Chapitre vingt-et-unième : Mademoiselle Wedge est accusée

Minuit, l'heure du crime.

Vertiline et Enoch furent soudainement tirés de leur somnolence par un cri atroce en provenance d'en-bas. A peine eurent-ils le temps de quitter la serre en toute précipitation que déjà une multitude de cris supplémentaires avaient été poussés, tous plus glaçants les uns que les autres. C'est avec surprise et crainte qu'à leur arrivée, les deux compères découvrirent une multitude d'enfants et de domestiques rassemblés devant la chambre 900, tous échangeant des murmures apeurés et d'inquiétantes messes-basses...

"C'est vrai? Mais comment..." disaient certains.

"-Je ne sais pas, mais j'ai entendu que..." répondaient d'autres.

"-C'est impossible! Je ne veux pas y croire!" gémissaient l'un.

"-C'est un vrai cauchemar...!" renchérissait l'une. 

"Que c'est-il passé?" compléta Vertiline en craignant le pire. Tout le monde se retourna vers elle, beaucoup ignorant encore qui était mademoiselle Wedge, et donc pourquoi cette femme aux cheveux étranges était-elle dans la tenue des domestiques de l'Orphelinat.

"C'est un assassinat!" s'éleva une voix. 

"Mais qui a bien pu commettre une chose pareille?" demanda une nouvelle voix à la première.

"Qu'est-ce que j'en sais, moi?!" cingla la première voix à la seconde. 

"Hein? Qui a été assassiné?!" s'exclama Vertiline qui faisait de son mieux pour comprendre. A nouveau, plusieurs visages attristés se tournèrent vers elle, ne sachant que trop peu quoi répondre. "Madame et Madame Sterling..." commença un petit garçon que Vertiline reconnût être Cuthbert. "Elles sont..." poursuivit une fillette qui se révéla être Helen. "...mortes..." acheva gravement Lionel. Le souffle de Vertiline s'en retrouva coupé l'espace d'un instant. Scarlet et Vermeille...assassinées? Mais par qui? Pourquoi? Comment? 

"J'ai déjà pris la liberté de contacter un Shérif pour élucider l'affaire." poursuivit Nigel, qui décidément ne se séparait jamais de son compère. 

"Mais qu'allons-nous faire des corps?" gémirent Cuthbert et Helen en même temps. 

"-Le Shérif et son acolyte devraient être accompagnées du...personnel nécessaire pour...leur offrir une sépulture." conclut Nigel de plus en plus bas. 

"-Et... comment se portent Richard et Miss Elodie?" demanda faiblement Helen. Nigel ne répondit pas avant un long moment. "Je doute qu'ils soient au meilleur." conclût-il simplement après un temps d'attente. 

"-Est-ce que l'on peut entrer voir Miss Elodie?" demanda timidement Cuthbert

"-Et descendre voir Richard?" enchaîna nerveusement Helen.

"Non. Le... Scarlet est encore dans sa chambre. Vermeille aussi." hésita Nigel en faisant de son mieux pour rester le plus stoïque possible. 

-Que c'est-il passé?" demanda Vertiline assez fort pour que sa voix couvre les autres. "Qui a... je veux dire comment ont-elles... est-ce que l'on a des indices?

-Aucuns, j'en ai peur." lui répondit Lionel. "Leurs...leurs cheveux ont été coupés. Ça les as tuées, littéralement." Au même moment, trois 'toc toc toc!' bien distincts se firent entendre depuis le bas de l'Orphelinat. 

"Ce doit être le Shérif et son acolyte. Ils ont fait vite!" s'exclama Lionel en descendant immédiatement les escaliers, suivit de près par Nigel, les enfants, ainsi que Vertiline et Enoch. Lorsque nos deux protagonistes arrivèrent au rez-de-chaussé (bien après les autres car ils avaient trouvés le moyen de se perdre deux fois entre les escaliers qui bifurquaient à droite et ceux qui bifurquaient à gauche de la droite ), presque tous les pensionnaires et employés de l'Orphelinat étaient rassemblés devant la grande porte d'entrée. Les cris avaient alertés tout le monde, et en peu de temps, la triste nouvelle fit le tour des lieux. Richard venait d'ouvrir la porte pour accueillir les arrivants. 

"...Vous n'êtes pas le Shérif de YellowSmith?" dit-il à la vue de la personne se tenant devant lui. 

