🌺 Chapitre 17 : Vérité et souvenir sont de sorties
Je suis assise sur le canapé de Dennis et Paloma, que je squatte depuis presque une semaine désormais quand mon téléphone vibre signalant un appel de ma famille.
Je souris et décroche et leurs visages apparaissent sur l'écran.
— Prune ! s'écrit ma sœur. Tu as sacrément bronzée, je suis totalement jalouse de ton teint, ça y est, on est plus jumelle...
Je rigole devant sa connerie qui l'alimente depuis son plus jeune âge et répond :
— Enfin j'ai réussi à me démarquer ! Salut papa et maman.
— Comment tu vas ma puce ? demande ma mère.
— Ça va plutôt bien et vous ?
— Tout va bien, tu n'es pas chez toi ? renchérit mon père.
— Non, je suis chez des amis depuis quelques jours, les Calden reçoivent de la famille et je ne suis pas très à l'aise malgré tous les efforts qu'ils font pour m'intégrer donc j'ai quitté la maison.
Je leur parle encore un peu des cours que je suis, de Paloma, Dennis, Lenny et Joshua, mais j'omets volontairement le sujet Ace puisqu'il n'y a plus rien à dire là-dessus.
— Cerise ?
— Oui ?
— Tu es passée il y a combien de temps sur la tombe de Mathéo et Émilie ?
Personne ne parle. Je n'ai pas l'habitude d'emmener ce sujet sur le tapis tellement il a été traumatisant pour moi ainsi que pour ma famille qui a vécu ma chute dans les tréfonds de la noirceur.
Cerise connaissait très peu Mathéo et un peu plus Émilie, elle a été énormément impactée par leur pertes et surtout à cause de moi, sa jumelle, une partie d'elle-même qui pendant un moment pensait que mourir pour les rejoindre lui ferait moins de mal que vivre sans eux.
— J'y suis allée le mois dernier, m'assurer que les fleurs étaient encore en bon état et comme ce n'était pas le cas pour Mathéo, je suis passée à la boutique de sa mère lui dire qu'il me fallait des fleurs.
J'ai l'impression qu'on me plante un poignard dans le cœur à chaque fois que j'en parle, mais il faut que j'avance, sinon je n'y arriverai jamais, je vais rester bloqué dans le passé.
— D'accord.
— Tu vas bien par rapport à ça ? demande ma mère en essayant de ne pas me brusquer.
— Ça va faire quatre ans cette année, ça va.
— Tu sais que tu peux voir quelqu'un là-bas si tu en ressens le besoin. Je sais qu'il n'y a pas de sécurité sociale et que les consultations vont être chères mais si jamais...
— Ça va le faire maman. Je ne suis pas dans la période critique que j'ai traversée pendant un an, je vis bien, j'ai des amis et une famille formidable donc forcément, ça me rend triste, mais pas au point critique.
Il faut dire que pour mes parents, voir votre fille perdre le goût de la vie, ne plus manger, se laisser dépérir dans sa chambre en écrivant sur des morceaux de papiers ses peines et à quel point elle aimerait tout quitter pour rejoindre ses amis et celui qu'elle aimait plus que tout décédés bien trop tôt.
Et tout ça, ça laisse des séquelles. Avec Ace par exemple, j'ai envie de lui faire confiance d'aller plus loin parce qu'il est incroyable, mais il y a ce blocage, cette impression de trahir Mathéo à chaque fois que je suis avec lui qui ne veut pas me quitter.
Alors quand sa sœur m'a gentiment fait une réflexion au dîner, j'ai pris la décision de m'éloigner d'eux, de lui plus précisément, le temps que je trouve un équilibre de vie, que je finisse de faire ce que j'aurais dû faire bien avant.
Je leur parle encore une quinzaine de minutes avant de raccrocher. Paloma et Dennis ne sont toujours pas rentrés de leur après-midi : match de Baseball à l'université.
J'ai fait le choix de ne pas y aller pour ne pas croiser Ace dans un premier temps et surtout parce que j'ai du tri à faire. Je sors la petite boîte que j'ai cachée sous le canapé quand je suis arrivé et l'ouvre avec la boule au ventre.
Lorsque le couvercle tombe, mes yeux se remplissent de larmes, la réaction naturelle de mon corps et de mon esprit lorsque je vois une photo d'Émilie, Mathéo et moi seulement quelques heures avant que nos vies ne basculent. On venait de sortir de notre dernière épreuve de bac de français : l'oral. Nos sac à dos sur les épaules, mes anciennes lunettes qui glissent sur mon nez avec la transpiration à cause de la chaleur et je suis sur les épaules de Mathéo. Émilie se tient devant et tire la langue avec ses lunettes de soleil sur son crâne. J'ai eu le chance de récupérer cette photo puisque le téléphone d'Émilie ne sait miraculeusement pas cassé pendant l'accident.
