Chapitre vingt-troisième : Et La Folia fût
Vertiline se rendit vite compte qu'elle était la seule à s'être attardée dans la contemplation de la Poupée Humaine. Grace n'était plus là, mais aussitôt Vertiline s'en rendit compte, aussitôt la Géante réapparût derrière elle, lui provoquant un sursaut. Elle n'était pas seule, car revenant accompagnée d'un homme. Le visage de celui-ci était dur et déterminé, ses cheveux châtains correctement plaqués en arrière, et les boutons de son veston kaki attachés avec le plus extrême soin, de sorte à ce que ceux-ci soient parfaitement symétriques. Tout comme pour Vincent Théodore Archer et Hank Edmund Brewer, son bras droit n'était plus de chair et d'os, mais bel et bien de métal. (Allez savoir pourquoi c'est toujours le bras droit qui est désisté de ses fonctions en premier).
"Êtes-vous la nouvelle canari?" demanda-t-il poliment en tendant sa main gauche à Vertiline.
"Heu, oui! Carolle Hepzibah Scarborough, la nouvelle canari. C'est moi!" dit Vertiline en hésitant quelque peu à empoigner la main de l'homme, en souvenir du fait que Grace avait manqué de broyer la sienne il y a peu en guise de salutation.
"Arthurus Rex McLogan." repris simplement l'homme en lui serrant si peu la main que Vertiline crût qu'elle agitait la sienne dans le vide. Voici donc à quoi ressemblait le fameux Arthurus Rex McLogan. Directeur des Mines de GreySmith, et largement connu dans les journaux (plus particulièrement dans les revues scientifiques) pour être un éminent inventeur dont les travaux auraient été révélateurs d'avancées majeures dans le monde de la robotique. (Mais à quel prix, au vu des dires de Miss Elodie?)
"Carolle..." poursuivit-il sans prendre la peine de l'appeler par son nom de famille comme on le fait d'habitude "Carolle, tous les mineurs sont en pause en ce moment -il fixa la montre à gousset fixée à sa main mécanisée- oui, il est exactement midi pile. Je vous confierai du travail après. Je suppose que Grace ou Hank vous ont déjà expliqué en quoi consistait votre travail?
-...Pas vraiment." avoua Vertiline en triturant son menton d'un doigt.
"-Comment?!" Arthurus se tourna d'un coup vers Grace : "Tu ne lui as rien appris?!" Grace répondit par un grognement guttural en pointant son masque du doigt. L'inventeur soupira. "Ha...encore? Bon, assied-toi. Et en vitesse!" Grace s'exécuta, s'asseyant sur la même table où était allongée La Folia. Arthurus s'équipa d'un tournevis et commença à dévisser le masque de Miss Géante. C'est là que Vertiline comprit certaines choses à propos de Grace Fidelia Wolff : à l'enlèvement de son masque, il se révéla que Grace n'avait pas de bouche ni de mâchoire. La moitié de son visage n'était en fait qu'un assemblage de pièces mécaniques minuscules mises bout à bout en une forme rappelant très vaguement un bout d'anatomie humaine. Voilà quelque chose qui se voyait moins courrament qu'un bras ou une jambe de fer! Arthurus tritura quelques pièces, tourna et ajusta quelques fils, avant de fixer à nouveau le masque de Grace à son visage. Enfin, il remarqua qu'un des tuyaux reliant le masque à son dos était apparemment défectueux, et entreprit de le changer.
"Depuis quand ton masque est-il cassé?" demanda-t-il à Grace sur un air maussade.
"-Depuis hier." répondit une voix semblant sortir des tréfonds de l'Enfer tant elle était grave. OH! Bon sang, mais c'est bien sûr!! Une pensée heurta Vertiline à cet instant précis! Cette femme, c'était Grace! ...Laissez-moi m'expliquer, je vous sens dubitatifs. La fameuse Grace, de l'Asile, dont Miss Elodie et Miss Harris lui avaient déjà parlé! Qui d'autre aurais-ce pu être? Miss Elodie disait après tout avoir été transportée jusqu'à Arthurus Rex McLogan avec une certaine Grace, sa camarade d'infortune! Arthurus qui, non content de s'être servi du corps de la pauvre Elodie comme sujet d'expérience, avait dû en faire de même avec Grace! Ce masque et cette installation robotique à la place de sa bouche en étaient la preuve!
