Chapitre quarante-septième : Ouantide ou pas Wanted
Vertiline et Enoch se dirigeaient d'un pas vif et motivé vers la Fabrique. Tout en marchant, ils récapitulaient leur plan à voix basse. Étape un : se faire engager comme employés de base peu importe le domaine. Étape deux : trouver un moyen d'accéder à toutes les pièces de la Fabrique, ce en devant sans aucun doute voler un passe-partout, ou quelque chose du même genre; car il était évident qu'un ouvrier parmi tant d'autres n'aurait pas accès aux pièces les plus confinées. Étape trois : hé bien, ce pourquoi ils remuaient ciel et terre depuis deux mois : récupérer l'ultime morceau de clé qui leur manquait!
Plus ils s'approchaient de la Fabrique, plus les habitations se faisaient rares, au profit de toujours plus d'usines dégageant de drôles de fumées vertes (charme de GreenSmith, quand tu nous tiens!) et de petites manufactures en tout genre. Les bonnes gens généralement massés vers le centre ville étaient ici remplacés par des hommes et des femmes au visage creusé et cerné, aux cheveux gras et emmêlés, et dont les traits et les courbes avaient été tracés et sculptés par la sueur et les gros efforts physique. Vertiline ne pût s'empêcher de sourire par réflexe, tout en se sentant une désagréable nostalgie l'envahir. C'était à ce genre de paysage, tout comme à ce genre de personnes, que ses yeux avaient été habitués dès sa plus tendre enfance. Ces simples visions suffisaient à faire renaître en elle des souvenirs qui normalement restaient profondément enfouis en son plus fort intérieur, comme par exemple ceux de l'époque ou elle devait ramoner les cheminées des petites maisons pour trois sous, ou encore quand elle dansait sur les toits de la ville. Que de songes du passé qu'elle préférait ne pas se remémorer...
Dans ces rues pavées couvertes de saletés en tout genre, même les enfants travaillaient. Cela n'avait rien de surprenant, Vertiline avait elle-même fait les frais de cette pratique apparemment réservée aux plus pauvres dans le temps. Certains ahanaient les passants, les suppliants dans leur accent citadin bien prononcé de cirer leurs chaussures, ou alors de leur acheter une boîte d'allumettes, un journal, ou des oranges à la peau toutes fripées. Avec tant de temps passé hors de son environnement natal, Vertiline en avait presque oublié toute la misère qui sautait immédiatement aux yeux, une fois quelques pas faits hors des quartiers huppés, ou habités par les classes sociales un peu moins riches, mais dont les revenus étaient assez corrects pour leur permettre une vie hors des coins pauvres du compté et de son quartier industriel. Plus elle avançait, plus Vertiline avait l'impression de s'enfoncer dans un marais où l'attendraient pour toujours ses racines fétides, quoi qu'elle fasse pour se persuader d'y échapper...
Dérobant à la volée une pomme sur un étalage avec une habileté naturelle, elle l'échangea à une petite fille portant un béret deux fois trop grand pour elle contre un des journaux qu'elle vendait pour deux sous. Comme toujours, Vertiline n'avait pas un copec sur elle, il faut croire qu'en vingt-six ans d'existence, cela n'avait pas changé. Ç'avait toujours été le cas du temps ou elle était enfant, puisque les quelques pièces gagnées à ramoner toute la journée servaient à acheter de quoi nourrir ses deux petites soeurs : Violine et Eulalia. Cela dit, une partie des maigres gains amassés par son frère aîné, Jabert, servait aussi à la nourrir elle; étant donné que c'était ainsi que l'on procédait pour survivre dans la famille. Tout le monde devait s'entraider, et il était le devoir des plus âgés de prendre soin de leurs cadets. Le seul grand perdant dans l'histoire était le plus âgé de la grande fratrie March-Missing : Rudolph, celui qui avait tout appris à Vertiline. La petite fille saisit la pomme que lui avait tendue sa bienfaitrice comme si il s'agissait d'un trésor en murmurant un faible mais sincère "Merci m'dame!" Vertiline ne pût s'empêcher de soupirer intérieurement tout en esquissant un maigre sourire. Cette petite, avec ses vêtements trop grands, son visage crasseux, son apparente maigreur, et son longs cheveux roux rêches et emmêlés, ne lui rappelait que trop elle-même du temps ou elle était dans une situation identique à la sienne.
