Chapitre quarante-deuxième : Le rambobitiatonateur

"Et en quoi consiste votre plan?" demanda Vertiline, Miss Elodie ayant attisé sa curiosité. 

"-Observez et émerveillez-vous!" sourit la blondine en passant un bras sous son oreiller. Elle en sortit alors un drôle d'objet tout tordu et assez petit pour tenir dans une main, dont la forme se confondait entre celle d'un coeur humain et d'un appareil photo. Il était équipé d'un petit cadran en son centre, et également incrusté d'une sorte de grosse lentille convergente sur le devant

"Miss March, je vous présente le rambobitiatonateur!" triompha Miss Elodie en tendant l'objet à Vertiline. "Scarlet et moi avons construit ce petit bijou il y a longtemps. Il est presque comme notre enfant! Entre nous, nous l'appelions William." déclara-t-elle en souriant. Vertiline fixa le rambobitiatonateur, dubitative. 

"Et...à quoi va nous servir...William?

-A mettre à la lumière du jour les ambitions de Richard, et à lui faire avouer ses crimes! Regardez, Miss March." Miss Elodie repris la drôle de machine des mains de Vertiline et le plaça près de son oeil de quelques mouvements saccadés. Après quoi, elle tritura quelques boutons incrustés ça et là sur la machine (qui ressemblait un peu à l'incroyable presse-beignet de RedSmith à bien y regarder), tripota le cadran, apparemment experte en ces curieux maniements. La machine fit 'beep!', la machine fit 'bop!', l'engin fit 'beepbop!', et enfin tout sembla prêt. 

"Miss March, voulez-vous bien vous lever et vous mettre devant le lit?" demanda Miss Elodie, l'étrange appareil toujours collé à son oeil organique. Vertiline acquiesça, et, au moment ou elle se trouva debout face à son hôte, Miss Elodie tira sur une minuscule chaînette incrustée au rambobitiatonateur et un petit parapluie pas plus gros qu'un doigt sortit subitement du haut de la lentille, accompagné d'un petit nuage de fumé.

"Qu'est-ce que c'était que ça?!" s'exclama Vertiline, qui crû pendant un instant que l'engin allait exploser. 

"-Ne vous en faîtes pas! Allez-y, bougez, parlez! Faîtes quelque chose!" répliqua Miss Elodie en agitant la main de haut en bas. Ne comprenant absolument pas où la jeune femme voulait en venir, Vertiline demeura complètement muette et immobile.

"Allez Miss March, un petit effort!" s'impatienta Miss Elodie.

"-Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse?

-OH! Là! Un poulpe!

-OU ÇA?

-Oh. Je ne pensais même pas que vous vous feriez avoir de la sorte! C'est bon, nous pouvons nous en arrêter là!" ria Miss Elodie en triturant à nouveau le rambobitiatonateur, avec beaucoup de 'beep!', de 'bop!', et de 'beebop!' . "Allons, approchez!" poursuivit-elle, tandis que Vertiline commençait à grommeler toute seule d'avoir mordu si facilement à un hameçon si ridicule. Miss Elodie passa avec quelques difficultés un bras sous son matelas, et en sortit ni plus ni moins qu'un grand écran de toile, ainsi qu'un trépied. "Avant tout, pouvez-vous fermer les rideaux?" demanda-t-elle. Vertiline s'exécuta, et vint s'asseoir aux côtés de la dame robotisée, qui avait quand à elle installé la toile sur le trépied et le trépied sur son lit, et les maintenaient droits à l'aide de son doigt mécanique, qui pouvait s'étendre jusqu'à une distance insoupçonnée. Le rambobitiatonateur avait quand à lui été placé par Vertiline à la demande de Miss Elodie, sur la petite planche installée juste au dessus du lit et qui servait d'étagère primitive. Vertiline hésita à dire quelque chose quand soudain, la pièce sombre fût percée d'une petite lumière projetée sur la toile par le rambobi...par William.  Alors, apparût d'un coup une image mouvante représentant la jeune femme dans son exactitude la plus parfaite, agissant et parlant exactement comme précédemment.

