Chapitre cinquante-quatrième : Ne faisons plus rien d'insensé

"Une dernière parole, mademoiselle March?" répéta Hermione, le canon de son fusil pointé droit sur le front de Vertiline. A cette distance et dans son état, celle-ci n'aurait aucune chance d'esquiver la balle, comme ce fût miraculeusement le cas jusque là. Vertiline était coincée, écrasée sous les énormes chaussures de la Shérif, un bras et plusieurs côtes cassées, un poignet démoli, et le visage en sang. Son coeur battait à une telle vitesse dans sa cage thoracique déboîtée qu'elle crû qu'il allait bientôt jaillir de sa poitrine! Totalement impuissante, la seule chose qu'elle parvenait encore à faire était de secouer faiblement et misérablement la tête de droite à gauche, comme si elle cherchait à se persuader elle-même que ce qu'elle vivait en ce moment n'était pas réel. Malheureusement, la douleur qui l'étreignait férocement de toute part lui rappelait constamment que ce n'était pas le cas... Ses yeux étaient levés vers la pointe du fusil dirigé contre son front. ...Aurait-elle mal lorsque le coup fatidique serait donné? Peut-être un peu, mais elle ne vivrait pas assez longtemps pour s'en rendre compte. Son corps tout entier était déjà en proie aux plus atroces douleurs. Elle pensait, d'ailleurs, que dans sa condition, une exécution par balle était peut-être la meilleure manière de mourir. Au moins, elle ne souffrirait pas. Pas davantage. Sa vie entière commençait à défiler sous ses yeux à une vitesse prodigieuse. En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, elle se revoyait petite fille, entassée dans un taudis à Popkin's avec ses nombreux frères et soeurs. Puis soudain, elle se retrouvait chez Babel Luthier, à écouler d'heureuses années. Et aussitôt, voilà qu'elle se voyait adulte, ayant réaménagé à GreenSmith, volant pour subvenir à ses besoins. Puis Jeffrey entra dans sa vie. Aussi vite il en sortit, bientôt succédé par Enoch. Et maintenant elle était là, gisante, dans les Aquariums de GreenSmith, sur le point de quitter ce monde, sous l'accès de folie d'une sale blondine plus jeune qu'elle d'un an!  

"Hé bien soit. Emporte donc ton silence dans ta tombe!" cingla Hermione, constatant que Vertiline ne lui avait pas répondu. Elle n'en avait pas eût la force. Et de toute manière, elle aurait voulu que ses derniers mots ne fussent pour son oncle, son ami, ou son amant. Pas pour son bourreau. Vertiline concevait mal l'idée que d'ici quelques instants, elle ne serait plus de ce monde. Sa vie pendait au doigt d'Hermione Lisbeth Tinker, posé contre la gâchette de son fusil. Autant dire qu'elle ne tenait pas à grand chose. Mais plus que tout, le plus dur fût pour elle de se rendre à l'évidence qu'elle était hors de combat, qu'elle ne pouvait plus rien faire pour se sauver et que personne ne viendrait la secourir. Elle allait mourir. Et qui s'en préoccuperait? Qui la pleurerait? Elle ne laissait rien ni personne derrière elle. Juste le désir stupide de remonter dans le temps pour échapper à un deuil et une tristesse que deux années n'avaient finalement que trop peu atténuées... Ce plan n'avait vraiment aucun sens, dans le fond. Elle aurait dû s'en rendre compte depuis longtemps. Il ne signifiait rien, ne valait rien. Sa vie, pendant tout ce temps, n'avait été qu'une gigantesque course vers rien. Elle avait envie d'en rire autant que d'en pleurer. Mais au fond, tant pis. Tant pis pour tout. Qu'on en finisse!

Hermione appuya sur la gâchette. Vertiline avait fermé les yeux, persuadée d'avoir entendu un écho sourd, peut-être celui de la balle ou de l'explosif lui traversant la cervelle. Mais il n'en fût rien. Tremblant de tous ses membres, elle constata, avec le plus grand étonnement qu'elle était encore en vie. Hermione, tout aussi surprise, appuya à nouveau, pour un résultat identique. Le coup ne partait pas. 