"Il était déjà sur une affaire urgente. Il m'a demandé, à moi et mon acolyte, de bien vouloir nous charger de l'enquête." répondit une voix féminine.

"Mais n'êtes-vous pas vous-même sur une affaire urgente?" repris Richard avec dédain.

"-Heu... on peut dire ça. Mais quoi qu'il en soit, nous sommes là pour vous accorder notre aide, monsieur." renchérit la femme.

"-Fort bien, fort bien." admit le veuf en poussant un léger sourire. "Dans ce cas, où est votre acolyte, si je puis me permettre? 

-Elle arrivera d'un instant à l'autre. Nous pouvons commencer sans elle. 

-Comme vous le suggérez.Je suppose que vous voulez inspecter les corps?

-Ah! Pas si ils n'ont pas été thanatophorés avant!

-...Je vous demande pardon?

-Oh... il faut vraiment que je m'entraîne à faire des blagues...

-Un conseil : évitez les plaisanteries sur le registre mortuaire, madame la Shérif. La qualité de vos boutades n'en sera que meilleure.

-O-Oui. Vous avez raison." murmura penaudement celle-ci avant de vite regagner en assurance dans la voix. "Bien! Allons... allons voir les corps. 

-Le premier est au premier étage. Si vous voulez bien me suivre..." Richard et la Shérif se dirigèrent tous deux vers les marches de l'escalier, puis s'engouffrèrent vers ses hauteurs.  

Beaucoup d'enfants demeuraient encore devant l'entrée, et les faire retourner au lit se révéla être une tâche plus ardue que prévu. Une bonne moitié d'entre eux refusaient encore de croire à la mort des soeurs Sterling, tandis que l'autre moitié préférait s'amuser à secouer les tentacules flasques d'Enoch dans tous les sens (ce qui ne manquait pas d'agacer ce dernier) pour ne plus penser à ce funeste incident. Apportant son aide aux autres employés de l'Orphelinat pour essayer de remettre les enfants dans leurs dortoirs, Vertiline, voyant que leurs efforts étaient vains, en vint à prendre une douloureuse décision. 

"Mon cher Enoch..." commença-t-elle sur un ton plein de compassion. "Je sais que cela ne va pas te faire plaisir, mais..." Elle hésita à continuer. Compréhensif, Enoch répondit en posant solennellement une tentacule sur l'épaule de son amie : il avait compris le message et s'acquitterait de sa tâche. "Merci, mon ami." dit-elle en empoignant tendrement sa tentacule. "Je te promet que je te revaudrais ça." déclara Vertiline en voyant son compagnon partir en direction des dortoirs avec pas moins d'une bonne dizaine d'enfants collés à lui. Au même moment, la grande porte, qui avait malencontreusement été gardée entr'ouverte par Richard, s'ouvrit à nouveau, laissant entrer une grande rouquine à l'allure musclée. 

"C'est bien ici l'Orphelinat d'YellowSmith?" déclara-t-elle avec un accent citadin et campagnard en même temps.(Est-ce seulement possible?) Aussitôt, Vertiline se précipita furtivement dans un coin pour ne pas être vue. 

"Oui. Êtes-vous l'acolyte de la Shérif?" demandèrent à l'unisson Lionel et Nigel, que Vertiline n'avait même pas vus arriver. 

"Ah, Hermi' est déjà arrivée? Parfait! Ouaip messieurs! 'Chuis l'acolyte de la Shérif. 'Savez où elle est, par hasard? 

-Elle est allée examiner le premier corps." dit Nigel.

"Voudriez-vous également prendre part à l'examination?" poursuivit immédiatement Lionel. 

"Ouais, volontiers! Enfin façon de parler..." répondit l'acolyte. Et sur ces belles paroles, les trois empruntèrent à leur tour les larges escaliers gravis il y a peu par Richard et la Shérif.

