Volume 2 - Chapitre 9 : Un danger encore plus grand
Le bourreau affûte sa lame afin que le tranchant soit net. Il est un homme de l'art, consciencieux. Constance s'avance, lentement, mais avec noblesse, fière et droite. Elle ne court pas jusqu'à ce billot qui l'attend sur l'échafaud dressé dans la cour du Châtelet. Pourtant, elle s'y rend montrant un courage dont bien des hommes seraient envieux dans ces moments de détresse profonde.
Majestueuse dans sa robe bleue et blanche, le visage marqué par la douleur et les larmes qui ont coulé, elle avance. Le pas est lent mais ferme. Elle ne donnera pas à Rochefort qui observe depuis le sommet des escaliers le plaisir de la voir tomber ou supplier. L'orgueil la tient fièrement droite, mais elle avait encore tant à dire à d'Artagnan, tant à vivre avec lui qu'elle avait enfin accepté d'aimer librement. C'est la raison de ces larmes. Et la reine, son amie, à qui elle a juré cette fidélité qui aujourd'hui la conduit à cette lame brillante, étincelante, dont son sang ternira l'argent rutilant dans un moment. Elle l'abandonne mais ne l'a pas trahie, fidèle jusqu'au bout à sa parole. Une femme d'honneur. Fière.
Elle aurait aimé pouvoir dire ces mots à d'Artagnan, à Charles « je t'aime ». Elle voudrait el tenir encore une fois dans ses bras et sentir son souffle sur elle, son regard mais il n'est pas présent. Ce n'est pas plus mal car aurait-elle cette même force de défier Rochefort par son attitude si l'homme pour lequel son cœur vibre était là ? Rien n'est moins sûr. Hier lorsqu'elle l'a vu se faire frapper encore et encore par les gardes, elle a manqué de courage et a presque défailli. Elle a vu Tréville qui se tient aux côtés de Rochefort, contraint lui aussi d'être là, prisonnier d'un pouvoir qui le dépasse et le submerge mais il pourra parler à d'Artagnan de la femme qui s'est présentée, fière, droite, au bourreau et n'a pas tremblé ni manqué de courage. Elle espère que ce récit aidera cet homme à lui survivre. Et qui sait, à la venger un jour.
Elle sait qu'Aramis est tout près, enfermé dans cette cellule d'où il ne voit pas la cour mais conscient, pleinement conscient, du drame qui s'y déroule. A quelques pas de lui. Incapable de venir au secours de celle qu'il considère comme sa sœur. Elle se doit, pour lui aussi, de montrer force et honneur.
Ne pas ciller, ne pas flancher. Affronter. Le regard des hommes, le jour qu'elle va perdre et l'homme qu'elle aime et emporte avec elle.
- « Il s'agit d'un meurtre de sang-froid. » gronde Tréville à Rochefort.
- « Il s'agit de justice » répond le comte qui regarde avancer cette femme sans broncher, froid et insensible.
- « Vous ignorez le sens de ce mot » lâche Tréville amer et profondément choqué par ce qu'il est obligé d'endurer et de faire endurer à Constance pour qui il éprouve du respect et à cette heure de l'admiration.
Refusant le bandeau que le second lui offre, Constance dit :
- « Non. Je veux contempler ce monde autant que possible avant de le quitter. »
Puis baissant la tête, elle s'efforce de se mettre à genoux sans chuter. Alors que la lame est lancée par le bourreau, un visage s'approche d'un interstice entre les lames de l'échafaud, elle reconnaît d'Artagnan. Rêve-t-elle ? Délire-t-elle ? Mais un coup de feu, parti du pistolet que tient d'Artagnan la fait tressaillir et la ramène à la réalité. Elle est vivante, le bourreau, lui s'est effondré, mortellement touché d'un tir ajusté.
Puis tout s'accélère, d'Artagnan sort de sa cache, l'appelle et l'invite à monter sur le cheval qu'il vient de monter. Les hommes crient. Tréville repousse Rochefort, Athos ôte son masque et empoigne un autre cheval puis attrape Tréville alors qu'une explosion ouvre les portes du Châtelet d'où les deux montures s'enfuient, emportant au loin les trois hommes et Constance, sauve.