La petite mordit dans le fruit à pleines dents et sembla alors sur le point de pleurer. Vertiline se doutait bien qu'au vu de sa pauvreté apparente, elle ne devait pas souvent avoir accès à de la nourriture de qualité, encore moins des fruits et des légumes frais. En ce qui la concernait, elle n'en avait jamais mangé avant d'avoir été adoptée par Babel (pas étonnant qu'elle ait mal grandi). "Tu en veux une autre?" lui chuchota Vertiline à l'oreille, voyant que l'étal qui proposait les pommes était toujours sans commerçant pour le tenir (chose dont avaient d'ors et déjà profité d'autres voleurs). La petite fille s'arrêta de mâcher, dévisageant Vertiline avec un regard ahuri, ne sachant que penser de cette proposition, mais avec néanmoins une furieuse envie de dire oui. Roulant plusieurs fois ses yeux partout autour d'elle, elle finit par hocher timidement la tête. Vertiline s'approcha alors discrètement de l'étalage, et, ni une ni deux, déroba une pomme supplémentaire, avec une agilité et une dextérité entretenue par des années de pratique; qu'elle lança à la petite. La gamine eût un gros rire étouffé par un morceau de fruit coincé dans sa gorge, et se mit à psalmodier tout en mangeant de plus en plus vite : "Merci, merci, merci m'dame! Z'êtes trop bonne, que l'Crésus vous apporte la chance, m'dame!" Et elle lui tendit un journal en guise de remerciement.
Vertiline esquissa une grimace rien qu'à voir la première des journaux : on y voyait ni plus ni moins que sa tête en gros plan (une sacré tête au passage, le genre qu'on arbore lorsqu'un photographe vous demande de ne pas sourire pour cette photo d'identité), avec un bon gros "WANTED" bien agressif dans son genre écrit juste au dessus de son front en capitales rouges. Juste à côté de la photographie, les gros titres indiquaient "VERTILINE EUNICE MARCH, LA VOLEUSE DE GREENSMITH TOUJOURS EN CAVALE". Elle tourna la page, et après l'énonciation des autres titres, de la météo, de l'horoscope du jour, l'annonce des nouvelles découvertes surnaturelles recensées par le Ministère des Sciences Occultes, et un gros paragraphe peu élogieux à son sujet, Vertiline fût attirée par un autre court article également sur elle, noyé entre un second sur les nouvelles technologies de l'année (ont commençait en ces temps à beaucoup parler d'un certain 'chemin de fer'), et plusieurs publicités pour les savons Moussette; "Et avec Moussette, vous savonner devient une fête!" comme disait le slogan. L'article en question disait :
"VERTILINE E. MARCH : UNE IMPROBABLE ICONE...? "
Rédigé par : Samson D. Gunn
Edité par : Dinah A. Beggley
"Vous vouliez adopter un poulpe? Il semblerait malheureusement pour vous que le compté de GreenSmith, et même les comptés voisins soient en rupture de stock; tout comme les coiffeurs voient leurs demande de teinture verte augmenter à une vitesse faramineuse... Il semblerait que l'allure particulière de la célèbre voleuse Vertiline Eunice March ne soit pas passée innaperçue, car voilà que depuis maintenant une semaine, une inattendue vague de popularité s'est créée autour de la fille March. Partout dans chacun des comptés de HighSmith, la maréchaussée doit maintenant faire face à une explosion de témoignages d'agressions soi-disant faîtes par la fameuse Vertiline, aussi bien qu'à des lettres de menace, des appels téléphoniques provocateurs, etc. La raison à tout cela? Selon nos enquêteurs, de nombreuses femmes et jeunes filles (ainsi qu'une minorité d'hommes) auraient depuis peu décidés contre toute attente (et tout bon sens) d'incarner l'anti-héroïne aux cheveux verts, qu'ils considèrent désormais comme une idole; persuadés que la véritable Vertiline oeuvre pour une bonne cause ("Pour les plus démunis!" clame un témoin arrêté pour avoir cambriolé un établissement de Cogwood sous les traits de la fille March) et que ses actions sont ainsi justifiables. Rien qu'à GreenSmith, plus d'une centaine de cas auraient été recensés en moins d'une semaine, et leur nombre ne cesse de croître! Et si les chiffres sont pour l'instant moins importants dans les autres comptés, eux aussi, n'arrêtent pas d'augmenter! HighSmith se voit ainsi peu à peu envahi de femmes et hommes prenant les traits de la fille March et commettant, pour certains le bien à leur façon, pour d'autres les pires exactions en son nom. Simple phénomène de mode pour une hors-la-loi, ou véritable risque pour les comptés? Seul l'avenir nous le dira..."