"Qu'est-ce que c'est que cette science magique?! On dirait une...une photographie animée!" s'exclama-t-elle en mirant la prise. Mais Miss Elodie ne lui répondit pas tout de suite. Ses yeux restaient rivés sur la toile, et elle éclata de rire (sans néanmoins qu'aucun signe facial ne suggère son hilarité) en voyant une nouvelle fois Vertiline se retourner si brusquement après qu'elle ait crié au poulpe. "C'est le pouvoir de William le rambobitiatonateur!" expliqua-t-elle fièrement  tandis que la projection arrivait à son terme. Vertiline en demeura bouche bée, les yeux teintés d'un éclat vif et brillant.

"Si j'ai bien compris, dit-elle, votre machine...capture...la réalité? 

-C'est une façon de voir les choses. Disons plutôt que William capte toutes les informations visuelles et sonores face à lui, et les recueilles dans une bobine." expliqua Miss Elodie, sa voix emprunte d'un certain orgueil qui cependant n'était pas mal placé. Elle poursuivit : "Après quoi, il suffit de retourner la bobine, et nous pouvons revoir autant de fois que nous le voulons l'instant vu et entendu par William.

-C'est prodigieux...!" Vertiline aurait voulu continuer dans ses éloges quand soudain, la projection s'arrêta brusquement; elle devait être finie. Mais à peine les dernières images de Vertiline furent-elles diffusées par William qu'une nouvelle projection sonorisée se lança, faisant figurer Scarlet et sa compagne, qui fit aussitôt détourner le regard de l'une et paniquer l'autre.

"Ne-Ne regardez pas ça! C'est un dossier personnel!" s'écria vivement Miss Elodie, toute affolée au point que s'en était touchant, et rabattant immédiatement la toile bien que le son persista toujours. Attrapant au plus vite William, la demoiselle robotique se débattit avec la bobine en route pour l'arrêter le plus vite possible, jusqu'à ce qu'elle ne l'arrache violemment de son emplacement pour la jeter avec hargne à l'autre bout de la pièce. 

"Nous sommes tous humains, chacun ses faiblesses!" s'écria-t-elle finalement face à Vertiline comme pour se justifier de ce que les deux venaient de voir.

"Ce n'est rien, ce n'est rien. Je ferai comme si je n'avais rien vu...et surtout rien entendu!" murmura Vertiline, qui avait de plus en plus de mal à se retenir d'exploser de rire. 

"Q-Quoi qu'il en soit!" répliqua la blondine au quart de tour "Ce que je voulais vous montrer, c'est que grâce à William, nous avons une chance d'attraper Richard en flagrant délit!

-Votre idée se vaut, mais comment allons nous faire?" demanda son interlocutrice, retrouvant petit à petit son sérieux. 

"-Il nous faut trouver un moyen d'attirer Richard jusqu'ici. Et comme je ne peux me déplacer, je comptais sur votre contribution, Miss March. Après quoi, je me débrouillerais pour lui faire à nouveau avouer son plan, tandis que, cachée quelque part, vous enregistreriez tout avec William.

-Et ainsi, nous n'aurions plus qu'à diffuser cela, et ses arguments permettront en plus de m'innocenter! 

-Exactement! Alors Vertiline, vous en êtes?

