Prologue (nouvelle version)

Le cœur lourd, je m'approche de Kallen. Il est assis dans son fauteuil noir, regardant un tournoi de pétanque. J'observe, nerveuse la télé en triturant mes doigts dans mon dos. Le joueur lance une des trois boules. Elle dépasse le cochonnet. Sous la tristesse des spectateurs, le barbu affiche un faux sourire en s'écartant.

— Kallen ?

Ma voix tremble. Elle montre mon état d'esprit. Perdue, blessée.

— Ça ne peut pas attendre après ?

Le tournoi passe avant moi. La télé, tout court, passe avant moi.

— Non, répliqué-je en me redressant.

Je me déplace, jugeant nécessaire de lui gâcher le sport. Il n'y a visiblement qu'ainsi qu'il m'écoutera.

Kallen soupire en écrasant le bouton mute de la télécommande. Il la lance au loin dans le canapé, puis plonge ses prunelles dans les miennes.

— Si c'est pour des vacances, je t'ai déjà dit qu'on verra ça pour l'été.

Il tire toujours des conclusions hâtives. Ça m'exaspère.

— Non, on doit parler... de nous. Enfin, j'ai quelque chose à te dire.

Je conclus ma phrase en gesticulant sur place. Son regard désintéressé s'attarde sur mes hanches, puis ma gorge. Il lève enfin les yeux au ciel en croisant les bras contre son torse.

— Encore ? Bon, écoute. T'es magnifique, t'es la plus talentueuse des stylistes et tu vas réussir le réveillon. Ok ?

Son ton expéditeur ne me plaît gère. Ses mots sont touchants. J'aime qu'il m'encourage ainsi. C'est important. Mais je ne suis pas dupe.

— Maintenant, je peux regarder la télé en paix ? ajoute-t-il en secouant sa main pour que je m'écarte.

Mes poings se serrent. Encore une fois, il expédie la conversation.

— Ce n'est pas ce que je souhaite entendre, signifié-je.

Son sourcil droit s'arque. Comprenant que je ne suis pas d'humeur, il affiche une moue séductrice en se levant d'un bond. Sa main glisse dans mes cheveux mi-longs. J'inspire et expire lentement.

Aucun papillon dans le ventre, ni désir.

— T'es hyper sexy quand t'es agacée.

Son souffle glisse sur mon front. Devant moi, il se baisse pour saisir mes lèvres de sa bouche. Je fais un pas en arrière tout en croisant mes bras contre ma poitrine.

— Kallen. J'ai réfléchi.

À mon tout strict, mon futur époux se crispe. Ces simples mots lui décrochent une frousse incroyable. Je le remarque à son visage transformé par la peur.

— Tu n'es pas prête pour le mariage, c'est ça ? On en a déjà parlé, Ruby. On ne peut pas le décaler pour une angoisse. Tu devrais voir un psychologue.

Kallen devrait être en quelque sorte mon psychologue.

Mon fiancé qui m'écoute, me supporte. Pas celui qui écoute à moitié mes phrases. Oui, un psychologue serait le bienvenu, je l'admets. Mais il m'inviterait à discuter avec Kallen. Or, ce dernier fait la sourde oreille. C'est une boucle sans fin. Et aujourd'hui, j'ai décidé de quitter cette boucle qui m'abîme cœur et âme.

— Ce que j'ai à dire est un peu compliqué. J'aimerais que tu ne m'interrompes pas. J'ai besoin de tout te dire.

Il est frustré. Il m'incite à parler en se réinstallant dans le canapé. Sa jambe droite passe sur sa cuisse gauche.

— T'es sûr que tu veux gâcher cette soirée ? Pour une fois que tu tires ton nez de tes dessins. On pourrait s'amuser un peu. Ça te dériderait. Si tu continues à froncer des sourcils, tu auras plus de rides que ton père !

Il rit à sa blague. Loin d'être mon cas, je l'observe impassible.

