Chapitre 4

Le pâtissier s'applique à la tâche. Il me propose d'autres mets, que je goûte avec appétit. Ce rendez-vous se passe mieux que prévu. Laszlo Harvey a bel et bien accepté de travailler pour moi ! La joie se peint sur mon visage. Mes lèvres restent étirées en un large sourire. J'ai limite envie de sautiller sur place.

Au loin la cloche de la boutique sonne. Laszlo s'excuse et quitte son atelier de création. Loin de moi l'idée de fouiller, mais j'en profite pour détailler la salle. Elle est grande et longue. Trois frigos imposants se dressent tout au bout. Sur le plan de travail utilisé, un robot pâtissier, des bols et des ustensiles propres sont posés. Avec cela, des gâteaux fraîchement créés. Du moins, ceux qui n'ont pas encore été dévorés. Le reste du matériel est rangé sous les tables. Les murs sont assez simples, blanc, et le sol en grands carreaux noirs.

La boutique est bien plus percutante. Elle impose et témoigne d'une très bonne qualité. Le contraire de la fabrique. Rester si simple avec une telle réputation me fascine.

Mon téléphone sonne. Ma main s'engouffre dans mon sac et le sort. L'écran affiche le prénom de Kallen. J'hésite. L'appel se termine et se relance. Il ne me lâchera pas. Autant répondre et passer à autre chose.

— Oui, allô ?

— Passe à la boutique Tout pour Elle. Ton père t'a pris une robe et tu dois l'essayer au plus tôt.

Même pas un bonjour. Sa voix est froide, dénuée de sentiments. Comme à son habitude, quand il est seul avec moi.

Je peste tout bas.

— Hein ? Une robe pour quoi ? Pourquoi n'est-ce pas lui qui me prévient ?

— Pour le mariage et il m'a demandé de le faire. Il est en rendez-vous important. Tu dois y être dans dix minutes. La couturière a besoin de tes mensurations au plus vite.

Mes yeux s'écarquillent. Le mariage ! Je l'avais oublié avec le réveillon de Noël. Oh bordel, milieu janvier je serais Madame Wade. La gorge sèche, j'entends quelqu'un arriver. L'appel se coupe et mes pensées s'arrêtent sur une chose. Pas sur le mariage en lui-même, mais sur la lune de miel. Un horrible sentiment s'insinue en moi. La peur. Mélangé à la honte et au dégoût. Je vais coucher avec cet homme.

Depuis l'annonce de mon futur mariage, il y a près de neuf ans, la lune de miel est ce qui m'effraie le plus. Je n'ai jamais pensé à la robe, à la danse, aux mots prononcés dans l'église. Qu'à ce moment rien qu'avec lui, dans un lit inconnu.

Mon bras retombe le long de mon corps. Je suis chamboulée par cette demande. Le délai m'horrifie bien plus que le réveillon. C'est trop proche. Mais trop tard pour me rebeller.

Me rebeller ? Suis-je sérieuse ? Tenir tête à mon père sur ce plan, jamais. Ce serait du suicide. Autant faire profile bas et accepter. À contrecœur.

— Bon, reprenons.

La voix grave et un brin sensuelle – à mon goût, suis-je folle ? – du pâtissier me tire hors de mes pensées. Je relève le visage dans sa direction, la mine fermée.

— Je suis désolée, je dois partir.

Les prunelles bleutées de l'homme s'accrochent aux miennes. Il ne me croit pas et désigne du menton une pâtisserie.

— Celle-ci, je l'ai faite hier. Un entremets à la poire et au citron. Une nouvelle recette revisitée... il y a un ingrédient secret. À vous de trouver.

D'un mouvement précis, je range mon téléphone dans mon sac. J'ignore le mets en forme de poire sur la plaque presque vide. Il a l'air appétissant, mais je n'ai pas le temps.

— Désolée, mon... enfin je dois essayer une robe de mariée. Je repasserai plus tard.

Je n'ose pas adresser un coup d'œil au pâtissier. Les mots robe de mariée m'ont arraché la bouche. Je suis presque anesthésiée. Mon cerveau cri que ce n'est pas réel. Cependant, je dois me faire à l'idée. Je vais tester une robe choisie par mon père. Je n'ai même pas pu contrôler ce point-là de ma vie. Je n'ai même pas eu le plaisir d'en imaginer une.