-Et comment, Miss Elodie!" Un quart d'heure plus tard -le temps qu'il fallut à Miss Elodie pour expliquer à Vertiline le fonctionnement de William- tout était prêt, et le plan pouvait être mis en oeuvre. D'après Miss Elodie, Richard devait se trouver quelque part au premier étage de l'Orphelinat, là où Vertiline se rendit en ayant au préalable endossé l'identité de Phoebe Rosalie Silver, nouvelle employée. Au cours de son interminable descente des innombrables escaliers qui ne lui avaient absolument pas manqués, elle remarqua qu'à tous les étages, il y avait beaucoup moins d'enfants et de domestiques dans les couloirs, alors que la matinée était déjà bien avancée. Quel jour était-on, déjà? Si on était dimanche, qui sait, peut-être que tout le monde avait droit de faire la grasse matinée? Quoi qu'il en soit, là n'était pas la question : Vertiline était enfin arrivée au premier étage, qui devait bien faire quatre fois la superficie de la maison de Babel à lui seul. S'offrait à elle deux directions : le couloir est au tapis rouge cerise, ou le couloir ouest au tapis rouge pas-cerise. Après une mûre réflexion de trois secondes, elle se décida finalement de s'engouffrer dans le couloir ouest. Celui-ci, plus court que les autres, ne menait qu'à une seule porte, bien éloignée de tout le reste. Vertiline toqua finalement à cette porte, marquée du numéro 101 (la chambre de Vermeille si ses souvenirs ne la trompaient pas) et attendit quelques secondes. Et contrairement à toutes les fois ou elle avait été amenée à frapper à une porte au cours de ses aventures, sa tentative se résulta cette fois-ci par une réussite, aussi incroyable cela puisse paraître! 

"C'est pour quoi?" grinça une voix grave de l'autre côté de la porte.

"C'est à propos de Miss Elodie." répondit Vertiline de là où elle était. Après un court silence l'on ouvrit, se révélant face à Vertiline le fameux Richard, dont le deuil avait dû être suffisamment terrible pour qu'il en soit venu à raser son audacieuse barbe et sa glorieuse moustache qu'il portait encore lors de la dernière visite de la jeune femme à l'Orphelinat. 

"Pourquoi n'a-t-elle jamais de l'huile de cuivre sur elle si elle en a tant besoin?" grommela Richard en posant un pied dans le couloir avant même que Vertiline ne puisse dire quoi que ce soit. Son regard mit un certain temps avant de se poser sur son interlocutrice. "Vous ne me dites rien, vous. On vous a engagé récemment?" demanda-t-il sur un ton particulièrement déplaisant. 

"-Oui, je suis ici depuis quelques jours seulement. Phoebe Rosalie Silver, pour vous servir monsieur Chandler!" répliqua Vertiline en se forçant d'esquisser un sourire qui n'était clairement pas sincère. Elle reprit : "Miss Elodie vous demande, elle souhaiterait s'entretenir avec vous à propos de...de la gestion des finances de l'Orphelinat. 

-Ah oui?" Il soupira longuement en levant les yeux au ciel. "Très bien, je vais allez voir ça. Merci Phoebe, vous pouvez disposer. ...Au fait, où est passée votre tenue?

-Ma...Ma tenue?" murmura Vertiline en esquissant des yeux ronds.

"-Ne soyez pas stupide, votre tenue de domestique!

-A-AH. Cette tenue. Elle...elle est au lavage, alors j'ai temporairement remis mes habits de civile.

-Hum... Bah, ce n'est pas bien grave." Alors que Richard s'éloignait en direction des escaliers, Vertiline ne pût s'empêcher d'être quelque peu surprise par sa politesse. Certes, il n'était pas un parfait gentleman, mais elle s'était faîte de lui une image si peu flatteuse en sachant que celui-ci était adepte des pratiques et du mode de pensée de Guideon; et l'assassin de sa propre femme de surcroît... Mais l'heure n'était pas à de telles réflexions! Maintenant, Vertiline devait se dépêcher, de sorte à arriver dans la chambre de Miss Elodie avant Richard. Par chance, la femme robotisée lui avait appris l'existence d'un escalier interne divergent de l'escalier principal non loin des cuisines (situées quand à elles au rez-de-chaussé), que Vertiline ne tarda pas d'emprunter. Il se trouvait que cet escalier la mena directement jusqu'à la chambre 900!  

"Je vois que vous avez trouvé les escaliers." nota Miss Elodie en entendant Vertiline arriver en ouvrant une porte située non-loin du lit, cachée par deux portes-manteaux. 

"Est-ce que Richard est arrivé?" demanda Vertiline, craignant que le dénommé ne l'ai devancée et ne soit déjà reparti.

