CHAPITRE 25 - Face à face

I guess it's funnier from where you're standing
'Cause from over here I missed the joke
Clear the way for my crash landing
I've done it again
Another number for your notes

- Clown, Emeli Sandé


— Ce n'est pas de l'amour, c'est de l'obsession ! m'exclamé-je en le pointant du doigt.

Mon ex-fiancé en profite pour me saisir le bras et me tirer vers lui sans pour autant me retenir. Je trébuche et tombe à terre, m'écorchant les mains sur les graviers. Les larmes me montent à nouveau aux yeux et j'essaie de me relever au moment où je vois Ben et Milo se précipiter l'un sur l'autre. Un cri s'échappe de ma gorge enrouée alors que l'homme que j'aime et que j'ai toujours aimé se prend un puissant coup de poing dans la mâchoire. Mais, avant que je ne puisse me remettre de mes émotions, Milo reprend ses esprits et une bagarre se déclenche.

J'ai soudainement l'impression que l'obscurité de la nuit m'enveloppe et m'emprisonne, me rendant impuissante. Ma respiration s'accélère et je commence à voir flou. La peur de ne pas pouvoir échapper à la colère de Ben et à sa présence me comprime le cœur. J'ai l'impression qu'un inconnu a pris possession de son corps et qu'il est en train de devenir fou. Il n'a jamais été du genre violent et, bien que la jalousie puisse rendre certaines personnes complètement marteaux, elle ne justifie pas ces actes.

Je me sens trahie et trompée. La personne avec qui j'ai projeté de me marier est en fait cet homme violent et aveuglé par la colère ? N'est-ce pas, en réalité, qu'une question d'égo ? Je tente de réguler ma respiration afin de me relever sans tituber. Je prends appui sur mes mains écorchées et me remets debout.

Je marche à l'aveugle vers les deux hommes et m'aperçois rapidement que Milo s'applique à éviter les coups de Ben, sans jamais ne lui rendre. Il finit par saisir les deux bras de mon ex-fiancé et l'immobilise. Milo plonge son regard noir dans celui, orageux, de Ben, et marmonne quelques mots.

— Je comprends ce que tu peux ressentir, mais agir comme ça ne lui prouve pas que tu l'aimes.

Le corps de mon ex-fiancé se tend, visiblement interpellé par ce que Milo vient de lui dire.

— Regarde l'état dans lequel tu te mets, continue-t-il. Tu penses vraiment que c'est une question d'amour ? Laisse-la être heureuse et permets-toi de l'être aussi. Vous êtes toxiques l'un pour l'autre.

Autant touchée par ces mots que l'est Ben, je m'avance doucement, sentant que l'atmosphère se décharge en électricité. Je vois les muscles des deux hommes se détendre et ils finissent par s'éloigner l'un de l'autre.

— Vous avez besoin d'avoir une discussion, déclare Milo. Écoutez-vous et comprenez-vous.

Les mots pleins de sagesse sortant de sa bouche me réconfortent autant qu'ils me surprennent. Je suis entièrement d'accord avec ce qu'il demande, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'applique pas lui-même ses conseils. Milo et moi avons également besoin d'avoir une discussion, beaucoup plus longue que toutes celles que nous avons eues jusqu'à présent.

Les yeux bleus de Ben, auparavant orageux, s'éclaircissent et retrouvent leur teinte plus originelle d'un bleu turquoise que j'adorais admirer à longueur de journée. Les traits de son visage sont tirés et des cernes profonds l'habitent. Ma colère s'apaise en apercevant l'état de fatigue dans lequel il se trouve. Je m'assois sur le banc et attends qu'il fasse de même. J'aperçois Milo rentrer dans la maison sans faire de bruit afin de nous laisser seuls face à nos problèmes et nos rancœurs.

Un lourd silence s'abat entre nous et nous passons sûrement une bonne dizaine de minutes l'un à côté de l'autre sans nous adresser un geste, un regard ou une parole. Poussée par un frisson, je me jette à l'eau et entame la conversation.

— Comment m'as-tu retrouvée ?

Ma voix rauque résonne dans la grande cour. Je m'autorise un coup d'œil sur le visage de mon ex-fiancé et le vois souffler doucement.

— Je n'en suis pas fier, me répond-il presque en chuchotant.

Son regard fatigué m'agrippe et me happe dans la souffrance qui l'habite.

— Ta mère m'a appelé pour me dire qu'il fallait que je lâche l'affaire. Je ne l'ai pas accepté.

Je ne réponds pas et acquiesce. Ma mère, qui s'entendait extrêmement bien avec lui, avait su prendre les devants et choisir de me faire confiance.

— J'ai demandé à un ami qui s'y connaît en informatique de géolocaliser ton téléphone.

