Chapitre quinzième : Le grand Tournoi Saisonnier de RedSmith

L'épreuve qui ouvrait la seconde partie des festivités était le rodéo. Les participants ainsi que le public étaient allés jusqu'à un grand champ en dehors de la ville, où une arène avait été construite spécialement pour l'occasion. Les spectateurs s'étaient installés dans les gradins et commençaient d'ors-et-déjà à établir des paris. On pouvait ainsi entendre à la volée que la moustache de Nicodemus (qui ressemblait beaucoup à celle du robot Hatchworth au passage) allait lui porter chance, que ce pauvre Andy, avec sa poisse habituelle, n'allait pas se faire de vieux os, que les frères Norris n'étaient pas des tricheurs (enfin ça, ça dépendait de tout un chacun), et que l'étrangère avait des cheveux bien étranges. Quand au poulpe accompagnant la fille aux cheveux étranges, il était sur toutes les lèvres, tant il était rare de voir un autre animal marin autre que les poissons du marché par ici. 

Le rodéo constituant la première épreuve était d'un principe ridiculement simple : il suffisait de chevaucher un animal sauvage le plus longtemps possible sans se faire désarçonner, ce qui était évidemment plus facile à dire qu'à faire. L'épreuve s'accomplissait en équipe de deux, la première composée de Nicodemus et Andy, la seconde de Bartholomew et Anthony, et la dernière de Vertiline et Enoch. Une monture avait été tirée au sort pour chaque équipe par le jury, composé de John, le Shérif et l'acolyte de RedSmith (un dénommé Jesse Bo Cook, et une dénommée Lottie Gertrude Cook), ainsi que d'un certain colonel Walter. La monture de chaque équipe avait été tirée au sort. Nicodemus et Andy se retrouvaient ainsi à devoir chevaucher la Pernicieuse Sole des Sables; Bartholomew et Anthony un Terrifiant Taureau Mécanique (toute ressemblance avec une oeuvre de fiction populaire serait purement fortuite), et il avait été convenu que Vertiline chevaucherait Enoch, bien que le public ait quelque peu protesté encore une fois, les membres de chaque équipe n'étant pas sensés concourir entre eux. La distinction fût cependant faîte par le Shérif, Enoch et Vertiline étant des étrangers, et donc des invités. 

Les premiers à participer furent les frères Norris. Tous deux s'étaient installés, pas très rassurés, sur le dos du Terrifiant Taureau Mécanique, qui était quand à lui retenu dans un box bien trop étroit pour qu'il puisse faire le moindre mouvement. "La première équipe est-elle prête?" demanda Lottie en positionnant sa bouche contre un amplificateur de voix. Bartholomew Elias et Anthony Elias Norris levèrent un pouce en l'air pour transmettre leur approbation. Lottie sembla alors sur le point de dire quelque chose (du style "ET QUE L'ÉPREUVE COMMENCE!") mais il n'en fût rien : au moment même ou les frères eurent leurs pouces en hauteur, la porte du box s'ouvrit brusquement, laissant s'échapper le Terrifiant Taureau Mécanique aussi vite que possible. Le pic de vitesse fût si intense que Bartholomew et Anthony s'en retrouvèrent propulsés comme des sacs à patates, l'un dans le dos de l'autre, et le second dans une bien étrange position sur les cornes du Terrifiant Taureau Mécanique. Anthony, qui était toujours sur le dos de la bête (ou plutôt de la machine? Vous savez quoi, on va quand même dire la bête), se démenait tant bien que mal pour ne pas tomber, à tel point qu'il en oublia son frère. Concernant Bartholomew, qui se maintenait sur l'animal grâce à des positions aussi étranges...qu'inventives...et étranges, sachez qu'il en était maintenant, on ne sait trop comment, à effectuer un su-perbe poirier sur les cornes du Taureau. Mais ledit Taureau, dans une prouesse mécanique dont même les robots musiciens n'auraient pû se vanter, effectua alors un bond gigantesque dans les airs, retombant au sol dans un fracas qui fit gronder la terre. Anthony, que la chute avait propulsé lui aussi à une distance spectaculaire (non dans les airs, mais encastré dans le sol cette fois-ci), gisait dès lors dans un énorme trou creusé sous la seule impulsion des sabots d'argents de la bête. Bartholomew, lui, en était toujours à faire le poirier, ce qui devait avoir le don d'agacer les circuits du Terrifiant Taureau Mécanique à en juger par les nombreux nuages de fumée qui jaillissaient de ses naseaux brillants. L'animal multiplia alors les tentatives de faire subir à Bartholomew le même sort qu'à son frère, mais l'agilité de l'aîné n'avait d'égale que la maladresse du cadet. Avec Bartholomew Elias Norris dans l'arène, le rodéo prenait davantage des airs de spectacle de voltige... 