Arthurus soupira en passant sa main de chair dans ses cheveux. "Comment se déroule l'avancée des travaux aux Mines?
-L'avancée des travaux est satisfaisante en ce sens qu'elle avance. Mais les mineurs de minerai commencent à en avoir assez de miner, et d'exploser des choses. Hank et sa famille sont la seule exception." répondit rauquement Grace à travers son masque. Arthurus haussa légèrement les sourcils, comme si il avait déjà anticipé une réponse de ce genre.
"-Tant que l'opération se poursuit, tout va bien. Je n'ai pas de temps à consacrer à ces idiots qui veulent arrêter de travailler. Qu'ils arrêtent donc! Ce n'est pas moi qui irait leur chercher un nouvel emploi." S'adressant toujours à Grace, Arthurus se tourna vers Vertiline. "Je vais me charger moi-même d'en apprendre plus à notre...canari. Vas dire aux mineurs de minerai qu'ils doivent travailler plus vite. Si ils s'y prennent bien, j'arrangerai peut-être un peu leurs horaires de travail. Va, et soit convaincante!" Grace hocha la tête et disposa, disparaissant dans la laboratoire avant de s'engouffrer à nouveau dans les tortueux couloirs des Mines. Dommage, Vertiline aurait bien aimé s'entretenir un peu avec elle...
"A nous." dit Arthurus en croisant les bras, son regard vif et perçant fixé sur Vertiline. "Que voulez-vous savoir?
-...Que dois-je savoir?
-Ah, ne me posez pas ce genre de question! Vous savez ou vous ne savez pas! Quoi qu'il en soit, dites quelque chose!
-Heum...que suis-je sensée faire en tant que canari?
-Suivre mes ordres, rien de plus. Même une femme devrait en être capable. J'ose espérer que c'est votre cas.
-Je vous demande pardon?" demanda Vertiline, dont la question fût instinctivement prononcée sur un ton très incisif. Pour toute réponse, Arthurus se contenta de la toiser avec dédain. Après quoi, il changea immédiatement de sujet.
"Un bon ami m'a déjà parlé d'une...énergumène aux cheveux verts dans votre genre. Admettez que cela ne se voit pas tous les jours.
-Ah oui?" dit Vertiline en faussant son intérêt pour la conversation "Peut-être l'ais-je déjà rencontré par le passé.
-Je ne sais pas. A vous voir, je pourrais juger que non. Mais mon ami mentionnait une des patientes de sa collègue, quand il parlait d'une femme aux cheveux comme les vôtres." Le corps de Vertiline commença à être pris de légers frissons, bien que la température au coeur du laboratoire était étonnement chaude.
"Votre ami...n'est-il pas docteur, par hasard?" demanda-t-elle avec un sourire cachant la crainte d'une réponse positive.
"Exact. Je parle bien de l'éminent docteur Phineas Benjamin Guideon. Lui et moi sommes amis de longue date. Et veuillez arrêter de poser des questions me concernant, Carolle."
...Évidemment! Évidemment!! Le Boucher! Boucher Guideon! Bien sûr! Bien sûr qu'il est de mèche avec le savant du compté voisin! Médecin fou et savant fou font bon ménage, après tout! Sinon, ce ne serait pas drôle! Ha, cela explique bien des choses; affreux constat que celui-ci! Avec Guideon et ses méthodes, Arthurus ne doit jamais manquer de cobayes pour ses expériences! Par le Crésus, QUELLE HORREUR! Ainsi ces deux-là ne perpétuent ni plus ni moins que du trafic humain, sans parler des atrocités commises à l'Asile sur les pauvres patientes, qui finissent aux sous-sols, puis dans le chariot, puis ici! SACREBLEU! Voilà donc pourquoi on ne revoyait presque jamais les celles envoyées au sous-sols! Elles finissaient non plus sur la table du Boucher, mais sur la table d'Arthurus l'obsédé des robots! Mais alors...cette... Folia? La Folia? Allongée ici...se peut-il qu'elle fût...
