Avant, partie 3.
Sonne treize heures au clocher de l'église quand je me dirige vers mon parc préféré. L'hiver, le petit ruisseau est gelé, les canards se sont envolés et les bancs sont quand même occupés. Les couples marchent, main dans la main, les jeunes profitent de leurs vacances, et moi je viens ici pour me ressourcer un peu quand à l'extérieur tout devient sombre et compliqué. Les rues sont décorées de boules de noël de couleurs par milliers, on voit les gens s'affairer aux derniers achats pour ce soir. D'un pas léger, je me remémore ce qui aurait pu se passer ces derniers temps et qui expliquerait le chaos qui règne entre ma mère et ma tante. Ce qui est étrange c'est que rien ne me vient... la dernière chose dont je me souviens c'est de la dispute avec ma maman concernant la fac. On était à table tous les trois avec mon père, dans le calme et la tranquillité. Et comme toujours lorsque ce sujet revenait, une ambiance pesante s'installait. Maman s'est mise à me dire que je serai incapable de me débrouiller seule, aussi loin, que je pouvais aussi bien rester dans le coin. Mon père se contentait d'être présent en cas de dérapage, mais il ne se prononçait pas, car comme il m'a dit quelques semaines avant « si tu le sens, alors vas-y ». Le ton est monté rapidement entre elle et moi, je lui reprochais de ne pas vouloir me laisser me faire ma propre expérience, de m'étouffer et de me retenir lorsque je voulais partir. Que ça n'avait rien à voir avec eux, mais que je n'en pouvais plus d'être là à laisser passer ma vie sous mes yeux s'en m'en saisir et la vivre.
Ensuite tout est flou, je crois m'être levée de table, mais la suite manque. Je pense que j'ai voulu effacer ces souvenirs et ces cris de mon esprit.
Je secoue la tête pour effacer tout ça et je continue ma promenade dans la ville. Je passe devant le Starbucks et je vois deux de mes amies à notre table habituelle. Je réalise alors que je n'ai reçu aucune invitation par messages. Je reste piquée dans le passage, intriguée, me demandant pourquoi ils ne m'ont pas prévenu qu'ils se voyaient. Je n'estime pas devoir être invitée, mais nous ne faisons qu'un depuis près de trois ans environs et ces rendez-vous au café sont nos rituels sacrés. On est un groupe assez conséquent, même si on n'arrive pas toujours à être tous les six présents au même moment, il y a toujours deux trois personnes de la bande qui vient. On fait comme un roulement amical, si l'un ne peut pas venir, les autres s'en chargent. Mais cependant on ne manque pas de s'inviter les uns les autres, vient qui en a la possibilité et l'envie. Luke passe juste à côté de moi, sans même remarquer ma présence et rejoint les filles à la table. Emma lui fait une accolade chaleureuse alors que je commence à sentir le froid s'engloutir dans ma poitrine...
Luke. Dire que j'ai toujours été éperdument amoureuse de lui serait un mensonge, disons simplement que ça fait déjà quelques années que j'ai remarqué son existence en temps qu'individu masculin potentiellement intéressant. On s'est connu indépendamment des autres. Lorsque je parlais encore à certaines anciennes amies, il s'avère que Luke était le caniche de l'une d'elle. A une soirée où je n'avais pas envie d'être, lui était là, et mon amie venait de le quitter de la façon la plus humiliante devant toutes les personnes présentes à la fête. A un moment, je me suis interposée, disant à cette fameuse « amie » que la façon dont elle le traitait était ignoble et qu'il méritait bien mieux que ça. Que certes je ne connaissais de lui que ce qu'elle nous avait dit, mais qu'il n'avait pas l'air méchant pour deux sous. Il m'a souri et a hoché la tête en signe de reconnaissance. J'ai signé la fin de mon amitié avec ces filles qui me pourrissaient depuis le collège mais que je croyais être sympas. Quant à Luke et moi, nous sommes partis de la soirée en même temps, il m'a raccompagné jusqu'à chez moi pour me remercier, et nous sommes devenus amis. Lorsqu'on à connu le groupe au travers d'un travail saisonnier, je ne me suis jamais sentie aussi épanouie dans une amitié qu'avec eux. Luke est devenu plus qu'un ami à mes yeux au fil du temps sans que je ne le dise jamais. Je trouvais tout extraordinaire chez lui. D'abord son sourire, qui était discret mais si sincère. Il sourit sans arrêt, pour tout, pour rien, lorsqu'il est triste, lorsqu'il est heureux, toujours ! Etant donné que je l'avais connu peut-être un an avant les autres, des choses auraient pu se passer entre nous... cependant, je n'ai jamais rien fait, encore aujourd'hui il pense juste que nous sommes meilleurs amis. Emma était aussi amoureuse de lui, puis pour des raisons que j'ignore elle est passée à autre chose sans que rien ne change entre eux ou dans l'ambiance de la bande. On a toujours soupçonné Luke de lui avoir gentiment fait comprendre qu'il n'y aurait rien et les choses sont restées silencieuses par respect. En apprenant que Emma aurait pu prendre ce que je voulais depuis tant de temps, je m'étais dit qu'avant de partir à la fac, j'avouerai mes sentiments à Luke. Je dirai tout. Peu m'importe sa réaction ou sa réponse, je veux juste ne pas avoir de remords.
Seulement je ne sais pas si je lui ai dit, je suis censée partir pour le second semestre, en janvier. Peut-être qu'il est passé à côté de moi sans un mot à cause de ça ? Peut-être qu'ils sont fâchés car il s'est passé quelque chose ?
Emma fixe son regard vers moi, je remarque que ses yeux sont rougis par les pleurs, bouffis et que son nez est écarlate aussi. On reste un instant à se regarder, puis elle se met à pleurer violemment.
- J'étais à deux doigts de lui souhaiter un joyeux noël aujourd'hui par messages, avant de me rappeler que c'était inutile, je n'aurais pas de réponse... Pourquoi c'est aussi dur ? sanglote-t-elle.
Je baisse les yeux en comprenant qu'elle vit sans doute une rupture avec Maxime. Je voudrais aller les voir, mais ils n'ont visiblement pas envie de me voir. Alors avant de rentrer, je jette un dernier coup d'œil à mes trois amis, peinée de ne pas pouvoir partager ce moment avec eux. Luke serre son bras en signe de consolation et de soutient, Rose quant à elle, enfouie son visage dans le coup d'Emma.
Soudainement, un froid violent me saisi de l'intérieur comme un vide gigantesque. Je veux hurler, pleurer, frapper tout ce qui m'entoure, mais rien ne vient. Je reste stoïque face à cette douleur nouvelle et inconnue qui me ronge. Ma tête me lance, mon cœur se serre, mes membres tremblent, et je me retrouve à genoux dans cette allée, l'âme en miette. Mais ce froid, ce froid me gèle sur place sans comprendre pourquoi. Puis soudain, une fine source de chaleur coule sur ma joue. Je mets quelques minutes avant de me rendre compte que c'est une larme.
Pourquoi tout m'échappe ainsi ? Il fallait vraiment que tout s'enchaîne au réveillon ? Ce jour si particulier à mes yeux ? Pourquoi il me manque autant de morceaux... Je me mets soudain à souhaiter que ce noël n'existe finalement pas.
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