Chapitre quarantième : Les très nobles idéaux de Richard Ted Chandler
Il était clair qu'au début, ni Vertiline ni Enoch n'avaient d'idée précise sur comment ils allaient bien pouvoir rejoindre l'Orphelinat sans se faire repérer. Ils voulaient s'y rendre de la manière la plus discrète possible, et ainsi éviter de rencontrer quelqu'un d'autre que le témoin qui allai les aider à prouver l'innocence de Vertiline : à savoir Miss Elodie Aura Maxwell. Ainsi, passer par l'entrée principale comme la dernière fois ne se présentait pas vraiment comme la meilleure solution. Nos deux protagonistes avaient beau complètement ignorer comment se présentait la situation à l'Orphelinat depuis leur départ, ils se doutaient bien qu'il devait encore être en fonction, avec un nouveau directeur ou une nouvelle directrice à sa tête. Se rendre jusqu'à YellowSmith à pied prendrait trop de temps, or, il n'y avait pas une minutes à perdre. C'est finalement après encore quelques courtes réflexions que Vertiline et Enoch se rendirent au compté voisin de la manière certes la plus rapide, mais aussi la moins discrète qui soit : pour preuve que Bobby était depuis leur escapade à PinkSmith leur nouveau moyen de locomotion attitré.
Grâce à la vitesse et la maniabilité de l'aéronef, il ne se déroula qu'une demi-heure entre le moment ou Enoch alluma le moteur de Bobby, et celui ou il l'éteignit, arrivé sur le gigantesque toit de l'Orphelinat aux abords de la serre. Discrétion totale, donc. Durant leur traversé aérienne, ni le poulpe ni Vertiline n'avaient aperçus qui que ce soit aux alentours de l'Orphelinat, ce qui était toujours ça de témoins de leur arrivé en moins. Posant les pieds sur le sol en mosaïque blanche maculés de pétales de fleurs, Vertiline se tourna alors vers Enoch, la mine taillée d'un regret innatendu.
"Je suis désolée Enoch, mais il vaut peut-être mieux que tu m'attendes ici." dit-elle avec un sourire apitoyé en se baissant à la taille du céphalopode. Enoch plissa les yeux, portant une tentacule à son lobe cervical. Il se doutait bien que Vertiline avait une bonne raison de lui demander cela, mais il ne comprenait pas, et n'appréciait pas plus.
"La maréchaussée et tous les gens qui nous ont vus à l'Orphelinat la dernière fois savent que j'étais toujours accompagnée d'un poulpe. Alors si tu viens, on pourrait avoir des soupçons sur moi... Je suis désolée, Enoch." continua Vertiline en prenant une tentacule dans ses mains. Enoch s'aplatit un peu sur lui-même en détournant le regard, déçu de ne pas pouvoir être de la partie.
"Allons, Enoch! Il faut minimaliser au maximum les chances que je sois reconnue. Tu comprends?" poursuivit Vertiline en se mettant à enlacer Enoch dans une étreinte humide (un poulpe avec la peau humide est un poulpe en bonne santé!). Finalement, le céphalopode, après avoir quelque peu manifesté son mécontentement, tourna le dos à Vertiline.
"Ah! Tu me boudes, maintenant?" soupira la jeune femme. "Bon, Enoch, je vais tout faire pour revenir au plus vite. Je compte sur toi pour ne pas faire de bêtises en mon absence!" dit-elle finalement en desserrant son étreinte et en se dirigeant vers les escaliers menant de la serre à l'intérieur du bâtiment. La porte de sortie des escaliers passée, Vertiline se retrouva alors face à un des très nombreux couloirs identiques de l'Orphelinat, espérant en comptant sur ses souvenirs qu'elle se trouvait au bon endroit. Autrement, elle aurait déjà été découragée à l'idée d'examiner un à un chaque couloirs des innombrables étages du bâtiment... Heureusement, elle remarqua à seulement quelques pas d'elle une chambre marquée du numéro 900, soit celle de Scarlet et Miss Elodie dans ses souvenirs. Avec un peu de chance, la fille-robot y serait peut-être encore. Pour son plus grand bonheur, Vertiline remarqua également qu'à part elle, le couloir était entièrement vide de toute présence. D'ailleurs, l'Orphelinat en lui-même lui paraissait bien moins bruyant que dans ses souvenirs...
