CHAPITRE 22 - Gelées

Run
I'm tired but I can't sleep
'Cause they're waiting for me
These bad dreams are more than true
And they'll get you

- Bad Dreams, Faouzia


Montepulciano, le 9 mars 2020

— J'ai besoin de comprendre, Erin. Ce n'est pas ton genre de fuir les responsabilités comme ça !

Je ne peux empêcher un long soupir de traverser mes lèvres. Assise sur mon lit telle une enfant qui se fait gronder, j'écoute à moitié les plaintes et supplications de ma mère à travers le téléphone. Je pensais avoir été claire la dernière fois. Je cherche mon bonheur.

— Maman... Je te rappelle que j'ai trente ans. Je fais ce que je veux de ma vie personnelle et professionnelle.

Je sais que dire ça la blesse. Elle a toujours été fortement impliquée dans ma vie et les choix que j'ai faits tout au long de cette dernière. C'est la première fois que j'agis sans lui en parler avant. Je suis consciente que cela contribue à l'éloigner de moi, mais j'avais besoin d'être isolée de tous les membres de ma vie afin de mieux me reconstruire. Consciente que je ne peux pas lui balancer cela dans la figure, j'essaie de temporiser la conversation.

— Je te l'ai déjà dit, j'avais besoin de recul. Je suis actuellement très heureuse, même si ça peut te sembler absurde.

— Bien sûr que c'est absurde ! Comment veux-tu que je comprenne si je ne sais pas où tu es ni ce que tu fais ? D'autant plus que tu laisses ton appartement dans un état lamentable ! s'exclama-t-elle, presque scandalisée.

— Maman, je te rappelle que...

— Oui, je sais ! Tu es une adulte, tu fais ce que tu veux, marmonne-t-elle, agacée.

Je soupire une nouvelle fois. Cela a toujours été compliqué de batailler avec ma mère. Parfois, j'ai l'impression d'être plus mature qu'elle. Il est vrai qu'après mon année en Italie, je lui ai donné du fil à retordre, mais cela fait maintenant dix ans. Il est temps qu'elle lâche prise, comme je l'ai fait.

— Je ne comprends pas, répète-t-elle. Tu adorais ton boulot... Tu voulais te marier avec Ben... Tu avais une superbe vie à Paris... Je pensais réellement que tu étais épanouie, Erin.

— Je ne me rendais pas vraiment compte que je ne l'étais pas, il a juste fallu un déclic pour que je décide de tout changer, expliqué-je du mieux que je peux.

— Mais j'aurais dû me rendre compte que quelque chose n'allait pas... murmure-t-elle, plus pour elle-même que pour moi.

Sa voix transpire de culpabilité et mon cœur se serre. Faire souffrir ma mère est bien la dernière chose que je veux faire.

— Ce n'est pas ta faute, Maman. Ne le pense surtout pas, je t'en supplie.

J'obtiens pour seule réponse un sanglot étouffé. Je retiens ma respiration, mon palpitant tambourinant contre ma poitrine. À cet instant précis, j'ai plus qu'envie de prendre ma mère dans mes bras et de la serrer fort contre moi. Nous avons toujours été proches et la distance que j'ai instaurée entre elle et moi contre son gré commence à me peser.

— Si tu es heureuse, c'est le principal, ma chérie.

C'est à mon tour de réprimer un sanglot. Mes yeux se remplissent de larmes et mes pupilles commencent à se noyer à mesure que ma gorge se contracte douloureusement.

— Je le suis, avoué-je d'une voix tremblotante.

Un silence apaisant s'installe, nous laissant le temps de nous ressaisir. J'entends ma mère toussoter afin de s'éclaircir la voix.

— Est-ce que tu as besoin que je fasse quelque chose pour toi ?

Mon cœur se réchauffe et se remplit d'amour pour cette femme qui a toujours pris soin de moi et qui continue à le faire même si elle ne comprend pas entièrement la situation. J'essuie une petite larme rebelle qui coule le long de ma joue et secoue doucement la tête.

— Oui, prépare ma chambre à la maison. Je vais bientôt rentrer pour rendre mon appartement. Si tu le veux bien, je séjournerai chez vous.

Même si c'est impossible, je l'entends sourire à l'autre bout du fil.

— Avec plaisir, ma chérie.

Après avoir échangé quelques autres paroles, je raccroche, sereine. Cette conversation m'a fait peur pendant des jours mais, au final, elle m'a plus apaisée qu'autre chose. Je n'aurais pas dû douter de ma mère et de sa réaction. Sa capacité à m'aimer et me soutenir quoiqu'il arrive m'impressionnera toujours.

Je prends quelques minutes pour me remettre de mes émotions et sors de la chambre à la recherche de Milo. Le salon est vide et atrocement silencieux. Je retourne dans le long couloir afin de vérifier s'il n'est pas dans sa chambre. Cette porte est fermée. En revanche, celle menant à l'escalier est entrouverte et me laisse deviner que mon hôte s'est réfugié à l'étage.