Les choses commençaient à devenir de plus en plus tendues à l'Orphelinat... Avec maintenant la présence de Hermione et Vincent, et la mort subite de Scarlet et Vermeille (dont le ou la coupable n'était d'ailleurs toujours pas identifié), l'affaire s'annonçait plus que délicate... Néanmoins, maintenant que tout le monde était préoccupé par l'assassinat des soeurs Sterling, Vertiline pouvait tirer profit de l'agitation générale pour se mettre en quête du morceau de clé sans que personne ne se soucie d'elle. Mais voilà : où pouvait-il bien être? Et ce n'est pas comme si l'Orphelinat était particulièrement gigantesque, noooon... Trouver un petit morceau de clé là dedans serait encore pire que de chercher une aiguille dans une botte de foin! Par où commencer? ll valait sans doute mieux inspecter les endroits les plus susceptibles de contenir un objet précieux... Oui, cela nous avance terriblement. Pour Vertiline, les soeurs Sterling étaient très probablement les propriétaires du morceau. Si elle avait juste, celui-ci était alors à deux endroits possibles : sur elles, ou dans une de leur chambre respective. Et évidemment, il fallait que les deux aient été tuées dans leur chambre... Celle de Vermeille était actuellement inspectée par Hermione, Vincent, et le fameux Richard. Logiquement, personne n'était dans la chambre de Scarlet, non? C'est ce que Vertiline allait découvrir d'une minute à l'autre. 

Grimpant une à une les quelques milliers de marches séparant le rez-de-chaussé de l'étage où se trouvait la chambre 900 (approximativement le quatre-vingt-dizième et des poussières), Vertiline, qui ne manqua pas de faire une réflexion sur l'utilité incroyable qu'aurait l'installation d'un ascenseur, ne pût s'empêcher durant sa montée de penser à Enoch. Une fois de plus, il l'avait tiré d'une situation désavantageuse. Entre ça, sa participation au Tournoi de RedSmith, le fait qu'il lui ait sauvé la vie in-extremis à l'Asile, la manière dont il l'avait aidée à sortir de prison, et bien d'autres choses encore, Vertiline se disait qu'elle n'avait pas encore remercié son ami comme il se devait, et jura de s'appliquer à cela une fois avoir quitté l'Orphelinat. 

Une fois arrivée, en nage et complètement essoufflée, Vertiline s'aventura dans les tortueux couloirs de l'étage jusqu'à parvenir à la chambre 900. Prenant une grande inspiration, elle hésita tout d'abord à ouvrir la porte en posant sa main sur la poignée. Vermeille et Richard n'avaient-ils pas parlés d'une certaine 'Miss Elodie' possiblement ici, avant l'assassinat? Hé bien de toute manière , il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir. Contrairement aux autres dans l'Orphelinat, la porte s'ouvrit ici sans aucun grincement, ni aucun bruit. Vertiline la referma derrière elle sans même se retourner : difficile de faire profil bas quand une personne vous fixe comme un intrus alors que vous venez de pénétrer sa chambre...par intrusion, justement. Au milieu de la pièce, assise sous deux couvertures dans un grand lit à deux place, se tenait une sublime jeune femme dont il était impossible de détourner le regard en la voyant, tant elle était belle. Enfin, sublime et néanmoins inquiétante était sans doute le descriptif le plus approprié : bien que d'une beauté absolument divine, le visage, ainsi que de ce que l'on pouvait en voir les bras et le torse de cette femme, étaient incrustés de pièces mécaniques et d'éléments robotiques, lui donnant davantage l'apparence d'un cyborg angélique que d'une véritable humaine. La demoiselle écarquilla les yeux : 

"Venez-vous pour le corps?" demanda-t-elle d'une douce voix chuchotée. Le corps! Comment Vertiline avait-elle fait pour ne pas apercevoir le corps?! Le cadavre blanc comme un linge de Scarlet Primrose Sterling gisait en évidence sur le lit, la jeune fille ayant même une main posée sur sa tête! Pour une rare fois dans sa vie, Vertiline hésita à mentir ou dire la vérité (elle se rabattait généralement sur la première option). Première possibilité : "Ouiouioui, je travaille pour la morgue pas loin! Passez moi l'cadavre, que j'le mette dans la fosse avec les autres! Au passage, 'savez pas où je pourrais trouver un genre de morceau de clé par ici?" Mouais... Deuxième possibilité : "Ah ben non, j'viens là pour voler un truc précieux, comme je le fais très souvent. Heu... oubliez ce que je viens de dire! Bref, une idée d'où je pourrais trouver un genre de morceau de clé, dans le coin?" Re-mouais... 

"Et...vous êtes?" demanda Vertiline sans répondre à la question de la jeune fille.

"-Vous n'avez pas répondu à ma question..." argumenta-t-elle en baissant ses yeux globuleux.