Je ne peux détacher mes yeux du sourire qui arbore mon visage à ce moment-là, je m'en souviens comme si c'était hier. Je prends alors le téléphone de ma meilleure amie et l'allume. Je l'ai mis à charger avant de partir pour pouvoir regarder les vidéos. Une fois le code tapé et le téléphone déverrouillé, je clique sur la galerie et sur la dernière vidéo que nous avons faite juste après la photo.
On voit Émilie au premier plan et moi sur les épaules de Mathéo juste derrière :
— Alors les enfants, vos pronostics pour le bac de français ?
Mathéo arrive alors sur le devant de la caméra et prend la parole :
— Pour l'écrit, je ne vais pas viser trop haut, je vais dire la moyenne et pour l'oral, vu comme j'ai baratiné l'examinatrice avec "La princesse de Clèves" que je n'ai absolument pas lu et que j'ai géré l'étude de texte, je dirais un petit seize. J'estime donc une moyenne à treize.
Je rigole devant son air confiant, il était un élève brillant en science, mais le français, c'était vraiment son point noir, comme pour Émilie et moi. On était les trois élèves les plus brillants en science de notre promotion, mais de vrai quiche en français...
La vidéo me montre désormais, c'est Mathéo qui tient le téléphone et il ne cesse de me faire bouger sur ses épaules.
— Je pense que j'ai géré l'écrit, Victor Hugo je t'aime ma vie, tu es la seule personne que j'ai vraiment révisé.
On se marre tous, même moi devant mon écran et j'écoute la suite :
— Je pense que le douze est jouable et pour l'oral contrairement à Mathéo, j'ai appris par coeur le texte que ma mamie m'a écrit sur "La princesse de Clèves" donc cette partie là, j'ai géré et le texte sur lequel je suis tombé c'était le seul que j'avais appris par coeur donc on va estimer un petit quinze. Ma moyenne s'élèverait donc à treize et demi.
La caméra revient sur Mathéo qui lance :
— Elle veut avoir plus que moi pour son égo, mais elle va se rater...
Il lève les yeux au ciel et nos regards se croisent, on se sourit et c'est là que je me dis qu'Émilie faisait semblant de ne pas savoir pour nous deux, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.
Le téléphone revient à sa propriétaire qui conclut cette vidéo.
— Pour ma part, je pense que si j'ai six à l'écrit ça sera une grande fierté pour ma famille et pour l'oral j'ai tout géré de A à Z alors, excusez-moi les gars, mais je pense que dix-huit c'est pour moi ! Donc ma moyenne s'élèverait à douze, je rattrape l'énorme erreur qu'est mon écrit avec mon oral.
On sourit tous et la vidéo s'éteint.
Mes larmes coulent et alors que je vais cliquer sur une autre vidéo, un papier attire mon attention dans la boîte : c'est le dernier article du journal régional sur l'accident qui a été fait en juin dernier pour la commémoration des quatre ans de ce drame...
Albi se souvient du tragique accident de bus qui a coûté la vie à deux adolescents il y a 4 ans
Une commémoration pour honorer la mémoire de Mathéo et Émilie et soutenir les victimes blessées
Albi, le 23 Juin 2023 - Aujourd'hui marque le quatrième anniversaire de l'accident de bus dévastateur qui a bouleversé la communauté d'Albi. Cet incident tragique a coûté la vie à deux jeunes adolescents, Mathéo et Émilie, et a laissé de nombreuses autres personnes blessées, laissant des cicatrices indélébiles dans le cœur de la ville.
Le 26 Juin 2019, un bus transportant des élèves revenant de l'école a été impliqué dans une collision terrible près du centre-ville d'Albi. La violence de l'impact a semé la terreur parmi les passagers, déclenchant une mobilisation massive des secours et des équipes médicales pour venir en aide aux victimes.
Malheureusement, Mathéo et Émilie, deux adolescents aimés et prometteurs, ont perdu la vie dans cet accident dévastateur. Leur départ prématuré a laissé un vide immense dans les cœurs de leurs familles, de leurs amis et de toute la communauté d'Albi.