"Mais...enfin, pourquoi?" maugréa-t-elle en regardant le canon de plus près. Elle tritura encore quelques secondes la gâchette, sans grand succès. Poussant alors un grand soupir, elle ouvrit son fusil, et toute la poudre dont elle l'avait rempli explosa à sa figure dans un nuage âcre accompagné d'un petit 'Boum!' faiblard. Essuyant nonchalamment la saleté sur son visage d'un revers de main, la Shérif poussa un deuxième soupir, puis ravala bruyamment sa salive en retroussant les lèvres. De là, elle recommença à bourrer son arme.

"Ouvrir, remplir, tasser, tasser, tasser..." Son visage s'illumina une fois la manoeuvre achevée, accompagné d'un petit 'Aaah!' satisfait. Elle referma la réserve de son fusil, et, le posant un instant sur son épaule pour prendre la pose, observa d'un air ridiculement supérieur sa prisonnière, qui avait tenté une dernière fois de se débattre en vain avant que son poignet indemne ne se retrouve lui aussi cassé. "Les femmes sont comme des tasses à thé : elles se brisent facilement..." pensa Vertiline en se souvenant d'une devise du docteur Guideon à l'Asile, pensant que dans son cas (et elle était peinée de l'admettre), avec une ossature aussi friable que la sienne, ce dicton s'avérait malheureusement véridique. Cette fois-ci sans dire un mot, Hermione reprit alors un air plus sérieux et dirigea le canon de son arme pile entre les deux yeux de Vertiline. Cette fois-ci, le coup partirait sans problème, elle en était sûre. Son doigt se posa à nouveau sur la gâchette. Elle allait tirer sans l'ombre d'une hésitation, et Vertiline ne serait plus. Elle allait abattre son ennemie jurée et alors, enfin, on entendrait plus jamais parler de cette fille March! 

Ainsi, c'était donc la fin. Adieu à tonton Babel, adieu à Enoch, adieu à Cole et Violine, à tous les autres, adieu, bien sûr, à Jeffrey dans le passé, adieu aux chères lectrices et chers lecteurs, adieu à Tim et La Folia, adieu, adieu Vertiline Eunice March!

"HERMIONE, ARRÊTE!" hurla une voix qui fit sursauter autant l'interpellée que la blessée. Hermione tourna vivement la tête en direction de la personne l'ayant appelée si fort, tandis que Vertiline commençait à en avoir marre de toutes ces interruptions. Deux fois qu'elle avait pensé mourir, ça commençait à bien faire! Avec des peurs pareilles, elle allait bientôt se faire des cheveux blancs avant même d'atteindre la trentaine! 

"Vincent?! Mais je croyais que tu gardais l'entrée des Aquariums avec les autres brigades!" s'exclama Hermione, légèrement troublée à la vue de l'acolyte, qui débarqua d'un coup en accourant vers la Shérif. 

"-Hermi', s'il te plaît, range ton arme! Ne tire pas sur la fille March! Je te rappelle qu'il nous la faut vivante!" s'écria Vincent en se positionnant entre la Shérif et Vertiline. La Shérif la fixa d'un air à la fois indécis et vexé. Son fusil avait beau être pointé vers le bas, sa main la démangeait de le redresser vers sa victime, et Vincent le voyait bien. Hermione leva le menton pour se donner un air supérieur, et répliqua sur un ton incroyablement pédant venant d'elle : "Pourquoi as-tu quitté ton poste? 

-C'est l'anarchie totale en ville! Des tas de fausses filles March font irruption d'un peu partout et trompent tous les agents. Je sais pas d'où elles sortent, mais elles nous retardent beaucoup. J'étais entrain d'en interroger deux quand j'ai entendu des coups de feu venant d'ici. Personne d'autre que toi ou la fille March n'auraient pu se trouver là à cet instant, alors j'ai rappliqué." Elle marqua une brève pause. "Ne fais rien d'irréfléchi, Hermione, s'il te plaît." poursuivit-elle avec une voix étranglée par l'appréhension malgré son sang-froid apparent. La Shérif soupira une troisième fois, adressant un large et sincère sourire à sa compagne. 

