Chapitre dix-septième : Ce qu'il advint de Norbert le moteur

Attablé autour d'une collation fort appétissante composée de thé aux vapeurs d'amande de chez Mephisto et de petits gâteaux Cyrrus, Babel Luthier s'apprêtait à goûter à un repos et une collation bien mérités. Les derniers jours l'avaient en effet particulièrement épuisé : il avait passé tout son temps à crapahuter entre maison d'édition, plateau de répétition, salle de photographie, séances de dédicace, et tout ce qui pouvait constituer le quotidien éreintant d'une tête d'affiche célèbre. Cela avait d'abord commencé avec le théâtre local, pour lui annoncer un nouveau texte à apprendre et de nouvelles répliques à travailler pour la prochaine apparition sur scène du Détective Babel Luthier. Puis ce fût au tour de la maison d'édition : l'auteur des "Enquêtes du Détective Babel Luthier édition de poche" avait une nouvelle idée d'enquête pour son personnage, et il souhaitait en faire part à son impresario. Ensuite, ce fût séances de photo et de dédicace qui se succédèrent l'une après l'autre de manière interminable. Entre tout ça, la pauvre limace n'avait pas eu un seul instant à elle en plus de deux semaines. Alors aujourd'hui, elle s'accordait une pause! Babel versa du thé dans sa tasse en fine porcelaine et huma son délicat fumet. Il en but alors une gorgée. Délicieux, comme toujours. (Si vous êtes riche et célèbre, le thé de chez Mephisto aura curieusement toujours un meilleur goût que si vous ne l'êtes pas). Puis, reposant sa tasse, il attrapa un petit gâteau d'une main et empoigna son journal de l'autre, se calant le plus confortablement possible dans son fauteuil. Il s'apprêta à porter la pâtisserie à ses papilles quand soudain, quelqu'un frappa à sa porte. 

"Je suis occupé!" grogna la limace depuis son emplacement. Puis, ne faisant pas plus cas que cela de cette interruption, il porta à nouveau son gâteau parfumé au caramel et décoré de feuilles d'or à sa bouche. Les coups redoublèrent avant même qu'il n'ait pu mordre dedans. 

"J'ai dit : JE SUIS OCCUPÉ!" râla Babel d'une voix rauque. Il tenta alors de rapidement jeter le gâteau dans sa bouche avant qu'on ne l'interrompe de nouveau, mais ce fût trop tard : les coups se firent plus rapide que lui. Babel Luthier se leva alors de son siège en maugréant des choses peu glorieuses dans sa moustache, jurant que si c'était un petit chenapan, il allait lui faire tâter de sa légendaire fessée!

"C'est pour quoi?" maugréa-t-il à travers la porte sans même l'ouvrir.

"-C'est moi!" déclara une voix qu'il ne reconnût pas. 

"-Moi qui?" insista la limace.

"-Je ne peux pas le dire à voix haute!" lui répondit la voix.

"-Hé bien moi, je ne peux pas vous ouvrir!

-Mais vous êtes sans doute juste derrière cette porte! Qu'est-ce qui vous empêche de l'ouvrir?

-Je ne reçois personne aujourd'hui! Alors qui que vous soyez, partez!

-Je ne crois pas que je vais partir!

-Partez ou j'appelle la maréchaussée!

-Je suis Zelda Amaryllis Butler, épouse de Cyrrus Clinton Crumblepie et cousine de l'actuelle Shérif de GreenSmith Hemione Lisbeth Tinker, alors ouvrez moi PROMPTEMENT!" Babel Luthier resta pensif quelques instants avant d'enfin se décider à lentement ouvrir la porte. Il l'ouvrit cependant entièrement à la seconde même ou il aperçut que la fameuse Zelda Amaryllis Butler n'était en rien la figure d'autorité d'autorité blonde et rachitique aperçue dans de nombreux journaux, mais une petite femme squelettique au cheveux verts accompagnée d'un poulpe violet.

"Vertiline?" murmura la limace, surprise. 

"Exact! C'est moi : Zelda Amaryllis Butler! La célèbre et l'unique, pour cause que cette maudite Vertiline Eunice March qui feu déroba mon identité croupi maintenant derrière les barreaux! Auriez-vous un moment à m'accorder, monsieur Luthier?

-Heu...oui! Bien sûr! Si t...vous voulez bien vous donner la peine d'entrer, madame...Butler." Aussitôt sa nièce et le céphalopode rentrés, Babel referma immédiatement la porte à double tour. 

"Que fais-tu ici, Vertiline?" demanda-t-il en grinçant des dents. 

