Avant, partie 9.

J'arrive devant chez moi et je vois Luke sortir, les yeux rougis, glissant un papier froissé dans la poche de son long manteau d'hiver. Je le regarde quelques secondes, dans l'espoir qu'il me voit. Mais je referme la bouche sans même essayer de prononcer un mot. A quoi bon ? Je me sens si idiote de ne jamais avoir dévoilé mes sentiments, parce qu'aujourd'hui j'en suis parfaite incapable. La peur du rejet nous paralyse sans arrêt, mais maintenant c'est la mort qui m'empêche de faire quoi que ce soit. Si seulement je pouvais juste prendre sa main, ressentir sa chaleur encore une fois. Je m'en veux, je m'en veux tellement, j'aurais dû tellement de fois lui avouer la nature de mes sentiments... les remords sont pires que les regrets, j'en suis consciente maintenant. Plus j'y pense et plus je me rends compte que je n'ai pas réellement vécu pendant toutes ces années, je me suis privée de tant de choses en pensant avoir le temps. Le temps, aujourd'hui, n'est plus quelque chose dont je dispose à ma guise.

Pourquoi ai-je attendu la faucheuse pour me rendre compte de ce que j'allais perdre et ce que j'aurais pu gagner ?

D'un coup les larmes me montent et je me sens désolée, pour toutes les fois où je n'ai pas jugé utile de dire à ma famille que je les aimais. A mes amis à quel point ils sont importants. Je regrette de ne pas avoir vécu comme j'aurais voulu et dû.

Je lui emboîte le pas, sans réellement savoir pourquoi, mais c'est comme s'il ne me restait rien d'autre à faire. Le suivre jusqu'au bout du monde, secrètement, comme je l'ai toujours aimé ; dans le plus grand des silences mais de la façon la plus sincère.

Arrivée devant chez lui, je me rends compte que je n'ai jamais dépassé le pas de sa porte. Un flash me revient subitement.



04 septembre.

- Luke...

Je vois les pompiers se précipiter vers lui pour couper la portière qui le retient prisonnier dans la voiture. Je hurle son prénom, sans interruption. Ses yeux ne s'ouvrent pas mais un air de sérénité habille son visage. J'essaie d'attraper sa main à nouveau, sans succès. Personne ne vient pour moi, mais cela m'est parfaitement égale, le plus important à mes yeux c'est qu'il s'en sorte. Qu'on prenne ma vie, peu m'importe, tant qu'il va bien.

- Luke !

Je hurle de toutes mes forces pour le faire réagir, et lorsqu'ils arrivent enfin à le sortir de ce tas de taules froissées, j'aperçois une larme couler le long de sa joue.

Je sors tant bien que mal, en essayant de courir après la civière qui l'emporte loin de moi. Je cris son prénom sans relâche, comme s'il ne me restait plus que ça. En tournant la tête vers la carcasse en ferraille, j'entrevois un corps sur le siège passager. Sans réellement prêter attention, je continue à suivre Luke et monte dans l'ambulance qui part à toute vitesse une fois les portes fermées.

Les médecins se précipitent sur lui, donnant des ordres aux infirmiers pour que les soins soient donnés rapidement. Devant les portes battantes, je m'arrête net. Je sais qu'on n'a pas le droit d'aller plus loin en tant que visiteur, et même si je meurs chaque instant à l'idée de le perdre, je sais aussi que je ne veux pas voir ce qu'il va se passer de l'autre côté. Quelques minutes après, je vois une autre équipe transporter une fille aussi victime d'un accident de la route, et je me sens soudainement chanceuse de ne pas être blessée plus que ça.

Mes pensées ne cessent d'aller vers Luke. Le temps est très long. Ses parents arrivent au bout d'une demi-heure, en pleurs et paniqués. Je me lève pour aller leurs présenter mes excuses mais ils continuent leur chemin vers quelqu'un qui pourra les renseigner sur l'état dans lequel se trouve leur fils. Ce que je comprends...