"-Allons, chérie. Pousse-toi, il faut que je tue la fille March et nous n'en parlerons plus jamais." Vincent esquissa une moue attristée et secoua la tête de droite à gauche d'un air dépité. 

"-Le juge décidera si elle doit vivre ou non. Pour l'heure, tu ne peux pas rendre la justice par toi-même!

-Hé bien je ne vois pas pourquoi! Je suis la Shérif, après tout! Allons Vincent, écarte-toi." Paroles dans lesquelles elle mit beaucoup de fermeté. Ce à quoi l'acolyte répondit avec autant de vigueur : 

"-Hermi', la fille March n'est plus en état de se déplacer, tu t'en est chargée toi-même! Nous allons la ligoter et la conduire en prison. Après quoi, tout sera entre les mains du juge. Mais pour l'heure, je t'en prie, ne la tue pas. Prouve-moi que tu ne t'est pas réduite à tuer quelqu'un de sang froid!

-Ce n'est pas un meurtre, Vincent! Ce n'est que de la justice! En tant que Shérif, c'est à moi de la rendre!

-Ce n'est pas comme ça qu'on rends la justice, tu le sais très bien!

-Peut-être! Hé bien, le moment est venu de changer un peu les choses!" Sur ces mots, elle redressa son fusil et visa Vertiline, qui elle pendant ce temps avait tenté, sans grand succès, de fuir en rampant misérablement au sol. Mais avec une bonne dizaine d'os cassés (presque toutes ses côtes, son bras gauche, et son poignet droit), notez qu'elle ne pût aller bien loin, d'autant que chaque mouvement était plus douloureux à effectuer que le précédent. Elle ne savait absolument pas pourquoi l'acolyte la défendait soudainement, ou tout du moins, l'aidait inconsciemment en retenant sa dingue de petite amie de lui tirer une balle dans le dos, mais elle en était bien contente, et se demandait en même temps quelle bête idée lui était passée par la tête pour s'être laissée convaincre l'espace d'un instant que la mort était un sort qui lui convenait. Non mais quelle idiote!

"Hermi', il vaut mieux que tu me donnes ton arme." dit calmement Vincent en tendant sa main mécanique. La Shérif lui répondit par un regard à la fois outré et provocateur. Puis, levant d'un coup son fusil en l'air, elle tira un coup dans le vide qui surpris tout le monde en arborant un sourire mauvais. La balle tirée ricocha sur le tuyau au plafond où elle s'était perchée plus tôt, et atterrit contre la vitre de l'aquarium aux concombres de l'air, perçant celle-ci. Lentement mais sûrement, l'eau s'échappa par le petit trou fait par la balle et se déversa au sol. Puis, sans même savoir vraiment pourquoi, elle en fit des même sur l'aquarium des lamproies. Puis des dipneustes, des baudroies, des anémones, des blobfishs, des ogcocéphalus darwini... Ses yeux trahissaient autant d'incompréhension face à ses propres gestes que de satisfaction béate. Comme si Hermione ignorait elle-même la raison pour laquelle elle se mettait à toute saccager sans raison apparente, mais en tirait néanmoins quelque chose de satisfaisant qu'elle ne savait décrire. De toute manière, il était clair qu'elle n'était pas dans ses humeurs habituelles; et agissait de ce faire de manière irraisonnée. Mais comment l'arrêter? Telle était la question qui taraudait Vincent. Car à l'heure actuelle, son soucis était moins la fille March que sa compagne. Et comment la raisonner? Elle voulait éviter à tout prix d'employer la force, mais la diplomatie ne semblait néanmoins guère efficace...

