Chapitre trente-et-unième : Les plus horribles monstres qui soient
Vertiline suivit Louise jusque dans la loge où habitaient les artistes, les fameux 'monstres de deuxième génération' comme l'avait dit Sir Barnabas plus tôt. Elle était cependant bien incapable de dire ce qui pouvait différencier un monstre de la première génération d'un autre de la seconde, mais c'était une question qui ne semblait préoccuper qu'elle seule. Néanmoins, elle sentait bien au contact râpeux des tentacules d'Enoch contre ses propres jambes dissimulées que son ami était légèrement stressé. Apparemment, il n'appréciait guère la présence de Brutus, l'énorme serpent de Louise, qui continuait d'ailleurs, suspendu au bras droit de sa propriétaire, de fixer Vertiline avec application; lui qui avait plus ou moins tenté de l'étrangler il y a peu...
Après quelques minutes de marche, à travers des couloirs pas aussi bien entretenus que ceux de tout à l'heure menant à la piste, Vertiline et Louise arrivèrent finalement au fond du corridor, bien plus étriqué, délabré et mal éclairé en sa fin qu'en son début. Il y avait une entrée de chaque côté des murs : l'une démarquée par un mince rideau de perles brunes qui laissait voir presque tout son intérieur (un vieux débarras poussiéreux), et l'autre symbolisée par une vieille porte littéralement encastrée dans un bout du mur, ouverte.
"Viens, mikrí. C'est ici." murmura Louise avec un sourire malicieux. Il semblait faire encore plus sombre à l'intérieur de la pièce que dans le couloir. Aussi, la femme au serpent s'équipa d'une petite lampe à huile décorée en son socle d'un motif qui rappelait quelques souvenirs à Vertiline : un éléphant bicéphale. Puis, les deux entrèrent. Les attentes de Vertiline s'avérèrent bien fondées, en ce sens que la pièce était terriblement sombre. Heureusement, la lampe de Louise, ainsi que les trois autres qui avaient été installées contribuèrent à amener une lumière rassurante et chaleureuse bienvenue.
"GYRISA!" cria Louise pour annoncer sa présence.
"Ah, Louise est de retour." dit un homme (il ressemblait un peu au magicien vu précédemment sur la piste) sans détourner son regard du journal qu'il lisait, allongé pieds nus sur une petite couchette, une cigarette à la bouche et un chapeau melon mal vissé sur sa tête. Visiblement, il n'avait rien compris à ce que la femme au serpent venait de dire, mais cela semblait habituel.
"Du nouveau?" demanda-t-il finalement, son journal semblant bien peu intéressant (il datait d'il y a huit mois, et parlait du scandale provoqué par une jeune voleuse à GreenSmith).
"Quitte donc les yeux de ces inepties que tu lis sans arrêt et regarde!" dit-elle avec le ton d'une mère qui réprimande gentiment son enfant, tout en accrochant Brutus à un porte-manteau. Avec un soupir apathique, le liseur d'inepties leva le nez de son journal, et Vertiline pût noter à son froncement de sourcil qu'il parût surpris. Juste un petit peu.
"B'jour." lâcha-t-il en expirant un peu de fumée de sa bouche avant de retourner à ses articles jaunis. Louise arriva à côté de lui, et déclara en lui enfonçant son chapeau sur le front, toujours avec cette voix stricte dans laquelle se mêlait une tendresse maternelle et un accent indéfinissable :
"Émeine, páei! Tu n'a pas vu le plus important!
-Allons, quoi?" répliqua l'homme maussadement en baissant son journal "Tu ne vois pas que...fichtre!" Ce dont il n'avait pas tenu compte jusque là, c'est que son journal avait été relevé de sorte à ce qu'il n'aperçoive que le buste de Vertiline. Mais maintenant le vieux quotidien étalé sur ses genoux, de toutes nouvelles visions s'offraient à lui. Son expression n'en demeura pas moins quelque peu contenue (il rappelait un peu à Vertiline Miss Elodie et son flegme légendaire, et Sir Barnabas et sa moue la plus léthargique qui soit).