"Quelque chose ne vas pas?" demanda Arthurus sur un ton plus plat que sa face de limande, voyant que Vertiline n'avait pas répondu quoi que ce soit.
"Non non, rien." s'excusa celle-ci en esquissant un petit sourire. Bizarrement, Arthurus en fit de même. Que fallait-il en déduire? Vertiline n'était pas sûre de savoir, ni de vouloir savoir.
"Quand vais-je commencer mon travail?" demanda-t-elle finalement.
"Dès que vous aurez besoin de travailler." répliqua froidement le savant.
"-C'est à dire?
-C'est à dire que pour l'instant, je n'ai aucun ordre à vous confier! Maintenant, si vous voulez bien me laisser tranquille... J'ai d'autres chats à fouetter. COLE! Cole, où est-tu?!" s'écria Arthurus en mettant ses mains en porte-voix. Pas de réponses. "Ce garçon va un jour me rendre fou..." ronchonna-t-il en baissant la tête tout en posant une main sur son front. Sans même regarder Vertiline, il se tourna alors vers la table où était allongée La Folia et déclara :
"Carolle! Vous vouliez du travail? Vous en avez! Allez me chercher Cole Ormus Missing! Où qu'il soit, tâchez de vous dépêcher!
-Bien..." Sans poser de questions, Vertiline s'exécuta, bien que n'ayant absolument aucune idée d'où pouvait se trouver Cole Ormus Missing, ni même à quoi il ressemblait. Et honnêtement, elle n'était pas vraiment sûre de vouloir le rencontrer. Si comme elle l'avait envisagé -tout en espérant que non- Cole était bel et bien par on-ne-sait quelle mauvaise blague du destin son petit frère qu'elle n'avait presque pas connu, les retrouvailles allaient être grandioses! S'aventurant à nouveau dans les couloirs étroits et suffocants de la Mine, Vertiline déambula plusieurs minutes sans lanterne pour l'éclairer, ni même sans savoir où elle allait. Par chance, sa petite taille lui empêchait de se prendre les plafonds dans le noir, ce qui était toujours ça de pris.
Ce n'est qu'après plusieurs minutes de déambulations hasardeuses que Vertiline s'aperçut qu'elle était perdue. En même temps, elle n'aurait pas due s'attendre à grand chose dans un lieu qu'elle ne connaissait pas, sans lumière ni carte. Vertiline Eunice March : comme toujours d'une ingéniosité remarquable... Si seulement elle croisait quelqu'un pour demander son chemin, cela lui serait bien utile...! C'est alors que : coïncidence coïncidente! Un homme pressé lui rentra dedans sans même la remarquer. (J'adore les coïncidences, pas vous?) Patatra, confusion, excuses, regards noirs, etc : l'homme qui venait de foncer dans Vertiline, tout pressé qu'il était, n'était autre que Cole Ormus Missing, comme de par hasard l'homme qu'elle cherchait. (J'ADORE les coïncidences, pas vous?) Et comment Vertiline savait-elle qu'il s'agissait de Cole Ormus Missing précisément, me direz-vous? Pour la simple et bonne raison que son prénom était ni plus ni moins tatoué sur son cou à l'encre bleu. Nous ne ferons cependant pas de commentaire sur la porté artistique de ce tatouage, mais uniquement sur son extrême utilité pour notre héroïne. Cole était un jeune homme dans la fleur de l'âge, d'une apparence emprunte de fougue et de vitalité. Ses cheveux roux et bouclés descendaient sur son cou, tandis que le reste se confondaient à une sorte de barbe mal placée sur son visage, en de glorieuses rouflaquettes. Des cheveux roux. Bien. Ce n'était pas comme si tout le monde dans la famille de Vertiline (y compris elle avant sa teinture) était roux de naissance. Un point en faveur de la possibilité gênante que Cole soit son frère! Bien rasé, une casquette large et épaisse surmontée de grosses lunettes cachait une partie de son front. Le reste de sa tenue s'apparentait quelque peu à la tenue habituelle des mineurs de minerai, avec néanmoins quelques extravagances superflues en plus, sans doute par souci d'esthétisme.