"Hermi'! Mais enfin, qu'est-ce que tu fais?" demanda-t-elle en désespoir de cause. Mais Hermione ne daigna lui répondre. Ne visant plus Vertiline, elle se concentrait maintenant à détruire les vitres de chaque aquariums dans sa ligne de mire. Son sourire avait maintenant disparu pour être remplacé par une expression sérieuse et frigide au fur et à mesure qu'elle tirait. Risquant le tout pour le tout, Vincent se positionna face à elle et l'attrapa par les épaules.

"Arrête! Tu n'est plus toi-même, Hermione! Je t'en prie, calme toi!" la supplia-t-elle avec un ton et un regard si sincère et en même temps si implorant que personne, pas même le plus patibulaire des coeur de pierre, n'aurait sû rester de marbre face à cela. Mais visiblement, Hermione semblait maintenant dépossédée de tout sentiment humain, si bien qu'elle ne prêta aucune attention aux paroles de son amante. 

"Il n'y a pas de raison." lâcha-t-elle finalement d'une voix évasive.

"-Bien sûr que si!" tenta de la raisonner Vincent. "Écoute, je sais pas ce qu'il t'arrive depuis ces derniers jours, mais tu as changé! J'ai l'impression d'avoir quelqu'un d'autre en face de moi! Mais je sais que la vraie Hermione déposerait les armes tant qu'il en est encore temps. J't'en supplie, prouve-moi que tu est cette Hermione là!

-Sinon quoi?" répliqua la Shérif en la regardant droit dans les yeux.

"-Sinon... Je ne sais pas...

-Bien. Alors nous n'avons plus rien à nous dire.

-Hermione!

-Quoi?

-Qu'est-ce qu'il t'est arrivé pour que tu deviennes comme ça...?

-Je suis fatiguée, Vincent.

-Fatiguée? Mais quand je te proposais de te reposer, tu...

-C'est plus que ça!" la coupa-t-elle en haussant la voix. Curieusement, elle paraissait soudainement un peu plus...normale.

"Je vais faire ce que j'aurais dû faire depuis le début : supprimer la fille March, puis démissionner. Et enfin peut-être, pourrais-je me reposer un peu... Et alors...alors aurais-je un peu moins mal à la tête! Sinon, la douleur va me rendre folle..."

"C'est déjà le cas..." pensa tristement Vincent en son fort intérieur. Néanmoins, cette démonstration d'émotions de la part d'Hermione lui redonna l'espoir de la raisonner. La Shérif avait peu à peu reculé, se dégageant de l'acolyte, lors de sa tirade. Aussi, Vincent refit quelques pas vers elle.

"Non! N'approche pas!" cria Hermione en pointant son fusil sur sa conjointe, semblant à peine contrôler ses propres gestes, entièrement livrée à sa névrose. Une grosse goutte de sueur perla sur la nuque de Vincent, et son souffle se stoppa net. Hermione n'allait tout de même pas... Oh non, elle ne pouvait quand même pas... Oh... Voilà qu'elle tira. OH NON. Ah... Ah...? ...

Le coup était partit si subitement que ni Vincent ni Hermione ne l'avaient vu venir. La balle, renforcée par la poudre explosive ajoutée par la Shérif auparavant, était partie droit dans le coeur de l'acolyte. Sans fioriture ni grandiloquence, seulement accompagnée d'un cri de douleur, et bientôt complété d'un large filet de sang coulant sur le torse de la blessée. Percutée de plein fouet, Vincent tomba à la renverse et s'écroula lourdement au sol, sous le regard terrifié d'Hermione, qui venait quand à elle de tout juste réaliser ce qu'elle avait fait. Comme si dès que celle qu'elle chérissait plus que tout fusse à l'article de la mort par sa seule faute, elle était redevenue immédiatement celle qu'elle avait toujours été avant de s'abandonner à de mauvaises humeurs. Oubliant complètement Vertiline, qui elle avait filé en rampant depuis un temps déjà, la Shérif lâcha brusquement son fusil qui tomba dans l'eau, et se précipita aux côtés de Vincent.

