Chapitre trentième : Espressivo, monstre de première génération

Fort heureusement, le reste du voyage s'était déroulé sans aucun problème notoire, excepté une altercation dans un banc de canard en pleine migration (dont un finit rôti en se coinçant dans le moteur, que Vertiline et Enoch dégustèrent allègrement), et un concours d'injures disputé avec les pirates du ciel, dont la chef prétendait être une sorte de guerrière céleste... (Vertiline ne comprit pas tout ce qu'elle dit)... bref, toute une histoire! Mais ne nous attardons pas outre mesure sur ces quelques non-essentialités. Enfin, après quelques heures de vol perturbées par ces quelques semblants de non-péripéties, nos deux compères furent ravis de voir qu'Indiana ne leur avait pas indiqué une fausse direction. En effet, à seulement quelques mètres devant eux, volant majestueusement parmis les nuages dans un ciel doré sous les derniers rayons du soleil : le Cirque de PinkSmith!

Un édifice incroyablement grand et imposant, cela va sans dire. On aurait dit une véritable petite cité volante! Le chapiteau, de forme oblongue, était facilement reconnaissable de part l'immense bâche aux rayures chatoyantes jaunes d'or et rouges vermillon qui constituait son toit. Il était directement relié à une sorte de petite tourelle équipée d'un balcon et d'une voile dans les mêmes tons que la bâche du chapiteau, constituant une partie propre du Cirque (sans doute là où devaient se trouver les loges des artistes, ou quelque chose comme ça). En dessous de ce vaisseau peu commun, il y avait un gigantesque mécanisme tournant à vive allure, fonctionnant notamment grâce à une énorme roue dentée, elle même actionnant d'autres roues dentées plus petites qui elles entraînaient le mouvement de plusieurs pistons soufflants et fumants; le tout faisant fonctionner l'énorme moteur permettant au Cirque de voler. 

Avant d'atterrir, Vertiline et Enoch se rappelèrent leur plan une dernière fois. Ils avaient lu la lettre de recommandation d'Indiana au préalable, et celle-ci indiquait que Vertiline (ou plutôt Victoria Prismall) était une femme-poulpe qui cherchait un emploi au sein du Cirque de Sir Fisherman. Autrement dit, les deux allaient devoir avoir recours à un ingénieux procédé si ils ne voulaient pas se faire rejeter comme de vulgaires histrions. Et une fois le plan rappelé, répété, et mis en oeuvre, les deux entreprirent finalement de se poser. A leur grande surprise, un petit garage avait été installé dans un espace creux entre le dessous du chapiteau et les moteurs, permettant à ceux avec un petit véhicule volant de rejoindre le Cirque en plein vol. Une fois entrés, Vertiline et Enoch furent accueillies par un homme souriant (bien plus souriant en tout cas que celui qui leur avait confié Bobby à l'aérodrome) qui leur indiqua d'un signe du bras une place où garer son engin. Vertiline et Enoch descendirent alors de Bobby, avec cependant quelques difficultés à se tenir droits et stables. Il faut dire que, la vue complètement cachée sous la robe de Vertiline, Enoch, dont les tentacules dépassaient allègrement au sol et cachaient les jambes de son amie, avait quelques difficultés à savoir où s'orienter...

L'homme, un assez grand gaillard aux cheveux noirs courts et ébouriffés en pantalon large et débardeur blanc, fit une tête étrange à la vue de Vertiline, dont le buste et la tête à physionomie humanoïde contrastaient avec les tentacules de poulpe qui lui servaient de jambe. Son sourire se changea quasi-immédiatement en un regard méprisant. 

"Qu'est-ce qui vous amène ici?" demanda-t-il sur un ton presque agressif, alors qu'il semblait pourtant être sur le point de se plier aux quatres volontés de Vertiline avant qu'elle ne descende de Bobby. 

"Je recherche Sir Barnabas Newton Fisherman. J'ai une lettre à lui remettre." déclara la jeune femme, tout en remettant droit d'un geste de main le haut-de-forme miniature dont elle s'était parée durant le voyage.

-Mfff... Depuis quand on laisse les monstres livrer du courrier...

-Je vous demande pardon?