Vertiline ne pût s'empêcher de froncer les sourcils durant toute sa lecture. Premièrement parce qu'elle trouvait cet article particulièrement mal écrit (elle-même aurait fait mieux), deuxièmement car elle n'était ni vraiment rassurée, ni vraiment repoussée à l'idée qu'elle soit devenue un sorte d'idole ou d'anti-héroïne partout dans les comptés, et troisièmement car elle était persuadée d'avoir déjà entendu quelque par le nom de Samson D. Gunn, mais n'arrivait plus à se souvenir où, quand, ni dans quelles circonstances. (Mais peut-être vous en souvenez-vous!)
"Ils parlent de cette femme partout." dit la petite, ayant déjà englouti ses deux pommes, et en ayant encore quelques petits morceaux coincés entre les dents.
"-Ah oui?" répliqua simplement Vertiline d'une voix atone en regardant à peine son interlocutrice, les yeux toujours dans le journal.
"-Oui!" poursuivit la petite avec enthousiasme "Je sais pas ce qu'ils racontent là d'dans (elle brandit tous les journaux qu'elle avait en stock) mais elle, sur la photo, elle doit être assez incroyable! Je sais juste lire le Ouantide, et toutes les personnes Ouantide sont super classes!
-Pas vraiment..." murmura Vertiline en se forçant de décrocher un sourire à la gamine. ...C'était quand même dingue, plus elle la regardait, plus elle avait l'impression d'être face à une réplique d'elle lorsqu'elle avait encore huit ans!
"-Bah...pourquoi?" s'étonna la petite. "La Cap'taine Cynthia Blakes, elle était bien Ouantide, et elle était géniale!
-Tu connais la Capitaine Cynthia Blakes?" Ce fût au tour de Vertiline de s'étonner. Elle pensait que la nouvelle génération ignorait totalement les héros et héroïnes qui faisaient les légendes d'antan, ceux-là même que Vertiline admira tant durant sa jeunesse. Parmi celles-ci, chères lectrices et chers lecteurs, je serais fort surprise que vous ne connaissiez point la Capitaine Cynthia Blakes, car il n'est pas de personne plus connue lorsque l'on pense à des personnes connues, justement, que la Capitaine Cynthia Blakes, je vous le dis! Ah! Comme je le pensais, vous la connaissez. Bien! Que...? Non, non, ce doit être mon imagination qui me fait imaginer que vous dites que vous n'avez aucunement connaissance de qui est la Capitaine... Oh... N'osez tout de même pas me dire que vous n'avez aucunement connaissance de qui est la Capitaine? Ohlala... Misère... Enfin, pardonnez-moi sincèrement de le dire sur ce ton, mais il s'agit tout de même de culture générale! Allons, La Folia, allons... Inspire. Hhhhhhhhh. Expire. Ffffffff. Voilà. Une deuxième fois! Inspire. Hhhhhhhh. Expire. Fffffffff. Bien. Pardonnez-moi ce léger manque de calme, voilà qui est indigne de ma part. Je disais donc...