"V-Vincent! Oh mon dieu... Oh mon dieu...! Par le Crésus, qu'ais-je fait?!" s'écria-t-elle avec une théâtralité larmoyante, bien qu'elle était loin de feindre ses émotions. Sans même attendre la réponse de son amante (qui ne se révéla qu'être un râle de douleur), elle prit délicatement la main de Vincent qui était posée sur sa plaie dans la sienne, et observa la conséquence de sa névrose avec effroi. Bien que la blessure de l'acolyte n'était pas très large au premier abord, elle n'en demeurait pas moins profonde, et une quantité non négligeable de sang s'en écoulait. D'autant que, comble, il avait fallu que dans sa folle maladresse, la Shérif ne vise le coeur de Vincent, et ce avec une précision qu'elle venait de découvrir chez elle...

Bravo, championne!

Les yeux mi-clos, l'acolyte respirait de plus en plus difficilement. Sa poitrine se soulevait à un rythme lent et irrégulier, ponctué de plusieurs grimaces de douleur. A mesure que son corps se vidait de son sang, ses forces, tout comme son souffle de vie, semblaient eux aussi l'abandonner progressivement. Hermione, qui quand à elle retenait avec beaucoup de peine ses larmes, n'avait de cesse d'appuyer sur la plaie d'une main, serrant celle de chair de Vincent de l'autre. 

"Oh je t'en supplie, ouvre les yeux...! Ouvre les yeux! Vincent...?" La tête de l'acolyte était désormais penchée sur le côté, les yeux clos et la bouche entr'ouverte. Une mèche de ses cheveux roux et gras était tombée sur son nez, lui donnant un air bien plus apaisé que la présente situation ne le laissait suggérer. Pour peu, elle semblait...

"Vincent? Vincent, réponds-moi! Par pitié, réponds-moi! VINCENT!" Ne retenant plus ses pleurs maintenant incontrôlables, et rendant ses dires de moins en moins compréhensibles, Hermione empoigna avec force et désespoir le corps de sa si chère amante et la prit dans ses bras, ne cessant de l'embrasser et de pleurer en même temps. Son coeur se comprimait dans sa poitrine à tel point qu'elle crû qu'il allait s'arrêter de battre, car Vincent avait maintenant les yeux bel et bien fermés, et sa plaie ne cessait de saigner, de plus en plus abondamment. A ce rythme là, pensait Hermione, elle allait bientôt... Si elle n'était pas déjà... Oh pitié, faîtes qu'elle ne soit pas déjà...

Morte? 

"Vincent! Ouvre les yeux! Je t'en supplie, ouvre les yeux ma belle! Regarde-moi! Vincent! Vincent!!!" S'effondrant misérablement sur le corps de sa petite amie, Hermione poussa un grand cri tant destiné à pleurer ce si regrettable accident qu'à maudire les raisons de sa colère et la conséquence de ses actes irraisonnés. Dans sa quête insatiable de justice pour détruire la personne au coeur de tous ses problèmes, elle en était venue à perdre ce qui comptait le plus pour elle... Et maintenant, elle était seule. Seule avec son chagrin, ses remords, et...elle osait à peine le concevoir...et un cadavre dans les bras... Ce simple concept heurta si fort son esprit et ses sentiments qu'elle ne pût s'empêcher de trembler de tous ses membres, avec une telle vivacité qu'elle semblait prise de violents spasmes. Détachant un instant son regard de Vincent, elle contempla son fusil, étendu dans l'eau à quelque mètres de là. Celui-là même qui venait d'arracher une vie avec toute la froideur et la monotone précision pour laquelle il avait été conçu, pourrait-il en prendre une seconde aujourd'hui...? 

"Qu'est-ce que tu chouines encore? Je suis pas morte!" souffla soudain une faible voix. Hermione ouvrit grand la bouche et écarquilla les yeux, persuadée d'avoir entendue sa compagne lui parler. Mais cela ne se pouvait pas... Plus... 

