CHAPITRE 28 - Malheur passé

Je n'étais pas retournée dans ma chambre d'adolescente depuis un moment. Retrouver mon antre réconfortant me procure un sentiment étrange alors que je défais ma valise. Les murs couleur crème sont tapissés d'affiches et de bouts de papier en tout genre, allant d'un projet d'arts plastiques datant de la troisième dont j'étais très fière, à des tickets de cinéma, en passant par de nombreuses photos de mes amies de lycée.

Ce plongeon dans le passé me fait du bien, mais une pointe d'amertume ne cesse de se manifester dans mon esprit. De mauvais souvenirs s'accrochent à ces reliques de mon adolescence, bien que ce soit le parcours standard d'une jeune fille. Le fanion de l'université de Florence accroché au-dessus de mon bureau me serre le cœur. Je l'avais dégoté sur internet et l'avais affiché dans ma chambre juste avant de partir, fière de mon futur périple. Cela fait maintenant dix ans.

Je lâche un long soupir, tentant d'évacuer les mauvaises ondes que ce retour dans ma vie française crée. Ma mère entre dans ma chambre au même moment, un léger sourire sur les lèvres. Le bonheur qu'elle ressent à m'avoir à la maison suffit à me changer les idées et j'esquisse une petite grimace réconfortante, ne souhaitant pas être assaillie de questions d'emblée.

— Papa rentre dans cinq minutes, tu descends ?

J'acquiesce et range mes dernières affaires dans mon armoire avant de la suivre au rez-de-chaussée. Je ne suis pas aussi proche de mon père que je le suis de ma mère, mais son visage rieur et ses blagues me manquent chaque jour. Son travail prenant n'a pas toujours été compatible avec notre vie de famille, l'obligeant à faire des déplacements professionnels assez régulièrement. Pourtant, bien qu'il ait été moins présent lors de mon éducation, je ne peux lui en vouloir. Les moments passés avec lui étaient toujours agréables, même s'ils étaient moins nombreux qu'avec ma mère.

La pièce à vivre où nous nous retrouvons est assez spacieuse. Le coin salle à manger et le salon se côtoient et contribuent à créer une atmosphère chaleureuse et intime. Les murs violets témoignent encore d'un de mes caprices lorsque mes parents avaient souhaité refaire la décoration. Je les avais suppliés d'utiliser cette couleur que je jugeais être la plus belle du monde. Après de nombreuses disputes, ils avaient cédé mais s'étaient réservé le droit de choisir une nuance assez claire, offrant ainsi à la pièce une luminosité agréable. J'esquisse un petit sourire, me remémorant à quel point je pouvais être insupportable en étant ado.

La porte d'entrée s'ouvre alors, interrompant le fil de mes pensées, et laisse place à mon père. Il pénètre rapidement dans la maison et s'ébroue en claquant des dents. La pluie a décidé d'accompagner le froid aujourd'hui. Le doux soleil hivernal d'Italie me manque instantanément.

— Erin ! s'exclame mon père, un grand sourire fixé sur son visage légèrement ridé.

J'étire mes lèvres et avance vers lui, heureuse de le retrouver, lui aussi. Il se hâte d'enlever son manteau et me prend dans ses bras. À travers cette étreinte, je sens que ma mère lui a communiqué toute son anxiété et son incompréhension face aux récents changements dans ma vie. Je ne peux pas leur en vouloir, j'ai moi-même été perdue face aux décisions que j'ai prises. L'odeur de pluie émanant des cheveux gris trempés de mon père m'apaise étrangement. Cela fait tout de même du bien de rentrer chez soi.

Après un échange de banalités, nous nous asseyons tous les trois à table. Ma mère dépose un plat de purée maison et un poulet fermier rôti au four. Je souris face à ce repas typique d'un dimanche hivernal que l'on mangeait lorsque j'étais plus jeune. Chacun se sert et nous commençons à manger en silence. Je sens qu'ils ont des centaines de questions à me poser mais qu'ils ne savent pas par où débuter. J'essaie de me détendre, sachant pertinemment que je ferai face, tôt ou tard, à un interrogatoire. C'est avec l'arrivée du fromage que mon père prend enfin la parole.

— Alors, ma chérie, parle-nous de tes vacances.