LA CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, mes chères et chers! LAAAADAADADADIDAAAAAH!! Hrm. Voilà que je m'emporte à nouveau, mais avouez que la chanson à son sujet est ma foi très entraînante! la Capitaine, Mademoiselle Blakes, ou tout simplement Cynthia, laissez-moi vous le dire : je ne l'ai pas connue personnellement, mais ça, c'était une femme, une vrai; une comme on en fait pas deux! Car LA CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, était une femme pirate, la plus connue et la plus respectée en son temps! Elle chassait des monstres marins gigantesques à ses heures perdues, et elle a même perdu un oeil au cours d'une âpre, mais épique bataille contre le légendaire Kraken!! D'accord, pirate oblige, elle était sacrément alcoolique, nul ne sert de le cacher. Dans les tavernes, même encore de nos jours, l'on vante aussi bien son courage que sa descente...légendaire. Mais la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, c'est celle qui a douze ans a tué un Béhémoth d'Acier à elle seule! Qui a quinze ans a mis en déroute un navire rempli de corsaires! Qui a vingt ans s'est battue contre le légendaire Kraken, quitte à y perdre un oeil! Qui a vingt-trois ans s'est associée à la célèbre Rhoda Jessamine Griswold (pitié, dites-moi que vous connaissez la célèbre Rhoda Jessamine Griswold!), eeeeet... Enfin, je pense que vous voyez le tableau.
Comprenez donc simplement que la grande, la fameuse, l'unique, CAPITAINE CYNTHIA BLAKES fût une héroïne de son temps, une véritable légende vivante, et le modèle adulé de plusieurs générations, parmis lesquelles celle de Vertiline. La Capitaine avait commencée à se faire connaître aux alentours des années 1850. Notre héroïne étant née en 1856, les récits des aventures de la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES avaient profondément marqués son enfance, et elle se souvenait parfaitement des moments ou, lorsqu'elle n'était pas sur les toits de GreenSmith entrain de ramoner ou de danser, ni chez elle à prendre soin de Violine et Eulalia, elle se fabriquait un chapeau de pirate en papier avant de courir dans toutes les rues de Popkins' avec une vieille barre en fer rouillée ramassée par terre en guise de sabre, en criant être la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES. Elle l'admirait. D'ailleurs, quelle ne fût pas son extrême fierté lorsqu'elle aperçut pour la première fois une photographie certifiée officielle de la Capitaine, et remarquant qu'elles partageaient la même couleur de cheveux. Depuis ce jour, Vertiline détesta un peu moins sa rousseur héréditaire. Elle s'était d'ailleurs mise en tête de collectionner tout ce qu'elle pouvait trouver à propos de la Capitaine, en particulier des photographies officielles. Il est important de répéter une troisième fois le mot 'officielles', croyez-moi, car au vu de l'incroyable popularité de la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, les comptés avaient été témoins d'un nombre gigantesque de personnes en tout genre se faisant passer pour la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, et prenant ses traits. Les imposteuses et imposteurs s'étaient donc faits de plus en plus nombreux. Si bien qu'à ce jour, Vertiline soit peut-être inconsciemment une des dernières à posséder une photographie authentique de la Capitaine; bien que de nombreux dessins et gravures historiquement approuvés aient été également faits à l'effigie de Cynthia. Voici donc la fameuse photo officielle, mais n'allez surtout pas dire à Vertiline que j'ai encore fouillé dans ses affaires pour vous la dénicher, elle serait furieuse car ce cliché est un de ses plus précieux trésor...
Et, effectivement, comme l'avait souligné la petite, Cynthia avait eût, en ses temps de gloire plusieurs affiches "WANTED" à son effigie, par le simple fait d'être une pirate. Et si la CAPITAINE CYNTHIA BLAKES était une pirate, c'est tout simplement parcequ'elle n'avait pas fait enregistrer son navire au nom de l'état, ce qui faisait techniquement d'elle une hors-la-loi. Voilà toute l'histoire.