"C'est vous dont Capriccioso nous a parlé, je suppose." dit-il très sobrement en se levant sobrement pour sobrement serrer la main de Vertiline, avant de reprendre tout aussi sobrement : Alyosius Alonzo Allamand, appelle-moi juste Alyosius ici, appelle-moi Moderato sur la piste."
Il tira sur sa cigarette, souffla sans se rendre compte que la fumée arriva en plein dans le visage de Vertiline, et repris (sobrement) : "Et toi?
-V-Victoria Prismall. Es...pressivo sur scène." articula Vertiline, un peu mal à l'aise sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi. Peut-être étais-ce l'ambiance de la chambre (qui habitait deux lits superposés, deux tabourets, une petite commode et une table minuscule pour seul et unique mobilier dans un espace si réduit), étroite et mal éclairée. Peut-être étais-ce la nonchalance surprenante d'Alyosius à la vue d'une femme poulpe (allez savoir, il en avait peut-être déjà vu plus d'une dans sa vie), la présence toujours aussi peu rassurante de Brutus, qui ne cessait de fixer Vertiline tout en étant perché sur son porte-manteau, ou bien alors peut-être étais-ce ces...ces ronflements tonitruants qui résonnaient dans la pièce depuis le début, et que tout le monde faisait mine d'ignorer! Et ce n'était même pas discret! Bien au contraire! Un étonnant : "RRRRRROOOOONNNN...PSHHHHHHH!" qui faisait trembler les murs fins à lui seul! Finalement, après qu'un énième de ces ronflements n'ait soulevé de toutes ses secousses que la surface de la terre (approximativement), l'on décida enfin de faire taire le ronfleur ou la ronfleuse. Louise monta sur un des deux lits installés en hauteur et chuchota à ce qui semblait être une masse informe dissimulée par une couverture à gros damiers rouges et marrons : "Xypníste. Xypníste, me kérata! Allez! Il faut sortir la tête des étoiles!" A l'écoute de ces mots qu'il semblait connaître par coeur en n'en interprétant cependant que la moitié, Alyosius bondit de son emplacement, écarta violemment la table et les tabourets contre les murs, enleva vivement son matelas de son propre lit, et le jeta là où se trouvait la table il y a encore quelques secondes. Vertiline fût poussé contre le mur durant cette étrange opération, si bien que de là où elle était, elle fût aux premières loges pour assister à la chute magistrale du ronfleur.
Secouant énergiquement le dormeur, Louise avait répété avec plus d'aplomb : "Oh, kérata! Kérata! Debout! Lève-toi!" Semblant soudainement sorti de sa transe ronflante, le dormeur se leva si brusquement que Louise manqua de se prendre un coup (mais ça aussi, elle y semblait habituée). Puis, déséquilibré on ne sait trop comment, il tomba lourdement de son lit en poussant un grand cri rauque, pile sur le matelas qu'avait déposé Alyosius quelques secondes plus tôt. A ce moment précis, Vertiline n'était même plus collé au mur; elle s'y était plaqué volontairement de peur qu'autre chose ne tombe du lit! Mais il n'en fût rien. Le ronfleur, qui se trouvait être le bossu vu sur la piste, massa sa tête en geignant avant qu'Alyosius et Louise ne le relève de concert. "M-Merci..." marmonna-t-il à ses porteurs, encore tout ensommeillé. Avec des gestes précis, Louise vérifia qu'il ne s'était rien cassé en débitant quelques phrases dans sa langue maternelle. Alyosius se retourna alors vers Vertiline.
"Hé, Victoria!" lâcha-t-il placidement. "Tu veux un coup de main avec le serpent?