En ce jour de commémoration, les habitants d'Albi se rassemblent pour rendre hommage à la mémoire de ces deux jeunes vies tragiquement interrompues. Une cérémonie solennelle est organisée près du lieu de l'accident, où les proches, les amis et les membres de la communauté se recueilleront et allumeront des bougies pour rappeler l'innocence perdue.
Cette commémoration est également une occasion de soutenir les victimes blessées dans cet accident, dont les blessures physiques et émotionnelles sont toujours présentes. Des associations locales et des organismes de soutien ont mis en place des initiatives pour offrir une aide continue aux survivants, les aidant à se reconstruire.
Les familles des victimes ont également fondé la Fondation "Mathéo et Émilie" pour la sécurité des transports, qui s'engage à promouvoir la sécurité routière et à sensibiliser sur les conséquences tragiques des accidents de la route. Leur combat pour un monde où de tels drames ne se reproduiront plus est une source d'inspiration pour tous.
Cet anniversaire tragique est un rappel puissant de l'importance de la sécurité routière et de la nécessité de continuer à sensibiliser les conducteurs et les passagers sur les risques inhérents à la circulation. Nous ne devons jamais oublier les vies perdues trop tôt et travailler ensemble pour prévenir de tels accidents à l'avenir.
En cette journée commémorative, nous honorons la mémoire de Mathéo et Émilie, et nous nous engageons à travailler pour un avenir où de tels drames ne se reproduiront plus. Que leur souvenir continue de nous rappeler l'importance de la prudence sur les routes et la valeur de chaque vie humaine.
La fondation "Mathéo et Émilie" est un franc succès dans la région, des gros dispositifs de campagnes de prévention ont été mises en place et j'en suis fière. Jusqu'à mon départ à Los Angeles, j'ai été une membre active, une membre fondatrice avec les familles de chacun ainsi que la mienne. "Mathéo et Émilie" me permet de partager avec les autres ce que nous avons vécu, de transmettre un savoir, de sensibiliser, parce qu'en plus d'être une fondation comme le dit l'article, c'est une association qui propose bénévolement des cours de science, mathématiques et physique-chimie aux enfants et adolescents en difficultés ou simplement avec une soif d'apprendre. C'était leur rêve, notre rêve de faire aimer les sciences à travers notre métier et aujourd'hui, j'aide à la réalisation d'une partie de ce rêve en leur mémoire.
J'entends alors une clé dans la serrure et je range rapidement les affaires dans la boîte en prenant soin de bien éteindre le téléphone et de la remettre sous le canapé. Dennis et Paloma sont au courant qu'il y a quelque-chose qui cloche par rapport à ma vie en France, mais ils ignorent quoi, je ne suis pas prête à en parler. Je m'assois donc correctement dans le canapé en prenant un livre que j'étais en train de lire quand ils passent l'encadrement du salon, accompagnés de Joshua, Lenny et Ace ainsi que deux ou trois autres personnes que je ne connais pas.
— Ah, Prune, tu es là ! lance Paloma.
— Je n'ai pas bougé depuis tout à l'heure. Je peux savoir ce qu'il se passe ?
— On sort avec Dennis et les garçons et on voulait savoir si tu voulais venir avec nous.
Ace me regarde, je le sens et je me concentre pour ne pas faire la même chose.
— Désolé, j'ai encore pas mal de travail à faire, une prochaine fois peut-être.
Elle sourit et quitte la pièce alors qu'Ace entre lentement, comme s'il avait peur de moi.
— Prune, je peux te parler ?
— Je t'écoute, déclaré-je simplement.
Il se pose sur l'accoudoir à ma gauche et l'on se regarde pendant qu'il me demande :
— Ma sœur t'as dit quoi ?
Sa question me prend de court.
Paloma, tu es une femme morte.
— Je ne sais pas de quoi tu veux parler.
— Ne mens pas Prune, je sais que j'ai été un imbécile doublé d'un connard avec un supplément égoïste, mais je ne compte pas te lâcher, s'il y a bien une chose que l'on m'a appris, c'est de persévérer. Donc, soit tu me dis ce que ma sœur t'as dit, soit je vais le savoir par moi-même dans tous les cas.
Je soupire, me redresse et lâche :
— Elle a fait des recherches sur moi et elle a trouvé un article qui raconte mon accident de bus dans lequel j'ai perdu mes meilleurs amis dont celui avec qui je vivais un amour passionnel.
Il ne dit rien, me regarde l'air triste et je reconnais ce visage, je l'ai beaucoup trop vu dans ma vie, je ne le supporte plus.
— Je n'ai pas besoin de ta pitié Calden. Alors, laisse-moi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top