Quelques heures après les filles arrivent, elles aussi en larmes. Elles ne semblent pas m'avoir entendue les appeler, alors je me rassois. Les minutes deviennent des heures, les heures des décennies et le sommeil me gagne. Je me sens légère mais lourde de regrets. Triste, sans surprise.



24 décembre.

Luke jette son manteau au sol et hurle. Je sursaute, surprise de le voir dans un état pareil. C'est bien la première fois, même lorsque mon ancienne amie l'a largué devant tout le monde à la soirée de notre rencontre, il est resté silencieux et impassible. Son poing se heurte contre le mur et la douleur déforme son visage. Je voudrais pouvoir le prendre dans mes bras, lui demander de m'expliquer le problème, comprendre, le conseiller, prendre sa peine et l'envoyer si loin que jamais elle ne retrouverait le chemin jusqu'à son cœur... Il se laisse glisser contre le mur, la tête enfouie dans ses mains. J'entends ses sanglots et impuissante, je l'imite. Après quelques minutes, il se relève brusquement et attrape le papier dans sa poche. Il prend place sur son lit, et je décide de déposer ma main sur la sienne en voyant ses larmes couler silencieusement le long de ses joues bien plus creuses qu'il y a quelques mois.

Mon cœur se serre et se brise en une fraction de seconde quand j'aperçois au-dessus de son épaule les mots couchés sur la feuille qu'il tient difficilement entre ses doigts.

« Cher Luke,

Si seulement tu pouvais comprendre les mots que je t'adresse, je sais que ce n'est pas très honnête comme procédé, mais parfois au milieu des phrases simples se cache un message bien plus profond. Je voudrais pouvoir te crier mes sentiments en plein visage, mais j'ai peur que tu te coupes sur ces morceaux ébréchés. Pardonne-moi pour cette lettre que tu ne liras sans doute jamais, parce que je n'aurais pas le courage suffisant pour te la remettre. Je déteste ces mots qui pèsent dans mon cœur à chaque fois que mes yeux ont le malheur de s'accrocher à toi. Je déteste ta voix qui me rassure. Je déteste ta façon d'être si gentil et je déteste t'aimer parce que je sais au fond que je n'aurais jamais de retour. Non seulement parce que tu ne sauras pas que c'est le cas me concernant, mais en plus parce qu'il y a tellement de personnes bien mieux que moi... 

Pourquoi voudrais-tu de moi alors que moi-même je ne sais pas réellement pourquoi je suis ici ? 

Tu me rassures sans arrêt sur la vie, sur le temps qui passe, sur les étoiles qui meurent, sur le soleil qui se lève chaque matin... 

Je t'aime Luke, pour tout, toutes les fois où tu as été parfait, toutes les fois où nos mains se sont accidentellement touchées et que j'ai senti mon corps vibrer de façon étrange. Tes sourires si beaux et chaleureux qui me sont adressés sans arrière pensées alors que je voudrais t'embrasser des milliers de fois. Tu es si beau. Si génial. Et le pire c'est que je sais que je n'arriverai pas à te voir différemment maintenant que mon cœur ne fait que battre pour toi. Si seulement tu pouvais m'entendre hurler dans mon crâne à quel point je t'aime. Ça en devient si douloureux, de te voir exister sans pouvoir t'aimer librement. 

Pardonne-moi, ce n'est pas honnête, mais je n'y peux rien... Je t'aime, c'est la seule chose que je sais faire quand tu entres dans mon espace. Depuis que tu as mis un pied dans ce dernier. Jusqu'à ce qu'il n'existe plus. Toujours, je t'aimerai toujours, c'est une certitude assez importante. Mais j'en suis convaincue. 

Sois sûr que lorsque mon cœur rendra son dernier souffle, ce sera ton prénom qu'il murmurera.»

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