-Le...? HA!" Mais comment avait-elle fait pour ne pas le sentir! Brutus était à nouveau entrain de s'enrouler autour de son cou! "Lâche-moi, vieille carne!" cria Vertiline au serpent en le saisissant vigoureusement, ce qui eût l'effet inverse de ce qu'elle avait espéré!
"Bouge pas, j'arrive!" s'écria Alyosius en empoignant la queue de Brutus, tandis que Vertiline tentait de toutes ses forces de le déloger. Hélas, leurs efforts s'avérèrent vains, et le serpent ne serra que plus fort. "Louise! Ton machin fait encore des siennes!" interpella Alyosius tout en tirant si fermement sur la queue du reptile qu'on crû qu'il allait la lui arracher. Détournant son regard du bossu, pour constater la scène, la femme au serpent s'écria : "Brutus! Ti káneis? Allons, lâche la mikrí! Lâche, je te dis!" Voyant que les ordres de Louise étaient inefficaces et que le visage de Vertiline commençait à prendre une teinte inquiétante, un certain mélange de rougeur et de pâleur, le bossu se précipita sur Brutus, et l'empoigna plus fermement encore que Vertiline et Alyosius réunis (il faut dire que les deux n'arrivaient pas à grand chose avec leurs bras maigrelets respectifs). Arrachant le serpent avec sa force colossale, le bossu le souleva en poussant un grand cri comme si il venait de porter des haltères, et le balança sur Louise, qui elle avait déjà positionné ses bras pour anticiper la chute de son...comment disait-elle, déjà? De son...agápi? tout cela se fit avec une grande sensation de banalité pour ces trois-là. Concernant Vertiline, elle n'avait pas enchaîné une suite de rencontres aussi curieuses et mouvementées, le tout en voyant sa vie être mise en danger depuis son séjour en prison; avec une colocataire de cellule...inoubliable. Peut-être en parlerons-nous un jour. Mais là n'est pas le sujet!
"Vous allez bien?" demanda très poliment le bossu à Vertiline en lui prenant la main comme pour vérifier son pouls.
"Je -keuh!- vais bien, merci!" articula Vertiline en toussant, tandis que son visage reprenait peu à peu ses couleurs. Ses yeux croisèrent ceux du bossu. Ils étaient très grands, bêtement écarquillés, tels ceux d'un enfant surpris par quelque chose d'incroyable (la chose incroyable étant sans doute les tentacules de Vertiline que le bossu avait remarqué juste avant que ses pupilles ne se fixent sur celles de la jeune femme). Semblant gêné, il libéra la main squelettique de Vertiline de l'emprise des siennes, larges calleuses, et se mit à les gigoter les unes contre les autres, ne sachant pas trop quoi en faire.
"Je...je suis Garou." murmura-t-il, un peu penaud, un relent de timidité ponctuant sa voix. Il reprit : "Enfin...sur scène, c'est plus Garou, mais Pomposo. Pomposo le bossu de la troupe..."
Il cligna deux fois des yeux et détourna finalement le regard de Vertiline.
"Ce sont les tentacules qui vous dérangent?" demanda Vertiline tendrement, comprenant bien que cela était à même de surprendre.
"-O-Oh non! Pas du tout!" répliqua rapidement Garou, alors que son corps tremblait légèrement (un coup de froid? C'est vrai qu'il faisait froid ici...).
"-C'est juste que ça ne se voit pas partout." poursuivit Alyosius, qui en était retourné à son journal.
"-Mais d'un certain côté, ça fait du bien de voir un vrai monstre pour une fois! Ne le prends pas mal, mikrí." renchérit Louise en souriant.
"-Qu'entendez-vous par un vrai monstre? Et d'ailleurs, en quoi en êtes vous aussi? Vous semblez parfaitement normaux." argumenta Vertiline en massant son cou là où Brutus y avait laissé de légères marques de strangulation. Tous eurent une tête intriguée, comme si ils n'avaient jamais entendus un compliment auparavant. Alyosius avait baissé son chapeau le plus bas possible sur son front, Garou rougissait comme un adolescent qui expérimentait un premier béguin, et même Louise paraissait interdite face à cette question.