"-Vous n'avez pas répondu à la mienne non plus." objecta Vertiline.

"-Si je répond à votre question, répondrez-vous à la mienne?

-Disons ça comme ça. 

-C'est une promesse?

-...Vous voulez faire une promesse pour si peu de choses?

-Faire une promesse me permet de m'assurer que la personne en face de moi ne la trahira pas.

-Certains ne tiennent pas leur promesse, vous savez.

-Faîtes-vous partie de ces 'certains'?

-C'est bien pour éviter d'en faire partie que je ne promet pas grand chose!

-Mais voulez-vous faire une promesse aujourd'hui?

-Pour une simple question triviale?

-Ce serait une promesse tout aussi triviale.

-Alors quel en serait l'intérêt?

-Vous y trouveriez votre propre intérêt. 

-Vous voulez donc que je vous annonce la raison de ma venue ici?

-En échange de la révélation sur mon identité.

-Un prénom n'est qu'une maigre révélation.

-Cela dépend dans quelles circonstances, mademoiselle Amanda Parthenia Wedge.

-Je suppose, mais... hé! Vous connaissez mon prénom? Je n'ai pas souvenir de vous l'avoir donné!

-C'est précisément parce que vous ne me l'avez jamais donné. Quand à moi, je me nomme Elodie Aura Maxwell. Mais je vous en prie, appelez-moi Miss Elodie, comme tout le monde. 

-...Vous venez de me donner votre prénom sans même que nous n'effectuions une quelconque promesse.

-Promettre n'est pas dans vos habitudes, mademoiselle Wedge. Mademoiselle March. 

-Mais je vous promet que j'ai d'ors et déjà plusieurs questions à vous poser, Miss Elodie...

-Faîtes donc.

-Vous savez. Je ne sais pas exactement ce que vous savez, mais vous le savez! 

-N'allez pas croire que j'ai désir de savoir. 

-N'allez surtout pas croire que vous commencez à sérieusement m'embrouiller...

-Est-ce du sarcasme?

-Pensez-vous que ce soit du sarcasme?

-Ça m'en a tout l'air.

-Pour la simple et bonne raison que ça l'est. 

-Vous vouliez donc savoir.

-Savoir quoi?

-Savoir ce que je sais, et pourquoi je le sais.

-Oh, ça! Vous SAVEZ forcément quelque chose, mademoiselle Maxwell!

-Miss Elodie, je vous prie. Appelez-moi Miss Elodie. 

-Très bien Miss Elodie. Dites-moi tout ce que vous savez!

-Je ne suis pas sûre de vouloir tout vous dire, miss March.

-A la bonne heure! Vous semblez déjà en savoir beaucoup sur moi alors que je ne connais guère que votre nom. Mais je crois aussi que nous nous sommes engagés dans une bien confuse digression, Miss Elodie...

-En effet. Je ne promet pas de tout vous dire, Miss March. Mais posez-donc vos questions, je verrai bien si je désire vous répondre ou non. 

-Est-ce une nouvelle promesse? 

-Je vois que vous commencez à en devenir amatrice.

-Non, non, nullement! Bref! Miss Elodie, que faîtes-vous à côté du cadavre de Scarlet Primrose Sterling?

-Ce n'est pas un 'cadavre', mademoiselle March! Scarlet est Scarlet. Pas un cadavre. Jamais un cadavre...

-Mais que faites-vous donc à ses côtés? Personne n'apprécie la compagnie d'un...corps inanimé." Miss Elodie balaya lentement la pièce de ses gros yeux bleus pouvant s'orienter à 360° (logique). Puis, prenant la tête pâle et cadavérique de Scarlet sur ses genoux, elle la caressa tendrement et déclara : 

"Scarlet et moi sommes fiancées. 

-Oh... Toutes... mes condoléances? 

-Pourquoi cet air interrogatif?

-Je-Je ne sais pas, vous... vous ne semblez pas plus que ça...affectée par...

-C'est parce que mon visage ne parviens plus à montrer des émotions nuancées." la coupa sèchement Miss Elodie. 