Ils savent qu'Aramis a entendu l'action qui s'est déroulée non loin de lui. Ils ne peuvent prendre le risque de le délivrer encore, les gardes rouges sont partout et en surnombre. Mais ils espèrent que cela lui donnera le courage de tenir jusqu'à ce qu'ils parviennent à le délivrer. Leur façon de lui faire comprendre que la famille n'abandonne aucun des siens derrière. Jamais. Tous unis. Tous pour un et un pour tous.
A l'extérieur les mousquetaires fidèles à leur capitaine et leur famille de cœur ont préparé la sortie des deux frisons qui conduisent Constance et ses amis vers la liberté. Une liberté toute relative mais qui représente déjà tant pour elle.
Porthos parvient enfin à la frontière entre le pays basque et l'Espagne. Porteur de la fausse lettre de Rochefort, il a retiré tout ce qui pourrait le rendre identifiable aux yeux des Espagnols comme étant un mousquetaire et il va enfin rencontrer Vargas à qui il doit remettre la lettre en se faisant passer pour un domestique. Il se doute qu'un piège a été tendu par l'Espagnol. Mais 'y est préparé d'avance, avec un certain plaisir en vérité. Il n'aime rien de plus que l'action et l'adrénaline qui l'accompagne.
Un à un il élimine les hommes de Vargas. Le paysage accidenté des contreforts pyrénéens offre un cadre idéal à son action, car les rochers sont autant de lieux d'où il peut tirer ses ennemis en les surprenant. Il a caché, ici et là des armes qu'il avait emportées en nombre avec lui ; pistolets et rapière, poignards. Son action a té bien préparée, c'est un bon stratège sous ses dehors de brute. Il sourit, il rit même, en se battant, heureux de pouvoir, par son ingéniosité et son habileté, aider ses amis et la couronne de France. Rien ne le satisfait plus que d'être là et d'agir, d'être un rouage de cette machine qui compte bien débarrasser le roi de Rochefort.
A Paris, cachés par Milady, Constance reprend goût à la vie auprès de ses amis et de son d'Artagnan. Mais lui est aigre, amer. La vengeance lui tient à cœur et sans les conseils avisés de Tréville qui le refreine, il serait déjà parti tenter de l'assassiner.
- « Nous devrions y mettre un terme définitif. Je n'ai besoin que d'un seul tir. »
- « Tuer Rochefort ne résoudrait rien. »
- « Vous avez vu de quoi il est capable. Aramis est à sa merci. »
Mais Athos, le sermonne :
- « Aramis est un mousquetaire. »
Puis la voix de la raison leur adresse ses mots, dans la bouche de Constance, qui sous couvert d'être enthousiaste n'en n'est pas moins une femme sensée et réfléchie :
- « Ce n'est pas l'homme que nous devons détruire, ce sont ses mensonges ».
D'Artagnan fulmine, tournant comme un lion en cage :
- « Vous voulez qu'on lui laisse la vie sauve. L'homme qui était sur le point de vous faire exécuter. » Il devient mauvais quand il se sent acculé et surtout face à la traitrise du comte.
- « je ne l'oublie pas. Mais si vous le tuez maintenant, le roi pourrait ne jamais découvrir la vérité. »
Et Tréville appuie ce raisonnement judicieux et avisé en ajoutant que la mort de Rochefort ne sauverait ni Aramis ni la reine du danger qu'ils courent.
La crainte de d'Artagnan est que Porthos ne parvienne pas à capturer Vargas comme prévu et que tout leur plan échoue. Mais dans sa colère, d'Artagnan souligne une vérité : seule Milady peut encore entrer au palais, elle n'a pas été associée aux actions des mousquetaires, donc elle seule est en mesure de délivrer Aramis de ses fers et de sa geôle.
Cette idée déplaît à Athos, mais il sait qu'elle est la meilleure qu'il ait eue depuis quelques heures. Il s'y résout, à contre-cœur.
Il va donc la charger de cette délicate mission pendant qu'ils vont préparer leur départ pour rejoindre Porthos et trouver un moyen de prendre Vargas et de le contraindre de parler. Constance veut se joindre à eux. Elle a une vengeance à accomplir. Au nom de ses amis, de sa reine et en son nom propre. Elle ne veut pas être celle qui attend en silence et qui s'inquiète.