"Oh, mikrí... Tu n'est pas obligée de dire ça. Nous avons l'habitude d'être considérés en monstres. C'est ce que nous sommes." déclara-t-elle en s'approchant doucement de Vertiline pour l'étreindre dans ses bras.
"-Je ne vois vraiment pas en quoi!" réitéra la femme-poulpe en se défaisant de l'étreinte de Louise, non pas parce qu'elle n'appréciait guère son geste, mais plutôt parceque Brutus était à nouveau enroulé autour du cou de sa propriétaire... Les trois 'monstres' échangèrent des mines compatissantes avant de tous porter leurs regards sur Vertiline, qui elle ne pouvait s'empêcher de fixer Brutus, qui lui la dévisageait avec des yeux toujours plus mauvais, comme si il s'apprêtait à bondir sur elle à tout moment...
"Tu ne vois vraiment pas?" demanda Garou en esquissant une moue interrogative. Nouveau jeu de regard, nouveau silence. Mais soudain, un soupir se fit entendre derrière la porte (qui n'était jamais fermée je rappelle), et une jeune fille entra dans la pièce.
Tout ce qui suivit se passa en moins de littéralement trois secondes, alors soyez attentifs, je vous prie : nous allons reconstituer la scène. A peine la nouvelle venue eût elle posé un demi pied à l'intérieur de la chambre que Brutus bondit sans crier gare sur Vertiline! Notre héroïne esquiva cependant cette fourbe attaque de justesse, bien qu'avec un timing aussi serré. Il se trouve par ailleurs qu'elle se situait juste avant cela devant la 'porte' (tout du moins la partie qui n'avait pas fusionné avec le mur), et par conséquent devant la jeune fille qui venait d'arriver, avant d'éviter l'assaut en se déplaçant sur le côté. Ce déplacement eût pour résultat que la jeune fille se trouva alors totalement vulnérable à la charge de Brutus. Mais seulement un dixième de seconde avant que le reptile n'atterrisse sur elle, bouche grande ouverte et crocs apprêtés, elle lança son corps en arrière et effectua à vitesse éclair ce que l'on appelle communément en gymnastique un 'pont', esquivant ainsi le serpent; qui lui se mangea le mur à l'extérieur...
"VIOLINE! Est-ce que tu vas bien?!" s'écria Louise en se précipitant vers la jeune fille, tandis que Garou courait déjà à travers les couloirs pour rattraper Brutus, qui s'était très vite remis de son accident mural. Toujours en pont, la demoiselle, qui faisait preuve d'une étonnante souplesse que même Vertiline n'aurait su égaler du temps ou elle dansait encore, contorsionna son cou de sorte à ce que sa tête passa à travers ses bras pour faire face à Louise, acquiesça d'un hochement vertical; avant de retrouver une position normale.
"Pardonne Brutus, je ne sais vraiment pas ce qu'il a aujourd'hui! Il est tout anaxélenkti depuis ce soir..." s'excusa Louise en arrangeant les longs et drus cheveux roux de la jeune fille, noués en dreadlocks. Elle lui toucha le visage à plusieurs reprise, tel une mère débarbouillerai son enfant tout en s'excusant de nouveau.
"Tu rentres tard." fit simplement remarquer Alyosius, quand à lui indifférent à ce qu'il venait de se passer. La dénommée Violine porta à son tour une main à son visage.
"Oh, ne m'en parle pas! Sir Barnabas m'a retenue après les répétitions!
-Et qu'est-ce qu'il voulait?" demanda Garou qui venait de rentrer dans la pièce, Brutus attaché en un noeud dans les mains. Violine s'assit sur le matelas qui avait précédemment amortie la chute du bossu en soupirant
"Pffft... Il disait que je n'étais pas assez effrayante.