En réponse à la question que lui avait posé Vertiline, la petite sourit, et se mit à chantonner d'une voix fluette une chanson que Vertiline n'avait plus entendue depuis bien longtemps, mais connaissait néanmoins par coeur.
"La Caaapiiitai-aine Cynthia. Blaaaa-aaaakes! Elle étaiiit. Une Femme. E-e-e-e-exceptionneeeeelle!
Et la Caaapiiitai-aine Cynthia. Blaaaa-aaaaakes! Elle restera toujours not' mo-o-o-o-o-odèèèèèle!"
"Quand je s'rais grande, je s'rais comme la Capitaine!" ajouta-t-elle en prenant une pose virile. Vertiline sourit.
"-Tu vas faire le tour de tous les océans de HighSmith, ou tu vas chasser des Krakens à coup de sabre?" demanda-t-elle ironiquement en croisant les bras.
"-Les deux!" répondit la petite avec un grand sourire qui ne laissait que davantage les résidus de fruit entre ses dents jaunies visibles. "Moi aussi plus tard, j'aurais ma tête sur une affiche Ouantide! Comme la Capitaine, et comme la dame, là, qu'on voit partout dans les journaux! D'ailleurs, vous lui r'ssemblez un peu.
-Ah oui?" Vertiline, par réflexe, porta une main à son visage comme pour le dissimuler, mais ravisa vite son geste. Sous son déguisement, il était fort peu probable qu'une enfant ne l'ayant jamais vue autre part que sur des affiches et des journaux puisse la reconnaître. Elle reprit ainsi, d'un ton prônant la logique : "Enfin tu sais, ce n'est en général pas très recommandé d'avoir sa figure sur une affiche de ce genre." La fillette esquissa une petite moue, tantôt surprise, tantôt déçue.
"-Bah pourquoi? La Capitaine et l'aut' qui vous ressemble, c'est bien le cas pourtant, et elles sont super amirales!
-Tu veux dire admirables? Tu sais, mieux vaut ressembler à la Capitaine qu'à...cette fille qui me ressemble, comme tu dis. Toutes les personnes avec leur tête sur une affiche Wanted ne sont pas aussi...oui, aussi admirables que la Capitaine..." déclara Vertiline dans un soupir pensif.
"-...Je comprends pas. Toutes les personnes Ouantide sont pas pareilles...?
-Oh que non...
-La fille sur la photo, là, elle est pas comme la Capitaine...?
-Si seulement! Je veux dire... Non, elles sont très différentes.
-Bah pourquoi?
-Tu vois, la Capitaine Cynthia Blakes...elle n'a jamais vraiment commis de crime.
-Elle était pirate.
-C'est ça. Et à son époque, c'était mal vu d'être pirate, alors elle a eût sa tête sur une affiche.
-Mais la fille du journal, c'est pas une pirate, hein?
-Non. Ce n'est pas une pirate. Mais elle, elle a commis de vrais crimes...
-Qu'est-ce qu'elle a fait de mal?
-Elle a...elle a...fait des choses qu'elle n'aurait sans doute pas dû faire.
-Pourquoi 'sans doute'?
-C'est compliqué.
-C'est un truc d'adulte...? Les trucs d'adulte sont toujours compliqués.
-Oui. Tu n'as pas tort...
-Donc la Capitaine...et la fille du journal...elles sont très différentes?
-Très.
-La Capitaine est une criminelle...qui n'a pas commis de...crime? Et la fille qui vous ressemble est une criminelle...qui a commis un crime?
-Oui. On peut dire ça comme ça.
-Et c'est mal d'être une criminelle, non?
-Des fois, on l'est un peu malgré soit.
-J'ai du mal à comprendre.
-Pourtant, ce n'est pas toujours un problème d'adulte...
-C'est mal si je deviens une criminelle?
-Il vaut mieux pour toi que tu évites à tout prix d'en être une.
-Mais la Capitaine était une criminelle!" Et elle se mit à furieusement mouliner ses bras dans les airs tout en mimant le port de deux sabres, braillant d'une voix qu'elle s'efforçait à faire rauque devant une Vertiline amusée par une candeur si charmante et depuis longtemps (malheureusement) disparue chez elle : "Moi, je veux être comme la Capitaine! 'Tention moussaillon, Kraken en vue! Yo-ho! Du rhum! Du rhum!