Lottie Gertrude Cook, qui était sensée commenter le match, en restait bouche bée, tout comme l'ensemble du jury à l'exception du colonel Walter qui ne laissa aucune émotion transparaître sur son visage. "C-C'est une grande performance que vient de réaliser là la première équipe! Avec un membre toujours en selle, ils en sont maintenant à..." Elle jeta un coup d'oeil à sa montre à gousset au moment même ou Bartholomew tomba face contre terre dans la poussière. "...Vingt-six secondes pile." acheva Lottie en arrêtant le chronomètre. Immédiatement cela fait, John, qui tenait autant du technicien de maintenance en robotique que du chanteur, ordonna l'arrêt imminent du Terrifiant Taureau Mécanique en appuyant sur un autre gros bouton rouge sur une autre télécommande. Et sans que l'on ne se soucie plus que nécessaire de l'état des frères Norris, l'on s'affaira aussitôt à préparer l'arène pour la suite. Car sous peu allait avoir lieu le passage de Nicodemus et Andy, pour le meilleur et pour le pire... 

Ce fût le Shérif Jesse Bo Cook qui commenta le second match. Je ne sais que trop peu si vous vous en souciez, chères lectrices, chers lecteurs, car sachez que moi... je n'en ai vraiment rien à faire, d'autant que je ne connais pas les détails. Et honnêtement, nous n'en ferons pas grand cas, car ce n'était sans doute pas bien intéressant. Après tout, vous êtes ici pour l'histoire de Vertiline et d'Enoch! Alors omettons volontairement ce qui ne nous intéresse pas pour passer aux choses plus croustillantes, voulez-vous? Place à la troisième équipe!

Enfermé dans le même box que le Terrifiant Taureau Mécanique avant lui, Enoch attendait sa cavalière. Lorsque Vertiline fût correctement installée sur sa tête (plus précisément : son énorme lobe frontal), la porte du box s'ouvrit en trombe, laissant entrer le poulpe et la demoiselle dans l'arène. A peine ses tentacules eurent-elles foulées la poussière que Enoch s'assit au sol sans demander son reste, commençant à tracer des lignes dans le sable avec ses ventouses. Vertiline sortit alors un lasso qui semblait très rigide (d'où? Mais à votre avis? De son corsage, bien évidemment!) et se mit à en faire de même, bien que la rigidité du lasso rendait la chose légèrement plus compliquée. Le fait est que, voyez-vous, les deux avaient préféré faire un morpion plutôt que de s'envoyer mutuellement mordre la poussière au sens littéral du terme. Leur jeu se présentait pour l'instant sous cette forme : sur les neufs cases tracées (Vertiline jouant avec les croix, et Enoch les ronds), tous deux occupaient suffisamment de cases pour être à égalité. Il n'en resta qu'une, et ce fût au tour de Vertiline de jouer. Fatalement, elle apposa la croix de sa victoire en plein centre du carré, barrant la future diagonale d'Enoch pour créer le sienne. La foule entière avait contemplé cette performance dans un silence religieux. Même le jury en était resté bouche bée, comme lors du premier match (à tel point que le seul à avoir été commenté fût celui de Nicodemus et Andy). Même le colonel Walter, qui n'avait pas pour habitude de se laisser impressionner, ne savait que dire face à cela. Le jeu de morpion d'une jeune femme et d'un céphalopode avait apparemment un impact bien plus captivant que n'importes quelles cabrioles extravagantes et rodéonesques. 