"Oh, j'ai l'impression de l'entendre encore murmurer à mon oreille..." soupira tristement Hermione sur un ton dramatique. 

"-Hermi'! *Tousse* Je suis vivante!

-Et sa voix semble si réelle...

-Hé!

-Comme si...elle était toujours à mes côtés, même maintenant qu'elle est...

-Hermi'!

-Non, ce doit être mon imagination...

-Mais tu vas arrêter ton cirque, oui? *Tousse*

-Bizarre, qui vient de tousser?

-*Tousse*

-PAR LE CRÉSUS, VINCENT! TU EST VIVANTE!

-Ah bin c'est pas trop tôt! Un peu plus et tu m'enterrais!

-Oh...oh...oh! J-Je n'en reviens pas! J-J'ai crû que...que tu étais...

-Allons ma grande, j'aurais perpétué un sale cliché si c'était le cas!

-C-Comment?

-Bah, rien d'important." Bien que l'acolyte s'exprimait d'une voix très faible, basse et étouffée, celle-ci n'avait en rien perdue de sa bonhomie, ni même de son ton détaché idéal pour une attitude aussi caustique que la sienne. Hermione de son côté, dont les violents tremblements s'étaient transformés en petits soubresauts extatiques, et dont les larmes de tristesse étaient devenues des larmes de joie, fit tourner court la conversation en gratifiant sa partenaire d'un baiser euphorique. 

"Tu est vivante, tu est vivante...!" continua-t-elle de répéter une fois leur longue embrassade achevée, comme pour s'en persuader davantage. Mais elle revint vite à la réalité. C'était un miracle que Vincent soit encore en vie. Or, si elle ne recevait pas des soins d'ici peu de temps, elle risquait bien de s'éteindre définitivement... Et malgré son sourire imminent, elle semblait plus affaiblie qu'elle ne l'avait jamais été. 

"Tu m'avais caché que tu savais bien tirer...!" murmura Vincent en posant difficilement une main sur sa plaie, et arborant une grimace de souffrance dès que ce fût le cas. Malgré cela, Hermione ne pût s'empêcher d'esquisser un maigre sourire. Vincent venait de frôler la mort de peu, par sa faute qui plus est (elle n'était d'ailleurs toujours pas sortie d'affaire), et son premier réflexe était de faire une blague. Elle ne changerait donc jamais! Submergée par l'émotion, Hermione ne pût s'empêcher de rire et pleurer en même temps. 

"Je...Je suis désolée..." articula-t-elle d'une voix glacée, étreignant toujours plus fort sa partenaire. En seule réponse, Vincent arbora soudainement un visage beaucoup plus crispé, et gifla violemment sa petite amie avec sa main mécanique (autant vous dire que Hermione sentit le coup passer). 

"Hum. Je l'ai bien mérité..." répondit-elle d'une petite voix penaude en portant sa main à sa joue toute rougie de douleur. Elle se prit alors une nouvelle baffe métallisée, sur l'autre joue cette fois-ci, et Vincent ramena sa tête près de la sienne. 

"-Alors ma petite, ça t'tient chaud?" Hermione hocha légèrement la tête, et Vincent repris : "Je ne veux plus que tu me fasse peur comme ça!" souffla celle-ci en passant sa main de chair toute ensanglantée dans les cheveux blonds de sa partenaire. 

"-C'est plutôt à moi de te dire ça..." répliqua Hermione en se laissant aller à cette étreinte. Elle poursuivit, la voix étranglée par des mots qu'elle assumait à peine : "Je ne sais pas ce qu'il m'est arrivé...

-Hé bien, tu as craqué une durite." clarifia Vincent dans une expiration qui aurait dû être un rire, mais se révéla au final être un toussement plus proche du coâssement que d'autre chose. Esquissant un maigre sourire plus désespéré qu'heureux, Hermione continua : 

"Et par ma faute, tu est à nouveau... Oh... Tu est à nouveau dans un terrible état, tout ça à cause de moi!