Aucun son ne sort de ma gorge, abasourdie par ses révélations. J'ai conservé ma carte SIM pour avoir les numéros de téléphone de ma famille, mais ça m'a plus desservi qu'autre chose, apparemment.

Je lâche à mon tour un soupir. Quand j'ai pris la décision de tout quitter, je savais qu'il allait y avoir des conséquences mais je ne pensais pas que ça irait aussi loin. La honte s'insinue en moi. Toute cette souffrance, celle de Milo, de Ben, de ma mère... tout est de ma faute. Mon égoïsme sans pareil m'a aveuglé et, bien que ça ait été bénéfique pour ma propre santé mentale, je ne peux plus me contenter d'ignorer le malheur des autres.

— Je suis désolé de débarquer comme ça Erin, mais je devenais fou... murmure-t-il avant de se prendre la tête entre les mains.

Ma gorge se serre et les larmes me montent, une nouvelle fois, aux yeux. Je n'arrive pas à sortir un mot, quel qu'il soit, et reste douloureusement silencieuse.

— Qui est cet homme ? Qu'est-ce que tu fais ici ? J'ai besoin de réponses, Erin, ça me hante.

Je déglutis difficilement. J'ai beau être en colère contre lui et ses actions, je lui dois quand même des explications. Même si nous n'étions pas amoureux, du moins pas comme nous le pensions, nous étions attachés l'un à l'autre. Nous étions des partenaires. Partir du jour au lendemain après une dispute était du pur égoïsme et je le savais pertinemment. Je ne me rends compte que maintenant que je l'ai atrocement fait souffrir.

— C'est Milo, mon amour de jeunesse.

Je le sens se raidir. Je suis consciente qu'entendre ça doit attiser le feu de sa peine et de sa jalousie, mais je lui dois la vérité.

— Écoute, Ben... commencé-je prudemment. Je suis désolée de la façon dont j'ai fait les choses. J'avais beaucoup de colère en moi et j'ai appris il y a peu qu'un simple malentendu nous a fait perdre contact, Milo et moi.

Je m'arrête, ma voix perdant son assurance au fur et à mesure que je me remémore cette fameuse nuit où ma vie de trentenaire a pris un autre tournant. J'inspire un grand coup, puisant du courage dans l'air frais de la campagne italienne.

— Je n'étais pas heureuse et je suis désolée de ne pas m'en être rendue compte plus tôt, murmuré-je, des sanglots dans la gorge. Mon malheur a déteint sur notre relation et je n'ai pas su te faire comprendre ce qui n'allait pas entre nous.

— Et qu'est-ce qui n'allait pas ? demande-t-il aussitôt, visiblement vexé par mes paroles.

— On n'a jamais vraiment été sur la même longueur d'onde... On comptait se marier sans jamais avoir vécu ensemble, on ne s'écoutait pas, commencé-je à répondre.

— Ce qui n'allait pas, Erin, c'est que tu ne m'as jamais aimé.

Je déglutis à nouveau, ses paroles s'abattant sur moi avec force. Il a raison et j'en ai conscience depuis un petit moment maintenant. J'ai eu une profonde affection pour lui mais je n'ai jamais ressenti de l'amour pour Ben, du moins pas aussi fort que pour Milo. Je lève les yeux vers le ciel qui commence à se parer de lumières rosées et soupire longuement. Avant que je ne puisse répondre, Ben reprend la parole.

— Tu l'aimes ?

Son ton, auparavant empreint de douleur et de fatigue, est devenu froid. Ces quelques mots forment plus une accusation qu'une question et je ne sais pas si je dois le lui avouer. Bien sûr que oui j'aime Milo. L'amour que je ressens pour lui reposait silencieusement depuis dix ans au fond de mon cœur. Ce regain de sentiments pour cet homme qui occupe mon esprit chaque jour est différent de quand nous avions vingt ans, mais il n'en est pas moins puissant. J'ose espérer qu'il en est de même pour Milo, mais à cet instant, je ne peux me reposer que sur ce que je ressens.

J'acquiesce, ne parvenant pas à sortir un son de ma bouche. Ben se prend la tête entre les mains et expire longuement.

— J'ai l'impression qu'on ne vivait pas la même relation, toi et moi, murmure-t-il. Je t'aimais et je t'aime toujours. Visiblement, ce n'était qu'à sens unique...

Surprise par ces paroles, je ne bouge pas d'un pouce. Je ne pensais pas qu'il me portait autant d'amour. Se peut-il qu'il se voile la face, plus blessé dans son égo qu'autre chose ? Ou ai-je été aussi aveugle que ça pendant ces trois années ?

