27 août 2021] : Vous pouvez maintenant retrouver cette nouvelle dans un recueil en format papier ! Il est disponible juste ici, sur le site Lulu (https://www.lulu.com/en/en/shop/grison-juliette/ellipses/paperback/product-v2eyw2.html?page=1&pageSize=4). Le recueil contient aussi 9 autres nouvelles (Afire Love ; Un seul soleil et cet amour d'avant la fin ; Regarde Moi ; Bisogna Morire ; Hey Angel ; Just Hold On ; Neige ; Du bout des lèvres ; Ancora ; Le vide entre les vagues).
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