D'Artagnan enrage mais il cède :
- « Entendu. Mais quand le moment sera venu, il mourra de ma main. » en parlant de Rochefort.
Dans la nuit, les trois hommes et Constance quittent Paris pour retrouver Porthos et, l'espèrent-ils, Vargas.
Au palais, Anne souffre mille morts entendant son fils pleurer mais ne pouvant l'approcher tant elle est surveillée de près. Elle comprend la trahison de Marguerite mais non ses motifs. Profitant cependant d'une porte ouverte, elle réussi à échapper à la vigilance de ses suivantes et à courir auprès de Louis qu'elle supplie. Mais Louis est trop faible, physiquement et moralement sous l'emprise du comte. Il ne l'écoute plus. Elle est reconduite dans ses appartements et Louis se laisserait volontiers faiblir. Cependant Rochefort, ne lâche rien et dénonce au roi la trahison de Anne et d'Aramis et la vérité sur la paternité du dauphin. Ce dernier est au comble de l'agonie. Il veut savoir si des preuves existent.
Le procès d'Aramis va donc avoir lieu devant le conseil du roi. Et Rochefort compte bien assouvir sa vengeance contre le seul homme qui a obtenu ce qui lui a été refusé.
Mais Aramis ne cède pas et ne se laisse pas impressionner. Sa nuit en prison n'a pas affaibli son cœur, ni son âme et il est prêt à tous les sacrifices pour sauver ceux qu'il aime. Y compris celui de sa vie, si Anne et son fils peuvent être épargnés.
- « Nous sommes réunis ici, pour établir les faits concernant l'infidélité de la reine. Vous êtes accusé d'avoir séduit la reine lors de son séjour au couvent de Bourbon-les-Eaux et d'être le père de son enfant. Jurez-vous de nous dire toute la vérité concernant cette sordide affaire ? »
Portant la main sur la Bible que lui tend un homme, Aramis jure et relève la tête. Il défie Rochefort et se montre sous son meilleur jour, en homme droit, honnête et fidèle à sa parole.
- « Si vous mentez après avoir solennellement prêté ce serment sacré, vous condamnerez votre âme pour l'éternité En êtes-vous conscient ? »
- « Je suis conscient que Dieu est à nos côtés, en ce moment, dans cette pièce. Nous serons tous jugés pour ce qui est au fond de nos cœurs. » Homme profondément religieux, Aramis mesure chaque mot qu'il prononce face à cet homme qu'il méprise et à ce conseil qui écoute attentivement.
- « C'est, ô combien vrai » souligne Rochefort, souriant et confiant en lui. « Aimez-vous la reine Aramis ? Allez-vous tout confesser ? »
- « Je vais le faire. Je confesse savoir que vous mentez. Vous êtes un menteur dont il ne faut pas croire les promesses. Vous ne pouvez pas vous permettre que la reine reste en vie, Rochefort. Car elle sait, que vous êtes un espion de l'Espagne. Elle sait que vous êtes un meurtrier. Vous avez tenté de séduire sa majesté la reine, cela sans qu'elle vous y ait invité, sans qu'elle provoque la situation. Et maintenant vous essayez de dissimuler vos mensonges en accusant des innocents. » Puis prenant une voix forte, bien claire et audible pour que tous s'imprègnent de ses mots, « c'est Rochefort, le seul traitre ici. C'est lui véritable ennemi et c'est lui devrait être traduit en justice ». Les derniers mots sont crachés avec rage. Le regard ne cille pas, empli d'une colère qu'il maîtrise depuis bien trop longtemps et qui enfin s'exprime librement.
Tout est dit, tout est dénoncé. Et le conseil s'interroge face à ces accusations particulièrement graves.
Le roi, auditeur secret, dans un recoin de l'étage supérieur, masqué de tous, a tout écouté et tente de comprendre ce qui vient d'être dit. Il ne sait plus, il hésite. La voix d'Aramis était forte, sans faille et n'a jamais faiblit ni trahi un mensonge. Qui doit-il croire désormais ? Comme il aimait à le dire à Tréville, les mousquetaires l'ont souvent déçu, sans véritable raison mais parce que ses caprices ne trouvaient pas toujours écho chez eux, cependant ils n'ont jamais trahi le roi. Préférant les remontrances injustifiées et les acceptant sans broncher, plutôt que de trahir leur parole.