Quelques excuses suivies de quelques explications plus tard, Vertiline et Cole eurent tôt fait de se retrouver à nouveau dans le laboratoire d'Arthurus, qui lui trépignait d'une impatience presque touchante (et un peu ridicule de surcroît), comme un enfant devant un sapin de Noël jonché de cadeaux.
"Un peu plus et je prenais racine!" grommela-t-il en reprenant immédiatement son froid sérieux à l'arrivée des deux énergumènes. Il reprit aussi tôt : "Cole, j'ai besoin de vous! Comment avez-vous pu oublier que ce jour est d'une extrême importance, enfin?!
-Je suis sincèrement confus, M. McLogan..." s'excusa Cole d'une voix véritablement désolée. "Le masque de Grace semblait avoir des problèmes, alors je voulais la retrouver pour le lui réparer. Mais mes recherches se sont avérées vaines, je le crains...
-Grace est déjà passée par moi, pauvre crétin!" Aimable, le patron... Qui reprit : "Allons, ne baisse pas la tête ainsi comme une midinette à qui personne ne propose de danser au bal! Viens plutôt allumer les réacteurs, nous allons commencer sans plus attendre. Quand à vous Carolle, -il projeta sa voix sur Vertiline comme une balle qu'il lui aurait lancé à la figure- rendez-vous utile et prenez des notes! Ne discutez pas! Le carnet, là! Oui! Prenez-le! Notez! Notez tout ce que vous allez voir! Ce jour va sous peu être historique! COLE! Alors, ces réacteurs?
-Ils sont opérationnels.
-Sont-ils allumés?
-Ils sont allumés.
-Reliés?
-Reliés.
-Bien! Carolle! Notez! Les réacteurs sont là uniquement pour calculer si la vapeur et l'Elysium coïncident bien avec les mécanismes corporels." L'agitation d'Arthurus était telle qu'il était tout bonnement incapable de tenir en place une seule seconde, enhardi d'une excitation stupéfiante se mariant mal à ses traits calmes et sévères. Il demanda à Cole, la voix enrouée d'impatience : "Quelle pression pour l'Elysium et le Colombium?
-Pression de 47.6 pour l'Elysium, 47.8 pour le Colombium, monsieur McLogan." répondit le jeune homme en vérifiant les compteurs.
"-Très bien, très bien. COLE! A quel niveau sont actuellement les réacteurs?
-A 25 millicius par secondes, monsieur McLogan.
-Parfait. Carolle! Notez! 25 millicius par secondes! Alors si tout est bon...si tout est opérationnel...messieurs-dames, commençons!" Commencer quoi? C'est ce que Vertiline aurait aimé demander, mais l'exastique Arthurus la devança. Son front était maintenant perlé d'une menue mais véritable cascade de gouttes de sueur, et les plis de son visage étaient comme froncés, durcis d'appréhension et d'espoir. Et alors s'exclama-t-il, le souffle court : "Donnons vie à La Folia!"
Tremblant, Arthurus activa un levier placé à côté du tableau de commande derrière lequel Cole vérifiait la tension des réacteurs, et encore plein d'autres trucs compliqués, avec des flèches qui s'agitaient dans tous les sens, des aiguilles qui ne cessaient de monter et de descendre à toute allure, et des boutons de toutes les couleurs qui s'allumaient et s'éteignaient de part et d'autre dans un rythme irrégulier. De la vapeur sortit de plusieurs tuyaux à proximité, dans un grand bruit de "Tchhh tchhh tchhh!", tandis que les fils accrochés au dos de La Folia s'illuminèrent au fur et à mesure que le bruit des tuyaux se faisait toujours plus fort. Arthurus gardait son regard fixé d'une manière obsessionnelle, presque malsaine sur sa création. Alors que la pièce commençait à être de plus en plus embuée de vapeur, les boutons laissèrent s'échapper un à un des bruits semblant sortis d'une autre dimension, chose qui ne sembla surprendre que Vertiline. Alors que les tuyaux reliés à La Folia avaient atteint une couleur turquoise très vive, Arthurus les débrancha soudainement, tandis que Cole lui tendit une énorme clé. Se précipitant vers La Folia, Arthurus la leva de sorte à ce qu'elle soit assise et inséra ladite clé dans son dos. Après quoi, tous les bruits dans la pièce cessèrent d'un seul coup. A cause de toute la vapeur et de l'atmosphère confinée de la pièce, il faisait incroyablement chaud dans le laboratoire. Arthurus et Cole ne prononçaient pas un mot. Toute l'opération s'était faîte dans un silence quasi-religieux de la part des deux hommes, et de Vertiline qui en avait complètement oublié de noter ce qu'elle avait vu. Avec toujours la clé installée dans le dos de La Folia dans ses mains, Arthurus prit une grande respiration. Tremblant de plus en plus, avec néanmoins une précision monacale dans ses gestes, il essuya d'un revers de sa manche la sueur qui suintait à grosses gouttes de part et d'autre de son front, et reprit une nouvelle inspiration. Puis, il tourna trois fois la clé.