"Votre visage? Mais qu'est-ce qu'il a, votre visage?" demanda Vertiline au moment même ou elle réalisa la stupidité de sa question : la tête de Miss Elodie était incrustée ça et là de divers morceaux de métaux ressortant à travers sa peau. On apercevait majoritairement le plus gros sur sa joue gauche, traversée de part et d'autre d'un long embout métallique. Quand à ses yeux, ils n'avaient plus rien d'organique (voilà pourquoi elle pouvait les orienter à 360°). C'était à se demander si Vertiline conversait plutôt avec une femme partiellement robot, ou un robot partiellement femme...

"...Que vous est-il arrivé pour que vous soyez dans cet état?" la questionna Vertiline. C'est vrai qu'à bien y réfléchir, c'était apparemment pour Miss Elodie que Scarlet avait fait un vacarme de touts les diables cet après-midi. Soit dit en passant, ladite Miss Elodie Aura Maxwell n'avait pas bougé de sa chambre alors qu'un assassinat sur sa propre femme venait de se produire. 

"Je ne sais pas si j'ai envie de vous le dire." répondit candidement Miss Elodie, sans que son expression faciale neutre ne s'accorde avec sa voix pour autant.

"Hé bien décidez-vous!" trancha Vertiline, fatiguée des tergiversations et stichomythies à tout va.

"-Méritez-vous seulement cette information?" demanda alors Miss Elodie, sa question faisant arborer à Vertiline une mine perplexe. 

-En quoi faut-il la mériter?

-C'est une histoire pleine de tristesse mêlant des événements tragiques et des effets exagérés sur ma voix pour accentuer la dramatisation. Je ne la conte qu'à ceux qui ont connus la souffrance." clarifia la femme robotique d'une voix mi-rêveuse et mi-apitoyée.

"-Sans que je ne sache dire pourquoi, vous semblez connaître beaucoup de choses sur moi." fit remarquer Vertiline. "Si vous connaissez mon véritable nom, peut-être en savez-vous encore plus; quoi que la raison à cela m'échappe totalement." 

-Vous êtes futée, mademoiselle March. Effectivement, je suis au fait de ce que vous avez vécu. 

-Alors, mes expériences du passé sont-elles assez tragique pour mériter votre histoire?

-Je dirais que oui. 

-Je vous écoute.

-Je n'ai cependant pas dit que je vous la conterait obligatoirement, quand bien même vous et moi avons été en proie à la même souffrance. Après tout, nous avons toutes deux connues la mort de nos amours. 

-Vous dites cela avec tant de placidité...

-Mon visage, mademoiselle March. Mon visage. 

-Encore cette histoire d'émotions physiquement atténuées? 

-Oui. 

-Bah, qu'importe! Mais j'ai d'autre question à vous poser dans ces cas là. En espérant que vous aurez l'amabilité d'y répondre. 

-J'ai été internée à l'Asile pour Filles Démentes de St Gladys, tout comme vous.

-...Vous changez d'avis plus vite qu'une girouette, vous...