"Vous pouvez entrer." résonna une voix féminine à travers la porte de la chambre 900 avant même que Vertiline n'ait le temps de toquer. C'est vrai que Miss Elodie avait son espèce de vision du futur bizarre qui lui faisait tout savoir à l'avance... Vertiline ne se fit donc pas prier pour entrer. Miss Elodie demeurait exactement au même endroit que la dernière fois, dans la même position, à l'exception près que malgré le petit sourire au coin de ses lèvres, elle semblait épuisée (une énorme et unique cerne logeait d'ailleurs sous son oeil droit, l'oeil gauche étant, je vous le rappelle, mécanique et pouvant s'orienter à 360 degrés, comme c'est pratique).
"Bonjour mademoiselle March. Je vous attendais." dit très poliment Miss Elodie.
"J'imagine que vous avez vu avec votre oeil magique que je viendrais élucider une affaire avec vous." répondit Vertiline en s'approchant des barreaux du lit tout en prenant soin de refermer la porte derrière elle.
"-Hé bien oui, disons ça comme cela." reprit Miss Elodie. Elle pointa posa sa main sur la partie du lit qu'elle n'occupait pas. "Je vous en prie, asseyez-vous, Miss March. J'ai peu à vous dire, mais beaucoup à vous expliquer.
-C'est à dire?" demanda nerveusement Vertiline en s'asseyant sur un bord du lit face à la femme robotisée.
"Ma chère." commença Miss Elodie sur un ton témoignant d'une grande compassion. "Je sais comment vous innocenter des terribles meurtres dont on vous accuse à tort. Mieux encore, je sais qui est le véritable coupable. Cependant, je ne sais absolument pas par quel moyen nous allons procéder.
-Expliquez-vous. Qui est donc le véritable coupable?
-C'est Richard." Voilà un doute qui ma foi n'eût guère le temps de planer!
"-Hé bien au moins avec vous, le doute ne plane pas longtemps." déclara promptement Vertiline avant que ne vienne aussitôt sauter à son esprit le souvenir que... "Attendez...Richard?! Le fiancé de Vermeille?!
-Lui-même.
-Mais...m-mais? MAIS?
-Le problème est que depuis la mort des soeurs Sterling, il est devenu plutôt influent au sein de l'Orphelinat.
-A-Attendez! Pourquoi...pourquoi Richard aurait-il tué sa fiancée?! Et la soeur de sa fiancée?! Et...et comment? Heu...je ne suis pas sûre de vouloir savoir, mais...
-Et pourtant... Il leur a coupé les cheveux." expliqua Miss Elodie d'une sagacité à faire froid dans le dos. Vertiline répliqua au quart de tour :
"-J'ai du mal à comprendre.
-Vous l'avez bien remarqué par le passé : la chevelure de Scarlet et Vermeille était pour le moins...particulière.
-A ce propos, pourquoi ne l'ont-elle jamais coupée? Cela leur aurait grandement simplifié la vie!
-J'y viens.
-J'écoute.
-Leurs cheveux...était ce qui les maintenait en vie. Aussi étrange que cela puisse paraître, et il faut bien reconnaître que ça l'est, le sang de Scarlet et Vermeille ne circulait non pas dans leur corps, mais...dans leur cheveux. Leur coeur était, en quelque sorte dans leur cheveux.
-Je suppose que cela explique au moins la couleur rouge...
-J'ai moi-même eût beaucoup de mal à comprendre cette si étrange formation physique au début. Ainsi, couper leur cheveux revenait à les tuer. Richard et moi étions les seuls à le savoir. Les enfants et le personnel de l'Orphelinat avaient simplement pour ordre de ne jamais toucher aux cheveux des deux soeurs, sous peine d'une très sévère sanction.
-Visiblement, quelqu'un a profité de ses connaissances..." Vertiline commençait à avoir l'habitude de répondre quelques normalités aux déclarations les plus loufoques, sordides et farfelues qu'elle entendait. Flegmatique, Miss Elodie poursuivit sans qu'aucune émotion n'altère aux traits rigoureux de son visage tendre :
"-La nuit du crime, j'étais dans cette chambre, avec Scarlet. Nous nous apprêtions à nous coucher, lorsque Scarlet se mit à pousser un terrifiant hurlement sans raison. En moins d'une minute, ses cheveux se sont mis à blanchir comme la neige. En à peine deux minutes, son visage n'était plus qu'un reflet de mort...