A la première rotation, la clé grinça quelque peu au contact de la cavité dans laquelle elle avait été insérée. Les lèvres d'Arthurus en gigotèrent bizarrement. Seconde rotation. La clé tourna correctement. Troisième rotation. La clé tourna tout aussi bien que la seconde fois et se bloqua, comme il en était apparemment convenu. Puis, plus rien. Non plus le silence religieux, mais le silence de l'attente. L'insupportable silence de l'attente. Plusieurs secondes déjà que la clé s'était correctement bloquée. Vingt secondes de silence. Quarantes secondes de silence. Oh... Une minute de silence. Le visage d'Arthurus : pâle comme la mort elle-même. Les mains de Cole : si moites. Le souffle de Vertiline : presque coupé. Silence silence chaleur silence chaleur chaleur tremblements silence chaleur tremblements chaleur silence silence.
Et La Folia fût.
Ses fines paupières s'ouvrirent, révélant ses yeux de malachite.
Où...où suis-je?
La Folia cligna deux fois des yeux. S'écartant juste un peu pour mieux admirer l'éveil de son chef-d'oeuvre, Arthurus sembla sur le point de tomber à la renverse. Cole vint le rattraper juste à temps. La bouche de La Folia, animée comme celle d'un pantin, s'ouvrit.
"Où... suis...je...?"
Sa voix était tremblante et désarticulée. Elle ne sonnait ni humaine, ni robotique pour autant. Et pourtant, elle était douce à entendre, en quelque sorte. Aussitôt sa phrase prononcé, elle porta sa main à sa bouche, et son expression faciale vira de surprise à affolée.
Mon bras? Mon bras, pourquoi suis-je incapable de le bouger comme avant?! Pourquoi est-il...en...porcelaine?!
La Folia fût tellement surprise qu'elle manqua de tomber raide sur la table où elle était toujours assise. Arthurus accourut pour la soutenir.
"Est-ce que tu sais qui tu est?" demanda-t-il d'un souffle à la poupée humaine, sans même lui demander si elle allait bien. La Folia parût hésiter un moment avant de répondre. Peut-être étais-ce dû au fait qu'elle avait encore du mal à comprendre comment son système vocal ou respiratoire fonctionnait, ou bien au fait qu'elle était littéralement terrifiée.
"O-Oui..." articula faiblement la poupée. "Je suis...je suis G25D... heu! Je veux dire...S-Sue Berry-Rattlebag." Arthurus esquissa alors un sourire on-ne-peut plus satisfait. Il posa sa main articulée sur l'épaule gauche de La Folia et dit :
"Écoute...Sue." commença-t-il sur un ton on-ne-peut-plus solennel. "Cela va être très bizarre à entendre, alors il faut que tu me croie sur parole. Car maintenant, tu n'est plus vraiment Sue. Et tu n'est plus la patiente G25D non plus.
Alors qui suis-je...?!
-C-C-Comment...ça?
-Tu vas comprendre. N'aie pas peur : regarde-toi." Aussitôt, Cole sortit un grand miroir du capharnaüm qui composait le laboratoire d'Arthurus et le plaça devant La Folia. Difficilement, la poupée humaine se leva de la table où elle était demeurée assise pour mieux se mirer. Avec toute les peines du monde à rester debout, elle se mit à trembler si violemment qu'on aurait juré qu'elle convulsait...
