Avant, partie 1.
27 décembre.
J'ai toujours été une grande fan de noël. Je fais parti de ces personnes qui possèdent une collection impressionnante de pull de noël. Ce sont les plus moches du monde, mais ils sont si chaleureux et respirent la joie au travers de design plus farfelus les uns que les autres. L'ambiance dans les villes, les lumières qui éclairent les visages heureux, l'impatience chez les enfants, les rires dans les maisons, les papiers cadeaux qui recouvrent le sol, et tant d'autres choses significatives me font aimer cette fête plus que n'importe laquelle.
Dans ma famille nous respectons la tradition du repas de réveillon où tout le monde se réuni, on entend les histoires des anciens sur notre jeunesse, la tante pince les joues, les plus jeunes ont encore le droit au fameux « la dernière fois que je t'ai vu(e) t'étais comme ça! » avec la mimique approximative pour définir la taille d'un bébé. La fameuse dinde aux marrons, la bûche pâtissière en dessert. Le champagne dans lequel on a tous eu le droit de tremper nos lèvres avant nos dix-huit ans pour « goûter ». Evidemment n'échappe pas à la règle les disputes de comptoirs autour des sujets sensibles dans l'actualité propre à chaque année, la politique et ses débats plus mouvementés ainsi que le légendaire « non, on ouvrira les cadeaux après le dessert! ».
Pourtant cette année, rien ne s'est passé comme prévu. Et moi qui ai toujours voulu connaitre un noël un peu différent, peu consciente de la chance que nous avions de nous disputer à table et de continuer à s'apporter de l'amour, je donnerais n'importe quoi aujourd'hui pour entendre les blagues graveleuses de mon oncle un peu désorienté par les quatre verres de vin qu'il a avalé. Entendre ma mère dire « bon ce n'est pas grand chose... » en parlant du repas qu'elle prépare depuis onze heures ce matin. Mon père faire allusion au fait que je n'ai toujours personne dans ma vie et qu'il « attends les petits enfants là! »
S'il y a bien une chose que j'ai appris cette année avec cette fête que je pensais connaitre tant, c'est qu'il ne faut jamais rien prendre pour acquis, car un événement peut venir tout changer sans même que l'on puisse avoir un regard sur les conséquences.
24 décembre.
- Pas de noël cette année, balbutie ma mère en se levant de la table à manger pour débarrasser sa tasse à café.
- Comment ça pas de noël ? Pourquoi ? dis-je complètement confuse et interloquée.
- Tu as toujours détesté le repas de famille, alors au pire... s'exclame-t-elle d'un ton ferme. Il n'y aura pas de Noël, un point c'est tout.
Je reste dans le salon pendant qu'elle repart dans la cuisine vider le fond de café qu'il reste dans sa tasse. Dire que je déteste les noëls en famille est un mot bien fort, disons simplement que c'est vrai que parfois j'aurais préféré qu'ils n'aient pas lieu. Quand j'étais adolescente je les trouvais excessivement long, les sujets abordés m'ennuyaient, les blagues vaseuses m'énervaient... Mais pourtant c'était quelque chose que je ne pouvais pas imaginer disparaître de la sorte. J'étais simplement une adolescente, rien de plus. Et depuis quelques années, je n'hésite pas à participer aux conversations pour faire comprendre que la petite Alice n'est plus si petite et qu'elle a un avis aussi. A vingt-trois ans, je bois du champagne avec la bûche, je dis à la vieille tante de ma mère de ne plus me pincer les joues...
Je me dirige dans la buanderie où se trouve mon père, en voyant ma mère pleurer en mangeant la bûche à neuf heures du matin.
- Quelqu'un dans cette maison peut m'expliquer ce qu'il se passe avec noël ? dis-je sur un ton amusé. Maman mange la bûche dans la cuisine là...
Il sursaute et fait tomber quelque chose qui fait un petit bruit métallique et qu'il ramasse aussitôt.
- Chérie... souffle-t-il tristement.