Mais Rochefort ne s'avoue pas vaincu. Se levant, il fait chercher un témoin qui n'est autre que Marguerite, qu'il tient à sa botte et qui est prête à tout pour sauver son honneur.
Aramis est troublé par l'entrée de Marguerite mais il se redresse, prêt à tout entendre. Pourtant, pour dénoncer l'acte d'Aramis, Rochefort trahit sa parole envers Marguerite, la dénonçant comme amante d'Aramis. Aux questions bien ficelées de Rochefort, Marguerite comprend alors que le dauphin est le fils d'Aramis et le dit à voix haute, affirmant cela comme une vérité intangible. Les gardes emmènent Marguerite hors de la cour, elle implore Aramis mais ce dernier ne réagit pas. Il n' pas un regard pour celle qui vient de trahir la reine et le dauphin, les condamnant à coup sûr.
Aramis perd pied, ses yeux brillent de rage mais il ne laisse rien transparaître. Il le doit à la femme qu'il aime et à son fils. Pour eux, il endure tout. Pour eux, il accepte que tous les reproches soient portés sur lui.
Fier, noble, Aramis, entend la sentence prononcée par Rochefort qui le voue aux gémonies et promet une mort douloureuse, lente, une agonie infâmante. Il reste peu de temps à l'homme pour se préparer. Son âme est prête, il le sait, il l'a toujours laissée à son Dieu, mais son corps saura-t-il tenir ? C'est ce qu'il redoute le plus, la faiblesse du corps face à la force de l'âme. Reconduit à sa cellule, enchaîné, il implore le Seigneur de lui donner la force dont il craint de manquer au dernier moment.
Marguerite, humiliée, défaite, moquée de tous, s'enferme et se donne la mort, laissant une lettre qui veut disculper Aramis, mais Rochefort la trouve et le détruit.
Le roi est trahi, son monde s'effondre et Rochefort qui le presse de condamner la reine, exerce une pression trop forte sur un homme détruit. Pour une fois, Louis se montre ferme et exige d'être seul, pour ne pas s'effondrer devant tous. Son épouse, son fils, ce qui faisait sa force s'avèrent être des leurres. Il n'a plus rien. Et plus rien ne lui importe.
A la frontière, Porthos est presque parvenu à éliminer tous les sbires de Vargas. Il ne reste plus que trois soldats pour défendre l'Espagnol. Mais le combat commence à peser sur ses épaules et alors qu'il tue l'homme, il lâche son poignard, épuisé. Un homme s'avance, pistolet au poing et s'apprête à le tuer. Mais un coup de feu éclate abattant son adversaire qui tombe à ses pieds et achevant le dernier homme qui se trouvait aux côtés de Vargas. Sauvé par ses amis qui l'ont rejoint, Porthos se relève.
Vargas menacé par d'Artagnan, Tréville et Athos, s'apprête à faire payer chèrement sa vie, quand une lame touche son cou, venue de son dos.
- « Rendez-vous, Monsieur » dit Constance, très posée.
- « Vous laissez des femmes se battre à votre place ? » s'étonne Vargas.
- « Peut-être que ces hommes sont venus se battre en mon nom ! » répond-elle directement et sans trembler.
Tréville désarme Vargas qui accepte de les suivre quand il comprend qu'ils lui demandent de trahir Rochefort qui risque de trahir l'Espagne en faisant assassiner Anne, la propre sœur du roi d'Espagne.
- « Rochefort n'a jamais reçu ordre de nuire à la reine » dit Vargas.
- « C'est un monstre que vous avez façonné. » énonce d'Artagnan.
- « Ce n'est pas un monstre. Mais il m'obéit » répond Vargas.
- « Témoignez contre Rochefort et vous sauverez la reine. « Explique Athos.
- « Si vous vous enfuyez, vous la condamnez et vous avez elle. « Conclut Tréville.
- « La capacité de Rochefort à souffrir est remarquable. Quand il nous a rejoint, je fondais de grands espoirs sur lui. Même moi, je n'aurai jamais imaginé qu'il se hisserait si haut. » Avoue Vargas, avec une certaine fierté dans la voix.