Que m'ont-ils fait?! Mon dieu, que m'ont-ils fait...?!
"Que m'avez-vous fait?! Mais que m'avez-vous fait?!" articula-t-elle, la voix chancelante comme si elle était sur le point de pleurer. Voulant faire un pas, elle tomba à terre.
"Ne me touchez pas! Ne m'approchez pas! NE ME REGARDEZ PAS!" cria-t-elle quand Arthurus voulut s'approcher pour la relever.
"Je ne suis pas à...? Où est... Où...? Non...! Non...! L-Laissez-moi seule!" murmura-t-elle alors que Cole à son tour voulut l'approcher. Tournant son regard vers son assistant, Arthurus signifia par un seul regard à Cole qu'il valait mieux répondre à la demande de La Folia pour l'instant. Ainsi, les deux quittèrent temporairement le laboratoire, appuyant néanmoins son regard sur la poupée humaine jusqu'à ce qu'ils ne soient complètement partis.
Toujours à terre, La Folia parcourait son corps de ses mains articulées. A chaque partie de son anatomie effleurée, elle paraissait un peu plus affolée que la fois précédente. Et quand elle en eut finit, elle ne dit plus rien. Debout dans un coin, Vertiline était la seule à ne pas être partie; personne ne l'avait remarquée. Pensant que La Folia avait peut-être un dysfonctionemment, elle s'approcha et se baissa pour se retrouver à la taille de la poupée, qui était de toute manière plus grande qu'elle (évidemment...) La poupée humaine émit un léger mouvement de recul, mais se montra néanmoins beaucoup moins réticente à l'approche de Vertiline qu'à celle d'Arthurus ou de Cole.
"Est-ce que ça va?" murmura doucement Vertiline. La Folia secoua horizontalement la tête en guise de réponse, fixant l'inconnue de ses grands yeux écarquillés et désorientés. Tentant de la rassurer, la jeune fille aux cheveux verts poursuivit :
"Veux-tu...que l'on discute un peu? Je pense que cela te ferait du bien.
-Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de parler... Si ça se trouve, tout cela n'est qu'un mauvais rêve. Et à mon réveil, je serai dans les sous-sols, ou sur la table du do...du Boucher." argumenta la poupée d'une voix hagarde et veule, les yeux ronds et la bouche effectuant une moue révulsée. Triste révélation pour Vertiline. Quelles que soient les modifications qu'Arthurus lui avait apportée, cette fille venait de l'Asile...
"Dans ce cas, j'ai bien peur que nous ne fassions le même rêve..." dit-elle sur un ton compatissant.
"-...Je ne comprends plus rien.
-J'imagine, oui... Cela ne doit pas être facile d'être un robot quand vous êtes entouré d'humains." Vertiline savait difficilement quoi dire. Les mots lui manquaient, mais sa sincérité à aider cette poupée qui inspirait en elle une grande pitié était cependant des plus sincère.
"-Mais je ne suis pas un robot!!!" s'écria La Folia en portant ses deux mains à ses tempes. Vertiline échangea un regard profondément désolé avec elle.
"Je crains bien que si..." parvint-elle seulement à dire, la voix nouée. Le corps de La Folia se mit à trembler de nouveau et de plus en plus, au point qu'elle parût ne plus du tout le contrôler. Sa respiration se fit très saccadée, si bien que chaque mot qui sortit par la suite de sa bouche fût coupé d'une courte suffocation. Ses grands yeux aux teintes bleues, grises et vertes ne renvoyèrent plus qu'un reflet d'effroi, et son coeur battait alors si fort qu'on l'entendait véritablement cogner à l'intérieur de ce corps de porcelaine. Les mains maintenant agrippés dans ses cheveux d'or pâle, elle se mit à secouer la tête de plus en plus fort, répétant avec un effroi grandissant dans sa voix :
"Non...Non! C'est impossible! Il y a...combien, combien de temps...? Oh, j'étais...moi! J'étais humaine! J'allais...oui, vers Mary Jane...et...tout était blanc...! Tout était rouge...! Du sang! Ah! Du sang! Partout ! Partout! Mary Jane! Le Boucher! Non! Pas le Boucher! Mary Jane! Clarisse! A l'assaut! Où...? Ou...? Non! Non non non non non! Pas encore! Pas encore! Le rouge! Tout ce rouge! Tout ce sang! C'est la révolution! Alors que tout était si...si blanc! Rouge! Si blanc, comme les tasses, comme Guideon! Ce masque! Ah! La douleur! J'ai mal! Froid! Clarisse, attention! Oui! Le Boucher! Guideon! AAAAAH! Mary Jane! Mary Jane!!!