"-Pas encore, mais ne traînons pas! Prenez vite William et allumez-le. Maintenant, posez-le juste là, oui, caché derrière les manteaux. Attention, laissez tout de même un petit espace pour que la lentille ne soit pas obstruée. Cela m'embête un peu de le dire, mais je ne peux pas le mettre là, d'où je suis. Voilà. Inclinez-le un peu...oui, cela devrait faire l'affaire. Maintenant, il faut que vous trouviez un téléphone. Je crois qu'il y en a un au rez-de-chaussé (désolé pour vos gambettes...). 

-Un téléphone? Mais n'étais-je pas sensée vous aider à enregistrer Richard? 

-C'est ce que vous venez de faire en le conduisant ici. Pendant que je lui ferai avouer ses quatres vérités, vous préviendrez la maréchaussée de YellowSmith, et vous leur demanderez de venir ici. De ce faire, quand bien même Richard niera les accusations que nous lui porterons, ses dires captés par William nous servirons de preuve à la fois visuelle et auditive! 

-Et ainsi, l'Orphelinat sera sauvé et je serai innocentée! 

-Exactement! Maintenant, tout est entre nos mains, Miss March. Je vous en prie, partez vite avant que Richard ne vous aperçoive!

-Fort bien, mais soyez prudente...qui sait ce qu'un sale type comme lui pourrait vous faire...

-Ne vous inquiétez pas pour moi. Maintenant, vite! Prévenez la maréchaussée!" Hochant la tête, Vertiline quitta la chambre par la même porte qui l'avait vue arriver, et se mit à dévaler les escaliers quatre par quatre, tout en réfléchissant à comment elle allait bien pouvoir se servir d'un téléphone, elle qui n'avait encore jamais approché de sa vie cette invention pour bourgeois ayant vu le jour il y a quelques années à peine. Enfin arrivée au rez-de-chaussé, c'est avec une certaine appréhension doublée de curiosité que Vertiline se mit à la recherche du téléphone. N'en ayant vu que rarement dans sa vie, elle avait une vague idée de ce à qui cela pouvait ressembler, et se fia donc à son instinct lorsqu'elle aperçut une sorte de petite boîte en chrome polie munie d'un espèce d'entonnoir posé en évidence sur une table non-loin des grands escaliers principaux. S'approchant de l'objet, Vertiline conclut à la roue garnie de chiffre au centre de l'appareil qu'il devait s'agir du fameux téléphone. ...Restait à savoir comment s'en servir! Ce fût un spectacle sans pareille que d'observer Vertiline tenter de comprendre la nouvelle technologie du moment. Cela passa par toutes les positions possible dans lesquelles l'on pouvait tenir un combiné, en passant par l'incompréhension totale (et vigoureusement manifestée) de comment composer un numéro. Par chance, une petite note avait été posée à côté de l'appareil et indiquait tous les numéros à appeler en cas d'urgence; parmis lesquels la maréchaussée de YellowSmith, mais aussi les pompes funèbres, les dératisateurs, les secours et la maison de couture du compté. Enfin, elle parût comprendre après plusieurs longues minutes comment tourner la roue du téléphone de sorte à composer le bon numéro, et ne fût pas peu fière de son exploit. Après au moins une minutes d'attente silencieuse qui la mit dans tous ses états (et si par malheur elle n'avait pas composé le numéro comme il le fallait?), un crissement sourd suivit d'une voix apathique s'échappa du combiné.

"Commissariat de YellowSmith, j'écoute." Ayant complètement sursauté sur le moment, Vertiline repris en main le combiné qu'elle avait lâché sur le coup de la surprise et l'approcha de sa bouche avant de dire très fort : 

"BONJOUR, JE SUIS BIEN EN LIGNE AVEC LE COMMISSARIAT DE YELLOWSMITH?

-Aaah, mes oreilles! Parlez moins fort, je vous ai entendue madame! Qu'est-ce que je peux faire pour vous?

-Un instant, je vous entends mal! 

-Madame, savez-vous vous servir d'un téléphone?

-QUOI?