Il se relève et essuie rageusement quelques larmes de ses joues. Il me fait face et je ne peux ignorer l'air de dégoût qui habille son visage et ses prunelles bleues.

— Tu es un poison pour moi, Erin. Pendant trois ans, tu m'as mené en bateau. J'étais prêt à m'engager à vie avec toi. Pourquoi as-tu accepté de m'épouser si tu ne m'aimais pas ? crache-t-il, la colère ayant regagné son corps.

— Je ne sais pas, j'en avais envie sur le moment... marmonné-je d'une voix presque inaudible.

— C'est la bague, c'est ça ? Je me doutais qu'elle était bien trop chère pour toi...

Était-il en train de dire que je n'étais avec lui que pour son argent ? Je me relève du banc et m'approche de lui, prête à entamer un nouveau round de cette discussion.

— Regarde autour de toi, Ben. Est-ce que tu as l'impression que Milo roule sur l'or ? Ne prends pas la peine d'y réfléchir, la réponse est non. Il est même atrocement endetté. Tu crois vraiment que je ne m'intéresse qu'à l'argent ? Qu'est-ce que je ferais ici, dans ce cas ?

Ben ne répond pas et se contente de me lancer des éclairs à travers son regard. Je le sens atrocement blessé et cette colère est, pour lui, son seul moyen de se défendre et de se protéger.

— Je ne méritais pas ça, se contente-t-il de dire.

— Je suis d'accord, avoué-je.

Il recule de quelques pas en direction de sa voiture mais ne me quitte pas des yeux. Je ne souhaite pas le retenir. L'affection que j'éprouve toujours pour lui me pousse à le faire partir, à le laisser se chercher et trouver, à son tour, le bonheur.

— Sois égoïste, Ben. Arrête de penser à moi, à la peine que je t'ai infligée, même si c'est dur. Pense à toi, à ce que tu veux et à ce qui est bon pour toi. Ton bonheur, ce n'est pas moi.

Il acquiesce doucement et je vois son regard s'adoucir à mesure que mes paroles s'insinuent dans son esprit. Nos yeux se connectent un instant et nous semblons être sur la même longueur pour, peut-être, la première fois. Ses prunelles bleu océan me transmettent quelques ultimes ondes de tendresse et de peine. Chamboulée par son attitude plus apaisée, je ne le quitte pas du regard.

Il se tourne alors, après de longues minutes de silence, et marche lentement vers sa voiture. Sans un coup d'œil en arrière, il monte dans l'habitacle et démarre le moteur. Il fait une manœuvre et passe devant moi avant de s'engager sur le chemin blanc. Sa voiture, légèrement éclairée par les premières lueurs du soleil, s'éloigne et se fait de plus en plus petite. Au bout de quelques instants, je ne la distingue plus.

Je lève alors les yeux sur le magnifique lever du jour, l'étoile émergeant derrière les vignes. Les doux rayons éclairent les feuilles naissantes des pieds de vigne et font luire les perles de rosée. J'ai presque l'impression de renaître, comme ce nouveau jour.

Milo sort silencieusement de la maison et vient se placer à mes côtés. D'une douceur sans pareille, il glisse ses doigts entre les miens et admire la beauté de ce spectacle naturel.

— C'est terminé, annoncé-je d'une voix claire.

Pour une fois, nous sommes tous les deux profondément apaisés. 

___

Bonsoir !

On se retrouve avec un chapitre lourd, plus long que d'habitude et rempli de rancoeurs...

J'espère vraiment que ce chapitre vous aura un peu fait changer d'avis à propos de Ben. Je ne voulais pas qu'il soit un personnage qu'on peut détester parce qu'il est foncièrement mauvais. Ce n'est pas le cas, du moins c'est ce que je voulais montrer. Beaucoup de souffrance, de déception, amènent parfois les gens à réagir de façon excessive... Ce n'est pas excusable, mais c'est humain. 

Comment avez-vous trouvé Erin ? De son côté, elle a été un peu perdue aussi. C'est dur d'affronter un ex, surtout quand il vous en veut à mort... 

On ne voit pas beaucoup Milo ici, il me semblait important que la discussion ne se fasse qu'entre Erin et Ben. 

Et, une fois n'est pas coutume, on finit le chapitre sur une bonne note ! Jusqu'à quand ? ;)

J'espère honnêtement que ce chapitre vous aura plu, j'ai un peu peur de vos ressentis j'avoue haha 

Je vous remercie encore et toujours de votre fidélité ! Je ne m'en aperçois pas trop, mais il y a de plus en plus de vues et je vous en suis vraiment reconnaissante ! Je suis très touchée de voir que l'histoire vous plaît :)

Je vous souhaite une bonne nuit ! 

- Clara

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