Alors qu'Enoch avoua sa défaite, Vertiline leva les bras au ciel en signe de victoire, et tout le monde crût alors comprendre qu'il était temps d'applaudir; ce qui se fit donc. Vertiline passa alors doucement le lasso autour d'une tentacule de son ami, lui faisant faire quelques tours d'arène en saluant le public, qui applaudissait toujours, du plus en plus fort, bien que ne sachant pas vraiment pourquoi il le faisaient. Bartholomew et Anthony ainsi que Nicodemus et Andy, qui étaient restés près des barrières pour mieux observer comment allait s'en sortir les deux étrangers, ne purent s'empêcher de tous échanger un regard circonspect devant cette incongrue parade. Et ça, c'était sans parler du jury, ou bien même de l'ensemble de la foule, ainsi que de vous, probablement.

"Alors? Cela nous fait combien de temps?" demanda Vertiline toute souriante au colonel Walter, qui était supposé commenter sa performance. Le colonel, comme rappelé d'une réflexion très profonde, regarda lentement la montre à gousset qu'il tenait entre les mains. 

"Deux...minutes...et trente-et-unes secondes?" souffla-t-il dans son amplificateur de voix. 

"-Alors j'ai gagné, non?" répliqua Vertiline avec un grand sourire. 

"Hé bien en comparant votre temps à ceux des deux précédentes équipes..." commença John "Deux minutes trentes-et-une pour vous, vingt-six secondes pour les frères Norris, et l'étonnant record de zéro minutes et zéro secondes pour messieurs Forger et Sixkiss...oui, vous reportez l'épreuve de loin!" La foule se leva alors des gradins pour applaudir encore plus fort qu'à l'instant, autant les gagnants que les perdants. Vertiline et Enoch saluèrent élégamment leur public, tandis que les frères Norris discutaient de leur encastrement respectifs par le Terrifiant Taureau Mécanique, et que Nicodemus passait un effroyable savon à Andy, sans doute à propos de leur piètre performance dans l'arène. 

Sans plus attendre se succéda la deuxième épreuve, j'ai nommé le match de lullaby! C'est alors que vous seriez en droit de vous demander "Mais qu'est-ce donc qu'un match de lullaby, ô narratrice qui aime tant briser ce pauvre quatrième mur?" C'est donc là que John serait le plus apte à vous répondre que : "Le match de lullaby est une tradition sportive de RedSmith créée initialement par les fermiers voulant se détendre après une longue journée de travail, bien que ce sport ait aujourd'hui acquit une renommée majeure dans tout HighSmith, et plus particulièrement dans le compté l'ayant vu naître, où il reste très populaire. Il s'agit d'un dérivé de ce que certains indépendantistes tousseux et crachotants appellent vulgairement 'le rugby'. Le principe consiste à former une équipe de quatres s'opposant à une équipe de deux seulement (lors des fêtes saisonnières, ce sont les gagnants de la première épreuve qui se retrouvent uniquement à deux face à tous les autres). Le but de l'équipe réduite est d'emmener un ballon à forme ovale dans le but adverse, tandis que l'équipe la plus nombreuse doit tout faire pour l'en empêcher. Les jeux étant cependant particulièrement violents à leur invention, les règles ont évolué au cours du temps afin d'assurer la survie presque certaine de tous les joueurs. Cependant, nous devons malgré tout souligner le fait que..." Et bref, je pense que vous avez compris le principe. 

"Et donc, comment s'est déroulée l'épreuve?

-J'y viens, mais... Hé! Qui va là?

-Moi!

-Moi! Ha bien, ça ne m'avance guère...

-Le Quatrième Mur!" Un silence de la part de votre narratrice.

"-Qu...Quoiiiii...?

-Que tu t'amuses à malmener et briser à presque tous les chapitres!

-Oh bon sang...

-Pourquoi tant de haine, narratrice?!