-Je ne t'ai pas autorisé à me parler!" cingla le gaillard sur un ton bien agressif et pédant. " Avance, monstre!" poursuivit-il de la même voix.  "On va voir le patron." Une fois l'homme passé devant elle, Vertiline prit une grande inspiration, et se força de ne pas s'énerver. Le suivant dans le garage jusqu'à un escalier qui les mena à l'intérieur du Cirque, elle pensa en même temps que si elle-même ne supportait pas de se faire traiter de la sorte à cause de 'ses' tentacules, elle n'osait imaginer ce qu'il devait en être au quotidiens pour ceux de la Galerie des Monstres de PinkSmith. La direction empruntée les conduisit jusqu'à un couloir à la lumière tamisée, recouvert d'une épaisse moquette rouge cerise trouée à quelques endroits. Partout sur les murs étaient affichés des affiches (préférez-vous que l'on continue à dire des Kim? Fort bien, continuons à appeler les affiches Kim et les pancartes Zoé)! Donc, partout sur les murs étaient affichées des Kim représentant les artistes du Cirque, éclairées par la chaleureuse, mais néanmoins quelque peu mystérieuse lueur des bougies dont les flammes frémissantes éclairaient l'endroit à elles seules. L'une des Kim représentait entre autre un jeune garçon ailé (de fausses ailes mécaniques étaient accrochées dans son dos), et affichait : "Directeur du Cirque depuis 1859 : Sir Barnabas Newton Fisherman". Kim devait dater d'un certain temps pour que le grand Barnabas n'ait l'air aussi jeune. Au fur et à mesure que Vertiline avançait (difficilement; essayez donc de marcher de sorte à ce que l'on ne voit pas vos jambes en laissant un poulpe faire tout le travail!) derrière l'homme, il lui semblait qu'ils se rapprochaient de plus en plus de ce qui devait être le chapiteau. Pourtant, Vertiline avait pensé qu'un homme visiblement aussi important que Sir Fisherman aurait davantage été à même de se trouver dans les loges, entrain de faire des remontrances à n'importe qui pour n'importe quoi. 

L'intuition de Vertiline ne la trompa pas. Voilà que bientôt, apparût devant elle une large piste couverte de sable, entourée par des gradins qui s'étendaient jusqu'à plusieurs mètres en hauteur; le tout couvert par la bâche blanche et rouge vue à l'extérieur. Cependant, avant même que Vertiline et l'homme ne pénètrent le coeur du Cirque, quelques mètres de couloir étaient encore à parcourir. Rien d'anormal jusque là, si ce n'est que juste devant l'accès à la piste, une femme aux cheveux roux prononcés, arborant un maquillage de clown grotesque et inquiétant, les fixaient d'une mine terriblement statique et appuyée. Tout en s'exerçant à cela, elle se révéla instantanément être d'une souplesse surprenante : en effet, elle essayait actuellement de faire passer un de ses pieds nus derrière son épaule, le tout à l'aide d'une raquette de tennis sans filet (soit...). Le guide traça son chemin sans même prêter attention à cette démonstration de contorsion. Ne voulant pas s'attarder non plus, Vertiline suivit la marche, remarquant seulement après être passée juste devant la femme clown (non sans qu'une légère goutte de sueur ne perle sur sa nuque de part le sentiment de malaise que ce personnage lui provoquait d'ors et déjà) que, sans même bouger la tête, celle-ci la semblait la suivre du regard...

Et une fois sous le chapiteau, les rencontres (ou plutôt les simples croisés de regard) ne cessèrent de se succéder. Car à l'exception de la femme-clown, tout les artistes s'entraînaient sur la piste. Il y avait donc en vrac une sorte de magicien (chose devinable grâce à ses multiples tours de carte) portant une très visible perruque blonde et bouclée, au visage grotesquement maquillé, et habillé à la manière d'un dandy; une femme peu vêtue conversant avec un gigantesque serpent aux écailles blanches et jaunes qui s'enroulait allègrement autour de ses bras; ainsi qu'un bossu en guenilles rouges qui s'entraînait à cracher du feu. Une fois de plus, le guide traça son chemin sans se préoccuper des autres, ainsi en fit Vertiline. Néanmoins, elle ne pût s'empêcher de remarquer qu'à son passage, tous appuyèrent leur regard sur elle. Dire que Vertiline espérait passer plus ou moins inaperçue dans un Cirque rempli de présupposés monstre, voilà qui était raté. D'ailleurs, maintenant qu'elle le remarquait, aucune des personnes rencontrées jusque là ne ressemblait en quoi que ce soit à un 'monstre' comme ceux vus à PinkSmith... 

