Avant, partie 7.

- Qu'est-ce que t'as fait quand... tu as compris ? demande-je, gênée et confuse par la situation.

- Que j'étais mort ? ri-t-il. Tu peux le dire, Alice ! On est morts.

Son sourire illumine sa peau blafarde, comme si un rayon de soleil au milieu des nuages neigeux parvenait à éclairer une âme cristalline. Il marque un petit temps, le doigt pose sur sa bouche, pensif.

- Je crois que j'ai d'abord gueulé sur les passants, s'exclame-t-il un rictus coincé au coin des lèvres.

- Mature, souffle-je.

- Ensuite, j'ai voulu voler des trucs dans des magasins mais je me suis dis que mort, ça ne me servirait à rien, continue-t-il sans prêter attention à ma remarque.

Accablée, je ne peux m'empêcher de porter ma main à mon visage en signe d'épuisement cérébral face à sa réponse.

- Alors je suis rentré chez moi... murmure-t-il, soudainement triste. Je ne savais pas quoi faire d'autre... Toute ma vie, je me suis battu contre mes parents, qui n'en étaient pas en réalité, mais...

Il lève les yeux doucement vers le ciel et ce rictus si sarcastique devient tout à coup doux et léger.

- Mais une fois qu'on se retrouve dans des situations comme ça, celles qui nous semblent sans issues... on croyait tout pouvoir gérer, tout pouvoir vaincre, on pensait être les maitres du monde par qu'on était jeunes et cons... Mais une fois vaincus, tout ce qu'on veut c'est que papa et maman nous rassure. Ou du moins qu'ils fassent semblants, juste pour nous montrer que tout ira bien, que tout ça c'est juste un putain de cauchemar... s'écrit-il les bras grands ouverts, comme pour porter le monde en leur creux.

Les mots disparaissent de sur ma langue. Je ne sais plus parler, je ne connais plus ni les lettres, les syllabes et encore moins tout ce qui m'était familier avant. Je regarde ses yeux bleus briller au travers de ses mèches blondes rebelles qui s'agitent sur son visage. Il a l'air si triste et si paisible à la fois. Je ne sais pas qui il était de son vivant, ni même qui il est maintenant, mais je comprends ce qu'il dit. Une larme se forme rapidement avant de glisser lentement au coin de mes yeux. J'aimerais que tout ça soit faux. Rentrer et entendre ma mère me dire que tout ira bien. Que n'était qu'une vaste plaisanterie. Que je suis là. Que je vis. Qu'il n'y a pas de sang sur mon jean. Que je ne parle pas avec une petite fille qui croit avoir perdu sa mère. Ni même à ce garçon qui pleure ses parents. Je voudrais pouvoir serrer Luke contre moi. Lui dire que je l'aime et que je l'ai toujours aimé. Ressentir la chaleur d'un latte entre mes doigts. Discuter avec mes amis de tout et de rien.

- Je ne connais même pas ton prénom, murmure-je doucement à l'attention du blondinet.

- Oh... souffle-t-il, un sourire dessiné sur le visage. Seth.

Seth. L'ironie du sort lui a attribué un prénom qui signifie « la compensation de Dieu. » ... Je vais vraiment finir par croire que le destin existe et qu'il se moque éperdument de nous.

- Il y a quelque chose que j'ai découvert.

- De quoi ? dis-je un peu pensive.

- Quand y met vraiment tous nos sentiments, on peut interagir avec eux. Leurs passer des émotions, des messages, et que sais-je d'autre encore. Un jour je suis retourné chez moi, par désespoir, et par je ne sais quel miracle, ma mère a compris que quelque chose était présent. J'ai presque eu l'impression qu'elle me voyait et qu'elle savait que j'étais là. Une autre fois, elle a compris. Je disais quelque chose et elle a compris. Elle a été jusque dans ma chambre trouver un mot que j'avais écrit avant de partir et que tout ça n'arrive. Elle a compris, Alice. Je ne sais pas comment, mais elle a pris le papier et elle m'a dit merci.

Je peux ressentir l'émotion l'envahir. Ses yeux sont criants de peine. Le regard fixe, j'aperçois ses iris se dilater quelque peu. Je voudrais pouvoir lui demander de quoi il s'agissait sur ce papier, où il est parti et dont il n'est jamais revenu. S'il se souvient de ce jour-là. Mais à travers son regard plein de tristesse, je comprends automatiquement que ces questions doivent restées imposées pour le moment. Son cœur bat encore, à l'envers. Et je comprends soudainement que s'il y a bien une chose qui l'empêche de partir dans le je ne sais où, ce sont tous les regrets qu'il a accumulé tout au long de sa courte existence. J'en viens à me demander s'il s'agit de ma même chose me concernant. Mais mon incapacité à me souvenir de quoi que ce soit, ne m'aide pas à comprendre si je suis sur la bonne voie ou non.