-Mais n'aviez-vous pas prévu grâce à vos visions que les soeurs Sterling allaient se faire assassiner?" Silence très confus de Miss Elodie s'en suivit, avant qu'elle ne déclare d'une voix dévastée :
-...Non, à ma grande honte. Jamais je n'ai eût une quelconque vision montrant Richard coupant la chevelure de Scarlet et Vermeille. Je ne comprends pas! Mes visions ne se sont jamais révélées fausses et se sont toujours déroulées telles que je les avaient prédites! Alors pourquoi...pour la pire des choses ais-je été incapable...
-Miss Elodie, ce n'est pas de votre faute!" s'écria Vertiline. "En temps normal, personne ne peut prédire le futur!
-Je suis de ces personnes sur lesquelles le temps n'a que peu d'impact, Miss March." répliqua celle-ci avec accablement. "Regardez-moi! J'étais peut-être une jeune femme comme les autres avant mon passage chez Sir McLogan, mais maintenant...pour le meilleur comme pour le pire, me voilà ainsi, avec le pouvoir de lire dans l'avenir. A quoi me sert ce pouvoir s'il n'a même pas pu me permettre de sauver ma femme? Ha... Ne me regardez pas ainsi, Miss March. C'est très gentil de votre part de vous soucier de moi, mais je suis désolée de vous dire que...ce n'est pas suffisant.
-Je comprends parfaitement, mais refuser un peu d'aide ou d'attention ne vous fera pas vous sentir mieux.
-Miss March, savez-vous que non contente de lire dans le futur, je peux aussi voir dans le passé?
-Oui, vous me l'avez dit vous-même.
-Je sais que vous... Comment avez-vous fait pour vous en remettre?
-Mais de quoi parlez-vous?
-Allons Miss March, ne tergiversons pas. Vous savez de quoi je veux parler, mais je pense que vous ne voulez pas l'entendre.
-Dites toujours, quoi que ça puisse être.
-Vraiment? Oh... Comment avez-vous fait pour surmonter la mort de celui que vous aimiez? Scarlet n'est plus que depuis quelques jours, et pourtant...si vous saviez comme elle me manque! Et bien qu'aucune émotion ne transparaisse sur mon visage, croyez bien que je suis en proie au pire des chagrins... Pouvez-vous me prendre dans vos bras un instant?" Émettant un maigre sourire qui se voulait réconfortant, Vertiline s'approcha de Miss Elodie et l'étreignit, le contact avec la jeune femme ne lui faisant que se demander encore plus si à se stade, Elodie tenait davantage de l'humaine ou du robot; tant elle avait de charnu rien d'autre que du métal et autres alliages de divers composants tout aussi inorganiques à certains endroits.
"C'est une chose qu'on ne surmonte jamais vraiment..." avoua Vertiline tout en serrant toujours Miss Elodie contre elle.
"-J'ose imaginer que les premiers mois n'ont pas été simples... Mais à vous voir aussi souriante et énergique en ces nouveaux jours, j'aimerai savoir si vous eûtes recours à un quelconque moyen permettant d'atténuer la douleur d'une telle perte." murmura Miss Elodie d'une voix douce bien que chagrinée. Vertiline poussa un petit soupir nostalgique et passa tendrement sa main sur les cheveux de la jeune femme.
-La vérité est que...pour être honnête avec vous, je ne saurai dire si je m'en suis moi-même remise. Franchement, je me sentais plus bas que terre quand j'ai perdu Jeffrey.
-Tout comme moi...
-J'ai...j'étais tellement triste que je suis restée assise en boule dans un coin sans bouger, ni manger, ni boire, ni dormir pendant cinq jours. On aurait dit un zombie! Ah, les douleurs au dos que ça m'a fait lorsque je me suis enfin dépliée!
-Qu'est-ce qui vous a donné la force de vous...déplier?
-Hé bien, après presque une semaine passée à rien d'autre qu'à pleurer, je me suis dit qu'il serait très mauvais pour moi de rester dans mon état plus longtemps.
-Qu'avez-vous alors fait?