— D'accord, repassez après votre rendez-vous. Je suis toujours là.

J'accepte et le remercie. Sans un seul regard, je quitte sa pâtisserie et file tout droit vers la boutique de mariage. Elle est en face, à quatre bâtiments. En un rien de temps, je me présente. La couturière d'une quarantaine d'années m'invite à la suivre. Je me retrouve vite avec une robe de bal blanche sur moi. Le bustier en forme de cœur met en évidence ma poitrine. Mais la dentelle florale me couvre partiellement. Elle part de mon cou et s'arrête à mes poignets. La robe est belle, classique.

Je prends conscience avec difficulté de mon sort. Je suis promise à un homme que je n'ai pas choisi. Il n'est pas moche, loin de là. Il est riche et intelligent. Mais Kallen ne s'est jamais fait une place dans mon cœur. Même au cours de ses nombreuses années.

La couturière robuste, brune aux yeux marron place le voile sur ma tête. Dans le miroir, mon reflet m'est douloureux. Le mariage devrait être un moment magique, de bonheur. Là, pour moi, c'est bien le contraire. Je comprends toutes les mises en garde d'Alice. C'est un mariage forcé. La peur de ne jamais aimer mon époux m'étouffe. Non, pire que ça. La peur d'être bloquée avec un homme que je n'aime pas.

Je le vois m'embrasser au beau milieu de l'église. Me caresser durant la soirée. Me retirer la robe pour consommer le mariage. Toutes ces scènes me montent à la tête.

Je fonds en larme. La couturière soupire et me réconforte, me disant que la robe me va très bien. Je n'ose pas lui parler, lui dire que je n'en veux pas. Elle racontera tout à mon père, j'en suis certaine. Très vite, je passe en cabine et me change. La femme m'annonce ensuite que la robe sera prête à temps. Je la remercie à contrecœur puis quitte sa boutique.

Dehors, la neige tombe encore. Il fait plus chaud et le soleil pointe le bout de son nez. Je prends mon téléphone et appelle Alice. Elle décroche à la troisième tonalité. Sa voix est chaleureuse, contrastant avec la mienne.

— Oui ?

— Je ne veux plus me marier.

Un rire s'élève du téléphone. Mon amie s'en donne à cœur joie. Elle sait qu'elle avait raison.

— Oh, tu étais avec le pâtissier, c'est ça ? Il te plaît ?

Je soupire. Son timbre de voix est joueur.

— Non, je viens d'essayer ma robe. Toi seule sais ce que je peux faire. Alice, aide-moi.

Alice, mère au foyer d'une petite fille de deux ans, s'est mariée avec l'homme qu'elle aimait. Ils ont rompu il y a un an, mais sans embrouille. Elle lit bien plus que moi et sur tous les sujets. Je la sais féministe et lutte pour les femmes sur les réseaux sociaux. Si jusqu'à présent je la pensais trop dans son monde, j'avais tort. J'étais trop dans le mien en refusant de l'écouter. Il est peut-être temps que les choses changent ?

Je marche jusqu'à la boutique du pâtissier, tandis que mon amie me donne des idées. Mes pas s'enfoncent dans la couche de neige. J'esquisse un maigre sourire fasse à ses propositions.

— Tu peux dire non le jour j. Ou tu peux refuser de coucher avec lui. Il pourra demander le divorce pour non-consommation du mariage, mais il faudra que tu ne cèdes pas. Ou tu en parles avec ton père avant.

Je traverse la route, après qu'une voiture soit passée. Devant la boutique du pâtissier, je me stoppe. Il est là, derrière son comptoir tout souriant en servant un couple. Je renifle à plusieurs reprises. Une boule formée à ma gorge me compresse. De même qu'un poids à ma poitrine.

— Merci, j'en parlerai demain avec mon père. Mais je doute qu'il soit aussi compréhensif... Alice, merci. Vraiment pour tout.

Mon amie se dédouane et nous nous saluons. J'entre pour la deuxième fois de la journée dans la boutique du pâtissier. Ses yeux tombent sur moi. Il sourit toujours et dit au revoir aux clients.

— Je suis tout à vous, m'annonce-t-il en quittant son comptoir.

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