- Qu'est-ce que c'est ? dis-je en montrant d'un signe de tête l'objet ramassé furtivement.
- Elle s'est disputée avec ta tante tu sais, lance mon père sans même répondre à ma question. Vraiment disputée. Et ta tante a dit qu'elle ne viendrait pas avec Jack et tes cousins.
- Mais elles se sont déjà disputées plusieurs fois... C'est un peu une base entre frères et sœurs... ri-je en pensant qu'il s'agit plus d'un mélodrame plutôt qu'un réel drame.
- Cette année, c'est tellement différent...
Il se tourne pour continuer à mettre le linge dans la machine et je ne sais pas quoi dire d'autre. Pourquoi personne ne veut rien dire ? Qu'est-ce qu'il a pu se passer de si grave pour que noël soit annulé ?
Au moment de sortir de la buanderie j'entends la porte d'entrée se fermer assez violemment et la voix de mon frère se fait entendre dans toute la bâtisse. Je remonte à vive allure pour aller le saluer et en priant qu'à deux on pourra tirer la situation au clair, ainsi que reprogrammer noël dans la tradition familiale.
- C'est quoi ce bordel ? crie mon frère en entrant dans la cuisine. Comment ça ce n'est pas la peine de venir ?
- Bonjour à toi aussi, murmure-je en voyant que mon frère n'a même pas porté d'attention à ma présence.
- Je ne peux pas Alex... sanglote ma mère.
- Ecoute maman, c'est difficile pour tout le monde, crois-moi je sais... Mais c'est noël. On ne peut pas ne pas faire noël. Ça permettra de se changer les idées, et puis ne t'en fais pas pour tata, je pense qu'elle changera d'avis. Anaïs va lui parler, explique-t-il en lui frottant le bras chaleureusement pour essayer de la consoler.
Elle reste appuyée contre le plan de travail, sa cuillère a soupe dans une main et le plat contenant la bûche dans l'autre.
- Je peux en avoir aussi, si tout le monde tape dedans ? glousse-je.
Mon frère s'arme d'une cuillère à son tour.
- Depuis quand t'aimes ça ? lui souffle-t-elle le voyant approcher son arme vers la pâtisserie.
- Je n'aime pas ça, ri-t-il timidement. Mais visiblement on ne la mangera pas ce soir, alors autant participer, tous en cœur comme on dit ! souri-t-il chaleureusement.
- Alors laisse les autres manger aussi ! m'exclame-je en le poussant du passage qui va vers le saint Graal.
Cette scène me semble complètement surréaliste, tous les trois assis autour de l'îlot central de la cuisine, le matin du réveillon de noël, en mangeant le dessert du repas de famille. Je ne comprends toujours pas le problème et personne ne semble avoir envie d'en parler clairement. Cependant je dois bien avouer que ce moment est agréable. J'ai toujours adoré passer du temps avec mon frère, qui est de quatre ans mon aîné. Aujourd'hui il est presque père de famille, ou du moins ce n'est pas loin comme dit ma grand-mère. On ne s'est pas toujours très bien entendu, mais ce sont des choses courantes dans les fratries. Au fond je me dis qu'on n'a pas passé assez de temps à apprendre à se connaitre. Depuis qu'il est parti de la maison, je me rends compte que c'est la personne la plus proche de moi de part nos liens de sang, et pourtant c'est un étranger. On s'en rend compte tous les ans en ouvrant les cadeaux sous le sapin. Il fait semblant d'être content poliment, mais en réalité mes sculptures n'ont jamais été son grand péché mignon. Et avec ce repas annulé, je ne pourrais pas lui offrir correctement mon cadeau. Car oui, cette année je ne lui ai rien sculpté, j'ai cherché auprès de ma sœur et de mes parents pour trouver quelque chose qui lui correspondrait plus. Même s'ils m'ont tous dit que mes œuvres d'art lui faisaient chaud au cœur, je sais très bien qu'il préférera ce qui se trouve sous le sapin !
Mais pour ça, il faudrait déjà que l'on répare noël...
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