-Premièrement, j'ai fait une sieste longue de dix-huit heures. Ensuite, j'ai bu un litre d'eau d'une traite, et je me suis consolée avec des pâtisseries. Jugez si vous voulez, mon époux était encore pire de ce point de vue là quand il était triste!
-Très bien, mais ensuite?
-Ensuite, je suis allée me recueillir sur la tombe de celui que j'aimais, et bien que je me souviens avoir été en proie à la plus grande des tristesses à cet instant (plus de quatre gentlemen m'ont donné un mouchoir brodé ce jour-là), je me suis jurée de tourner la page, sans pour autant oublier l'homme qui fit battre mon coeur." Vertiline marqua une brève pause, le temps de ravaler sa salive et de prendre les mains de Miss Elodie dans les siennes. "Je sais que c'est facile à dire étant donné que mon deuil est passé et non pas le vôtre, mais je pense que le mieux à faire pour vous est d'accepter au plus vite la mort de Scarlet.
-J'ai accepté sa mort." avoua placidement la demoiselle robotisée. "Je l'ai vue mourir sous mes yeux! J'ai entendu ses derniers mots! Alors...pourquoi suis-je incapable de l'oublier?
-Au contraire!" s'exclama Vertiline en resserrant ses mains plus fermement encore contre celles de son interlocutrice. "Il ne faut pas l'oublier!
-Et si je n'étais plus jamais heureuse à cause de cela?!
-Mais enfin! C'est justement grâce à Scarlet que vous avez changé de vie! C'est grâce à elle que vous avez connu l'amour! J'ai bien conscience que mes paroles fassent un peu fleur bleue, mais vous ne pouvez pas oublier Scarlet! Pas après ce qu'elle a fait pour vous, et pas après tout l'amour que vous vous êtes mutuellement données!
-Mais la tristesse m'empare chaque fois que je pense à elle!
-Je sais que c'est dur Miss Elodie, mais il vous faut faire avec. Et vous verrez qu'avec le temps, la tristesse amère deviendra une douce nostalgie.
-Et pour vous Miss March? Votre amère tristesse est-elle devenue une douce nostalgie avec le temps?" Vertiline se tût sur le moment. Parler de toutes ces histoires de deuil ne lui était pas des plus plaisant, quand bien même elle se sentait fort redevable envers Miss Elodie pour lui avoir donné sans problème le morceau de clé de YellowSmith. Sans même s'en rendre compte, elle ne pût s'empêcher de détourner le regard et de desserrer son étreinte avec la femme-robot, de plus en plus perdue dans ses pensées. Elle semblait d'ailleurs sur le point d'effectuer un sérieux monologue intérieur lorsque Miss Elodie la ramena à la raison.
"Miss March? Vous allez bien?" Vertiline secoua la tête d'un coup pour chasser les mauvaises pensées qui s'accumulaient dans son cerveau.
"-O-oui." bégaya-t-elle. Un terrible doute venait de lui traverser l'esprit : comme l'avait dit Miss Elodie, ressentait-elle maintenant plus de nostalgie que de tristesse depuis la mort de Jeffrey? Elle n'était pas vraiment sûre de le savoir... Après tout, qui crapahutait à travers tout HighSmith dans le but très borné et quasi-irréalisable de récupérer un artefact magique qui lui permettrait de remonter dans le temps et d'empêcher la mort de son fiancé? Elle. Vertiline Eunice March, la grande tête de mule de service! Plus elle y réfléchissait, moins cela faisait sens dans sa tête, ce qui se mit soudainement à l'inquiéter grandement, comme si elle n'y avait jamais songé auparavant.
"Pardonnez-moi de vous avoir demandé cela. Revenons donc à nos moutons." s'excusa Miss Elodie, voyant les troubles de la conscience dans lesquels Vertiline semblait s'empêtrer à grande vitesse.
"-Heu...oui! Bonne idée!" sursauta presque la jeune femme en secouant la tête. "Nous disions donc...Richard...
-Il n'y a pas de preuve directe ni de témoins pour l'accuser du meurtre de Scarlet et Vermeille, mais ça ne peut être que lui. Il me l'a dit." D'un calme exemplaire, toujours.
"-Il...vous...oh, j'ai de plus en plus de mal à comprendre! Pourquoi vous aurait-il avoué une telle chose?!
-Depuis la mort des soeurs Sterling, c'est Richard qui est à la tête de l'Orphelinat." Placidement.