- « C'est vous qui l'avez créé. C'est à vous de l'abattre. » Achève Athos qui prononce ces mots en pensant à sa propre situation avec Anne qui, lorsqu'elle venait d'être sauvée des griffes de Catherine avait avoué à Athos qu'elle n'était que le fruit de ce qu'il avait engendré en essayant de la faire pendre. Il sait donc parfaitement le sens des mots qu'il vient de dire et en mesure toute la portée.
Reprenant la route du retour, accompagnés de Vargas que les paroles d'Athos ont achevé de convaincre, les mousquetaires et Constance se pressent de rentrer. Le temps file sous les sabots des chevaux et ils n'en disposent pas à leur guise.
Au palais, Rochefort vient se pavaner devant Anne, voulant faire croire à la clémence de sa personne. Mais Anne, le cueille à froid, faisant preuve d'une grandeur et d'une dignité qu'il avait pensé effondrées et qui le surprennent :
- « Je suis la reine de France et la sœur du roi d'Espagne. Je n'implore pas la pitié. »
Après avoir chassé les dames de compagnie, chargées de la surveillance de la reine en ces jours, Rochefort, baisse la voix et dit :
- « Il vous faut un ami. «
Anne tremble de se retrouver à nouveau seule avec cet homme qui l'a déjà agressée mais elle ne laisse rien paraître, faisant face avec courage :
- « J'ai de nombreux amis. Et ils viendront à mon aide comme ils l'ont fait pour Constance. »
Rochefort veut déstabiliser la reine, il espère encore pouvoir avoir le dessus sur elle et lui faire perdre pied. Il veut encore se l'accaparer et pour ce faire use de tous les artifices possibles, arguant que les mousquetaires sont défaits et qu'Aramis va endurer une mort odieuse et d'une souffrance inimaginable, détaillant ce que représente le supplice de la roue, pour faire céder Anne. La reine l'écoute, contrainte, mais ne laisse aucune porte s'ouvrir aux propos de Rochefort. Elle le défie alors qu'il lui avoue qu'elle a été celle qui l'a fait tenir alors qu'il souffrait l'enfer en Espagne sous la torture de ses geôliers.
Anne voudrait hurler à Rochefort qu'il est un monstre, qu'elle aime Aramis plus qu'il ne peut le concevoir, que chaque fibre de sa personne et de son cœur vit avec l'homme qu'elle a choisi. Mais elle se tait, endurant le monologue infâme de l'homme qu'elle affronte avec tant de courage. L'ardeur qu'il met à vouloir la faire souffrir ne fait que renforcer l'amour qu'elle éprouve pour celui qui s'apprête à vivre d'atroces souffrances, pour elle, pour son fils, au nom d'un amour véritable. Elle a peur, pour eux trois. Mais surtout pour Aramis. Mais pour lui, elle doit résister et faire front.
Aramis, dans sa cellule, prie comprenant que son heure approche et qu'il ne peut rien contre cette réalité. Ses chaînes sont solides et le contraignent à subir. Alors il demande grâce au Seigneur :
- « Seigneur, si vous épargnez la reine, et que par un miracle vous m'autorisez à vivre, je jure de vouer le restant de mes jours à vous rendre grâce. Je jure de renoncer à toutes les tentations terrestres, y compris à être mousquetaire. »
Entendant les lourdes portes en chêne que l'on ouvre, lentement mais sûrement, l'urgence se fait sentir et Aramis est désespéré, il n'est pas prêt encore à endurer le martyr que lui a promis Rochefort.
- « Je ne suis pas digne de votre miséricorde. » Puis enfin il se calme, « Mon âme est préparée. » Il accepte le destin qui l'attend.
Mais le bruit immonde d'une gorge qui se remplie comme lorsque l'on égorge un homme, le fait se retourner et s'interroger. Puis une femme, non, Milady, apparaît devant lui, tenant les clefs de sa cellule et de ses fers dans les mains. Il n'ose y croire. Le Seigneur a donc répondu à son appel.