L'homme conduit Vertiline jusque dans les coulisses, situés derrière un grand rideau rouge qui les séparaient de la piste. Là encore, quelques personnes vaquaient à leurs occupations, certaines arrangeant leur maquillage ou effectuant des mimiques clownesques devant des glaces sales, d'autres s'adonnant simplement à quelques tâches ménagères dont la vie au Cirque ne dispensait personne. Mais tous étaient...normaux. Pas de femme à barbe, de jumeaux siamois, d'enfant homard, ou d'autres joyeux spécimens dans ce genre; uniquement des personnes ressemblant à n'importe qui. Au milieu de ces apparents monsieur et madame tout-le-monde, c'était bien Vertiline qui se sentait être le monstre de l'histoire! Devant un miroir, un petit garçon aux courts cheveux bruns vêtu d'un complet beige était occupé à écrire ce qui semblait de loin être une partition. Pensant que l'homme allait l'emmener encore plus loin dans le Cirque, Vertiline fût surprise de constater que la visite s'acheva ici pour l'instant.

"Monsieur..." commença le guide en s'adressant au garçonnet. Ledit garçonnet ne daigna répondre autre chose qu'un "Mmmmm" désintéressé, sans même se tourner vers son interlocuteur. Le plus âgé commença ainsi :

"Une bête de foire vous demande. 

-Qu'elle demande à un autre.

-Elle a une lettre pour vous.

-C'est ce qu'elle dit?

-C'est ce qu'elle déclare.

-Qu'entendez-vous par bête de foire?

-J'entends que je doute que vous ne voudriez d'elle.

-Cela dépend.

-Elle est de la première génération.

-Quelle catégorie de la première génération?

-Aquatico-humanoïde.

-Comme si nous n'en avions pas déjà assez soupé.

-Précisément.

-Et que déclare la bête aquatico-humanoïde?

-Elle dit qu'elle a une lettre à vous remettre.

-C'est ce qu'elle déclare?

-C'est ce qu'elle dit.

-Bon.

-Dois-je la faire partir?

-A moi d'en juger.

-Qu'en jugez-vous?

-Que me conseillez-vous de juger?

-Jugez-en par vos propres appréciation.

-Je n'ai rien à accorder à un monstre de la première génération.

-C'est bien vrai.

-Mais si elle a une lettre...

-Il vous ferait mieux de la lire.

-Exactement.

-Allez-vous la lire?

-A-t-elle la lettre en main?

-Oui.

-Il faut donc que je me retourne.

-C'est préférable.

-Dans le devoir de prendre cette lettre.

-Et de constater le monstre par vos yeux.

-C'est cela.

-Allez-vous donc vous retourner?

-Voyez? Je suis retourné. Tjtrgndjuuuuuuu! Qu'est-ce que c'est que cette chose?!

-C'est le monstre aquatico-humanoïde, monsieur.

-J'ai beau en avoir vu d'autres, c'est toujours aussi laid au premier regard! 

-Effectivement.

-Enfin. La partie humanoïde est tolérable. Un peu trop fine. Mais tolérable. 

-J'approuve.

-Autrement, concernant cette lettre.

-Donne-lui la lettre, monstre!

-Hum. Elle est obéissante.

-Et vous serez surpris d'apprendre qu'elle s'exprime étrangement bien.

-Comme c'est curieux.

-Comme c'est inopiné.

-Comme c'est sophistiqué.

-Comme c'est moderne.

-Lisons donc cette missive.

-Cela vaut mieux.

-Il est important d'en connaître le contenu.

-D'où l'importance de l'ouvrir.

-Oui.

-Je l'ouvre. Hmmm...

-Pourquoi ne l'ouvrez-vous pas?

-Ouvrez-la pour moi.