"-Je pensais que c'était vous...
-Nullement." Stoïquement. "Qui plus est, ce...ce...sagouin a comme qui dirait...de grands projets pour l'Orphelinat. L'assassinat de Scarlet et Vermeille n'en était que le début..." Moins placidement, beaucoup moins stoïquement...
"-C'est à dire?
-Richard profite entièrement du fait que je sois alitée et incapable de me déplacer pour établir ses propres règles au sein de l'Orphelinat... Il compte notamment désister le bâtiment de ses fonctions." D'une voix si lourde et accablée! Vertiline s'enquit donc de répliquer :
"-Comment ça? Il veut...il veut mettre les orphelins à la rue?!
-Plus ou moins. Il jubile à me voir impuissante et m'explique ainsi tous ses plans sans la moindre hésitation... Son but est de faire de l'Orphelinat un..." Hésitation...
"-Dites!
-Un asile..." Révélation!
"-Comment?!" Indignation. "Comme...comme celui de PurpleSmith?!
-C'est un grand admirateur des travaux du docteur Phineas Benjamin Guideon...
-Ce fou n'a de docteur que le nom!" Une sage constatation. "Un Asile est déjà trop, mais deux?! Et...et que va-t-il advenir de tous les enfants qui logent ici?! Cet Orphelinat est le plus grand de tout HighSmith!
-Songez dès à présent qu'il pourrait devenir le plus grand Asile de HighSmith... Richard croit dur comme fer en la fameuse 'Introduction à la psychologie féminine' de Guideon, il pense que...qu'un asile ne suffit pas pour, selon ses dires, emprisonner toutes les Démentes du pays... Quand au enfants, il prévoit de les envoyer travailler aux usines de GreenSmith...
-Ce satané bouquin!" rugit Vertiline sans contenir son exaspération. "Je lui ferai manger, moi, son Introduction! Si ce second asile voit le jour, ce sera une prison ou la barbarie s'exerce sous couvert d'une prétendue 'médecine moderne', ni plus ni moins! Et comment ose-t-il abandonner des enfants qui...qui...qui n'ont même pas de famille, et...
-Je consens hautement que cela soit horrible, mais je me permet de vous demander de refréner votre colère, Miss March.
-Je suis très calme!
-Vous ne semblez pas...
-Miss Elodie, il nous faut agir! En ce sens, la chose n'est plus seulement dans mon intérêt, mais aussi dans la vôtre et de l'Orphelinat tout entier!
-J'en suis bien consciente, Miss March. Mais voyez mon état : je ne peux même pas sortir de mon lit. Seule, je ne serai capable de rien. Et vous aussi." Les deux se turent. Hésitante, Vertiline s'aventura alors à demander :
"-Est-ce que...vous...rouillez encore?" Les paupières de Miss Elodie s'abaissèrent un peu, probablement non sans effort. D'une voix calme bien que légèrement vacillante, elle dit alors :
-Constatez par vous même, je vous en prie. Allons, n'ayez pas peur : soulevez ma couverture." Vertiline fixa Miss Elodie un court instant, peu assurée à cette idée. Elle céda cependant à la demande de son hôte et, en se levant du lit, ôta la lourde couette qui recouvrait la moitié du corps de la jeune femme. Vertiline aurait néanmoins préféré ne peut-être pas laisser sa curiosité prendre le dessus, si ce fût pour voir ce qu'elle vit... En effet, la jambe droite de Miss Elodie était entièrement mécanisée, et pas d'un élégant métal poli et opérationnel comme on en voyait sur certains, le bras gauche de Vincent par exemple; mais ressemblait au contraire davantage à un travail de garagiste! La jambe était toute bronzée de rouille, la moitié de pièces semblaient disfonctionnelles ou défectueuses, et enfin, elle ne possédait pas de pied... Sa jambe gauche quand à elle, était un enchevêtrement grossier et anarchique de chair humaine et de plaques et écrous en fer, dont plusieurs fils rêches dépassaient aléatoirement ça-et-là. Quand à son pied, le talon était une sorte de cuirasse arrondie, tandis que le reste était en chair. Si l'on remontait vers sa bas-ventre, son corps était vraisemblablement charnu et dénué de toute influence robotique, mais ce n'était pas le cas de ses hanches, elles remplacées par deux larges plaques argentées de part lesquelles entraient et sortaient deux tubes de chaque côté. De là, on en revenait à ce qui était visible même avec la présence de la couette. Plus l'on remontait haut sur son corps, plus les pièces mécaniques semblaient avoir été installées aléatoirement sur Miss Elodie (j'en veux pour preuve la présence de l'énorme implant circulaire près de son coeur, son unique doigt en acier, ou encore le gros morceau de fer incrusté dans sa joue comme si de rien n'était.). D'après les souvenirs de Vertiline, la pauvre Elodie était devenue ainsi à cause d'Arthurus Rex McLogan, celui-ci s'étant servie d'elle comme cobaye pour ses expériences sur la robotique. Des créations d'Arthurus, Vertiline n'avait aperçue que La Folia (Grace pouvait-elle être considérée comme une 'création'?), et sans vouloir m'envoyer des fleurs, elle était de loin bien plus perfectionnée que Miss Elodie...