"Charmant accueil de ta part..." soupira mécontentement l'intéressée en croisant les bras, tandis qu'Enoch semblait d'ors et déjà très intéressé par les petits gâteaux posés sur la table basse un peu plus loin.

"Non, non, ne te méprends pas." repris Babel "C'est juste qu'avec tout le raffut qu'à fait l'affaire March-Butler ces temps-ci, mieux vaut éviter de te faire trop voyante à GreenSmith..." Vertiline souffla en levant bras et yeux au ciel :

"-Ah! Se ne peux même plus me balader librement dans mon compté natal..." Puis... "...Attends, quoi? L'affaire March-Butler?

-C'est vrai que tu n'étais pas là quand c'est arrivé... Mais la véritable Zelda Amaryllis Butler a été innocentée durant ton absence. Maintenant, toute la maréchaussée est à ta recherche, car ils ont la preuve que tu as usurpé l'identité de Zelda." Vertiline répondit par une moue, un geste de bras sarcastique, et un nouveau soupir. 

"Dans ce cas, je devrais sans doute arrêter d'utiliser son identité à tout bout de champ...

-C'est préférable, en effet. Mais cessons là les mauvaises nouvelles! Viens par ici que je te serre dans mes bras, ma sauterelle des villes!" Ce que Babel fit avant même que sa nièce ne puisse répondre. "Tu m'as manqué depuis la dernière fois! Allons, qu'est-ce qui t'amène ici?

-Tonton -mmmfff-, j'ai déjà trouvé trois -MMMFFF-!" articula difficilement Vertiline, à moitié étouffée dans les imposantes pattes de son oncle. 

"Trois quoi?" s'impatienta la limace en libérant sa nièce de son étreinte.

"Ça!" s'extasia Vertiline en montrant triomphalement à son oncle les morceaux de clé qu'elle avait jusque là dissimulés dans son corsage. 

"Récupérés de BlueSmith, PurpleSmith et RedSmith!" ajouta-t-elle toute souriante. La peau miel de son oncle vira soudain jaune citron.

"-PurpleSmith? ...Vertiline, ne me dit pas que tu est allée à l'Asile, quand même?" s'inquiéta la limace en arborant une mine grave. Le sourire de Vertiline s'évanouit aussitôt.

"...Où voulais-tu que je trouve le morceau à part là-bas?" se justifia-t-elle en détournant le regard. Nouvel étouffement dans les grosses pattes flasques et graisseuses de tonton Babel. 

"Oh, Vertiline... dis-moi que tu as demandé le morceau à l'accueil et qu'on te l'a gentiment donné sans faire d'histoires!" gémit la limace. "T'imaginer dans un tel endroit m'est insupportable!

-Enfin tonton... Tu sais bien que ce n'est pas aussi simple...

-C'était comme la dernière fois, n'est-ce pas?

-...Oui.

-Oh, mon pauvre petit grillon des champs..." Pour une fois, Vertiline accepta ce surplus d'étreinte sans dire quoi que ce soit. Il n'était pas peu dire que l'Asile pour Filles Démentes de St Gladys éveillait encore en elle des souvenirs très désagréables : la Parade des Folles, le cruel acharnement des visiteurs et des médecins sur Amethyst (et encore, si ce n'avait été que sur une seule personne...), le désespoir ambiant, les terribles rumeurs à propos des sous-sols, les murs au papier peint fleuri couverts d'horloges, le froid des couloirs, l'odeur de sang mêlée à celle des produits chimiques dans le laboratoire de Guideon, Guideon, Gladys, Wyverstone, le sort qui avait été réservé à Clarisse, les cris, les pleurs, les gémissements, les supplications... Elle ne pouvait s'empêcher d'y repenser... Clarisse, qu'était-elle devenue?... Qu'est-ce que Guideon lui avait fait subir?... Elle n'osait imaginer le pire, bien que le pire soit sans doute le plus juste à imaginer...

"Je te promet que tu n'auras pas à vivre cela une troisième fois!" la rassura Babel en la serrant toujours un peu plus fort. 

"Personne ne devrait avoir à vivre ça, tonton! Pas trois fois, pas deux, ni même une seule fois!" renchérit Vertiline sur un ton grave. "Ce qu'il faudrait, c'est fermer cet endroit pour toujours, et libérer ses prisonnières! Avec toute ta renommée, ne serais-tu pas capable de faire ça?

-Je comprends ce que tu dis ma puce, mais même avec mon influence, je ne sais pas si j'en serai capable." Le regard de Vertiline passa de la solennité à l'indignation attristée :

"-Pourquoi?!