-Cher Quatrième Mur (ou dois-je dire Illusion Narrative...?), te rends-tu seulement compte que tu te fais du mal tout seul en t'exprimant ainsi...à l'intention des chères lectrices et chers lecteurs?

-HA. Maintenant que tu le dis...

-Je crois qu'avec toi, il va me falloir redéfinir jusqu'à la notion même de brisage du quatrième mur... 

-Mais enfin, ce n'est pas de ma faute! Tu me malmène allègrement chaque fois que tu prends la plume! Ça commence à bien faire, narratrice!

-Oh! (S'exprimer ainsi à une demoiselle? Il ne manque pas d'air!) Déjà, j'ai un nom! Alors qu'on ne m'appelle plus 'narratrice'! 

-Ha oui? Et quel est-il?

-Mon nom?

-Lui-même!

-Toi d'abord!

-Enfin, tu t'attendais sérieusement à ce que le Quatrième Mur en personne ait un nom?!

-Pourquoi pas?

-Hé bien au risque de te décevoir, je n'en ai pas.

-Vraiment? Oh... Quel dommage... Hé! Et si je t'appelais Tim?

-...Tim...?

-Oui! C'est simple à retenir, facile à prononcer, court et compréhensible du premier coup! Tu as la tête parfaite à t'appeler Tim!

-Bah, si tu le dis... Enfin, peu importe! Je voulais te demander ton nom à la base!

-Moi? La Folia. 

-Pardon?

-La Folia.

-Attends un instant, je crois que j'ai besoin d'aller me fracasser encore un peu plus...

-Hé! C'est la réalité! Je n'ai pas choisis, moi! Je n'y peux rien si mon inventeur m'a affublé d'un nom aussi bizarre! Enfin je veux dire...ce n'est même pas mon vrai nom!

-Vraiment? D'abord une identité inconnue, et maintenant un faux nom?

-Comment ça 'une identité inconnue'? J'ai quand même précisé au résumé être une poupée, non? 

-Blblblblblll...

-Une Poupée Humaine Autonome par dessus le marché, môssieur Tim! La seule et l'unique : La Folia! C'est moi! Et puis... C'est uniquement mon nom de...création. Mais j'ai été humaine! J'ai un nom humain!

-Allons ma grande, comme si nous avions du temps pour les sous-intrigues! Je suis le Quatrième Mur, je te rappelle! Chacuns des mots que nous échangeons me fissure un peu plus...

-Ha, c'est vrai... 

-Mais au final, cela ne s'arrêtera qu'au moment où tu aura décidé de revenir au fil conducteur de cette histoire, soit les aventures de Vertiline et Enoch! Et non les tergiversations d'une narratrice et de l'illusion narrative elle-même!

-Puisque je viens de te dire de ne plus m'appeler 'narratrice'!

-Mais tu viens également de dire que ton nom n'était pas vraiment le tiens, mais celui choisis par ton inventeur!

-Mmm...

-Alors dis-moi donc ton vrai prénom, que cette parenthèse narrative se ferme au plus vite et que je puisse me remettre de mes émotions!

-Mon nom...d'humaine?

-Oui!

-...Sue. Sue Berry-Rattlebag. 


Au moment ou Vertiline et Enoch sortirent des vestiaires, tout frais et pimpants dans la tenue qui leur avait été prêtée spécialement pour le match de lullaby, l'arène avait été transformée en un large terrain herbeux où deux grands poteaux blancs et oranges avaient été installés à chaques extrémités, marquant l'espace de but des deux équipes. Nicodemus, Andy, Bartholomew et Anthony s'étaient postés devant la tribune du jury, eux aussi en tenue spéciale. Une fois que les deux étrangers eurent rejoint les autres participants, le Shérif Jesse Bo Cook se racla la gorge et commença l'explication de la partie : 

