CHAPITRE 11 - Les sarments de la vigne
There's no way that it's not going there
With the way that we're looking at each other
There's no way that it's not going there
Every second with you I want another
- There's no way, Lauv ft Julia Michaels
Un bruit de moteur désagréable me réveille. La tête enfouie dans l'oreiller moelleux aux douces odeurs de lavande, je lève une paupière et ne reconnais pas tout de suite mon environnement. Il me faut quelques minutes pour me resituer et réaliser que j'ai dormi sous le même toit que Milo. Je me mets en position assise dans le lit, mon corps quittant à contrecœur la chaleur délicieuse de la couette. Je me frotte les yeux et pose un pied sur le parquet froid avant d'attraper rapidement mon pull de la veille pour l'enfiler, soudainement parcourue d'un frisson.
Je sors de la chambre, hésitante. Milo ne m'a pas indiqué la salle de bain hier soir et j'ai complètement oublié de lui demander où elle se trouve, nos retrouvailles m'ayant chamboulée. Je longe le couloir faiblement éclairé par la lumière du jour et atterris dans la grande pièce de vie. Je m'avance vers la cuisine et remarque qu'il n'y a personne. Tant mieux, je ne voulais pas que Milo me voie dans cet état. Je jette un coup d'œil par la fenêtre qui trône au-dessus de l'évier et aperçois un tracteur engagé sur un petit chemin en direction des vignes. Je devine la présence de mon hôte dans la cabine. Bien entendu, mon arrivée ne l'empêche pas de travailler et c'est normal.
Je l'observe disparaître de mon champ de vision et porte mon attention sur la table de la cuisine où une boite de céréales est sortie. Il y a aussi un petit post-it à côté d'un bol blanc où l'écriture de Milo apparaît : « Le lait est dans le frigo. La salle de bain est au fond du couloir. »
J'esquisse un sourire. A-t-il lu dans mon esprit avant d'écrire ce mot ? Cette petite attention me touche. Il aurait pu me laisser me débrouiller toute seule. Est-ce seulement de la politesse ou l'envie de prendre un minimum soin de moi ? Je me projette sûrement un peu trop, Milo a toujours été généreux. Peut-être ne souhaite-il simplement pas que je fouille sa maison ? Cette dernière possibilité me semble un tantinet plus plausible mais j'essaie de ne pas me l'avouer.
Je prends mon petit-déjeuner dans le calme, puis fais rapidement la vaisselle. Je retourne ensuite dans la chambre pour attraper mes affaires de toilette et vais jusqu'au bout du couloir pour, en effet, tomber sur la salle de bain. Elle est simple, composée d'une baignoire, de deux vasques et des toilettes. Il n'y a pas de décoration particulière, seuls quelques produits cosmétiques pour homme me confirment à nouveau que Milo habite seul. Je ne peux m'empêcher de sourire face à cette observation. Il ne semble plus être avec la jeune femme que j'ai vue sur la photo de son compte Instagram hier soir. Ou alors est-ce seulement temporaire ? Je chasse à nouveau ces pensées noires et me concentre sur le miroir en face de moi.
Je me prépare longuement, ne sachant pas si je dois me faire particulièrement « belle » pour Milo. Je ne veux pas qu'il remarque que je fais tout pour le séduire, pas tout de suite. J'arrive à me convaincre que je veux entretenir un certain mystère, comme une femme fatale, mais la vérité est toute autre. Son regard triste que j'ai aperçu hier soir m'apparaît en boucle dans mon esprit. Il s'est passé quelque chose dans sa vie. Quelque chose qui l'a profondément fait souffrir, et je doute que ce soit mon silence, même si cela semble l'avoir affecté. Peut-être cette femme brune en est l'origine ? Quoiqu'il en soit, je ne sais pas si son cœur est brisé et je ne souhaite pas jouer avec lui.
Je porte tout de même une attention particulière à ma coiffure. Je laisse mes mèches blondes dessiner quelques vagues autour de mon visage et me maquille très légèrement. J'enfile ensuite un jean et un pull bien chaud, il fait un froid de canard ici. Une fois prête, je me dirige vers l'entrée, attrape mon manteau et sors de la maison.
La beauté des lieux me frappe de plein fouet. Hier soir, je n'avais pas mesuré à quel point cet endroit était exceptionnel. Les graviers blancs de la cour s'harmonisent bien avec les pierres anciennes qui composent les bâtiments de ce domaine. Je me retourne pour admirer la façade. Du lierre semble l'avoir envahie et grimpe jusqu'à la toiture. Je n'ai visité que le rez-de-chaussée de la maison et n'ai pas aperçu d'escalier, mais il y a un étage qui semble avoir la même superficie. À la base de l'édifice, des parterres de buissons taillés me laissent imaginer les nombreuses fleurs qui doivent apparaître dès le premier jour du printemps. J'avance doucement vers le puit et m'assois dessus. De l'autre côté de la cour, les vignes s'étendent à perte de vue sur des petites collines bordées d'arbres dépourvus de feuilles. J'aperçois au loin le tracteur de Milo sur le même chemin en sens inverse. Il s'arrête et descend de l'engin pour entrer dans les vignes.
Je me lève, quittant la pierre froide du puit, et m'engage dans ce petit chemin, mes bottes s'enfonçant dans la terre molle. Cette journée est déjà ensoleillée et je ne peux m'empêcher de fermer les yeux un instant pour profiter de la chaleur de cette boule lumineuse sur ma peau. Un léger vent frais m'oblige toutefois à protéger mes mains dans mes poches. Je m'autorise un petit sourire. Cet endroit est si apaisant.