Qu'il qualifie ma fuite vers un espoir de bonheur en Italie de vacances m'arrache un sourire. Même si je tente de relativiser depuis mon retour auprès de mes parents, je ne peux empêcher mon cœur de rater un battement. Que vont-ils penser de tout cela ? Vont-ils me trouver folle ? J'inspire lentement et me convaincs que quoiqu'ils puissent penser, il n'appartient qu'à moi de construire mon bonheur.

— Ce n'était pas des vacances, Papa, réponds-je d'un ton calme mais ferme. J'ai fait, je pense, ce que l'on appelle un burn-out. Ma vie parisienne ne me plaisait plus. Ni mon travail, ni ma vie avec Ben ne me rendaient heureuse.

Ces premières paroles résonnent dans la pièce de vie silencieuse. Cette explication à voix haute me permet aussi de prendre conscience de ce que ces dernières semaines m'ont réservé. La réalité ne peut plus m'échapper.

— J'ai... pété un câble, je ne vais pas vous le cacher. J'avais besoin d'évacuer ce mal-être qui me bouffait et j'ai retourné mon appartement.

Du coin de l'œil, je vois ma mère acquiescer lentement, un air sérieux sur le visage.

— J'ai retrouvé une lettre vieille de dix ans en rangeant mes affaires le lendemain. Une lettre de Milo.

Leurs visages se renfrognent instantanément. Ce prénom, ils l'ont maudit autant que je l'ai chéri. Les souvenirs de mon retour en France d'il y a dix ans envahissent mon esprit et je sens mes yeux s'embuer. Je secoue légèrement la tête, souhaitant terminer mon récit à tout prix.

— Il ne m'a jamais abandonné, murmuré-je, la gorge serrée. Il m'a envoyé une lettre pour me dire qu'il changeait d'adresse mais je ne l'ai jamais vue.

Alors que ces mots quittent ma bouche, je tente de trouver une once d'empathie dans leurs regards, mais j'y trouve beaucoup de scepticisme. J'avale difficilement et poursuis.

— J'ai décidé de partir à sa recherche.

Mon père inspire bruyamment et serre les poings. Je tente d'en faire abstraction et regarde ailleurs.

— Je l'ai retrouvé. Nous nous sommes retrouvés. Maintenant, nous sommes ensemble... et j'en suis heureuse.

Je repose mon regard sur mes parents qui luttent intérieurement. Je vois les traits de ma mère s'adoucir et s'apaiser. Lors de notre dernière conversation, elle m'avait fait comprendre qu'elle ne souhaitait que mon bonheur et je lui en avais été infiniment reconnaissante. Le souvenir que Milo m'avait laissé il y a dix ans l'avait longtemps hantée et voir qu'elle accepte mon bonheur avec lui me réchauffe le cœur.

Mon père, en revanche, me fixe durement. Je sais qu'il s'était senti impuissant devant ma douleur il y a une décennie et cela ne l'a jamais quitté. L'impossibilité d'aider sa fille l'avait bouffé. J'espérais que me voir heureuse aujourd'hui suffirait à lui faire oublier la cause de mes vieux malheurs.

— Tu es en train de nous dire que cet homme est la réponse à ton bonheur présent alors qu'il a été la cause de ton malheur passé ?

J'acquiesce, le choix de ses mots me percutant de plein fouet.

— Il ne savait pas, Papa. Il ne le sait toujours pas.

Ses sourcils se froncent et il fixe son assiette d'un air absent, plongé dans ses souvenirs.

— Il a souffert, lui aussi.

— Tu devrais lui dire, Erin. Qu'il prenne au moins conscience des conséquences de son absence, lâche mon père avant de se lever de table.

Le voir s'éloigner de moi me serre le cœur mais je le comprends. Je lance un coup d'œil vers ma mère dont le visage est traversé de quelques larmes. Je baisse les yeux sur mon assiette et laisse, une nouvelle fois, ces douloureux souvenirs m'habiter pleinement.  

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Bonjour à tous ! 

Ça fait très longtemps... Et j'en suis désolée ! 

Très honnêtement, j'ai toujours du mal à être régulière dans mon écriture. Je me laisse guider par mon inspiration et je n'essaie pas de me forcer à écrire. 

J'espère, en tout cas, que ces retrouvailles avec mes petits personnages ne seront pas trop "violentes" et que vous vous souvenez d'où on en était ! On se rapproche de prochaines révélations qui, je l'espère, ne tarderont pas à être publiées... 

Je vais faire de mon mieux :)

En attendant, j'ai hâte d'avoir vos retours !

J'espère que ce troisième confinement se passe relativement bien pour vous <3

- Clara

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