-Hein? Comment ça 'à nouveau'? 

-Enfin, tu t'en souviens bien! Le jour de notre rencontre... Tu sais, les zombies, le lampadaire, ton bras droit...

-Oh, je n'en reviens pas que tu te blâmes encore pour ce petit accident de rien du tout!

-Un petit accident de rien du tout qui t'as coûté un bras... 

-Allons, ne pleure pas pour ça. Un bras, ça se remplace plus facilement qu'un coeur..." acheva-t-elle lentement, pesant chacun de ses mots. Ne sachant que faire ou que dire, car elle se doutait que n'importe quel geste ou parole n'aurait jamais été assez suffisants pour excuser son attitude et son geste inexcusable, Hermione continua de répéter, impuissante "Je suis tellement désolée..." Elle resta bien une minute entière à ne dire que cela, après quoi elle poursuivit dans un mélange de gémissements et d'apitoiement face à son propre pathétisme : 

"Je comprendrais que tu ne me pardonne jamais... Et...que tu veuilles mettre un terme à notre relation..." Vincent alors éclata d'un rire très franc qui surpris sa partenaire, cette fois-ci parfaitement audible, et qui résonna à travers toute la pièce, maintenant inondée de l'eau contenue dans tous les aquariums sur lesquels Hermione avait tiré. Puis, alors qu'Hermione était sur le point de lui demander la raison d'un tel esclaffement, elle reprit son sérieux et dit sur un ton affirmé en fixant la Shérif droit dans les yeux : 

"Moi, je te pardonne. Je te pardonnerai toujours. Tu as eût des jours sans, ça arrive à tout le monde. Et je veux croire le plus fort possible que ce qui c'est passé était un accident, car c'en était un. Tu n'étais pas toi même. Mais la vraie question, c'est plutôt si tu parviendras à te pardonner toi..." A ces mots, Hermione se remit à pleurnicher face à la bonté immense de sa petite amie. Qui d'autre, en ce monde, aurait pardonné une tentative de meurtre de la part de son ou sa compagne aussi facilement que Vincent; et qui même, selon Hermione, lui accordait la grâce du pardon un peu trop vite? Elle en était presque au point de demander une nouvelle baffe! Mais Vincent avait raison... Hermione ne se sentait pas prête à accepter ce qu'elle avait fait si vite, et peut-être devrait-elle vivre avec cette hantise jusqu'à la fin de ses jours. La hantise d'avoir tiré de sang froid sur sa compagne... La profonde blessure au torse de Vincent serait là pour le lui rappeler chaque jours, ou chaque fois qu'elles se retrouveraient toutes deux dans le confort de l'intimité (si compté que Vincent veuilles encore partager son lit avec la personne lui ayant littéralement tiré dans le coeur, et pas de la manière la plus romantique qui soit). 

"Je ne pense pas que j'en serai capable..." murmura-t-elle tristement en réponse à ce que Vincent venait de dire. L'acolyte poussa un petit soupir. Alors que sa voix se faisait de plus en plus faible et étouffée sous l'horrible douleur qui devait l'assaillir en ce moment quand bien même elle feignait d'aller foncièrement bien, elle dévisagea Hermione d'un regard plein de douceur et demanda : 

"Hé, tu peux fouiller dans la sacoche à ma ceinture?" Elle cracha malgré elle une gerbe de sang juste après, ce qui effraya Hermione. Néanmoins, la Shérif s'exécuta, pensant que Vincent devait avoir dedans un quelconque remède qui aurait pu atténuer sa douleur. Cherchant donc une quelconque fiole à l'intérieur de la sacoche, elle n'en sortit qu'une petite chaînette qu'elle était sûre d'avoir déjà vue quelque part.