-H-Hé là! Calmez-vous! Calmez-vous, allons!" s'exclama Vertiline en se précipitant à terre pour prendre dans ses bras la poupée humaine, qui elle avait perdue toute présence d'esprit, et convulsait horriblement. La clé dans son dos, qui se frottait au sol dans un affreux bruit de crissement, l'empêchait de s'allonger. La Folia, visiblement complètement livrée à tes délires, cherchais-tu à fuir ce que toi seule voyait, ou simplement la terrifiante réalité à laquelle tu étais dès lors livrée? Les poupées peuvent-elles pleurer?
Si vous saviez...
Ha! Si j'avais su! Ha...
"Vous n'êtes plus à l'Asile! Tout va bien, maintenant!" dit Vertiline en serrant fort La Folia contre elle, pensant que c'était la meilleure chose à dire.
"-M-M-Mary Jane...? E-Est-ce toi...?" articula faiblement la poupée, semblant à peine consciente des dires de Vertiline.
"-Non... Ce n'est pas Mary Jane..." répondit tristement Vertiline en lui caressant les cheveux, pensant que la fameuse Mary Jane devait être une connaissance de La Folia... Enfin, de...Sue, du temps ou celle-ci était humaine.
Mary Jane...
"Alors qui êtes-vous et où suis-je?" demanda La Folia avec une froide lucidité, le regard perdu dans le vide.
"-Je m'appelle Car...Vertiline. Vous êtes aux Mines de GreySmith.
-Que...que fais-je à...GreySmith...?" elle leva une de ses mains articulées devant son visage et comprit aussitôt. Ses tremblements reprirent.
"Ça n'a pas de sens...ça n'a pas de sens..." répéta-t-elle, désemparée. La tenant toujours dans ses bras, Vertiline étreignit ce corps blanc et froid le plus doucement possible.
"-Alors concentrez-vous sur ce qui en a." dit-elle le plus gentiment possible, car elle était sincère.
"-Plus rien n'a de sens... Pas même ma propre vie..." murmura La Folia, son accès de démence semblant avoir fait place à une sombre neurasthénie. Elle s'assit, plus calme, étant demeurée jusque là semi-allongée dans les bras de Vertiline. "Je ne serais plus jamais humaine..." se dit-elle désespérément à voix haute, après un silence.
"-Allons, pensez au bon côté des choses!" s'exclama Vertiline en forçant le positivisme. "Vous allez pouvoir démarrer une toute nouvelle vie! Tout le monde n'a pas cette chance!
-Une nouvelle vie...? Je n'en demandais pas autant... Tout ce que je voulais, c'était... La seule chose que je désirais n'est plus depuis longtemps... C'est mortifié. C'est mort. Elle est morte. Je suis morte. ...Le pensais-je, tout du moins...
Mary Jane...
La Folia s'arrêta de parler un court instant, plongée dans une triste réflexion ou un sinistre souvenir. Vertiline, après un instant d'hésitation, repris :
"Est-ce qu'il y a...quoi que ce soit que je puisse faire pour vous aider?
-C'est gentil de votre part, mais... Non, je ne pense pas." Nouveau silence. "Il faudrait que je me rende à BlueSmith. Le plus tôt possible." dit-elle finalement, semblant avoir enfin recouvré tous ses esprits.
"A BlueSmith?" répéta Vertiline "Pour y faire quoi?