-Mon propre père, Henry Conrad Honor, m'y a envoyé pour y suivre un traitement. J'étais le numéro W17M. 'Mélancolique', m'a dit le docteur Wyverstone. Car j'ai eût le malheur de vivre un chagrin d'amour, et plus encore de laisser ma peine apparente. Vous avez vous-même vécue l'expérience de l'Asile, mademoiselle March. Aussi, je n'ai pas besoin de vous expliquer en quoi le traitement fût quelque peu inefficace. Néanmoins, j'ai contrairement à vous expérimenté les sous-sols de l'Asile..." Le visage de Vertiline se glaça d'une expression horrifiée. Elle avait beau ne pas avoir connu personnellement les sous-sols, les récits qu'elle en tenait de Clarisse et d'autres patientes étaient assez effrayant pour que le simple fait d'imaginer des femmes innocentes prisonnières dans cet endroit ne lui donne encore de terribles sueurs froides. "Après la rébellion...la rébellion échouée..." poursuivit Miss Elodie, penaude (il est vrai que Miss Harris avait parlé à Vertiline de cette fameuse rébellion... N'avait-elle pas mentionnée une certaine Elodie parmis les patientes y ayant prit part?) "Clarisse...Grace...et moi-même, nous avons été jetées au sous-sol... J'ai bien crû que j'allais y mourir, comme tant d'autres... Et il y avait Guideon... Oui... Quand nous sortions des sous-sols, ce n'était que pour nous retrouver sur la table du Boucher! Il m'a tuée, miss March! Il m'a tué l'esprit! M'a coupé...tranché...lacéré...tant de choses... Et ce rouge...tout ce rouge...il y en avait partout sur la table! Et cette horrible odeur de sang! Ah! Grace, la pauvre, elle vécut les mêmes horreurs! Nous étions plus mortes que vivantes à ce stade! Et alors...alors que nous pensions tristement nous éteindre dans les sombres sous-sols de l'Asile... Nos corps ont été mis dans un chariot, et emmenés. Peut-être nous croyais-t-on mortes... D'autres dans le chariot l'étaient, en tout cas... Je ne sais où nous fûmes conduites, mais le fait est que nous sommes ainsi arrivées face à un inventeur...à moitié fou. Un certain Arthurus Rex McLogan. Il a décidé de se servir de nos corps à Grace, moi, et les autres patientes décédées qui lui avaient été amenées, comme cobayes pour ses expériences sur la robotique." Miss Elodie marqua une pause, haletante. Bien que son visage ne laissait transparaître que peu d'émotions, sa voix, elle, en disait long. Elle secoua la tête et repris, tout en caressant les cheveux de Scarlet de la main gauche. "Son but était de recréer un robot à partir d'un corps humain. Il a essayé sur certains cadavres de patientes, ce fût un échec. Puis, je fus son sujet d'expérimentation..." Elle serra les dents, la voix étranglée. "Il m'a retiré plusieurs organes et autres parties de mon corps afin de les remplacer par des pièces robotiques. Votre regard me pose la question : oui, j'étais consciente quand il l'a fait. J'ai tout vu, tout ressenti... Arthurus n'utilisait pas d'anesthésiant. Guideon non plus, d'ailleurs... Et comme vous pouvez le voir, le projet n'a pas abouti..." Nouvelle pause. "Arthurus n'était pas satisfait du tout du résultat obtenu avec moi. Je rouillais beaucoup. Je rouille encore beaucoup. J'avais du mal à bouger convenablement, et encore plus à me déplacer. Mon corps de métal et de chair n'arrivait tout simplement pas à fonctionner correctement. On m'avait retiré trop d'éléments organiques, ajouté trop d'éléments mécaniques... Mon 'inventeur' a donc préféré se débarrasser de moi en me jetant dans une décharge. Comme un vulgaire déchet... C'était il y a à peine deux ans, vous savez. Puis Scarlet m'a trouvée par hasard au milieu du monticule de caillasse métallique où j'avais été jetée sans considération. Elle a pris soin de moi et nous nous sommes aimées. Quelques mois plus tard, nous nous sommes mariées. Et maintenant, ma pauvre Scarlet n'est plus..." 

Vertiline ne su que dire, la gorge trop serrée par la pitié et l'effroi après la sombre complainte biographique de Miss Elodie Aura Maxwell... Voici donc jusqu'où les horreurs de l'Asile pouvaient se perpétrer... Pire, elles s'étendaient! Jusqu'à ce...Arthurus. Aussi démoniaque que Guideon, visiblement! Et...soudain y pensa-t-elle... Clarisse... Qu'était-elle devenue? Ce pouvait-il qu'elle puisse être victime...du même sort que Miss Elodie...? Oh non... 

"Je suis sincèrement désolée pour vous..." articula Vertiline en levant des yeux désolés vers la femme-robot.

-Vous le semblez. Chose assez rare à en juger ce que je sais sur vous." répondit l'intéressée d'un ton neutre, l'émotion de son monologue apparemment déjà passée. 

"-...Et que savez-vous de moi une bonne fois pour toute, Miss Elodie?" demanda Vertiline en croisant les bras.

-Ha oui. Vous savez que je sais

-Et j'aimerais bien savoir pourquoi vous savez. 

-Je crois que nous avons déjà eu un échange semblable à celui-ci.

-Échange qui s'est poursuivit par une histoire pleine de tristesse mêlant des événements tragiques et des effets exagérés sur votre voix pour accentuer la dramatisation. 

-Certes. Tout est dans mon visage, mademoiselle March. Une fois de plus. 

-Toujours à propos de vos expressions faciales ou je ne sais quoi?

-Non, non. Vous regardez mal. Voyez plutôt mon oeil.