-Pourquoi donc?

-Je vous le demande.

-Vous me le demandez...

-Donc obéissez-moi.

-Cela fait sens.

-Parfaitement. Ouvrez!

-C'est ouvert.

-Lisons.

-Dois-je lire pour vous?

-Ne soyez pas stupide, je peux parfaitement lire tout seul!

-C'est exact.

-Oh!

-Quoi donc?

-C'est une lettre d'Indiana.

-Je vous demande pardon?

-C'est une lettre d'Indiana.

-Qui est Indiana?

-Silence! Vous m'interrompez dans ma lecture! Hmmm...

-Hummm...

-Hummm...

-Alors? Que dit la-

-Tut! Je lis! Hummm...

-Hummm...

-Hummm...

-Alo-

-HUM HUM HUM. HUMMMM!

-Qu'y a-t-il?

-Je vois.

-Qu'y a-t-il? 

-C'est intéressant. Et curieux.

-Qu'est-ce qui est intéressant? Qu'est-ce qui est curieux?

-Le monstre.

-Monstrueuse, n'est-elle pas?

-Elle veut que je l'engage.

-HA!

-Comme c'est amusant.

-Comme c'est grotesque.

-Comme c'est surprenant.

-Comme c'est osé!

-Il y a de quoi en rire.

-De quoi se gausser.

-HA!

-HA!

-Très bien, je l'engage.

-H-ha?

-Une femme-poulpe, c'est tout ce qu'il nous fallait, au fond.

-N'aviez-vous pas dit l'exact contraire l'autre jour quand cet homme-poulet a voulu que vous l'engagiez?

-En ce cas présent ce n'est ni un homme, ni un poulet. C'est une femme et un poulpe.

-Je vois bien, mais...

-Une femme poulpe, ce n'est pas du tout sensationnel.

-Justement...

-C'est pile ce qu'il nous faut!

-Heu...

-C'est le souci avec les monstres de la première génération. 

-C'est à dire?

-Nous en avons tellement eut à une époque que les clients ont fini par se lasser.

-Oh oui, je m'en souviens.

-Ce fût une terrible époque.

-Terrible époque que ce fût.

-Pour sûr.

-Pour sûr!

-Les attentes du public ont changé, vous l'avez constaté aussi bien que moi. 

-Oui.

-Maintenant, ce que les gens veulent, ce sont des monstres humains.

-Ils étaient déjà humain, ceux de la première génération. 

-Mais ils étaient difformes.

-Ceux de la seconde génération ne le sont-ils pas?

-Mais êtes-vous donc aveugle? Ils sont difformes, pour sûr. Difformes de l'intérieur!

-Aaaah.

-C'est ce qu'il nous faut maintenant. 

-Mais du coup, concernant la femme-poulpe...?

-Dois-je donc vous l'expliquer?

-C'est que, je peine à comprendre.

-Ça, il est bien peu de choses que vous ne peinez à comprendre!

-Aïe...

-Quoi donc?

-Mon ego... Il souffre tant!

-Allons! Ne tergiversons pas! 

-Expliquez-moi donc.

-J'y viens! (Quand bien même je doute que vous méritiez cette information). 

-Je vous suis tout ouïe. 

-Maintenant que nous avons tout un arrivage de monstres de la seconde génération, il ne faut pas que le public s'en lasse à nouveau. Imaginez si il nous fallait des montres de troisième génération!

-Ce serait terrible!

-Terrible! C'est le mot. Hé bien, si au milieu de nos impressionnants, étonnants, incroyables et monstrueux monstres de la deuxième génération, nous glissons un, juste un, monstre de la première génération, celui-ci sera la risée du public.

-Exactement. ...Heu, et donc?

-Hé bien! Si le public se voit déçu, il ne le sera que grâce à la présence d'un monstre de première génération. 

-Vous voulez vous servir d'elle comme bouc émissaire?

-N'est-ce pas une brillante idée?

-C'est une scintillante idée!

-Ainsi donc, il nous suffit de la promener sur la piste au milieu d'un spectacle. Elle n'en paraîtra que plus monstrueuses et pathétiques, et nos vrais monstres n'en seront que plus impressionnants aux yeux ébahis des spectateurs!