Comment ose-t-il impliquer mon boulot ? Les rares fois où j'esquisse des croquis sont la nuit, lorsqu'il dort, quand je suis seule ou quand il est occupé. Jamais, je n'ai pris une feuille et un stylo pour dessiner sous son nez en sa compagnie. Quand bien même j'en ai parfois très envie.

Je marmonne dans ma barbe.

— On ne règle pas tout en faisant l'amour, sifflé-je.

— Je pense le contraire.

— Non. On met de côté les problèmes pour, au moins, un orgasme. Mais ces problèmes reviennent et parfois plus fort.

L'ambiance du salon est chargée. Vu la tension, je décide d'être directe. J'ai assez ruminé pendant des heures.

— Il n'y aura pas de mariage, tout court.

À ma déclaration, les paupières de Kallen s'écarquillent d'effroi. Il saute sur ses pieds et m'attrape par les épaules. Son allure sûre de soi a disparu, laissant place à de la crainte.

— Attends, comment ça ? Tu ne veux plus m'épouser ?

Oh, bah voilà ! Il désire enfin que je parle. Ou plutôt m'écouter.

— Tu l'aurais compris si tu m'écoutais plus souvent.

Mon ton tranchant a le don de le rider. Il se vexe en resserrant mes épaules entre ses doigts brûlants.

— Ne fronce pas tes sourcils, tu vas avoir des rides, répété-je amer.

Il ignore ma pique.

— T'as un amant ?

Cette question est invraisemblable ! Comment a-t-elle pu lui traverser l'esprit ?

— Non ! Bien sûr que non ! Comme je te l'ai dit, j'ai réfléchi. Je... crois que...

Je peine à dire le fond de mes pensées. Mais il le mérite. Je ne pourrais pas me regarder dans un miroir sinon. La vérité est nécessaire, même s'il s'en offusque.

— Que quoi, putain, Ruby ! Quoi ?

Il hurle désespéré par le suspens que je donne. Le voir dans cet état fait monter les larmes à mes yeux.

Il ne s'y attend pas. Je vais briser égoïstement son cœur pour mon bonheur, ma santé. Parce que je ne peux plus accepter d'être avec lui.

Au fil des mois, mes sentiments se sont envolés. Je me berçais d'illusions, me disais que mes désirs étaient trop hauts. Qu'on ne pouvait pas être dans un état d'euphorie ou de joie tous les jours. Qu'on ne pouvait pas supporter son amoureux tout le temps. Que c'était normal que mes sentiments laissaient place à... rien, justement.

Je n'éprouve plus rien. Ni amour ni désir depuis des semaines. Que dis-je ! Des mois.

Au début, selon, Alice, qui est passée par là avec son ex-mari, c'est le quotidien. Nous entrions dans une boucle infernale. Du type métro-boulot-dodo. Et ce, même sans habiter ensemble.

Je bosse. Je mange le midi au travail. Le soir, je retrouve Kallen chez lui et un week-end sur deux, chez moi. Toujours la même activité le vendredi ; jeu de cartes. Quant au samedi ; sexe. Puisque le lendemain, nous n'avons pas à bosser.

Voilà l'aperçu de ma future vie à ses côtés. Toujours la même rengaine. Je ne demandais pas la lune. Juste qu'il m'écoute, accepte de changer de temps à autre notre planning.

La réponse commune à toutes mes demandes ; oui.

Le nombre de fois où on a changé notre programme : 0.

Parler dans le vide est mon plus grand pouvoir !

— Je ne ressens plus rien pour toi, lâché-je avec difficulté. Sache que ce n'est pas toi, c'est moi, je ne suis pas prête...

Ma gorge est sèche. Mes doigts tremblent sous la vive émotion qui me gagne. Le dire tout haut est déroutant, mais apaise mon cœur jusqu'alors lourd. Mes épaules se relâchent. Je me sens plus légère.

— Tu plaisantes ? C'est quoi ? Une crise parce que t'as vu sur le Net que tu ne jouis pas assez avec moi ?