-Votre oeil? Oh!" Effectivement. Encore une fois, il était difficile de ne pas l'avoir remarqué plus tôt (disons que Vertiline avait une petite conjonctivite aujourd'hui, d'accord?). L'oeil droit de Miss Elodie n'avait plus que d'oeil que le nom, car il figurait à la place une sorte de loupe translucide entourée d'une matière métallique et brillante. 

"Il me permet de lire le passé et l'avenir des gens que je rencontre." lâcha-t-elle le plus calmement du monde, comme si c'était le genre d'information qu'on entendait au café du coin. 

"Cela explique certaines choses..." constata placidement Vertiline en portant deux doigts à son menton. 

"Vous allez obtenir ce morceau de clé mademoiselle March, mais pas de la manière dont vous l'entendez. 

-Et...comment vais-je l'obtenir?" demanda Vertiline, de plus en plus habituée à ce que les questions qu'elle posent ne se soldent par des réponses plus loufoques les unes que les autres.

"-Plus simplement que vous ne le pensez." dit Miss Elodie en lui tendant de ses propres mains le morceau de clé. Vertiline la dévisagea, particulièrement dubitative.

"Si je ne vous le donne pas, vous ne le trouverez jamais." continua calmement Miss Elodie. "Autrement, au vu des événements qui vont suivre, vous n'auriez pas eu de sitôt l'occasion de retourner à l'Orphelinat pour le récupérer. Alors acceptez-le. 

-N'étais-ce pas votre femme ou sa soeur qui le possédait?" demanda Vertiline saisissant avec une légère hésitation, puis rangeant le morceau dans son corsage.

"-Scarlet et Vermeille se disputaient toujours pour savoir laquelle des deux était en droit de l'obtenir. Pour trancher, elles ont finalement décidé que ce serait Richard ou moi qui l'aurions. Et comme Richard ne souhaitait aucunement avoir des responsabilités, je suis entrée en possession du morceau.

-Richard? Le grand barbu, là? Qu'a-t-il à faire dans cette histoire?

-C'était le fiancé de Vermeille. Maintenant il est veuf, tout comme moi..." Son regard se porta tristement sur la tête de Scarlet qu'elle tenait toujours entre ses mains. "Quand à vous mademoiselle March, je vous conseille de vite vous enfuir. Même si où que vous alliez, vous ne pourrez jamais vraiment échapper à votre futur. Ni à votre passé, d'ailleurs. 

-Pourquoi?" l'interrogea Vertiline sans tenir compte de sa dernière phrase. "Que va-t-il se passer?" Au même moment, la porte de la chambre s'ouvrit en trombe, laissant entrer dans la pièce Hermione Lisbeth Tinker, Vincent Théodore Archer, et Richard Ted Chandler. Choquée de voir Vertiline Eunice March là où elle ne s'attendait pas à la voir, Hermione se figea sur le coup, son doigt pointé sur la demoiselle aux cheveux verts. 

"La...La...!" bégaya-t-elle.

"La fille March!" s'écria Vincent en fonçant sur Vertiline. Tout se passa très rapidement : Vincent se précipita si vite sur Vertiline que la jeune femme n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit, et en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, elle se retrouva les mains menottées derrière le dos, le fusil d'Hermione pointé contre sa nuque, celle-ci la sommant d'avancer sans faire d'histoires. 

"Vertiline Eunice March! Perfide criminelle que vous êtes! Je vous somme d'avancer sans faire d'histoires!" cingla triomphalement la Shérif en poussant sa prisonnière sur le seuil de la porte. La descente de l'approximatif quatre-vingt-dixième étage jusqu'au rez-de-chaussé de l'Orphelinat fût comme une descente de la honte pour Vertiline. A chaque étage descendu, c'était un peu plus d'enfants et de domestiques qui venaient contempler avec mépris celle que les commérages avaient identifiée comme l'assassin de leurs bien-aimé directrices. Vincent et Richard étaient restés dans la chambre de Miss Elodie pour s'entretenir avec elle et s'occuper du corps. Tout était entre Vertiline et Hermione : en haut la Shérif de GreenSmith exerçant à menace de coup de fusil toute sa domination sur la hors-la-loi, et en bas la voleuse la plus célèbre de son compté, rabaissée au rang de proie capturée par sa chasseuse.

Enfin arrivées devant la porte de l'Orphelinat que Vertiline n'avait franchit qu'il y a à peine une dizaine d'heures, Hermione rabaissa son fusil pour aussitôt attacher une longue corde aux menottes de sa prisonnière. 

