Avant, partie 6.

A toute vitesse je sors de cette maison en hurlant jusqu'à m'en crever les poumons. J'ai eu beau les supplier de m'enlacer, de me protéger de ce cauchemar interminable, je n'ai vu que la peine d'une perte que j'ignorais.

- Et maintenant, c'est quoi le plan ? s'exclame le blondinet, accroupi sur le muret de la maison.

Je me stoppe brusquement. Mes larmes ruissellent sur mon visage comme un fleuve sorti de son lit ; impossible d'arrêter ce flot infernal, je n'arrive même plus à entrevoir le monde correctement au travers de ces sanglots.

- Je... balbutie-je difficilement, le souffle coupé par les pleurs.

- Oui, on est tous passés par là...

- Comment tu... peux être aussi calme ?! hurle-je, essayant de reprendre mes esprits. Je... C'est fini pour moi ? Comment... Je ne sais même pas comment, pourquoi ? Il y a trop de choses que je n'ai pas encore faites...

Il saute et atterri sur ses deux pieds, un petit rictus aux lèvres.

- C'est trop tard. Accepte-le, tu n'as juste plus le choix, en fait.

- Ce n'est pas toi qui...

Un silence gêné m'interrompt.

Si, si.

Lui aussi il est...

Mort.

- J'ai été bien plus long à la détente, estimes toi heureuse d'avoir compris ça au bout de deux trois mois, pouffe-t-il.

- Quoi... ?! Trois mois ?

Je ne peux retenir un cri de douleur. Je sens de nouveau le froid parcourir tout mon être et ma main se dirige automatiquement vers l'arrière de mon crâne. En la ramenant vers moi, une image horrible m'apparaît ; une tache de sang mélangé à de petits bouts de verre.

Je relève les yeux sur lui, le menton tremblant de terreur et de chagrin. Il ouvre délicatement sa chemise boueuse et me laisse découvrir des ecchymoses sur tout son buste. Mes yeux s'arrêtent sur un petit trait net, d'environ dix centimètres, au niveau de son flanc gauche. Il sourit paisiblement, l'air de rien.

- Ça fait deux ans que j'ai dix-neuf ans pour toujours, Alice. On s'y fait un jour.

Il attrape ma main ensanglantée et me conduit en un claquement de doigt auprès de ma mère. Assise sur mon lit, les rideaux complètement fermés, ma chambre plongée dans une obscurité oppressante, je sens sa peine s'élever jusqu'à moi. Mes pulls de noël éparpillés sur le lit, en m'approchant un peu, je m'aperçois qu'elle en sert un contre sa poitrine. Je décide de m'asseoir délicatement à ses côtés, espérant pouvoir apaiser cette blessure que j'ai causé.

- Je suis désolée, maman... murmure-je, le cœur serré et des larmes entassées à la lisière de mes yeux. Si seulement je pouvais changer les choses... pouvoir retirer la peine.

- Tu peux, s'exclame le garçon. Ils ne le sauront pas, mais techniquement tu peux.

Je me redresse, abasourdie par cette nouvelle.

- Comment ça, je « peux techniquement » ?

- Il n'appartient qu'à toi de changer les choses, Alice.

- Oh vraiment ?! m'exclame-je d'un ton amer. Je peux donc ressuscitée, afin d'arranger les choses ? Tu crois sincèrement que c'est le moment de te foutre de moi ? beugle-je, hors de moi.

Du coin de l'œil, je le fusille du regard, agacée par sa présence.

- Tu me manques tellement, souffle ma mère dans un sanglot.

Mon souffle se coupe et je ne peux m'empêcher de m'effondrer à nouveau.

Je regrette tellement de n'avoir jamais dit toutes les choses que je pensais dire plus tard. Je regrette de ne pas vous avoir écouté plus souvent, d'avoir été revêche, rebelle, parfois trop dure. Je regrette de ne pas m'être rendue compte de la chance que j'avais lorsqu'on dînait tous ensemble autour de la même table. De ne pas avoir serré ma sœur dans mes bras plus souvent. De ne pas avoir appris à connaitre mon frère. D'avoir laissé le temps séparer les amitiés. D'avoir laissé la peur séparer l'amour. De ne pas avoir consacré plus de temps aux autres. De n'avoir pensé qu'à mes petits problèmes de vie, sans jamais regarder par-dessus mon épaule, pour savoir si je n'avais pas laissé un blessé sur mon chemin... Je regrette de ne pas vous avoir dit je t'aime plus souvent.

Il y a ce feu diabolique qui brûle au fond de ma poitrine, celui qui brûle les bons instants pour laisser place aux regrets et aux remords. Celui qui ronge de l'intérieur, qui consume l'âme à coup de culpabilité.

Je pose délicatement ma main sur l'épaule de ma mère et je la sens sursauter brusquement. Un flash me vient brièvement. Le bruit métallique de ce matin dans la buanderie, le sursaut. Il me parlait... mais je n'étais déjà plus là. Pourquoi n'ai-je pas compris avant ? Je n'avais pas de cuillère, je ne sentais pas le gout du glaçage sur ma langue quand nous mangions la bûche dans la cuisine. Elle était énervée contre moi, de ne pas avoir apprécié assez les repas du réveillon, maintenant qu'ils ne se feront plus... J'essaie de l'étreindre doucement, avec toute l'affection et l'amour que j'aurais dû leurs porter depuis si longtemps. Une pudeur mal placée qui me coûtera à jamais le regret de les laisser sans la conviction que je les aimais.

Elle a raison au fond de m'en vouloir. Je ne sais plus dans quelles conditions je suis partie, mais une chose est sûre c'est que j'ai gâché sans doute des réveillons bêtement. Je sens son cœur ralentir, jusqu'à presque s'arrêter. Son corps a cessé de trembler au contact de mon étreinte. Et alors j'y crois. J'y crois, qu'elle sait que je suis là. Je concentre mes forces sur une seule pensée : Je t'aime, maman.

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