-Pas assez...monstrueuse?" repris gravement Louise après avoir arraché Brutus des mains de Garou. Violine poursuivit :
"Il pense que je devrais retravailler mon maquillage...mais je ne vois pas comment sans que ça en devienne grotesque!" A cette histoire de maquillage doublée aux exploits corporels de Violine aperçus plus tôt, Vertiline commença à réaliser qu'elle avait très probablement en face d'elle la femme-clown qui l'avait mal toisée à son arrivée au Cirque. Il est vrai que sans cosmétique, elle paraissait bien moins effrayante!
"Retravailler comment?" marmonna Alyosius depuis sa couchette.
"-C'est bien le problème : je ne sais pas!" s'écria Violine en levant symboliquement les bras aux ciel. "Oh. Salut, la nouvelle." lâcha-t-elle le plus naturellement du monde juste après son geste, une de ses main saluant Vertiline sans la regarder, et une autre plaquée contre son visage. Une courte pause s'en suivit. "Attends un peu...depuis quand il y a une nouvelle?!" s'exclama la rouquine en se relevant brusquement. "Ew...vous, vous devez être de la première génération." remarqua-t-elle en faisant la moue, à l'observation des tentacules de Vertiline.
-Oui, probablement." dit Vertiline sur le même ton employé par Violine.
"Alors, vous vous appelez...?" poursuivit sèchement Violine.
"Victoria. Espressivo sur scène." répondit Vertiline d'une voix glaciale.
"Hm. Violine. Crescendo sur la piste." répliqua-t-elle, dans ce qui semblait être un concours d'aigreur évoluant...en crescendo entre les deux femmes.
Alors que l'atmosphère entre elles devenait de plus en plus palpable, Louise brisa la glace en répondant soudainement à la question posée par Vertiline, avant l'arrivée de Violine et l'attaque de Brutus.
"Si tu ne vois pas les monstres en nous, tu est peut-être trop pure, mikrí." dit-elle en souriant maladroitement, quand bien même ses yeux cachaient un soupçon de tristesse.
"J'avoue que j'ai effectivement du mal à comprendre." dit Vertiline, perplexe. "Avec mon corps à mi-chemin entre l'humain et le céphalopode, d'accord, il y a de quoi me considérer comme un monstre. Mais vous? Vous êtes normaux!" Tous la fixèrent d'une mine trahissant un mélange d'empathie et de gêne.
"Je suis ambidextre." lâcha Alyosius d'une voix coupante en jetant son journal sur son lit. Vertiline fût tentée de demander en quoi c'était un problème, mais elle renonça. Alyosius sortit alors des mines de crayon de papier de ses poches de pantalon et ramassa son journal, le posant sur la table. "Contemple toute mon horreur." clama-t-il à Vertiline en prenant une mine entre chacun de ses pouces et index. Avec une grande dextérité, il écrivit le mot 'monstre' des deux mains.
"-C'est plutôt incroyable!" déclara au contraire Vertiline. "Je n'ai jamais vu ça auparavant!
-Oui...il n'y a que chez les monstres que l'on voit une telle anomalie!" geignit Alyosius en masquant des larmes naissantes. Louise le prit dans ses bras pour le consoler, tout en lui chuchotant des mots dans sa langue maternelle.
"Et moi..." commença Garou sur un ton plaintif. Il posa tragiquement sa main sur sa bosse dorsale d'un air dramatique. "Qui d'autre qu'on monstre pourrait se voir doté d'une telle horreur?! L'on a beau me dire de la deuxième génération parce que je suis cracheur de feu, j'ai en vérité tous les attributs d'un monstre de la première génération!" Là encore, Vertiline voulut dire quelque chose, comme quoi être bossu ou cracheur de feu n'était nullement une preuve de monstruosité si ce n'est dans ce Cirque. Néanmoins, Louise prit le relais à sa place, enlaçant à son tour Garou qui semblait également sur le point de pleurer.