-Aaaah, je vous ai dit de ne pas crier! J'ai l'ouïe sensible! Mettez le combiné...

-LE QUOI?

-L'espèce de petit entonnoir dans laquelle vous parlez! Mettez-le près de votre oreille!

-LAQUELLE ?

-Peu importe! Maintenant, vous pouvez me parler. Et sans hurler!

-Aaah, mais vous aviez raison! Et vous m'entendez parfaitement?

-Oui. Sur ce madame, avez-vous quelque chose à nous demander, ou avez-vous simplement appelé pour me crier dans les oreilles?

-Je suis désolée pour vos tympans. Je vous appelle de l'Orphelinat de YellowSmith, il faudrait y envoyer une équipe de toute urgence!

-Et pourquoi donc? 

-Le coupable du meurtre des soeurs Sterling a été identifié! Il est encore à l'Orphelinat, il faut l'arrêter immédiatement!

-Vous voulez dire la coupable. N'ayez crainte, nous avons déjà reçu un appel de M.Chandler à ce sujet il y a peu. Une escouade a été envoyée à l'Orphelinat pour coffrer cette criminelle, elle devrait être ici sous peu!

-C-Comment? Attendez, vous ne parlez tout de même pas de Vertiline Eunice March?

-Elle même, ma petite dame.

-Mais! Ce n'est pas Vertiline la coupable! Oh! Vous m'écoutez?! " Mais notre héroïne eût beau s'acharner à défendre sa position, l'agent à l'autre bout de la ligne avait déjà raccroché. Vertiline demeura pensive un court instant. Pourquoi Richard avait-il appelé le commissariat pour y signaler la présence de Vertiline? Était-il possible qu'il l'ai reconnue, malgré tous ses efforts pour passer inaperçue? D'autant plus qu'avant le court échange que les deux avaient eu quelques minutes plus tôt, Vertiline et Richard ne s'étaient que brièvement croisés il y a une semaine de cela, du temps pas si lointain que ça ou les soeurs Sterling étaient encore vivantes, et ce vil lad marié à l'une d'elles... Quel pouvait bien être le plan de Richard...?

Au même moment, un bruit sourd résonna derrière la grande porte de l'Orphelinat. Sans doute la maréchaussée... Mais si Vertiline leur ouvrait, peut-être la reconnaîtraient-ils, tout comme Richard? Non, cela paraissait quand même hautement improbable... Elle se souvenait être rapidement passée devant un miroir avant d'aller jusqu'au téléphone, et elle-même avait eût du mal à se reconnaître : excepté sa petite taille et son rachitisme, elle était visuellement méconnaissable. Les coups redoublèrent derrière la porte, une voix grave tonnant "Maréchaussée de YellowSmith! Ouvrez ou nous irons chercher de quoi enfoncer votre porte!" Il n'était plus l'heure de réfléchir ou de songer à un autre camouflage... Ou bien le déguisement de Vertiline parviendrait à tromper les agents, ou bien elle prendrait la fuite. Dans tous les cas, elle ne pouvait pas revenir en arrière! 

"J'arrive!" cria-t-elle assez fort pour qu'on l'entende de l'extérieur. Se dirigeant vers la porte et  empoignant ses deux énormes poignées circulaires entre ses petites mains, elle tira de toute ses forces, pour une ouverture tooooute eeeeen leeeenteuuuur. En surgirent une poignée d'hommes et femmes un peu trop lourdement armés aux yeux de Vertiline, tous lui passant devant et se se rangeant immédiatement dans l'entrée. 