-Je suis un peu renseigné sur le personnel de l'établissement. On entends de ces choses dans les coulisses d'un théâtre, si tu savais... Le docteur Wyverstone et les employés lambda ne poseraient pas de problèmes particuliers, mais il serait très compliqué de s'attaquer à Gladys Winifred Scavenger et à Phineas Benjamin Guideon. D'après ce que je sais, créer l'Asile a été l'idée de Gladys, et Guideon a grandement participé à son financement et aux plans de construction. Les deux sont influents et fortunés, et c'est à cause d'eux que l'on doit la création de cet endroit... Même moi, je ne peux pas faire grand chose face à cela...

-Mais...il faut essayer! Tonton, tu n'as sans doute pas la moindre idée de ce que ça fait d'être seulement une journée là-bas! J'y ai été trois semaines (et encore, pas dans les sous-sols)! Et certaines y sont depuis plusieurs années! 

-Vertiline... je sais que tout cela a du te marquer profondément, mais il ne faut pas que tu oublie ton objectif pour autant." la conseilla tendrement Babel en la prenant doucement par les épaules. L'intéressée détourna le regard en faisant la moue. Elle n'avait pas plus à coeur que son oncle de continuer à parler de son expérience à l'Asile, mais le sujet était tout de même trop délicat pour le mettre au placard pour toujours. Que ce soit avec Babel Luthier ou non, elle n'avait pas fini de parler de l'Asile pour Filles Démentes de St Gladys! 

"Et les deux autres morceau?" demanda rapidement Babel pour changer de sujet "Comment les as-tu obtenus?

-Oh, si tu savais!" s'exclama Vertiline. "Il y a eût tout d'abord cette escapade à BlueSmith, puis ce Tournoi à RedSmith!  Tu aurais dû voir ça, tonton! Il y a de quoi en faire toute une histoire! Et à RedSmith, Enoch a été si...Enoch?" Vertiline s'arrêta en plein milieu de sa phrase, constatant que son céphalopode favori n'était pas à ses côtés comme à l'accoutumé. 

"Tonton, tu n'aurais pas vu Enoch?" demanda-t-elle en parcourant le salon du regard. 

"-Ton poulpe? Mais il était là il y a encore une minute!" s'exclama Babel. Soudain, les yeux de la jeune femme et de la limace se posèrent exactement au même endroit au même moment : posté près de la table basse, Enoch fixait dangereusement les petits gâteaux. 

"ENOCH!" cingla Vertiline en foudroyant du regard son compagnon. "Je te rappelle que si tu mange ça, tu vas encore finir avec des maux d'estomac! Et vu comment c'est déroulée ta dernière visite chez le vétérinaire, je te conseille vivement de refréner ta gourmandise!" Tout penaud, Enoch rangea la tentacule qu'il s'apprêtait à lancer sur une pâtisserie en baissant la tête. Si évoquer l'Asile était assez compliqué pour Vertiline au vu de tous les mauvais moments qu'elle y avait passé, il en allait de même pour Enoch concernant le vétérinaire! 

Il se souvenait de cette expérience, pour le meilleur comme pour le pire, dans les moindres détails. C'était une matinée comme les autres, environ un an après son adoption par son amie. Excepté que cette matinée là, Enoch, qui approchait de l'âge adulte mais restait malgré tout en pleine crise d'adolescence, s'était mis dans l'idée de dévaliser le garde-manger, par pure gourmandise (et aussi parce que Vertiline avait fait la terrible erreur d'oublier de le nourrir la veille au soir). Ainsi, lorsque Vertiline arriva dans le salon pour y prendre son petit-déjeuner, elle découvrit non seulement que la porte du placard à nourriture avait été proprement défoncée, qu'une bonne partie des provisions pour la semaine avaient disparues, et aussi qu'Enoch gisait au sol en tortillant misérablement ses tentacules flasques dans les airs! Aussitôt bien plus inquiétée par l'état de son ami que de ses vivres, Vertiline prit Enoch à pleins bras et le porta elle-même jusque chez le vétérinaire le plus proche. Comme vous vous en souvenez sans doute (car vous êtes vifs d'esprit et attentifs, chères lectrices, chers lecteurs), nos deux compères vivaient à GreenSmith, dans le quartier Popkin's. Et comme vous vous en souvenez également, Vertiline n'était pas de la condition sociale la plus avantageuse qui soit, bien que sa "profession" de voleuse se soit révélée très utile pour s'enrichir un peu. En conséquence de quoi, ceux-ci ne pouvaient se permettre d'obtenir les soins que du cabinet vétérinaire les moins onéreux, soit le moins réputé de toute la ville. Ils arrivèrent sur les lieux à huit heure du matin, alors que l'office venait à peine d'ouvrir, et furent accueillis par une vieille peau avec trois poils au menton qui les conduisit jusqu'au cabinet du docteur. S'en suivirent beaucoup de détails inintéressants comprenant la discussion particulièrement...animée qu'eurent Vertiline et le vétérinaire, la tentative d'Enoch d'échapper à la piqûre qui devait le guérir à coup sûr, la manière dont il détruisit presque l'intégralité des bocaux en verre de la pièce en agitant ses tentacules partout, la façon dont la vieille peau se prit un grand coup de ventouse mal contrôlée dans les poils de menton, etc. Que retiendrons-nous de cette tergiversation? Pas grand chose, si ce n'est qu'une fois sortie du cabinet, Enoch se jura d'apprendre à contrôler sa gourmandise!