"Et moi donc..." se lamenta Violine à son tour. Sans rien dire, elle plia son corps dans une position si complexe que l'on en fût amené à sérieusement se demander si cette fille n'était pas faîte en caoutchouc. "Je suis contorsionniste...la pire atrocité engendrée par cette terre!" gémit-elle en se blottissant de son propre chef dans les bras de Louise, qui consolait maintenant les trois 'monstres'...
"Moi..." conclut la femme-serpent la mine grave et le regard profond "J'ai un accent très prononcé, comme tu as pu le constater. Comble! Je parle une langue que trop peu connaissent! C'est abominable!" soupira-t-elle tristement. Vertiline les fixa en silence quelques secondes, les quatres 'monstres' tous enlacés les uns contre les autres.
"Mais enfin, vous n'avez pas besoin de vous mettre dans un tel état pour ça!" dit-elle en s'approchant, voulant les dispenser d'une si mauvaise opinion d'eux-même.
"Tu ne peux pas comprendre!" gémit Violine. "Toi, ta monstruosité est extérieure! Les gens voient dès le début que tu est monstrueuse! Mais nous...nous, ils le découvrent après! C'est encore pire! Nous devons soit vivre cachés, soit exploiter nos...nos...nos odieuses différences pour que l'on se moque de nous dans un Cirque! Nous avons L'ESPOIR d'avoir une vie normale, chose que les monstres comme toi n'auront jamais! Et...et quand l'espoir ne s'avère être qu'une désillusion...nous...nous...!
-Sképsou tóra, glykó korítsi mou... Allons, allons. Du calme ma chérie..." murmura Louise en prenant la contorsionniste à part dans ses bras et la berçant, voyant que Violine commençait à pleurer, et que les deux garçons avaient repris le contrôle de leurs émotions.
"TAISEZ-VOUS, LES MONSTRES!" beugla une voix extérieure, accompagnée d'un grand coup dans le mur pour faire passer son message. Tout le monde se tût, et Violine étouffa ses sanglots du mieux qu'elle le pût. Les yeux encore rougeoyants, Alyosius et Garou retournèrent sagement sur leurs couchettes. Vertiline quand à elle, ne savait absolument pas où se mettre...
"Au fait Victoria, il faudrait que l'on te trouve un lit..." fit remarquer Garou, qui s'était déjà à moitié camouflé sous sa couverture.
"Il n'y en a que quatre. Nous sommes déjà quatre." témoigna Alyosius, qui avait délaissé son journal vieux de huit mois pour un autre vieux de sept mois, traitant cette fois-ci du procès et de l'incarcération d'une certaine voleuse à GreenSmith.
"-Allons, de toute façon l'un n'est jamais utilisé." renchérit Louise, ayant toujours Violine dans ses bras. Elle décolla un peu la contorsionniste de son corps, essuya les larmes sur son visage d'un revers de la main, et demanda :
"Tu est d'accord, aráchni? Demanda-t-elle à Violine, sans que Vertiline ne comprenne à propos de quoi il fallait être d'accord. Violine lança un regards incertain à la femme-poulpe, ses yeux encore humides de larmes.
"...Oui, peu m'importe." souffla-t-elle finalement en retournant se blottir dans les bras de la femme au serpent. Celle-ci lui caressa tendrement les cheveux :
"Oh, aráchni... Allons, sèche-moi ces larmes. Mieux vaudrait que tu ailles dormir, et tout ira mieux, hum?" La contorsionniste approuva d'un petit geste de la tête. Se dégageant alors de l'étreinte de Louise, elle sortit un mouchoir qui semblait avoir accumulé des années et des années de bons et loyaux services, et se moucha bruyamment dedans. Après quoi, elle se dirigea sans dire un mot vers une couchette superposée, l'escalada, puis grimpa dans ce qui semblait être un grand balluchon, accroché au plafond par une grosse corde qui avait l'air bien vieille. De là, Violine dit simplement "Bonne nuit tout le monde." et s'enferma dans le balluchon avant même qu'on ne lui réponde.