"Chers participants d'ici et d'ailleurs, mesdames, messieurs, mesoctopodes, bienvenue pour cette deuxième et dernière épreuve de notre grand Tournoi Saisonnier : le match de lullaby! Sans plus attendre, car je lis l'impatience sur vos visages et vos poils faciaux (c'est à vous que je m'adresse, messieurs Nicodemus et Anthony!), laissez-moi vous expliquer brièvement les règles : l'équipe gagnante de l'épreuve précédente, soit mademoiselle et monsieur March ici présents, ont pour but d'envoyer ceci (il présenta alors d'une main une sorte de ballon ovale et dur) dans les but de l'équipe adverse, composé de messieurs Forger, Sixkiss, et Norris. Quand à ces damoiseaux, ils ont pour unique objectif de l'en empêcher, par tous les moyens décents et raisonnables possibles. Aucune situation se référant à une quelconque forme de misogynie ou de maltraitance animale sera sévèrement sanctionnée! Bien. Le temps de l'épreuve sera la durée de la performance de notre gagnante lors du rodéo, soit deux minutes et trentes six secondes. Et... je pense que nous en avons fini avec les consignes barbantes. Si les participants veulent bien se diriger vers le terrain..."

Vertiline, Enoch et les autres s'exécutèrent. Et en peu de temps, la jeune femme et le céphalopode étaient positionnés face à quatres fringuants damoiseaux prêts à tout (dans la limite du décent et du raisonnable) pour acquérir, je vous le redis car c'est tout de même grandiose, l'incroyable presse-beignet. Les frères Norris s'étaient positionnés en ligne d'attaque, tandis que Nicodemus et Andy s'étaient installés respectivement à droite et à gauche, en défense. Enoch, quand à lui, faisait face à Bartholomew et Anthony, tandis que Vertiline semblait se préparer à piquer le plus grand sprint de sa vie. "Pense que la maréchaussée est à tes trousses!" s'était même-t-elle dit pour se convaincre de courir comme si sa vie en dépendait. 

"Prêts, messieurs-dames?" demanda le Shérif depuis sa tribune. 

"-Prêts!" scandèrent tous les candidats à l'unisson, à l'exception d'Enoch qui couina. 

"Alors que l'épreuve commence!" s'écria joyeusement Jesse en lançant le ballon en l'air. A peine la belle eût-elle commencé à retomber après le lancer que Vertiline bondit alors comme une fusée en sa direction, l'attrapant majestueusement en plein vol sous les applaudissements de la foule et d'Enoch. Joie de courte durée : aussitôt Nicodemus lui fonça dessus, manche relevée et poing armé. 

"Mais c'est ça que vous appelez la décence?!" s'exclama Vertiline en esquivant habilement le coup qui allait être porté à son visage. Outré par l'absence totale de galanterie chez Nicodemus, Enoch se précipita alors vers le rouquin moustachu pour lui administrer la correction qu'il méritait, sans même se soucier des frères Norris qui se ruèrent vers lui et Vertiline. Toujours balle en main, notre héroïne, grâce à une habile glissade entre les jambes de tous ces messieurs, se dégagea du tas qui commençait à se former autour d'elle pour se mettre à galoper à toute vitesse en direction du but adverse. Aussitôt, les gentlemen en short se dispersèrent, ne se concentrant plus sur le poulpe. Alors que Nicodemus et Andy tentaient de rattraper Vertiline avec toutes les peines du monde, Bartholomew et Anthony optèrent pour une technique un peu moins orthodoxe : prenant son frère à bout de bras, Bartholomew se mit à faire tournoyer Anthony comme un lanceur de poids son marteau. Vertiline s'approchait dangereusement du but ennemi quand soudain, Bartholomew lança ni plus ni moins son frère en direction de la jeune femme. Anthony traversa le terrain à la vitesse d'un boulet de canon, si bien qu'à peine Vertiline eût-elle le temps de comprendre qu'un projectile humain lui fonçait dessus qu'elle se fit percuter de plein fouet. 