"Où en étions nous?" demanda Vertiline "...Ah oui! Le Tournoi de RedSmith! J'y ai gagné ça!" Elle présenta alors fièrement à Babel l'incroyable presse-beignet qu'elle ne sortit cette fois-ci PAS de son corsage (faut quand même pas exagérer)! "Le morceau était dedans. Tiens! Je te le donne." dit-elle en s'exécutant. "Enfin, pas sûr qu'il marche encore sans sa pièce manquante, mais je ne saurais pas quoi en faire de toute façon. D'ailleurs tonton! Tu vas sans doute trouver que je vais vite en besogne, mais j'ai une question à te poser.

-Heuuum... Je t'écoute, mon petit grillon." dit Babel en prenant le présent d'un geste légèrement indécis.

"Ces objets sont trop précieux pour que je me ballade partout avec. Aussi, je me demandais si tu pouvais les garder en mon absence." lâcha simplement Vertiline. avec une stoïcité étonnante. La limace eût un vif mouvement de surprise avant de rapidement secouer sa tête de droite à gauche pour reprendre ses esprits. Comme d'habitude, sa nièce avait le chic pour le mettre dans une situation où il ne pouvait pas vraiment dire non, mais où il n'avait pas spécialement envie de dire oui pour autant. 

"Avec plaisir." Mentit Babel en tendant les mains pour que Vertiline y dépose les trois morceaux et l'incroyable presse-beignet. "Donne-les moi, je vais les ranger dans mon atelier." Il s'absenta un cours instant presque aussitôt. A peine eût-il à nouveau posé son regard sur sa nièce une fois revenu qu'une bouffée de nostalgie sembla envahir ses esprits.

"C'est fou, mais j'ai l'impression que tu as grandi depuis la dernière fois, Vertiline!

-Crois-moi, j'aimerais bien... 

-Allons! Je suis prêt à parier que tu as quand même pris quelques centimètres!

-Je te rappelle que je porte des talons...

-Ah oui, c'est vrai..." Et ils ne surent pas quoi dire d'autre. "Quoi qu'il en soit, ce n'est pas bien grave!"remarqua gaiement la limace après un temps. Mais alors parle-moi de tes projets! Si tu as récupéré trois morceaux de clé, je suppose que tu ne vas pas t'arrêter là, n'est-ce pas?" Le visage de Vertiline retrouva son sourire, ses yeux leur brillance.

"-Tout juste! Je pense que je vais aller à YellowSmith pour ma prochaine étape. Je me réserve GreenSmith pour la fin, et je ne sais pas trop encore si j'irais d'abord à PinkSmith ou à GreySmith. En fait, je veux surtout aller au plus proche, actuellement. Norbert fait des siennes en ce moment, je n'aimerais pas qu'il rende l'âme en route!

-...Norbert?

-Le moteur de mon tacot.

-Le moteur de ton...? Mais tu as donc enfin passé ton permis de conduire?!

-Enoch a passé son permis de conduire!

-Ah...

-D'ailleurs, tu ne t'y connaîtrais pas un peu en mécanique, tonton Babel?

-Modestement. 

-Moi, je n'y connais rien. Enoch non plus, d'ailleurs. Est-ce que tu pense que tu serais capable de réparer Norbert avant notre prochain voyage?

-Je suppose que cela va dépendre de l'état de...Norbert. Mais avant cela, il faut que je te dise deux mots, jeune fille.

-Aïe...Je sens déjà une énième remontrance sur mes cheveux arriver à toutes vitesse!

-Déjà fait la dernière fois. Enfin, tu m'as bien dit que tu comptais aller à YellowSmith, n'est-ce pas?

-Oui. Pourquoi? Y a-t-il un problème à cela?

-Non, non, pas spécialement." La voix de Babel se fit soudainement plus vague, comme si il chercha à maladroitement éviter un sujet sur lequel il ne semblait guère confiant de se lancer.