"Ne pensez même pas à vous enfuir, Miss March!" déclara Hermione sur un air qui se voulait imposant, mais qui ne l'était pas (c'était pourtant bien tenté).

"J'avais compris avant que vous ne le disiez." répliqua tranquillement Vertiline.

"Ne discutez pas!

-Je ne discute pas.

-Taisez-vous!

-Comme si...

-Je vous ai dit de vous taire!" Résultat satisfaisant : Vertiline se tût. Bien qu'Hermione l'agaçait profondément, elle pouvait néanmoins comprendre le mélange de joie et de crainte indescriptible qui devait saisir la Shérif à cet instant : voler lui provoquait parfois la même sensation. D'abord la satisfaction d'avoir obtenu ce que l'on cherche depuis si longtemps, puis la peur de perdre immédiatement ce que l'on vient d'obtenir après tant d'efforts. La maréchaussée de GreenSmith traquait Vertiline depuis maintenant plusieurs semaines, il était normal que Hermione se sente soulagée et satisfaite d'avoir enfin mis la main sur elle. Le tout était qu'elle ne s'échappe pas, sans quoi, son plan n'aurait servit à rien... Alors qu'elles s'apprêtaient toutes deux à franchir les portes de l'Orphelinat, sous le regard à la fois effaré et enragé des résidents et du personnel, Lionel et Nigel déboulèrent à toute allure dans le hall, alertant Hermione : 

"Mademoiselle la Shérif! Attendez un instant!" s'écrièrent-ils à l'unisson. "Que c'est-il passé? Nous nous pouvons décemment pas croire que mademoiselle...Wedge puisse être coupable des crimes dont on l'accuse!

-Des crimes? Elle est accusée de crimes, vous dites?!

-Hé bien... c'est à dire que vous aviez encore votre arme sur sa nuque il y a à peine quelques minutes. Cela laisse place à moultes interprétations. 

-Ah! Ça! N'ayez crainte, mes braves messieurs! Cette sale criminelle est entre les mains de la maréchaussée de GreenSmith, maintenant!" s'enorgueillit Hermione en frappant fièrement un poing au niveau de son coeur. Vertiline leva les yeux au ciel en soupirant. 

"Mais justement : mademoiselle Wedge a-t-elle seulement effectué le moindre crime qui puisse justifier votre arrestation?" demanda Lionel d'un ton dubitatif.

-Cette femme n'est pas celle pour laquelle elle a voulu se faire passer..." répondit Hermione sur un ton solennel. "Elle n'est aucunement 'mademoiselle Wedge', mais bien la célèbre voleuse Vertiline Eunice March!" Grand silence solitaire. Les enfants comme les membres du personnel de l'Orphelinat n'avaient tout simplement pas la référence de la Shérif. Car s'il est vrai que si Vertiline était presque devenue une personnalité à GreenSmith au vu de l'audace de ses actes, elle n'en restait pas moins inconnue aux habitants des autres comptés.

"Elle est -poursuivit Hermione- accusable en de très nombreux points! L'assassinat n'en est qu'une partie!

-Par contre, je tiens à préciser que je n'ai tué personne." argumenta Vertiline tout aussi placidement que la dernière fois. 

"Nous verrons, mademoiselle March! Nous verrons!

-Qu'allez-vous faire d'elle?" demanda Nigel d'un air inquiet.

"Elle sera emmené à la Cour de Justice de GreenSmith pour y être jugée et recevoir la sentence qu'elle mérite. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser..." 

Sur ces mots, Hermione Lisbeth Tinker tourna les talons, suivie par son trophée de chasse vivant qu'elle exhibait avec la plus extrême des fierté. 

Et ainsi, comme l'avait prédit Miss Elodie avec son super-oeil-magique-vision-futur-machin-toutcequetuveux-blablabla, Vertiline quitta bel et bien l'Orphelinat de YellowSmith dans des conditions différentes de ce qu'elle avait espéré, mais avec néanmoins le morceau de clé en sa possession. Vertiline était dans une mauvaise passe. Une mauvaise passe sacrément poisseuse. Mais contrairement à la dernière fois ou la Shérif de GreenSmith l'avait faîte prisonnière, Vertiline avait des idées d'échappatoire.

Mieux encore : elle allait les appliquer!


Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "Miner, canailler, et toutes ces sortes de choses"!

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