— Tout ne se rapporte pas qu'au sexe, Kallen, persiflé-je en m'éloignant.

Je contourne le canapé, prête à récupérer mon sac. J'ai besoin d'air et de me calmer.

— Ruby, attends ! Je... Explique-moi ce que ça signifie !

Je me stoppe net à l'encadrement de la porte. Mes pieds coulissent au sol. Je me retrouve face à Kallen. Les traits de son visage renvoient toute la tension et l'incompréhension qui le traverse.

— J'ai besoin de me retrouver.

— Tu ne vas pas me larguer à trois mois du mariage ?

Muette, j'examine avec plus d'attention sa réaction. Rictus narquois aux lèvres, épaules décontractées. Je ne retrouve pas le stress. Me croit-il ?

— Tu te marierais avec une personne pour qui tu ne ressens plus rien ?

Sans réfléchir, Kallen acquiesce en souriant. Je prends de plein fouet sa réponse. Mon cœur tambourine comme un fou.

— Pour toi, ça signifie quoi, le mariage ?

— Deux personnes qui se lient jusqu'à la fin de leurs jours, répond-il sûr de lui. La femme prend le nom de l'homme et l'homme prend la femme.

Fier de sa vanne, il m'en décoche même un clin d'œil en levant son bras en direction de ma joue.

— Donc pas d'amour ?

— Bien sûr que si. Mais en général, du moins maintenant, on s'épouse lorsqu'on s'aime. Et quand ce n'est pas le cas, bah l'amour vient au fil du temps.

— Et si c'est le contraire ? hésité-je en baissant les yeux. Et si l'amour s'estompe ?

— Tu ne sais pas ce que tu dis, Ruby. C'est juste de la peur. Allez, terminons cette conversation sur des notes positives ! Un verre de vin ?

Il est déconnecté de la réalité. Il comprend la moitié de ce que je dis. Ou il ne veut pas comprendre.

— Kallen, tu fuis mes mots. Je sais que c'est difficile. Ça l'est aussi pour moi. J'ai passé des heures et des heures en boule, à pleurer et... Enfin, j'ai compris. Je n'y arrive plus. Toi. Moi. C'est impossible.

— Ruby... T'es pas sérieuse ? Je n'aime pas les blagues, tu le sais bien.

J'inspire lourdement, tentant de chasser les sanglots qui menacent d'éclater. Lorsque mes larmes coulent sur mes joues et que je suis proie à des spasmes, Kallen jure. Il se recule en maugréant.

— Putain de merde ! T'es pas en train de me faire ça ? C'est qui le connard qui te baise ?

Sa grossièreté et sa colère me surprennent.

— Je n'ai personne et tu le sais bien, lancé-je en attrapant mon sac à main et ma veste. Tu m'aurais déjà cramée et ça ne m'est jamais venu à l'idée, Kallen.

Il cherche juste une excuse misérable pour me salir, car il refuse la vérité. Il refuse que je puisse ne plus l'aimer. Il cherche à se voiler la face. Pourtant, Kallen me connaît très bien. Il sait comment je suis. Si j'en viens à mettre cartes sur table, c'est parce que je n'en peux plus. Que je supporte plus de mentir. Que ce soit à lui ou à moi.

J'attends sa réponse, une réaction. Mais, muet, il fixe un point sur le mur du salon.

Je m'éloigne, décidée à quitter son appartement. Je n'ai pas la tête à entendre des insultes. L'air me manque. Dans le hall, j'attrape mon sac à main et ma veste noire.

— Où tu vas comme ça ? Tu crois que tu peux me larguer et filer ainsi ?

J'enfile ma veste en m'excusant. La bandoulière autour de mon épaule, je m'empare des clés en tremblant.

— Oh ! hurle-t-il en me rattrapant dans le hall. Tu ne vas pas sortir, là ! C'est qui l'enflure qui...