"AAAAGENTS!" beugla le type qui avait crié derrière la porte pour rassembler sa troupe, et qui semblait être le chef de l'escouade. "On nous a signalé la présence de la dangereuse voleuse, et surtout meurtrière Vertiline Eunice March en ces murs! Votre mission est la suivante : agents Tortiglioni, Macaroni, Garganelli et Ravioli, vous condamnerez toutes les issues pour éviter que la criminelle ne s'échappe, et rassemblerez les pensionnaires et les domestiques dans un lieu sûr! Agents Gnocchi, Torchietti, Spaghetti et Fusilli, vous fouillerez le bâtiment avec moi pour mettre la main sur notre cible! Quand l'escouade de barricadement aura terminé son travail, agents Tortiglioni et Ravioli, vous resterez de garde en bas pour protéger les enfants et le personnel. Agents Macaroni et Garganelli, vous vous joindrez à mon escouade. Je vous rappelle que la cible que nous traquons est extrêmement dangereuse! Elle vole, et tue de sang froid! En cas de situation extrême, je vous donne le droit de tirer! Et maintenant, tout le monde à son poste! GO! GO! GO! Allez, allez, du nerfs!" En moins de temps qu'il ne fallût pour le dire, tous les agents se déployèrent à une vitesse prodigieuse dans tout l'Orphelinat, aucun d'entre eux n'ayant ne serais-ce qu'aperçu Vertiline, qui elle avait profité que la porte soit restée ouverte pour se carapater à l'extérieur. 

Elle ne pouvait clairement pas prendre le risque de rester à l'intérieur de l'Orphelinat si la maréchaussée était à sa recherche! Quand bien même elle courait vite, elle ne pourrait pas si facilement échapper à neuf agents armés si elle venait à se faire repérer. Mais pouvait-elle se permettre de quitter le compté maintenant? N'étais-ce pas plus judicieux d'aller vérifier si le plan de Miss Elodie fonctionnait bien? Car si elle n'avait pas réussi à faire avouer à nouveau à Richard? Autant Vertiline brûlait d'envie de s'en aller au plus vite possible (d'autant qu'Enoch l'attendait sur le toit avec Bobby), autant elle ne pouvait s'empêcher de se sentir curieusement redevable envers Miss Elodie, ce qui n'était pas dans ses habitudes, elle qui ordinairement ne se souciait que peu de son prochain. Mais avec cette femme, elle ne saurait expliquer pourquoi, c'était comme avec Jeffrey, Clarisse, ou La Folia...c'était différent. Mais maintenant qu'elle était dehors, hors de question de rentrer à nouveau dans l'Orphelinat. Du moins, de manière conventionnelle. Maintenant qu'elle y repensait, elle était arrivée par le toit, et l'accès à celui-ci depuis le bâtiment menait à un escalier qui lui-même conduisait jusqu'au couloir où se situait la chambre de Miss Elodie. Peut-être pourrait-elle avec un peu de chance refaire le trajet dans ce sens. Encore lui fallait-il atteindre le toit, elle qui était maintenant sur le perron d'un bâtiment haut de plusieurs dizaines de mètres (au vu de son nombre gargantuesque d'étages, cela n'avait rien de surprenant). Mais peut-être Enoch pourrait-il l'aider...

 Contournant l'Orphelinat en rasant les murs pour ne pas être vue par la maréchaussée, Vertiline arriva jusqu'à un grand jardin beaucoup moins bien entretenu que la serre là-haut, et siffla entre deux doigts tout en espérant que son ami entendrait le signal. Après quelques secondes d'appréhension, une échelle de corde tomba du toit, et Vertiline se mit à grimper. Après une séquence d'escalade ma foi plus pénible qu'elle n'y parut, Vertiline fût finalement accueillie à la fin de son ascension par deux grandes tentacules violettes qui s'enroulèrent autour de ses poignets, et la hissèrent de tout son poids plume. 

"Merci Enoch." sourit Vertiline en lui serrant une tentacule. Le céphalopode fit semblant d'être gêné en portant une autre tentacule à son lobe frontal tout en détournant légèrement la tête, ce qui fit pouffer Vertiline, bien contente que son camarade ne la boude plus comme tout à l'heure. Elle en profita alors pour lui expliquer son plan. Durant toute l'explication, Enoch demeura silencieux et attentif, ses grands yeux rivés sur son amie, et quelques plis de sa peau lisse et humide se fronçant ou se dé-fronçant à mesure qu'il écoutait les dires de Vertiline. Finalement approuva-t-il son idée, mais insista néanmoins pour l'accompagner son amie. 