La seule qui importe à Aramis tandis qu'ils partent, est la reine et ses amis. Elle le rassure sur chacun, enfin pour le moment. Mais il faut agir vite. Tous sont encore en danger. Tous deux se rendent dans la cache où les mousquetaires espèrent le retour d'Aramis en fourbissant leurs armes.
Milady s'isole, ne se sentant pas à sa place dans ce moment où tous sont heureux de se trouver. Elle n'appartient pas à ce groupe et le sait parfaitement, même si à cet instant cela lui pèse.
Mais Athos la rejoint.
- « Merci de lui avoir sauvé la vie. »
Tous deux sont gênés. Ils n'ont pas l'habitude de se congratuler, ni même d'avoir autant de temps à eux. Cela ne s'est plus produit depuis si longtemps. Ils savent qu'ils tiennent encore trop l'un à l'autre mais qu'ils sont incapables de se retrouver ensemble. Trop d'horreur les séparent, trop de tueries et de mensonges. Pourtant, Milady, espère encore un peu :
- « Vous êtes libre de faire ce que vous voulez. » répond Athos à sa question.
- « Je ne suis pas libre. Je suis liée à vous. Et vous êtes lié à moi. Je suis devenue une infâme et odieuse personne. Une étrangère qui triche, qui ment, qui tue sans la moindre conscience. Je ne veux plus être cette créature démoniaque. Je voudrais redevenir celle que j'étais autrefois auprès de vous. Sentir en moi l'espoir au lieu de ce néant qui emplit mon cœur. »
Elle invite alors Athos à partir et fuir, loin, avec elle, pour recommencer une vie à deux. La tentation est grande et Athos se prend à rêver lui aussi.
Mais l'heure est à la révélation de Vargas au roi. Il est temps de quitter la cache et de se rendre au palais.
Rochefort tente une dernière fois de discréditer Anne aux yeux de Louis, puisqu'il n'a su convaincre la reine. Il tend au roi la lettre de cachet qui condamne Anne. Et Rochefort s'engage à la tuer lui-même. Fou de colère et résigné, Louis signe. Rochefort s'empresse de faire vider le palais, ne gardant avec lui que les derniers gardes rouges qui lui sont fidèles pour pouvoir mettre à exécution son plan. Ils ignorent encore l'évasion d'Aramis.
Il se dépêche de se rendre à son bureau, saisir une arme qu'il réserve pour la reine, une chaine d'étranglement dorée, une arme parfaite pour une reine condamnée.
Mais pendant ce temps, les mousquetaires pénètrent dans le palais, Constance et Aramis se précipitent dans els appartements de la reine pour la sauver et les autres accompagnent Vargas auprès du roi pour qu'il avoue tout à Louis.
Les gardes rouges tentent de les arrêter, mais la petite troupe se divise encore, les uns conduisant Vargas et les autres luttant pour permettre cette révélation de se faire. Rendant son épée à Louis, Porthos invite et pousse Vargas à tout dire au roi. Les mousquetaires sont hommes du roi, ils persistent à se montrer fidèle malgré la trahison du roi et de Rochefort à l'égard du régiment qu'il a désavoué.
Rochefort se dresse derrière Anne qui prie, vouant son âme à Dieu. Il s'apprête à l'étrangler mais Aramis tire, le blessant et l'obligeant à lâcher le cou d'Anne. Les épées sont tirées et les deux hommes entament un combat pour la vie. Constance aide Aramis mais c'est à lui de les défendre et non l'inverse.
Rochefort tire sa main gauche pour tenter de poignarder Aramis, mais ce dernier se retourne et tire lui-même sa dague, qu'il enfonce profondément dans l'épaule du compte.
Aramis lâche ses armes, Rochefort se relève et s'avance vers le salon qui jouxte la chambre de la reine. Il y trouve les mousquetaires et Vargas. Les rapières sont tendues face à lui.
- « C'est terminé » dit Vargas « le roi de France connaît la vérité.
- « Vous m'avez donc trahi » répond Rochefort, retirant la dague plantée dans son dos.
Les hommes ont baissé leurs épées mais encerclent Rochefort qui reste un homme dangereux et armé, donc imprévisible.
