De la Bergerie U Vallone à Manganu (1ère partie)
Morgan se réveilla à trois heures du matin. Malgré ce réveil prématuré et un sommeil perturbé, le Parisien ne se sentait pas fatigué. Il sortit de sa tente pour se rendre aux toilettes et, en revenant vers son campement, il fut surpris de se trouver face à Lena.
Il décida de lui poser la question qui l'avait taraudé après leur altercation :
— J'ai signé un contrat, tu as l'obligation d'assurer ta part du marché.
Malgré lui, son ton était sec et menaçant. La Corse, cependant, ne se laissa pas intimider :
— Tu me menaces ? Je suis au courant pour le contrat, merci. Hier soir, j'étais furieuse contre toi et les mots ont dépassé ma pensée. Cependant, je peux toujours faire jouer une clause que tu n'as sans doute pas lue.
— Ah oui, laquelle ?
— Si l'un des guides estime que le client met en danger sa vie et celle de ses accompagnants, la randonnée est stoppée et une partie de la somme payée remboursée.
— Sauf que ce n'est pas ce que tu as dit hier soir.
— Cesse d'employer ce ton avec moi ! Si tu n'étais pas aussi stupide, on ne serait pas en train de se prendre la tête au beau milieu de la montagne. Je te donne une dernière chance Morgan. Ensuite, si tu es incapable de te comporter comme une personne civilisée, je t'assure que je mets un terme à notre collaboration. Maintenant, puisque tu es réveillé, va te préparer. Aujourd'hui, on double l'étape. Et je dois dire que cela m'arrangerait si nous partons un peu plus tôt que l'horaire prévu.
Morgan se hâta de ranger ses affaires. Il avala deux barres énergétiques avant de quitter les lieux car il n'avait pas faim. Lena indiqua qu'il ferait une pause au refuge de Ciottulu di i Mori, la fin de la première partie du parcours de la journée. Si tout se passait bien, ils l'atteindraient après trois heures trente de marche.
Comme il s'y attendait, Morgan fut ignoré par Rafael. Ce dernier prit la tête de leur petit groupe et le trajet s'effectua en silence. Le sentier passait à travers la forêt avant de franchir un petit ruisseau pour rejoindre le Vallon de Focce Chialla. Une montée très raide, à travers les barres rocheuses, attendait les randonneurs avant de parvenir à la Bocca Di Fuciale. Finalement, c'est avec une heure d'avance sur le timing prévu que Morgan atteignit le refuge de Ciottulu di i Mori.
Lena l'informa qu'ils allaient prendre un vrai et complet petit déjeuner avant de reprendre la route. Il était à peine six heures et demie et la plupart des randonneurs dormait encore. Le Parisien ne protesta pas et savoura même l'excellente charcuterie corse qui lui fut servie avec une grande tasse de café, du pain, de la confiture et des jus de fruits.
Morgan songea qu'il serait bien resté sur la terrasse à contempler le paysage mais il lui restait encore huit heures de marche avant de rejoindre le refuge de Manganu. Cette journée risquait d'être interminable ! Pour couronner le tout, Lena vint lui rappeler quelques précautions pour leur itinéraire du jour :
— Nous ferons halte au lac de Ninu. C'est un endroit où nous trouverons des chevaux, des cochons et des vaches en liberté. Si tu pouvais éviter de les...effrayer, ce serait bien.
— Je déteste les animaux, je ne compte pas les approcher et je me retiendrais de hurler quand je les verrai, j'ai retenu la leçon ça va.
Tandis que le petit groupe suivait un sentier qui plongeait dans le vallon et descendait le long du Golu, Rafael voulut s'arrêter à l'un des spots permettant de profiter d'une baignade agréable mais Lena refusa en indiquant que la météo était instable. En effet, un risque d'orage pour la fin de la journée avait été annoncée et la jeune femme voulait à tout prix éviter de se retrouver coincée dans la montagne sous le déluge et le tonnerre.
Elle en profita pour rappeler à ses compagnons de route d'être prudents : les cailloux étaient glissants et elle tenait à éviter un accident.
Après avoir traversé le Golu à deux reprises, contourné un troupeau de chèvres à proximité des Bergeries de Radule, Morgan fut ravi de revoir une route goudronnée à Castel de Vergio. Mieux encore, l'endroit comportait un hôtel où il fut enchanté de pouvoir utiliser des toilettes propres contrastant avec certains réduits malodorants des refuges.
Dans le hall d'entrée, il manqua de faire tomber une touriste qui ne prit même pas la peine de lui adresser la parole, bien trop occupée avec son smartphone. Le jeune homme, en entendant son ton plaintif, s'arrêta quelques instants :
— Oh ma chérie je suis vraiment désolée, je ne pourrais pas venir. Je suis hospitalisée depuis deux jours. Un virus, quelque chose comme ça, les médecins ne savent pas encore.