"Enoch, tu vois bien que c'est impossible..." lui dit Vertiline en faisant une moue désolée. "La maréchaussée sait que je suis accompagnée d'un poulpe, et elle est actuellement à ma recherche ici même! Nous ne devons prendre aucun risque..." Non content de ne pas pouvoir à nouveau suivre son amie, Enoch, au lieu de bouder comme tout à l'heure, décida cette fois-ci d'opter pour une méthode plus radicale, à savoir s'agripper fermement à la jambe droite de Vertiline et ne plus bouger. 

"Ah non Enoch, pas encore!" s'exclama Vertiline, en se souvenant de la lointaine époque ou son céphalopode encore enfant avait la manie de s'accrocher à elle de la sorte et de rester campé sur sa position jusqu'à ce qu'elle n'ait cédé à son caprice. Il faut croire qu'il reprenait ses mauvaises habitudes... Mais! Face à cela, Vertiline avait trouvé il y a quelques années une arme secrète qui dissuadait son compagnon à tous les coups.

"Enoch!" commença Vertiline sur un ton menaçant "Si tu ne lâche pas prestement ma jambe, nous ferons des photos! Et tu sera le modèle!" A ces simples mots, Enoch tressaillit de tout son corps, et lâcha immédiatement son amie en baissant les yeux. Pour sûr, jamais n'oublierai-t-il cette terrible journée ou Vertiline avait eût la très. Mauvaise. Idée de l'affubler de différents costumes plus...conceptuels les uns que les autres et de le prendre en photo beaucoup, beaucoup trop longtemps à son goût. 


Et Enoch avait beau été avoir marqué à vie par cette expérience, il en tira néanmoins une amère leçon : ne jamais importuner Vertiline comme d'autres animaux de compagnie le faisaient souvent avec leur propriétaires. Mais Vertiline Eunice March et Enoch Jeffrey March avaient de ça qui ni l'un ni l'autre n'entretenaient une relation de ce genre, car les deux se posaient sur un pied d'égalité. Vertiline ne se considérait aucunement comme la 'propriétaire' d'Enoch (l'idée de posséder un être vivant, conscient, expressif et émotif la répugnait), tout comme Enoch ne s'était jamais senti être un 'animal de compagnie' vis-à-vis de Vertiline. Enfin...peut-être cela avait-il été le cas les deux ou trois premiers jours ayant suivit l'adoption d'Enoch par Vertiline, mais très vite les deux préférèrent se considérer comme des amis. Quoi qu'il en soit, bien que la colocation entre la demoiselle et le poulpe apporta son lot de moments inoubliables (le plus souvent dans le bon sens du terme), certaines expériences furent...précisément inoubliables et ce dans le mauvais sens du terme, les séance-photo avec Enoch comme mannequin-poupon en faisant parti... En conséquence de quoi, le céphalopode demeura tout penaud face à la menace de son amie. Puis, se baissant à son niveau, Vertiline s'addressa à lui en souriant, son visage ayant perdu tous les traits de sa sévérité soudaine. "Écoute Enoch. Je te promet que c'est la dernière fois que nous ne pouvons pas enquêter ensembles. La dernière fois, je le jure!" A ces mots, Enoch leva les yeux du sol et fit à Vertiline les plus grands yeux de biche qu'elle n'ait jamais vu. Vertiline hésita d'ailleurs sur la signification d'un tel regard, mais compris finalement que c'était le manière de son ami de lui dire "Je comprends, mais tu as intérêt à tenir parole!"