- « Vous ne m'avez pas laissé le choix. »
Rochefort se sait vaincu mais il n'abandonne pas. Il lance son épée vers Vargas, essayant de le tuer. Mais les mousquetaires réagissent immédiatement. La rapière d'Athos arrête son geste, abaissant l'épée du comte, d'un geste mesuré mais solide et efficace puis de sa main gauche il l'envoie au sol par un coup de poing.
Tous pointent à nouveau leurs épées contre le ministre déchu.
- « Rendez-vous ! » dit Athos fermement décidé à lui faire reconnaître sa défaite.
Mais Rochefort refuse encore.
Il se relève. D'un geste large de son épée, il frappe la lame d'Athos puis d'Aramis et se tourne vers les deux autres mousquetaires sur son côté gauche. D'un mouvement souple et ample, d'Artagnan le relance et Porthos lève son épée pour atteindre la lame de Rochefort que d'Artagnan vient de faire se lever. Un coup de poing du colosse fait à nouveau tomber le compte.
D'Artagnan fait reculer son ami d'un geste de la main et entame l'ultime combat car il l'avait annoncé, la mort viendra de sa main et de sa lame. Il le doit à Constance, à Aramis, à la reine et à tous ceux qui lui sont chers.
Le fer des almes provoque des étincelles tant chaque combattant met de la force dans le coup. Ce n'est plus la tête qui parle en Charles, mais el et bien le cœur. Un cœur pur mais blessé. Et toute la rage qu'il retient depuis des jours tend à apporter une force supplémentaire au bras de l'épéiste. Le gascon a le geste large, souple, artistique presque, il ne s'économise pas car il apprécie de vaincre cet homme avec panache. Son honneur a été bafoué, celui des mousquetaires, il compte leur rendre hommage par cette lutte frénétique et enragée, presque grandiose. Il ne veut pas seulement tuer l'homme, il veut rendre cette victoire éclatante. Autant que l'homme a fait preuve de bassesse.
Le rythme est lent, d'Artagnan se meut à la vitesse d'un ennemi déjà éprouvé et s'adapte à lui. Il a le temps. Il se sait fort, porté par tous, par Constance et Anne qui observent. Il sait être magnanime, il sera implacable. Grand dans le geste, infâme dans la mort qu'il offre à cet individu ignoble.
Les lames s'entrechoquent, quasi au sol puis nettement au-dessus des têtes, mais d'Artagnan laisse parler son cœur qui guide sa rapière. Rochefort se bat pour un honneur qu'il a déjà perdu, il y a bien longtemps, en Espagne, lorsqu'il avait abdiqué sous la torture, mais il ne veut rien concéder à son adversaire. Il ira jusqu'au bout. Boire le vin jusqu'à la lie. Excessif comme il l'a toujours été.
Epuisé, Rochefort est près d'abandonner alors il se jette, désespéré, sur d'Artagnan qui lève à peine sa rapière et l'embroche après une ultime passe magistrale. L'homme est mortellement touché. Il tombe et ne se relèvera plus. La haine qui dansait dans les yeux du gascon est tombée avec Rochefort. Il a vaincu, il a accompli ce pour quoi il était venu dans ce salon. Seule la fatigue de son bras se fait sentir. Il est vide. Mais l'amour dans les yeux de Constance l'emplit à nouveau, d'un sentiment bien plus heureux. Il oublie le comte aussitôt. Cela ne le concerne plus.
Adossé contre un mur, Rochefort agonise.
- « Mensonges. » Dit-il en regardant Anne.
- « C'est vous qui avez proféré des mensonges. Ils vous suivront dans votre tombe Rochefort » répond Anne, le regard encore empli de colère noire.
Vargas le rejoint et se penche vers lui :
- « L'Espagne vous remercie pour vos services. »
- « je n'ai jamais agi pour servir l'Espagne ».
Vargas a achevé son œuvre, il va pourvoir repartir, raccompagné par Tréville. Les Mousquetaires partent, mais Anne et Aramis restent.
- « Seul au monde » agonise Rochefort dans un souffle.
Aramis se penche sur l'homme, il va lui ferme les yeux mais Anne le stoppe.
- « Non Aramis, pas pour lui. »
Quelques temps plus tard, la compagnie des mousquetaires en grande tenue de parade est assemblée dans les jardins du palais. Le roi et sa cour leur font face.