Se sentant observée, la vacancière tourna la tête pour rencontrer le regard interloqué de Morgan. Elle rougit et s'enfuit à l'extérieur.
Rafael, qui n'avait rien perdu de la scène, maugréa :
— Décidément, la connerie humaine n'a plus de limites !
Le Parisien acheta ensuite à l'épicerie adjacente de quoi se faire un bon déjeuner : pain frais, sardines, jambon et fromage. Il se laissa même tenté par du saucisson corse.
Lena le pressa de finaliser ses achats, elle avait prévu la pause repas un peu plus tard dans la montagne. Un autre groupe de randonneurs se joignit à eux et au regard que fit Rafael, Morgan se douta que leur pause allait prendre une tournure épique.
Une femme d'une trentaine d'années s'assit à côté de Lena. Le Parisien se rapprocha d'elles sous prétexte de vérifier quelque chose dans son sac puis, tout en dégustant son déjeuner, il écouta leur conversation avec attention.
— Dite mademoiselle, vous êtes d'ici vous ?
— En effet.
— Est-ce que vous pourriez m'indiquer où je peux trouver des cars qui suivent les cochons dans la montagne ?
Lena avala de travers et la randonneuse lui tapota le dos avec un regard bienveillant. Sans attendre la réponse, elle enchaîna ensuite :
— Tiens, il y a des animations dans les refuges, parce que bon le soir c'est mort.
— Il arrive que certains organisent des soirées spéciales chants corses.
— Ah. Et c'est quoi ?
— Euhhh des Corses qui chantent en corse.
— Ah. Je vois.
Rafael et Lena se dévisagèrent en échangeant des regards exaspérés. Le compagnon de la femme s'approcha d'eux, un téléphone à la main et le visage inquiet :
— Dites, excusez-moi de vous déranger mais on est dans le même fuseau horaire qu'en France ici ? Parce qu'à l'hôtel De Castel de Vergio, j'ai essayé de joindre mes parents mais personne n'a répondu. J'avais du réseau pourtant, alors je me demande...
Rafael rétorqua d'on ton sec :
— Monsieur, la Corse est un département français. On roule à droite, on paie en euros et oui, c'est le même fuseau horaire. Renseignez-vous avant de poser des questions idiotes !
— Ah mais je préfère demander. Donc les timbres que j'ai ramené de métropole, je peux les utiliser sur les cartes postales ?
Le Corse leva les yeux au ciel. Puis, sans prendre la peine de répondre, il se leva et se tourna vers Morgan :
— On y va. On a encore du chemin à faire. Et si jamais tu te posais la question, oui on peut utiliser les timbres qui viennent du continent !
Ils suivirent le tracé, très raide, jusqu'au col de Bocca San Petru. Au loin, le Parisien aperçut des nuages bien noirs. Ce n'était pas bon signe du tout !
Tandis qu'ils progressaient à un rythme soutenu, le jeune homme constata qu'ils avaient quitté l'ambiance forestière et les sentiers ombragés pour un chemin rocailleux où il était primordial de faire attention à chacun de ses pas. À plusieurs reprises, Morgan dût s'employer et faire un peu d'escalade pour franchir certains passages mais il avait déjà connu pire sur les étapes précédentes.
Enfin, le petit groupe arriva au col de Bocca Stazzona qui dominait le paysage et offrait une arrivée sur le lac de Ninu, unique en son genre. Le Parisien s'extasia devant les pozzines, ces pelouses épaisses parsemées de trous d'eau tourbeux. Il aperçut au loin quelques chevaux et cochons sauvages broutant paisiblement l'herbe fraîche. Un sentiment de béatitude l'envahit : il était heureux d'être là paumé au beau milieu de nulle part. Finalement, même s'il enchaînait les galères et les prises de tête avec ses deux guides, Morgan réalisa qu'il commençait à apprécier sa randonnée.
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Quand ce n'est pas Morgan ce sont les autres touristes qui ont des paroles malheureuses...(Et je vous confirme que je n'invente rien à ce sujet !)
Lena est revenue sur sa décision mais notre cher Parisien sait qu'il n'a plus droit à l'erreur au risque de se voir abandonné au beau milieu de la montagne corse ! (nan je plaisante on n'ira pas jusque là ! haha)
La dernière fois que Morgan a rencontré une vache ça a failli très mal se passer. Maintenant qu'il va être confronté à des cochons et des chevaux, qu'est-ce que ça va donner ???
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