-Haha, tu t'est entraînée ma parole!
-Ouais! " La petite s'agita dans tous les sens, faisant semblant d'être au beau milieu d'un combat épique qui devait être rempli de monstres marins et de pavillons noirs.
"-Tu te souviens quand je t'ai dis qu'on était parfois une criminelle malgré soi?" lui demanda Vertiline d'une voix presque nostalgique tandis que son interlocutrice n'avait de cesse de taillader de la créature invisible à tout va, armée de ses redoutables trognons de pomme. "C'était le cas de la Capitaine.
-Mais du coup, la fille du journal...elle a choisit d'être...méchante?" demanda la fillette en se calmant au fur et à mesure que la conversation se poursuivait.
"-C'est...c'est compliqué, là encore." avoua Vertiline.
"-Ohlala...si j'étais elle, j'y réfléchirais à deux fois!
-Comment ça?
-Hé bé! Puisque c'est un truc d'adulte, c'est forcément compliqué. Donc si c'est compliqué, bah ça l'est aussi pour les adultes, donc ça l'est pour elle. Cékuaifdé. Puisqu'elle est Ouantide, 'faudrait bin qu'elle se demande pourquoi elle fait ça, si c'est si pas facile à comprendre. 'Faut qu'elle réfléchisse à pourquoi elle est Ouantide, et pourquoi elle continue à Faire La Criminelle. Sinon, ça finira mal pour elle. Un jour, 'pa m'a dit que ça finissait toujours mal pour les criminels. Même pour la Capitaine. On l'a pendue.
-Q-Quoi?" la voix de Vertiline adopta soudainement un ton particulièrement outré. "Mais non! La Capitaine n'a jamais été pendue, enfin! Elle a périt au cours de la bataille épique contre l'équipage de la terrible Quenda Lochos!
-'Pa m'a dit qu'à force de Faire La Criminelle, elle avait été attrapée, et pendue. C'est peut-être ce qui arrivera à la fille du journal." Vertiline ne pût s'empêcher de grogner. La CAPITAINE CYNTHIA BLAKES, pendue? Allons bon! En voilà de tristes balivernes! Néanmoins, ce n'était pas cette amertume soudaine qui était à l'origine de la boule nouvellement logée dans sa gorge...
"Mais vous m'dame..." reprit la petite, décidément bien philosophe pour son âge. "...Vous m'avez donné des pommes, mais vous les avez pas achetées." dit-elle d'une voix désagréablement simpliste et véridique. Vertiline, perturbée par leur échange précédent, hocha gravement la tête, le regard perdu. "Pourtant, vous savez qu'vous pouvez aller en prison pour ne pas acheter c'que vous prenez.
-Oui.
-Mais si vous n'aviez pas Fait La Criminelle, j'aurais encore faim.
-...Oui.
-Roh, je ne comprends vraiment rien à ces trucs d'adulte, c'est très compliqué!
-Effectivement, ça l'est.
-Au fait m'dame gentille qui Fais La Criminelle mais pour le bien et qui ressemble à la fille du journal qui Fait La Criminelle mais pas pour le bien, vous vous z'appelez comment? Moi, c'est Vertiline!" Vertiline tourna la tête vers son interlocutrice et la dévisagea d'un air amusé. Ah, car en plus d'être son sosie du passé, il fallait que cette petite porte le même nom qu'elle?! CURIEUSE COINCIDENCE QUE CELLE-CI, MA FOI.
"-Tu t'appelles vraiment Vertiline?" demanda-t-elle en taisant un gloussement. La petite fit 'oui' de la tête. "Et vous?" répéta-t-elle, les yeux brillants.
"-Eunice." déclara Vertiline en lui rendant son sourire. La petite Vertiline laissa échapper un "Ouaaaah!" impressionné qui amusa la plus grande.