"Comment voulez-vous que je fasse quoi que ce soit dans cet état?" demanda la femme-robot sans qu'une émotion ne transparaisse sur son visage, quand bien même sa voix laissait transparaître la profonde tristesse qui l'habitait présentement. "A cause de la vétusté des matériaux qui ont été utilisés sur moi, je rouille tellement que je suis incapable de bouger les jambes! Et de toute manière, comment fonctionner avec un corps à moitié mécanique quand les signaux d'action doivent passer à travers des membres de chair?" Elle poussa un grand soupir abattu.
"-Mais...pourquoi Arthurus vous a-t-il mis dans un tel état?" demanda Vertiline.
"-Je vous l'ai déjà dit lors de notre première rencontre : il voulait créer une parfaite fusion entre un humain et un robot. Hé bien ce n'est pas franchement réussi! Quand je pense que S33H...que Grace était dans la même situation que moi...la pauvre! Je n'ose imaginer si elle a trouvé âme aussi charitable que ma douce Scarlet pour lui venir en aide!" Une petite lumière qui fit 'tilt!' s'alluma aussitôt dans le cerveau de Vertiline.
"-Grace, vous dites? Était-elle par hasard très grande, avec les cheveux frisés?
-Oh! Oui, c'est cela!" s'exclama immédiatement Miss Elodie, la voix teintée d'un entrain et d'un espoir tout particulier. "Par le Crésus, l'avez-vous vue? Est-ce qu'elle va bien?!
-Hé bien...
-Oh, dites-moi Miss March, je vous en supplie! Je n'ose imaginer ce qui a pu arriver à ma tendre amie!
-J'ignore si il vous fera plaisir de l'entendre ou non...
-Est-elle vivante? A moins qu'elle n'ait trouvé le repos que dans l'éternité? Oh, Grace, Grace...!
-Elle vit, n'ayez crainte à ce sujet. Néanmoins...
-Allons! Dites, dites!
-Je l'ai rencontrée à GreySmith. Elle travaillait dans les Mines pour Arthurus.
-Oh...oh...
-Elle est certes vivante, mais sa bouche et tout le bas de son visage ont été remplacés par un masque de métal...
-Non... Pauvre d'elle!" Miss Elodie porta ses deux mains à son visage, puis les leva en l'air autant que son anatomie rouillée le lui permettait. "Ah, Arthurus!" déclama-t-elle le plus émotivement possible. "D'abord Guideon, puis lui, et maintenant Richard! Mais quand les hommes cesseront-ils de s'acharner à détruire nos pauvres vies?! Dire qu'il y a quelques années de cela, aucun de ces odieux personnage ne faisait partie de mes connaissances! Grace, Clarisse, Sue, moi-même et tant d'autres avons déjà subies tellement d'horreurs à l'Asile avec Guideon! Mais non, ce n'était pas fini! Car non-contents d'avoir souillés nos corps et désespéré nos esprits, il fallait maintenant que nous soyons traitées comme de vulgaires rats de laboratoire par Arthurus! Pour finir comment?! Être ses esclaves à jamais, ou finir balancées dans une décharge telles de vulgaires déchets, comme je l'ai moi-même été?! AH! HORREUR! Damnation! Malheur, malheur à eux! Que la peste emporte ces chiens de la pire façon qui soit!" Vertiline posa une main compatissante sur l'épaule de Miss Elodie, dont l'ardeur de la parole avait considérablement rougit ses joues pâles.