-Oh! Comme c'est ingénieux!

-Je sais, je sais. 

-Du coup, je suppose que nous l'engageons?

-Précisément, nous engageons mademoiselle...attendez un instant que je lise ça sur la lettre...Victoria.

-Monstrueux prénom.

-Oui.

-Parfait!

-Sensationnel!

-Dois-je prévenir les autres monstres de son arrivée dans la troupe?

-Faîtes. Quand à moi, je vais m'entretenir un peu avec...Victoria.

-Vraiment, vraiment très laid prénom.

-C'est peu de le dire.

-Parfaitement.

-Exactement.

-Sortez!

-Je cours.

-Volez plutôt!

-Je cours, je vole!

-En vitesse! Ha! Il est parti..." Cette étonnante stichomythie achevée, le jeune garçon (peut-être pas si jeune que ça étant donné que sa voix s'était révélée surprenamment grave et son vocabulaire plus qu'élaboré) fixa successivement la lettre, puis Vertiline, puis à nouveau la lettre, le tout très lentement et sans un mot, avant de finalement fixer son regard sur Vertiline.

"Mademoiselle Victoria..." commença-t-il sur un ton incroyablement plat et monotone.

"Oui?" répondit vivement Vertiline, désireuse de donner un peu de peps à la conversation, sans quoi elle sentait qu'elle allait frôler l'ennui mortel.

"Avez-vous une quelconque expérience dans le domaine circassien?" Le visage de Vertiline se figea d'une expression troublé. Puis, se souvenant du plan établit avec Enoch, elle déclara : 

"Je ne sais pas si cela entre dans les disciplines circassiennes, mais je suis une excellente danseuse!" (Évitons simplement de mentionner qu'elle n'avait pas dansé depuis des années, sans compter son essai à YellowSmith). Le garçon repris sur le même ton insupportable : 

"Ah. Vous dansez. N'est-ce pas un peu compliqué avec vos tentacules?

-J'ai de la maîtrise! Voulez-vous que je vous fasse une démonstration?" demanda Vertiline avec un grand sourire en espérant très fort de ne pas faire face à une réponse positive.

"Mmmnon, ça ira." marmonna le garçon en faisant la moue. O bonheur! "Je verrai si vous avez besoin de danser sur la piste." poursuivit-il. "Pour l'instant, vous vous contenterez d'être vous-même, ça devrait suffire.

-Soit! Aussi monsieur, vous êtes mon employeur.

-Oui.

-Auriez-vous dans ce cas l'amabilité de me dire où je pourrais trouver Sir Barnabas Newton Fisherman?

-Je suis Sir Barnabas Newton Fisherman.

-Oui, c'est pour cela que...pardon? V-Vous êtes...Sir...Fisherman?

-Mmmoui. 

-Oh. Heu...f-fort bien!" Vertiline parvint difficilement à cacher sa surprise. Même dans les comptés autres que PinkSmith, le grand Sir Barnabas Newton Fisherman était très connu pour être le plus éloquent directeur de cirque qui soit. Jamais elle n'aurait imaginé une seule seconde qu'il s'agissait en fait cet homme encore plus petit qu'elle (ce qui est un sacré exploit), et aussi...désabusé. Lors de sa dernière venue à PinkSmith, à une période ou le Cirque était sur terre, elle n'avait aucunement rencontré Barnabas. D'ailleurs, d'après son constat de la dernière fois, bien qu'il soit le directeur du Cirque, M. Fisherman n'était pas le possesseur du morceau de clé. En fait, elle avait trouvé ledit morceau de clé totalement par hasard après qu'un éléphant bicéphale ait éternué sur elle (une longue histoire), sans qu'apparemment personne ne soit au courant qu'un tel trésor résidait jusque là dans la trompe d'un pachyderme. Maintenant, Vertiline ignorait totalement si il allait en être de même pour cette fois, si le morceau allait à nouveau se retrouver coincé dans les parties nasales d'un éléphant à deux têtes... 

"Bien." souffla lourdement et lentement le petit Barnabas. "Il n'y a aucun spectacle de prévu pour ce soir. En revanche, il y en aura un demain. Nous aurons d'ici là le temps de préparer une affiche publicitaire à votre effigie. Allez donc voir Adagio sur la piste, elle vous expliquera tout ce qu'il y a à expliquer. 