"M'dame Eunice, s'fût t'un plaisir!" déclara Petite Vertiline, récitant sans doute une formule de politesse qu'elle avait entendu ailleurs qu'ici. Elle tira sur son grand béret, rassembla tous les journaux en un gros roulé de papier qu'elle glissa sous son bras, essuya sa bouche pleine de miettes et de jus de pomme, et partit en courant sans que Grande Vertiline n'ait le temps de comprendre la raison d'un empressement si soudain. Elle cligna des yeux. A peine les eût-elles rouverts, la petite avait disparue, comme si elle s'était volatilisée...
"Ils sont rapides, les enfants, de nos jours..." murmura-t-elle un peu décontenancée, cherchant l'approbation dans le yeux d'Enoch, qui lui de son côté ne semblait absolument pas savoir de quoi Vertiline parlait. Sans plus attendre, les deux reprirent leur marche. Vertiline ne pouvait s'empêcher de repenser à la conversation qu'elle venait d'avoir à cette petite qui lui ressemblait un peu trop à son goût, tout comme la boule dans sa gorge était maintenant descendue jusqu'à son ventre. Elle resta donc silencieuse durant le reste du trajet, jusqu'à ce que la petite voie pavée qu'ils suivaient ne les amènent enfin à la Fabrique.
Elle était là, aussi grande et imposante qu'ils se l'étaient imaginée. De ses murs bruns recouverts de multiples conduits de tuyau complexes dégageant de la vapeur par presque tous les côtés, jusqu'à ses immenses cheminées larges comme cinq hommes, on reconnaissait bien là le coeur de l'activité économique et productive du compté. Néanmoins, une délicieuse odeur douceâtre s'échappait des conduits métalliques et des tubes ferrés en même temps que la vapeur, ce qui était vicieux étant donné qu'une trop proche exposition à cette même vapeur pouvait vous causer de graves brûlures (Rudolph, le frère aîné de Vertiline, en avait d'ailleurs fait l'expérience lorsqu'il était petit)... Mais plus que de complexes installations apparentes et des mécaniques gargantuesques crachant des jets vaporeux à tout va, la Fabrique de sucrecarries, c'était aussi une véritable prouesse architecturale moderne : rien qu'à l'extérieur, une multitudes d'engrenages s'emboîtant les uns les autres tournaient à un rythme soutenu dans de grands bruits de 'cling', 'clang', et autres 'clong' ; la pièce maîtresse de la façade, surélevée par rapport au reste, étant une gigantesque roue dentée reliée par un grand câble laminé à une autre beaucoup plus petite. Le grillage à l'entrée était grand ouvert, la porte de la Fabrique entr'ouverte, dont sortait parfois un employé en salopette brune et aux mains gantées. Vertiline et Enoch échangèrent une fois de plus un regard mêlé d'appréhension et de détermination. Ils récapitulèrent une dernière fois leur plan : se faire engager par tous les moyens à quel poste que ce soit, chercher, trouver, puis embarquer le morceau de clé, et enfin partir en douce. Un jeu d'enfant!
"Un jeu d'enfant..." répéta Vertiline à voix basse, sachant parfaitement qui elle s'attendait à croiser au sein de la Fabrique; et autant vous dire qu'à défaut d'appréhender cette rencontre qui allait bien arriver à un moment ou un autre (possiblement le moins propice possible), elle était loin de l'attendre avec impatience pour autant. Mais si, vous vous souvenez bien! Je n'en doute aucunement, car vous avez prouvé à de nombreuses reprises être des lectrices et lecteurs vives et vifs d'esprits, et attentives(tifs). Hé oui, vous l'aviez bien lu il y a deux chapitres de cela! Car si la Fabrique de sucrecarries de GreenSmith était la propriété de Sir Cyrrus Clinton Crumblepie, celui-là même ayant déposé son nom comme une marque officielle de friandises; la Fabrique était autant la propriété de sa femme...
J'ai nommé la délicieuse, ravissante, délicate et charmante Zelda Amaryllis Butler!
Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "La Muse glaciale et l'armoire à glace"!
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