"Ah, parfait. Tu as trouvé!" s'exclama l'acolyte toujours plus mal en point, en relevant difficilement la tête, chose que Hermione la convainc d'un geste de ne plus faire, pour ne pas aggraver davantage son état. Qui sait, le moindre mouvement pourrait accélérer son saignement... Elle poursuivit : "Tu t'en souviens? C'est ma mère qui nous l'a donnée à GreySmith." Hermione fixa la chaînette avec des yeux tout ronds. Elle tourna alors sa tête vers Vincent, celle-ci continuant : "On transmet cette babiole depuis plusieurs générations dans ma famille. On est sensé la donner à... hé bin, à la personne qu'on veut épouser. Une chaîne, c'était moins cher à faire fabriquer qu'une bague, d'après mon arrière arrière arrière grand papy."

-Ah." Dans une expression très neutre, Hermione prit cette information pour ce qu'elle était, qui rentra dans une de ses oreilles et ressortit par l'autre. Après quoi, les paroles de Vincent semblèrent malgré tout revenir à son esprit aussi vite qu'elles en étaient parties, et ses yeux n'en devinrent que plus ronds, semblables à des petites billes azurées. Elle ouvrit grand la bouche, mais aucun mot ne s'en échappa si ce n'est de petits grincements gutturaux provenant du fond de sa gorge.

"Ça te dirait qu'on s'marie, toi et moi?

-Qjvktdfr... Trwzpbl...

-Ouais, mon charme légendaire a toujours laissé les filles coites; je sais! 

-V-V... qu-t...h...je...

-Je sais que c'est sans doute pas le meilleur moment parce que je sors ça de nulle part, et qu'en plus ma santé laisse pas mal à désirer actuellement. Mais si je laisse ma peau ici, je pense que c'est l'occasion ou jamais. 

-M-M-Mais...mais...mais...?!

-Oh, ma p'tite Hermi', je savais bien que tu réagirais comme ça! Enfin, on se connaît depuis un bout de temps, et j'ai pas assez de mots pour te dire à quel point je t'aime. Je sais, je sais, ça fait bateau, mais bon... Je t'aime depuis que tu as voulu retirer ce lampadaire de mon bras, et tu est la seule femme à laquelle j'ai été fidèle jusque là. Mon coeur est tout à toi, même si actuellement...heu... Bref, je t'aime! Alors, c'est un oui, ou c'est un non?" Il fallut attendre un certain temps pour que la réponse d'Hermione ne daigne se faire audible.

"-...Je te tire dessus, et toi tu me demandes en mariage?

-Le romantisme à son paroxysme!

-Hé...tu ne crois pas si bien dire!" Hermione ne pût s'empêcher de sourire béatement, et elle embrassa fougueusement Vincent. 

"J'ai juste une condition." dit l'acolyte en laissant sa partenaire se coller contre son corps.

"-Laquelle?" appréhenda Hermione.

"Ne me donne plus l'occasion de te gifler. Je déteste ça! 

-Tu...tu regrettes de l'avoir fait? 

-Peut-être pour la deuxième fois. Par contre, tu avais entièrement mérité la première!

-Bah, tu as raison... Dans tous les cas, j'accepte ta condition!

-Bien! Je prends ça pour un oui! Alors ne faisons plus rien d'insensé qui pourrait se retourner contre nous, et ce mariage devrait durer pour longtemps!

-Ça me va. Mais avant, il faut que l'on te trouve un médecin. Il est hors de question que tu meures juste après toutes ces belles paroles, c'est moi qui te le dit!

-Oui, oui, on va faire ça. Mais avant, passe-moi ton bras." La Shérif s'exécuta, laissant Vincent accrocher à son poignet droit la marque de leur union, et de leur amour que désormais plus rien ne saurait ébranler. 

Échangeant un nouveau baiser, le premier qu'elles s'accordaient en tant qu'épouses, Hermione Lisbeth Tinker et Vincent Théodore Archer partagèrent une chaude étreinte, en dépit de l'eau froide des aquariums qui leur montait désormais, allongées comme elles l'étaient, jusqu'à la moitié du corps.

Heureuses, elles fermèrent les yeux.


Découvrez vite la suite au chapitre suivant : "Un voeu pour Jeffrey"!

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top