Un dernier câlin à son poulpe favori plus tard, Vertiline se trouvait à nouveau dans les escaliers menant du toit au couloir donnant sur la chambre 900. Elle observa par le trou de la serrure de la porte des escaliers comment se présentait la situation dans le couloir. Pour l'instant, aucun policier n'était en vu, chose qu'elle ne savait pas comment prendre. Mais au moment ou Vertiline posa sa main sur la poignée pour ouvrir la porte, elle s'aperçut que celle-ci était verrouillée. Ha ben il ne manquait plus que ça! Forçant comme un diable, toute lady qu'elle était, Vertiline se rendit vite compte que ses efforts n'avaient pas lieu d'être : la porte ne céderai pas. Sa dernière tentative face à cette maudite porte fût de la charger à grand coup d'épaule, chose qu'elle regretta bien vite; car au vu de sa stature, elle se casserait plus vite que la porte à ce rythme! Fichue ossature carencée ! Ne cherchant pas à récidiver davantage, Vertiline s'en retourna donc sur le toit, bien décidée à entrer dans la chambre de Miss Elodie par quelque moyen que ce soit. Enoch se précipita à ses côtés; dès qu'elle revint sur le toit quelque peu étonné que le départ de son amie fusse si court. Soudainement, alors que la demoiselle et le poulpe se creusaient tous deux la tête pour trouver une entrée, un éclair de lucidité les frappa tout à coup : mais oui! Maintenant qu'ils s'en souvenaient, il leur semblait bien que la chambre de Miss Elodie devait avoir une fenêtre ou une lucarne qui donnait sur l'extérieur! A défaut de pouvoir entrer, Vertiline pourrait au moins observer le déroulement des événements, et même intervenir en cas d'urgence!

Expliquant la situation à Enoch, les deux se mirent alors à la recherche de la lucarne invisible, constatant finalement après d'âpres recherches qu'elle avait été cachée jusque là par une grosse racine venant de l'arbre au feuillage multicolore sous lequel Vertiline avait dansé la dernière fois. Voyant que la vitre pouvait s'ouvrir de l'extérieur, Vertiline ne se fit pas prier et entrouvrit tout doucement la fenêtre, juste assez pour entendre au mieux la rude conversation qu'entretenaient ensembles Richard, Miss Elodie, et trois agents de la maréchaussée (dont le chef de l'escouade). 

"Je vais vous montrer la preuve ultime que cet homme est un menteur et un meurtrier!" s'exclama Miss Elodie au chef tout en donnant les instructions nécessaires à un agent réquisitionné pour l'installation du rambobitiatonateur. 

"-Ne faîte pas attention à ce qu'elle dit monsieur l'agent, cette pauvre femme nous revient de St Gladys! Elle n'a pas toute sa tête!" argumenta Richard en défaveur de la femme-robot. N'entendant pas très bien, Vertiline se pencha davantage, de telle sorte à ce que la moitié de son corps était maintenant sur la lucarne.

"Chef! Agent Spaghetti au rapport!" s'écria soudain une policière qui débarqua en trombe dans la chambre "L'agent Fusilli et moi pensons avoir trouvé la coupable!

-Vraiment?! C'est du beau travail, tous les deux! Amenez-la ici!

-Chef! Oui chef! Fusi'! Amène-la!" cria l'agent Spaghetti derrière la porte de la chambre de Miss Elodie. Vertiline et Enoch échangèrent un regard confus. Si la maréchaussée avait retrouvé Vertiline, alors pourquoi était-elle entrain d'observer la scène depuis le toit...? Au même moment, un policier fit irruption dans la pièce, pointant son arme sur une jeune fille aux cheveux verts et aux mains attachées dans le dos qu'il pressa d'entrer. 

"A terre, misérable!" lui cria l'agent Fusilli. La demoiselle haussa les épaules et provoqua son entourage d'un geste arrogant de la tête. Elle s'écria : 

"Vos ordres ne m'impressionnent pas! Je ne me mettrai pas à terre!

-Je vous conseille vivement de revenir sur votre décision et de vous montrer coopérative si vous ne voulez pas répondre de nos méthodes plus violentes!" cingla le chef en l'attrapant par le menton. En toute réponse, la jeune fille lui cracha au visage.

"Allez-y, faîtes-moi ce que vous voulez!" triompha-t-elle "Je n'ai absolument pas peur de vous! Je ne crains rien! Je ne crains ni la maréchaussée ni tout ce que vous pourrez me faire, car je suis...la célèbre Vertiline Eunice March!"


Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "A chacun son interprétation des choses"!




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