— Je te l'ai dit ! Je ne te trompe pas. Mais je me trompe en continuant à me voiler la face. Je...

— T'es qu'une putain de menteuse ! Dis-moi son nom que je lui refasse le portait !

Il me saisit brutalement par le bras. Je suis tirée en arrière. Bien vite, je me retrouve face à sa colère. La pression sur mon bras est forte. Il ne maîtrise pas sa force.

— Nous en reparlerons quand tu seras calme, soufflé-je en me libérant de son emprise.

— Mais je ne vais pas te laisser filer ! Je t'aime, Ruby, putain. Tu comprends ça ? Tu es à moi, chérie. Tu ne peux pas me quitter pour des conneries pareilles !

Je suis outrée. Ma mâchoire est décrochée. Je peine à contenir mon sang-froid.

— Des conneries ? Ma santé est une connerie pour toi ? Mon bien-être aussi ?

Je m'époumone, les yeux humides et les joues trempées.

— Si tes sentiments étaient forts, tu ne te soucierais même pas de ça !

La conclusion de ses mots m'outre de plus belle. Est-il en train de prétendre que les sentiments sont plus importants que sa propre santé ? Que par amour on doit se mettre de côté ? Accepter d'être mal ?

— T'as tout compris ! sifflé-je avec énervement. Je ne sais pas comment ni quand ce n'est arrivé, mais mes sentiments... ils ne sont plus là. Je m'en suis...

— C'est ce que tu penses, Ruby, me coupe-t-il sur un ton sec. Tu vas tout avoir en te mariant avec moi. Une maison, un jardin, des enfants. Quand ce sera le cas, tu seras de nouveau heureuse.

Je ne peux même pas m'exprimer. Lui dire ce que j'ai sur le cœur. Il préfère me couper la parole pour débiter des conneries.

— On n'a pas besoin de ça pour être heureux, rétorqué-je sur un ton plus bas. Je devrais avoir besoin que de toi. Et...

— Ce n'est pas le cas, c'est ça, termine-t-il en serrant ses poings.

Je ne sais pas quoi répondre à part désolé. Je me sens si mal de lui infliger ça.

Quand ai-je commencé à douter de nous ? De moi ? Je ne saurai dire. Ce foutu dé-clique a mis un merdier dans ma tête. Ai-je eu raison d'y faire attention ? N'aurais-je pas dû l'ignorer ?

Tout au fond, je sais que j'ai eu raison. Ignorer aurait été pire. Dans une poignée d'année, j'aurais fini par regretter. Du moins, j'essaie de m'en convaincre.

Kallen étouffe un rire nerveux. Il m'indique de la main la porte d'entrée.

— Pars, somme-t-il.

Je n'ose pas bouger. J'ai peur de sa réaction. J'aimerais tellement qu'on en parle tous les deux. Qu'on soulève la question, qu'on tente encore une fois de se faire des promesses.

Promesses qui ne seront pas tenues, bien sûr, comme toujours.

J'aimerais qu'il me retienne, décide une bonne fois pour toutes de m'écouter. Nous avions besoin de ça. Une conversation profonde et sincère.

— Allez, casse-toi, putain ! Je veux plus voir ta gueule !

En peu de temps, je déverrouille la porte et fuis. Sans me retourner. En ignorant ses sanglots naissent et qui disparaissent au fur et à mesure que je dévale les escaliers.


Coucou !

Voilà, je publie petit à petit la nouvelle version (Sur Muple, un jour avant ;) )

J'espère que vous allez aimer les changements ! Je m'amuse encore à rajouter des petites scènes...

À vrai dire, certaines choses devaient être dans la version initiale. Mais j'avais douté et mis de côté ces idées. Sur le coup, j'ai décidé de les mettre ! (par exemple que Laszlo et Ruby se connaissent. je m'étais dit que c'était proche de Zackaria, mais finalement c'est un peu diffèrent et ça rend plus facile leur histoire... ;) )

Merciii pour avoir lu <3

LT

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