Normalement, Milo ne sait pas que je suis déjà allée au premier étage de sa maison par moi-même. Je ne sais même pas s'il y est monté depuis mon arrivée ici. Dois-je interpréter cette ouverture comme une invitation à le rejoindre ? Peut-être s'est-il décidé à me parler de cette chambre d'enfant aux allures de sanctuaire ? Ou alors, c'est un simple oubli de sa part et il souhaite être seul un instant.

La curiosité, qui me dessert bien trop souvent, me pousse à m'engager dans les escaliers. Un mauvais pressentiment me serre la gorge et je ne peux résister à retrouver Milo. Arrivée sur le palier, je jette un coup d'œil furtif au couloir sombre. La porte du bureau est ouverte et laisse filtrer la lumière du soleil couchant. Celle de la chambre d'enfant, en revanche, est fermée. Ce n'est visiblement pas pour aujourd'hui.

Je m'avance alors doucement vers la première pièce occupée par Milo et passe ma tête dans l'embrasure de la porte.

Assis derrière le bureau poussiéreux, une tablette illuminée devant ses yeux, je le vois se prendre la tête dans les mains. Il lâche un juron et se laisse retomber contre le dossier du vieux fauteuil de cuir, ses prunelles chocolatées rivées au plafond.

Je m'approche doucement, la peur qu'une mauvaise nouvelle ne vienne ébranler cet homme me tordant l'estomac. Je pose une main sur son épaule et, sans dire un mot, jette un coup d'œil à la tablette qui ne s'est pas encore mise en veille.

Un bulletin météo se fait voir sur l'écran. De prime abord, rien d'alarmant. Ce n'est pas un drame qu'il fasse mauvais temps les prochains jours. Mais, l'attitude de Milo m'intime de regarder plus en détail ce que prévoient les météorologues.

Mon cœur se serre lorsque les pièces du puzzle s'assemblent dans mon esprit. Je parviens à déchiffrer les quelques mots italiens qui indiquent, noir sur blanc, qu'une vague de froid est annoncée pour les prochains jours et qu'il faut s'attendre à des gelées. Mon regard se fixe sur les iris perdus de mon hôte. Le brun de ses yeux est noyé sous des larmes naissantes.

Les vignes vont geler. Quelques jours de mauvais temps vont réduire un travail de longue haleine.

Milo relève la tête et les traits de son visage, tordus par l'inquiétude, me trouent le cœur. Il fixe, d'un air fataliste, les nombreuses factures étalées sur le bureau. Un seul coup d'œil me suffit à me rendre compte que ses parents lui ont laissé un gouffre de dettes et qu'il parvient difficilement à survivre depuis huit ans.

— Si je ne peux pas faire la récolte de cette année... murmure-t-il presque pour lui-même, je devrais vendre le domaine.

Ces mots, durs comme de la pierre, s'abattent sur moi. Non. Je ne peux pas le laisser faire ça. Inconsciemment, je resserre ma poigne sur son épaule. Ses billes chocolatées se posent sur mon visage. Je baisse doucement les yeux et perds presque pied, frappée par la douleur et le désespoir que je décèle dans ces prunelles que je chéris tant.

Alors, d'une voix intérieure, je m'engage à l'aider financièrement, même s'il l'ignorera pendant un moment. Le connaissant, il refusera mon aide et ce n'est pas une option. Je ne peux pas le laisser perdre l'héritage de ses parents. Mon activité de freelance me permettra de mettre de l'argent de côté pour le réinjecter dans le domaine.

Ma décision prise, je lui caresse doucement la joue, comme il l'a fait de si nombreuses fois avec moi. Ses paupières se ferment, accueillant ce geste de réconfort avec gratitude.

— Ça n'arrivera pas, fais-moi confiance. 

___

Bonjour ! 

Je pense que je vais abandonner l'idée d'être de nouveau régulière dans mes publications... D'autant plus que dès lundi, je commence à travailler (enfin) et que j'aurais donc beaucoup moins de temps pour écrire. Je m'excuse d'avance pour tout ça, les chapitres vont sûrement se faire un peu trop désirer... :/

Mais, concentrons-nous sur celui-ci ! Qu'avez-vous pensé de la discussion d'Erin et sa mère ? Je sais que vous vous attendiez à du drama, mais non ! On a un petit rabibochage ici ;)

Par contre... Que pensez-vous de la situation de Milo ? Des vignes et de la menace qui plane sur le domaine ? 

Et qu'en est-il de la décision d'Erin de l'aider financièrement ? Est-ce qu'elle fait un bon choix ? 

Merci de votre fidélité, encore et toujours ! Vous faîtes vivre cette histoire <3

- Clara

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