"-Je suis bien d'accord avec vous, mais pour l'heure, tâchons de déjà régler le problème de l'Orphelinat. Si Richard est influencé par Guideon, qui sait, peut-être s'est-il déjà entretenu avec lui. Si nous faisons tomber Richard, peut-être pourrons-nous ébranler Guideon. Et si c'est le cas, alors nous pourrions même essayer de déstabiliser Arthurus, pourquoi pas révéler toutes les horreurs de ces trois-là au grand jour! Mais pour l'heure Miss Elodie, bien que je sois on-ne-peut plus d'accord avec vous, concentrons nos efforts sur Richard." Le regard de Miss Elodie se figea, pétrifié de déraison à cet instant, comme si tout son être s'en était allé au loin l'espace d'un court instant.
"Miss Elodie? La Terre à Miss Elodie, vous m'entendez?" demanda Vertiline avec une brève inquiétude en passant sa main devant les yeux livides de la jeune femme.
"-O-O-Oui..." bégaya l'intéressée, soudainement très pâle. "Veuillez m'excuser, il se peut je fusse récemment hantée par de sombres souvenirs...
-Même dans un tel état, vous vous donnez la peine de faire des allitérations, vous.
-Là n'est pas le sujet! Miss March, pardonnez-moi ces quelques absences. Promis, je suis toute à vous maintenant. Vous dites vouloir faire tomber Richard, et je ne peux qu'approuver cette idée. Il nous faut non seulement prouver votre innocence dans l'affaire du meurtre des soeurs Sterling, mais aussi révéler au grand jour les plans de M.Chandler, dans le but que l'Orphelinat reste ce qu'il soit.
-C'est un bien beau projet. Tout ce qu'il nous manque maintenant, c'est un plan. Maintenant que j'y pense, ne pourriez-vous pas utiliser votre espèce de vision du futur pour cela? Je suis sûre que cela nous serait d'une grande aide!
-Cela me paraît être une excellente idée. Malheureusement...
-Oh, n'allez quand même pas me dire que ce 'malheureusement' couplé à la baisse de votre ton de voix indique que vous ne pouvez pas ou plus prédire le futur, ou quelque chose comme ça...
-Hé bien...
-Non?
-Non quoi?
-Vous ne pouvez vraiment...?
-Non.
-Non quoi?
-Hé bien je vous l'ai dit!
-Vous m'avez dit non!
-Non quoi?
-Mais enfin?!
-Enfin quoi?
-Un instant! Je suis perdue!
-Vous m'avez perdue!
-Que dire de vous!
-Bon!
-Nous disions...
-Votre vision du futur?
-Oui. Elle n'est pas opérationnelle.
-Hé bien...hé bien opérationnez-la!
-J'ai bien peur que cela ne fonctionne pas ainsi, Miss March.
-Mais pourquoi? Depuis quand?
-Nous avons déjà abordé ce sensible sujet, alors je vais me contenter de le dire tout en vous demandant de ne pas me questionner davantage à ce sujet (ne le prenez ni mal, ni personnellement) : depuis la mort de ma chère Scarlet, mon oeil m'octroyant habituellement ce fabuleux pouvoir semble quelque peu défectueux...
-Sans vouloir vous vexer, cela ne nous arrange pas vraiment... Et maintenant que j'y pense, n'aviez-vous pas dit lorsque je suis arrivée il y a quelques minutes que vous étiez au courant de ma venue?
-Ça, je l'avais prédit lors de notre première rencontre. Vous souvenez-vous? Je vous avais dit que nous ne nous reverrions pas avant longtemps.
-Ce 'longtemps' n'a duré que quelques jours.
-Le temps est de bien nombreuses perceptions pour tout un chacun. Quoi qu'il en soit! Sachant que nous étions destinées à nous revoir, ayant connaissance du sombre projet de Richard et étant dépossédée de ma vision du futur, croyez-vous que je suis restée les bras croisée? Je suis peut-être vouée à l'immobilité, mais pensez-bien que cela ne m'a pas empêché de me servir de ma tête!
-Dois-je comprendre que vous avez une idée?
-Mieux que cela, Miss March. J'ai un plan!"
Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "En guise d'interruption, nous vous proposons..."
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