-Rendre visite. A... A Mary Jane." Vertiline comprit. La Folia voulut alors se relever, mais elle était encore faible, et maîtrisait toujours mal ce nouveau corps. (Jusqu'à quel point Arthurus l'avait-il transformée?! Autant chez Miss Elodie et Grace, l'on voyait clairement des part d'anatomie humaine, mais pour La Folia...ou Sue...son corps entier semblait fait de porcelaine...). Vertiline l'aida à se remettre sur pied, le plus doucement possible. Soudain, une sorte de petit boulon se décrocha de son coude et tomba au sol, sur le carrelage brunit de marques de chaussures terreuses.
"Oh. Je suppose que je vais devoir m'y habituer..." soupira La Folia en se baissant difficilement pour attraper la pièce détachée. Les yeux de Vertiline louchèrent alors sur l'objet.
"-Excusez-moi, est-ce que je peux le regarder un instant?" demanda-t-elle, hésitante.
"-Bien sûr, faîtes." dit la poupée en lui tendant sans hésitation ce qu'elle tenait dans ses mains blanches et fragiles.
Et là, évidemment, il fallut que ce morceau, tombé, comme par hasard, soit en fait le morceau de clé des Mines de GreySmith. Moui. Je vous le dis, il y a des jours ou la Chance vous a sous son aile.
"Je ne sais pas comment vous dire ça..." commença Vertiline d'un ton hésitant, ayant toujours le morceau dans une main.
"-Hé bien, dites toujours; nous verrons de quoi il en retourne.
-J'aurais...vraiment besoin de ce boulon." La poupée la dévisagea en clignant des yeux.
"Êtes-vous collectionneuse?" hasarda-t-elle à demander.
"-Non, ce n'est pas ça. Mais...disons que... Bon, je ne sais vraiment pas comment vous l'expliquer, mais j'ai besoin au moins de vous emprunter ce morceau..." La poupée secoua la tête verticalement, semblant en proie à une grande réflexion.
"Ma foi, je suppose que s'il est tombé, ce morceau n'était pas un détail très important de mon anatomie. Vous pouvez le garder, mademoiselle." lâcha-t-elle finalement avec le sourire de ceux qui aiment rendre service. Vertiline poussa un immense soupir de soulagement. Pour peu, elle crût que La Folia allait dire non, et à ce moment là, elle aurait eût l'air fine!
"Oh, merci infiniment!" s'écria celle-ci en se précipitant vers la poupée pour l'enlacer dans sa joie. Soudain, alors que ce doux échange ne durait que depuis quelques secondes seulement, deux voix (l'une grave et grinçante, l'autre plus tendre et patiente) se firent entendre de l'extérieur :
"Assez! Elle en met, un drôle de temps! Je vais te dresser ça, moi!
-Monsieur Arthurus! Ne vaudrait-il pas mieux songer à...
-Il suffit!"
Le frisson de joie de Vertiline se transforma soudainement en frisson d'angoisse.
"Peut-être vaudrait-il mieux que vous vous en alliez." suggéra La Folia en regardant Vertiline droit dans les yeux, les lèvres déformée par des choses qu'elle n'aurait pas voulue dire.
"-Et vous?" répliqua immédiatement Vertiline, partagée entre son besoin immédiat de fuir (elle ne voulait pas qu'Arthurus remarque qu'elle avait passé un moment privilégié avec sa création, sans quoi ça allait chauffer pour elle), et celui de rester encore un peu avec cette curieuse poupée.
"-Je me débrouillerai. Je me débrouille tou..." un pincement de lèvre amer l'empêcha de terminer sa phrase... "Je trouverai un moyen de me rendre à BlueSmith. Maintenant, filez! Que mon boulon vous soit utile où que vous alliez; je vous le souhaite!" dit-elle finalement en poussant Vertiline vers une cachette près de la porte d'entrée, par laquelle Arthurus pénétra-t-il à peine Vertiline eût-elle le temps de se cacher derrière un amas de bras en ferraille.
"...Est-ce que je vous reverrai?" avait néanmoins murmuré la Poupée Humaine Autonome juste avant l'arrivée d'Arthurus.
"Je l'espère!" lui avait répondu Vertiline.
Je souris, partant me remettre près de la table d'opération.
Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "L'amour naît des zombies et d'une chute de lampadaire"!
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