"-Pas 'spécialement'?" demanda Vertiline en accentuant le second mot comme si il fût sorti en italique de sa bouche. Babel reprit :

"-Le morceau est dans un orphelinat, tu en est au courant?

-L'Orphelinat de YellowSmith, oui. Tu tournes autour du pot, tonton. 

-Hé bien, je suis allé à l'Orphelinat, récemment.

-Oui?

-Pour mon travail.

-Oui?

-Et donc...

-OUI?

-Alors.

-Mais tu vas la dire ta révélation révélatrice ou bien?!

-Il n'y a rien de spécial, ce n'est pas une révélation.

-Aaaaaaaahhhh...! Tonton, VIENS-EN AU FAIT. 

-Je voulais juste te dire que l'ancienne directrice de l'Orphelinat est décédée l'année dernière." Vertiline écarquilla les yeux, tant le flegme avec lequel son oncle venait de prononcer cette phrase plutôt grave l'avait surprise, après pourtant tant d'efforts pour en éviter la révélation.

"-Heu...oui?" articula-t-elle, légèrement confuse. "Je ne l'ai jamais connue, de toute façon. Mais...toutes mes condoléances si tu tenais à elle." La limace s'esclaffa gutturalement :

"-Quoi? Cette vieille pie?! Ah non, surtout pas! Mais j'ai eu l'occasion de rencontrer les deux nouvelles directrices de l'Orphelinat. 

-Il y a deux directrices maintenant? Une ne suffisait pas? 

-C'est là où je veux en venir, vois-tu. Elles sont assez...spéciales." Décidément, ça n'en finirait jamais, pensa Vertiline! Elle leva les yeux au ciel, esquissant un maigre sourire fatigué. 

"-Bon! Et bien laisse-moi la surprise, je vais passer le trajet à imaginer quel genre de tête elles ont! Comment s'appellent-elles, au fait? 

-Scarlet Primrose Sterling et Vermeille Primrose Sterling." répondit Babel. "Toutes deux sont soeurs, tu comprendras vite pourquoi. Enfin quoi qu'il en soit, il faut que tu te méfie : non contentes d'être du même sang, elles sont aussi jumelles. Et par jumelles, j'entends qu'il est absolument impossible de les distinguer!

-Et...en quoi dois-je me méfier? Je trouverai bien un élément qui me permettra de les différencier l'une de l'autre. 

-Humm... Toutes deux ont un caractère bien trempé. Je te souhaite bonne chance pour les différencier. Moi, je n'ai pas réussit! Quoi qu'il en soit, fais attention à toi! Elles ne m'inspirent guère confiance..." murmura la limace d'un ton pensif tout en grattant sa moustache.

-Je prends note de tes conseils avisés. Quoi qu'il en soit, jumelles ou non, j'ai bien l'intention d'aller dans cet Orphelinat, et le plus tôt sera le mieux. Excuse-moi un instant, je vais aller voir si le tacot veut bien rouler. Tu viens Enoch?" Le céphalopode bondit comme un ressort vers la jeune femme, ravi d'avoir une occasion de se détourner de la tentation que lui inspiraient les pâtisseries toujours sur la table basse. Très vite, Babel se mit alors dans tous ses états :

"-Quoi? Vertiline, tu t'en vas déjà?

-Désolé tonton... Mais je reviendrai vite, promis! Pour l'instant, je vais seulement vérifier l'état de l'engin. Donne-moi juste une minute!" Vertiline et Enoch s'éclipsèrent à l'extérieur. Babel Luthier demeura tout pensif durant quelques instants, avant qu'un bruyant cri en provenance...hé bien de l'extérieur ne l'extirpe violemment de ses pensées. 

"NOOOOOOOOO!!! MI COCHEEEEEE!!!" Babel se précipita alors dans la cour où s'étaient rendus sa nièce et Enoch, croyant que quelque chose de terrible venait de se passer. Lorsqu'il ouvrit la porte en trombe, Vertiline était à genoux dans la terre, les bras spasmodiquement levés au ciel. Et ça, c'était sans mentionner son expression faciale à ce moment là. Quand à Enoch, il couinait de tristesse en serrant ce qui semblait être une pièce de carrosserie dans ses tentacules. Mais qu'était-il arrivé pour mettre nos deux protagonistes dans ce état? Hé bien, une vraie tragédie somme toute. Et croyez-moi, ce n'était pas beau à voir. Une scène d'un drame sans précédent s'exposait alors sous les yeux de la jeune femme, du poulpe et de la limace. 

Norbert venait de rendre l'âme...



Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "Mademoiselle Wedge va à l'Orphelinat"!

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