-...Adagio?

-La femme aux serpents. Vous ne devriez pas la louper, normalement. 

-Très bien! J'y...

-Un instant!" Vertiline s'arrêta brusquement dans son élan, surprise de la vivacité avec laquelle Barnabas venait de l'interpeller. 

"Oui?" demanda-t-elle en se retournant.

"On ne vous a pas encore trouvé un nom.

-Un nom?

-Mmmoui. Victoria, ça ne vous va pas. C'est trop humain.

-Ah...

-Il faut quelque chose qui vous convienne davantage.

-Soit.

-Hummmm...

-Une...idée?

-Je réfléchis....

-Très bien.

-Ah!

-Oui?

-Non...

-Oh...

-Mais peut-être...

-Quoi donc?

-Finalement non...

-Oui, ça n'aurait sans doute pas collé...

-Et si...!

-Oui?

-Non, terrible idée.

-Si vous le dites.

-Je sais!

-Oui?

-Espressivo!

-...Es...pre...ssivo?

-Moui. Cela vous va bien. A partir d'aujourd'hui, considérez cela comme votre nom de scène.

-Mais pourquoi Espressivo?

-Pour un monstre, vous êtes bien bavarde." acheva Barnabas en tournant le dos à Vertiline. Après quoi, il ne lui adressa plus la parole. Quelque peu surprise, Vertiline décida que pour l'instant, mieux valait aller voir la fameuse Adagio sans faire d'histoires. Elles se lancerait à la recherche du morceau de clé dans la nuit. Quittant les loges, elle passa à nouveau le grand rideau rouge et arriva sur la piste, où les mêmes personnes que tout à l'heure s'entraînaient toujours. Vertiline scruta tout le monde, cherchant la femme au serpent qu'elle avait elle-même aperçue avant de rencontrer Barnabas. Elle réalisa d'ailleurs que peut-être celle-ci n'était pas si éloignée au moment même ou elle sentit une horrible présence froide et visqueuse dans son cou. Se retournant brusquement, elle constata sans joie qu'un énorme serpent était entrain de s'enrouler à grande allure autour d'elle! 

"Edó, edó Brutus. Stamatíste tóra. Vázete ton episképti sas ávola!" dit une voix avec un accent très marqué dans le dos de Vertiline, qui elle s'était immobilisée sur place. Le serpent, inattentif à ces mots complètement incompréhensibles aux oreilles de Vertiline, ne s'enroula que plus fort autour de son corps fin et friable comme une brindille. La respiration de notre héroïne n'en fût que plus difficile, et son visage commença à rougir sous le manque d'oxygène. Voyant que l'animal n'obéissait pas, la voix de tout à l'heure se précipita alors devant Vertiline, et se révéla appartenir à une charmante femme aux airs exotiques, précisément la charmeuse de serpent peu vêtue aperçue tout à l'heure.

"Geia sou! Min piézete to laimó tis étsi! Brutus! Na stamatísei! Tha tin pníxete!"dit-elle au serpent. Technique inefficace, il continua de serrer Vertiline à un niveau qui devenait difficilement tolérable. Il fallut finalement que la femme n'empoigne la bête à pleine main pour que celle-ci ne daigne enfin relâcher sa mortelle étreinte, et ne préfère s'enrouler cette fois-ci sur le bras de sa propriétaire.

"Excuse Brutus, il est toujours comme ça avec les nouveaux." dit la femme à Vertiline, avec une voix marquée par un accent qu'il n'était pas commun d'entendre. "Je pense que tes tentacules lui font de l'effet!" renchérit-elle avec un sourire malicieux. Puis, elle se mit elle-même à s'approcher -presque se coller- contre Vertiline, une main sur son épaule et l'autre sur sa hanche, et déclara suavement : "Sir Barnabas t'envoie, c'est ça?

-Heu...oui. C-Comment le savez-vous?" balbutia Vertiline, bien plus gênée par la proche de présence de Brutus que par la proximité que la femme entretenait avec elle à ce moment. 