"Je pense que nous devrions tous en faire de même." déclara Louise en frappant une fois dans ses mains. "Nous avons un spectacle demain soir, alors tâchons de nous reposer et soyons en forme pour demain!
-Haut les coeurs!" répondit Alyosius d'un ton particulièrement inexpressif. Et il s'engouffra sous sa couverture toute rapiécée de partout. Garou de son côté, s'était déjà remis à ronfler (au passage, il était si grand que la couverture était bien trop petite pour lui, et ne lui couvrait guère qu'un quart du corps.
"Bonne nuit les garçons. Oneira glyká." leur chuchota Louise avec douceur en s'approchant pour leur baiser le front à chacun. Puis, elle alla vers son lit (situé juste en dessous de celui de Garou), attrapa sa propre couverture, et la déposa sur le bossu avec un regard attentionné. Après quoi, elle enleva Brutus (qui fixait toujours aussi mal Vertiline) de son propre cou, le déplia, et s'allongea en le serrant dans ses bras sur sa couchette, qui ne disposait plus que d'un vieux matelas sur lequel s'étaient greffées les formes de son corps.
"Vous n'avez pas peur d'avoir froid?" demanda alors Vertiline, la seule restée debout, tout en s'étant lancée dans une fameuse bataille de regard avec Brutus, qui lui devait encore avoir une puissante envie de l'étrangler...
"Oh non, pas du tout! Brutus est un vrai radiateur vivant, si tu savais!" ria Louise en étreignant le reptile, qui même dans les bras de sa maîtresse n'arrêtait pas de lancer ce regard diabolique à Vertiline...
"Drôle de particularité venant d'un animal à sang froid..." pensa Vertiline, ne perdant pas le prédateur de vue.
"La couchette du haut est à toi, puisque Violine ne s'en sert jamais. Fais de beau rêves, mikrí." déclara la femme-serpent en pointant du doigt la couchette située au-dessus de celle d'Alyosius. Après quoi, elle ferma les yeux, et Vertiline pût noter à ses ronflements, eux-aussi particulièrement sonores, qu'elle s'était vite endormie.
Maintenant la seule encore éveillée, Vertiline demeura immobile quelques secondes, cherchant à définir par la respiration (ou les ronflements) de ses colocataires si tout le monde était bien endormi. Alors seulement, après avoir vérifié une dernière fois le sommeil de tous, elle gratta légèrement le pan droit de sa robe beige à froufrous, et émit un léger claquement de doigt. A l'écoute de ce signal, Enoch sortit enfin! Ce fût un immense soulagement, tant pour l'humaine que pour le céphalopode. Il n'avait été agréable ni pour l'un ni pour l'autre d'être privé respectivement de sa mobilité classique et de sa vue durant plusieurs heures. Enoch commença d'ailleurs à s'agiter un peu dans tous les sens, bien trop content d'être enfin libre de ses mouvements. Néanmoins, étant donné la vétusté de la minuscule cabine qui servait de chambre à maintenant cinq personnes, le moindre mouvement faisait pousser d'atroce cris au parquet... Empêchant son camarade de faire plus de bruit qu'il n'en faisait déjà, Vertiline attrapa une lampe à huile parmis les quatre dans la pièce, souffla sur les trois autres, et emmena Enoch à l'extérieur, dans le couloir.
Quand bien même les deux étaient on-ne-peut plus heureux d'être maintenant libres de leurs mouvements, l'heure n'était malheureusement ni à la ballade champêtre (quoique dans un cirque volant, c'eut été compliqué pour le côté champêtre de la chose), ni au repos. Maintenant qu'il faisait nuit et que tout le monde dormait, autrement dit que personne ne les surprendraient 'séparés', il était désormais l'heure. Et l'heure, c'est l'heure.
L'heure d'enquêter sur le morceau de clé !
Découvrez vite la suite au le chapitre suivant : Comme l'avaient dit les jumelles"!
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