- Je ne sais pas comment on fait si c'est la question que tu te poses, lance Seth de but en blanc. Je ne sais pas si on contrôle ça, s'il y a un secret ou autre. Je ne sais pas si on peut saisir le matériel, si on peut apparaître comme dans ces foutus films... Tout ce que je sais, c'est qu'elle a compris.

- Elle te manque, rétorque-je en souriant.

- Parfois... Je ne ressens plus l'animosité que je ressentais quand j'étais encore là. Enfin... C'est assez étrange. J'ai une immense douleur, mais ce n'est plus exactement pareil qu'avant. Quand je la vois, je voudrais juste qu'elle me dise quelque chose, qu'elle m'aide à me sortir de là. Mais pour ça, il faudrait déjà que je sache comment faire.

- Pour partir ?

- Non, pour me sortir de cette situation dans laquelle je me suis mis, ri-t-il doucement.

- Je ne comprends pas... confie-je.

- Je ne parle pas d'aller au paradis ou en enfer, j'crois pas que ça existe, même si je ne pensais pas que tout ça existait non plus, s'esclaffe-t-il en nous montrant grossièrement d'un geste. Je crois qu'il y a un truc que je n'ai pas réglé, et qu'il faut que je m'en occupe. Mais je ne retrouve pas toutes les pièces du puzzle. Alors j'attends.

- Tu crois qu'on est tous dans ce cas-là ? D'ailleurs... Est-ce qu'on est beaucoup ?

- A être morts ? Plutôt oui ! blague Seth. Il y a des morts tous les jours au cas où tu n'étais pas au courant !

- Hilarant, merci... souffle-je tout en levant les yeux au ciel. Je te demande si t'as croisé beaucoup de gens ici, abruti !

- Outch.

Il mime une douleur dans la poitrine.

- Quelques personnes, mais je suis tombé sur Lila en premier. J'ai cru comme toi qu'elle était réellement perdue quand je suis sorti de l'hôpital. Puis en fait je me suis rendu compte que je n'étais jamais réellement sorti de cet hosto !

- Attends... Tu t'es... « réveillé » à l'hôpital ?

- Oui, ricane-t-il. Pendant un choc. Apparemment ils ont essayé de me réanimer plusieurs fois, et la dernière je m'attendais dans la salle d'attente sans le savoir. J'ai mis des mois à comprendre tout ça, à refaire le film, remettre les bandes dans le bon ordre.

Je le regarde, curieuse d'en savoir plus, dans l'espoir que cela puisse m'aider à en savoir plus sur moi-même par la même occasion. Il comprend mon attente et souri légèrement en constatant mon attrait soudain pour son histoire.

- J'ai fait une overdose, lance-t-il sans ressentiment.

- Oh...

- C'est moche hein ? raille Seth.

Prise d'une douleur dans la poitrine, je porte ma main au niveau de mon cœur sans répondre.

- Je me suis suicidé, en réalité. Et je n'y suis pas allé par quatre chemins, je ne me suis laissé aucune chance. Après avoir perdu des litres de sang, j'ai pris ma dernière envolée si tu vois ce que je veux dire, chuchote-t-il un rictus moqueur aux lèvres. J'ai bu aussi. L'ordre n'est pas exact mais c'est ce que j'ai vu sur la fiche du toubib quand j'y suis retourné. Sauf que j'ai mis des mois pour comprendre qu'il s'agissait de moi.

Je baisse les yeux au niveau de ses bras et constate effectivement des traces assez difficile à regarder. Je lui souris doucement en attrapant l'une de ses mains. Il me montre l'endroit où l'aiguille a signé son départ. Je ne peux m'empêcher de penser à toutes les fois où des personnels sont venus nous mettre en garde contre les travers de ces dangers qui portent pourtant une parure angélique. Ces cachets que certains de mes camarades prenaient sans scrupule lors de fêtes arrosées. Les joints qu'ils fumaient comme des cigarettes. Les respirations empoisonnées, blanches ou poudreuses comme la neige. Toutes ces choses que l'on pense ne jamais croiser ou alors pouvoir arrêter aussi facilement que l'on a commencé. Ils avaient tort. Il en est la preuve. Comme tant d'autres... Et une peine assez intense me saisit, parce qu'il était si jeune... Et je me demande alors, si il avait trouvé une main tendue aurait-il pu changer et être sauvé ?

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