J'arrive à côté du tracteur et jette un coup d'œil dans la rangée de vignes où j'ai vu Milo entrer plus tôt. Je le vois, armé d'un sécateur, penché sur un plant. Il a revêtu sa polaire et porte des gants qui me donnent bien envie. Je m'approche doucement de lui, faisant craquer quelques petites branches sur le sol. Il se retourne vivement vers moi et interrompt son travail.
— Salut, lancé-je timidement.
Ce n'est vraiment pas dans mes habitudes d'être timide, mais Milo a toujours été le seul à me rendre ainsi. J'ai l'impression de me retrouver dix ans en arrière, fascinée par cet homme que je ne connais plus.
— Salut, me répond-il simplement.
Il me regarde curieusement. Se dit-il que je l'aurais attendu patiemment chez lui ?
— Qu'est-ce que tu fais ? demandé-je subitement.
Durant notre idylle il y a dix ans, Milo m'avait dit que ses parents avaient un domaine viticole mais il ne m'en avait jamais parlé en détails. Je ne savais pas qu'il éprouvait un intérêt pour le travail agricole en général, donc le voir se lever aux aurores pour arpenter ses rangées de vignes me surprend plus que je ne souhaite lui avouer. Il esquisse un petit sourire amusé, celui qu'on a quand on sait qu'on va apprendre quelque chose à une personne qui n'y connaît rien.
— Je commence à tailler mes vignes.
Bien sûr, j'aurais pu le deviner. C'est évident après tout.
— C'est bientôt la fin de l'hiver, donc je vais être assez occupé avec ça cette semaine, ajoute-t-il.
Je parviens à cacher ma déception comme une pro, lui faisant un sourire à mon tour.
— Tu as besoin d'aide ?
Ma question le surprend. À mon plus grand bonheur, son rictus s'agrandit et j'aperçois sa canine rebelle.
— Oui, pourquoi pas ! Il y a un deuxième sécateur dans le tracteur.
J'acquiesce et vais chercher l'outil rapidement. Je le rejoins en trottinant et le laisse m'expliquer comment repérer les sarments afin de les couper. J'essaie de l'imiter et suivre ses instructions, ne voulant pas abîmer le fruit de son travail. Nous travaillons ainsi pendant une petite demi-heure. Le silence qui nous enveloppe n'est pas aussi gênant qu'hier soir, il est apaisant. J'ai l'impression d'être connectée à lui, à travers son travail, et de redécouvrir cet homme. À mon plus grand étonnement, c'est lui qui brise la glace en premier.
— J'apprécie ta compagnie, Erin, mais je pense qu'il est légitime que je te demande ce que tu comptes faire ici ?
N'a-t-il toujours pas compris ? Je me cache tant bien que mal derrière les vignes, les yeux baissés sur mes mains. Toutes ses questions sont en effet légitimes, mais qu'il les pose me blesse. N'a-t-il pas envie de me redécouvrir, lui aussi ? Je ne réponds pas tout de suite, ne sachant pas si je dois lui dire la vérité ou inventer un mensonge qu'il ne croira probablement pas.
— Très bonne question, commencé-je pour gagner un peu plus de temps. Je... J'ai besoin de me ressourcer.
Je vois ses sourcils se froncer. Il n'y croit pas une seconde mais ne le dit pas. Il ne me demande pas non plus pourquoi j'aurais besoin de me ressourcer et n'essaie pas de me coincer dans mon mensonge peu réfléchi.
— Mais, comme je l'ai dit hier soir, je ne veux pas m'imposer ! Je peux trouver un hôtel en ville.
Il secoue la tête, ne relevant pas les yeux sur moi et répond.
— Les hôtels sont fermés en hiver. Il y a bien une auberge mais il vaut mieux que tu restes ici. J'ai de la place, ne t'inquiète pas pour ça.
J'acquiesce et lui murmure un remerciement qu'il balaie d'un geste de la main. Nous recommençons à travailler dans le silence jusqu'à midi. Lorsque Milo m'annonce qu'on peut retourner à la maison pour déjeuner, j'observe discrètement mes mains douloureuses. Je sens que je vais avoir des ampoules, mais si c'est le prix à payer pour passer du temps avec lui, alors tant pis.
— Je peux t'aider toute cette semaine pour la taille, si tu veux, lui proposé-je.
Milo me sourit légèrement et acquiesce, mais ne dit rien. J'ai l'impression qu'il ne s'autorise qu'un nombre de mots limité par jour et il semblerait que nous ayons atteint ce quota pour aujourd'hui. Je souffle doucement. La reconquête s'annonce ardue.
___
Et bonsoir !
Petite précision : le mot "sarment" désigne les petites branches qui poussent sur les vignes et qu'il faut tailler (je peux pas vraiment vous en dire plus, je ne suis pas une experte, mais j'aimais bien le mot donc... voilà)
Même si Milo n'est pas très bavard, on commence un peu à le découvrir... Qu'en pensez-vous ? :)
Et Erin qui essaie de se dépatouiller comme elle peut... Comment pensez-vous qu'elle va se débrouiller pour reconquérir notre cher italien ?
Merci de votre lecture et je vous souhaite une bonne soirée !
- Clara
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