"Capriccioso nous a prévenus de l'arrivée d'un monstre de la première génération. Avec tes grandes tentacules, ça ne peut-être que toi, ómorfi mou.

-...Capriccioso...?

-Celui qui t'a conduit à M.Fisherman." déclara la femme. "Ah, le type insupportable de tout à l'heure!" pensa Vertiline en son fort intérieur. 

"Alors?" repris la femme au serpent, voyant que Vertiline était restée muette suite à sa dernière phrase. "Quel est ton nom, ma grande?" Vertiline avait si peu l'habitude qu'on la qualifie de grande (d'après ses souvenirs, cela ne lui était arrivée que dans un laps temporel inférieur à ses dix ans) qu'elle se focalisa davantage sur cette appellation que sur la question qu'on venait de lui poser.

"Est-ce que ça va?" demanda tendrement la femme en posant sa deuxième main sur les hanches de Vertiline.

"Ah! Heu, oui!" s'exclama celle-ci, toute secouée sans grande raison. "M-Mon nom vous dites? Voyons...il avait dit...Espressivo? Oui, je crois que c'est Espressivo." Son interlocutrice éclata d'un rire fort et communicatif.

"Óchi, anóito! Ton vrai nom! Pas une invention de Sir Barnabas!

"-Ah. Victoria.

-Victoria? Charitoménos! C'est mignon!" Aussitôt, elle enleva une de ses mains des hanches de Vertiline, se positionna à ses côtés, et commença à pointer du doigt les autres artistes sur la piste, qui eux ne prêtaient guère attention à tout ce manège. "Lui, c'est Garou, alias Pomposo." dit-elle en désignant le bossu, toujours occupé à cracher du feu. "Lui, c'est Alyosius, alias Moderato." poursuivit la femme au serpent en montrant le magicien. "Elle, là-bas -continua-t-elle en pointant du doigt la femme clown à l'entrée de la piste- c'est Violine, alias Crescendo. Il ne faut pas avoir peur d'elle, c'est Sir Barnabas qui lui demande d'avoir l'air fovízei. Quand à moi, c'est Louise, mais Adagio sur scène. Et quand à mon petit agápi  (elle gratta le cou de son serpent), c'est Brutus!

"-Du coup... Suis-je sensée vous appeler Adagio ou Louise?" demanda Vertiline, n'ayant guère mémorisé tous les noms et surnoms qu'elle venait d'entendre.  

"Ici, sur la piste, M. Fisherman préfère que nous nous appelions par nos noms de scène." expliqua Louise de sa belle voix grave et profonde. "Il est comme ça, il a des idées parfois un peu curieuses... Mais en dehors d'ici, nous nous appelons par nos vrais noms. Tu as compris, Espressivo?

-Oui, Adagio.

-Téleios! Allons viens, je vais te montrer notre loge. Il faudra que tu la partage avec moi et les autres. Ça ne te dérange pas, j'espère? 

-Oh, non! Aucunement." mentit Vertiline en souriant. Pour sûr que de devoir partager son lieu de vie avec trois autres personnes et un serpent n'allait pas du tout lui simplifier la tâche! S'échapper discrètement pendant la nuit était encore faisable, mais leur cacher la présence d'Enoch? Voilà qui n'allait pas être aisé...

"Parfait!" sourit chaleureusement Louise, une main toujours posée sur les hanches de Vertiline. "Alors viens, mikrí Espressivo!" dit-elle en riant à son propre jeu de mot, que Vertiline ne comprit pas (elle était d'ailleurs bien incapable d'identifier quelle langue parlait Louise, malgré son accent qui aurait dû en faciliter l'identification). "Je vais te montrer tout ce qu'il y a à voir, t'apprendre tout ce qu'il y a à savoir. Suis-moi." lâchant enfin Vertiline de son étreinte...langoureuse, Adagio quitta la piste et se dirigea vers la sortie de la piste, chose que tous les artistes qui s'entraînaient auparavant avaient déjà fait quelques minutes plus tôt. 

A la fois curieuse et incertaine, Vertiline la suivit finalement, et s'engouffra une nouvelle fois dans les coulisses du Cirque de PinkSmith.


Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "Les plus horribles monstres qui soient"!



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