Le coup fût si violent qu'elle en lâcha la balle, qui roula mollement à quelques mètres devant elle. Technique à double tranchant qu'avait cependant été celle des frères Norris : la course de Vertiline avait bien été stoppée, mais Anthony s'était retrouvé totalement assommé sous l'impact du coup. Et comme Andy ne courait pas bien vite, que Nicodemus avait un poing de côté, et que Bartholomew partait de plus loin que les autres, Vertiline eût largement le temps de se relever et de récupérer le ballon. Le but n'était maintenant plus très loin, et elle avait presque envie de prendre son temps, histoire de laisser à Bartholomew, Nicodemus et Andy un maigre espoir de gagner. Mais ç'aurait été trop cruel. 

Et là encore, je me vois à nouveau obligé de vous avertir de ce qui va suivre, car, comme ce fût déjà bien trop souvent le temps dans cette histoire, un élément aussi ridicule qu'improbable vint pointer le bout de son nez. Je dis juste les choses telles qu'elles sont, considérez-les en le sens qu'il vous plaît, et profitez du spectacle :

Mais SOUDAIN, alors que le bras de Vertiline n'était qu'à un mètre ou presque du but adverse, à ce moment JAILLIT du sol la Pernicieuse Sole des Sables, celle-là même qu'avaient été sensés chevaucher Nicodemus et Andy lors du rodéo! Car voyez-vous, si la Sole des Sables était si Pernicieuse, c'était en général parce qu'elle se cachait là où on ne s'y attendais pas. Le terrain du match de lullaby en était un parfait exemple. Comprenez donc que si Nicodemus et Andy avaient obtenu le score jusque là inégalé de zéro minutes et zéro secondes, c'était bien parce qu'il n'y avait rien eût à chevaucher : la Pernicieuse Sole des Sables s'était cachée. Et maintenant, voilà qu'elle avait décidé d'apparaître...

L'animal ayant émergé de la terre juste sous ses pieds, Vertiline ne comprit pas vraiment comment, mais elle se retrouva en plein sur la tête de la Sole, qui eût tôt fait de l'envoyer valdinguer à l'aaaaautre bout du terrain! Comme si il avait fallu qu'un événement incongru ramène notre héroïne à la case départ. Car telle fût l'apparition de la Pernicieuse Sole des Sables : expéditive. Dès le devoir accompli, celle-ci s'en retourna sous la terre, et on n'en entendit plus jamais parler. Désormais bien plus proche de ses adversaires, Vertiline, qui n'avait pas lâché le ballon malgré cette volée dans les airs, se retrouva dans une situation bien épineuse. Quatre fringuant damoiseaux lui fonçaient dessus, et visiblement pas pour lui offrir des fleurs! C'est fou ce à quoi un presse-beignet, aussi incroyable soit-il, pouvait mener les gens! Les options ne se faisaient pas nombreuses... A moins de foncer dans le tas en espérant se dégager et courir vers le but ennemi dans la limite de temps qu'il lui restait, Vertiline n'avait pas beaucoup de choix... Prête à affronter le troupeau qui se ruait sur elle, elle déglutit un grand coup et se mit en position de course. 

Mais tout à coup, alors qu'elle allait partir d'un instant à l'autre, Enoch se précipita contre les messieurs, les bloquants tous de ses huits puissantes tentacules. Et ils avaient beau forcer! Ils avaient beau forcer, les gentlemen en short, il ne fallait certainement pas sous-estimer la force colossale d'Enoch (dont un certain docteur dont nous tairons le nom avait déjà fait l'expérience). 

"Besoin d'un coup de main, Enoch?" demanda Vertiline à son ami. Enoch parvint à libérer une tentacule et à la lever en l'air, signe que tout allait bien. 

C'est donc sans difficulté que Vertiline trottina vers le but adverse afin d'y déposer le ballon en toute diligence. Coup de chance pour elle, le temps impartit ne s'était pas écoulé entièrement, malgré les interventions inattendues du boulet humain et de la Pernicieuse Sole des Sables. 

Et voici donc, chères lectrices, chers lecteurs, comment Vertiline Eunice March remporta le grand Tournoi saisonnier de RedSmith ainsi que son prix : j'ai nommé l'incroyable presse-beignet!


Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "Naomi s'aventure dans le bayou, et..."!

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