- « Rochefort avait embrumé mon esprit avec ses terribles mensonges. Je me sens comme au sortir d'un bien mauvais rêve » avoue Louis en regardant Tréville.
Athos, sur le côté, prend la parole, avec une grande diplomatie qui surprend de la part de cet homme mais pas de la part d'un homme accoutumé aux usages de la cour comme il l'est par sa naissance :
- « Il a trompé les plus sages d'entre nous, Sire. Et votre majesté en premier. »
Louis est flatté par ces mots et semble avoir pardonné à chacun. Il rejoint son épouse et Constance qui tient le dauphin dans ses bras lance un regard plein d'amour à d'Artagnan. Sa robe, blanche, prépare un projet que tous deux rêvent d'accomplir enfin.
Louis s'approche à nouveau des mousquetaires et cette fois d'adresse à Armais :
- « On vous a véritablement fait grand tort Aramis. J'en suis sincèrement navré.
- « Vous n'avez nulle raison d'être navré, Sire. Je suis votre humble serviteur. » dit-il en se courbant devant le roi.
- « Des paroles d'un loyal serviteur de la France » insiste Louis, pour le plus grand plaisir de Porthos qui aime la gloire et sourit autant qu'il le peut à ces compliments, prenant pour lui, la part qu'il estime lui revenir. « Nous avons une affaire à discuter Tréville. ».
Le roi s'éloigne, suivi par Tréville.
Anne s'approche des mousquetaires avant de rejoindre le roi et Aramis prend la parole :
- « A présent vous êtes en sécurité, Madame. Vous êtes, tous deux, en sécurité. »
- « C'est à vous que je le dois » répond-elle en admirant celui qu'elle aime, « et à vos amis. »
Le roi lui fait une proposition qu'il lui avait déjà faite mais que le capitaine avait eu le tort de refuser. Cette fois, l'homme accepte car la proposition lui sied mieux : ministre de la guerre car la guerre est proche, avec l'Espagne. Tréville s'empresse d'accepter.
Les mousquetaires quittent le palais et vont rejoindre leur hôtel, mais Aramis s'arrête en chemin et annonce qu'il va se rendre au monastère de Douai. Ainsi qu'il en avait fait la promesse à Dieu dans sa cellule, il va se faire moine. Un choc pour ses compagnons et en particulier pour Porthos qui avale difficilement la nouvelle.
- « Alors, adieu mon vieil ami. » lance Athos venant le saluer d'une accolade franche.
- « Nous allons vraiment le laisser partir ? » demande Porthos, choqué et qui déjà ressent l'abandon de son frère.
- « Non, c'est lui qui nous laisse partir » répond Athos qui comprend les motivations d'Aramis plus qu'il ne l'avoue à ses amis.
Malheureux, d'Artagnan l'embrasse et Porthos se décide également à lui dire au revoir, mais le cœur est lourd.
Avant de se quitter, les mains se joignent : un pour tous. Tous pour un.
Puis d'Artagnan fait les cent pas dans une église, près de l'autel. Il attend et espère mais Athos a veillé à conduire lui-même Constance jusqu'à son frère. Et le mariage est célébré. Athos entend les paroles du prêter et repense à son passé, et à son avenir. Anne, Milady, non Anne, il va la rejoindre et discrètement, maintenant que son frère est uni à celle qu'il aime, il s'éloigne.
Mais ile st interrompu par l'arrivée de Tréville :
- « La guerre est déclarée contre l'Espagne. Chacun doit être à son poste. »
- « Je rejoindrais mon poste plus tard » dit Athos.
Mais Tréville l'arrête :
- « Allez-y maintenant et parlez à vos hommes. »
- « Mes hommes ? » s'étonne Athos, le visage fermé.
- « En tant que ministre de la guerre, je vous nomme capitaine des mousquetaires du roi. »
- « Moi ? »
- « Hum hum »
- « Je n'ai pas l'étoffe d'un commandant. »
- « Les hommes vous admirent. Vous ne pouvez pas les décevoir. Nous avons tous un devoir à accomplir. »
Des mots qui vont droit au cœur d'Athos qui se rend donc à la garnison et prend la tête du régiment. La guerre est imminente et les hommes doivent s'équiper
Mais dans la fin d'après-midi, Porthos d'un regard convainc Athos d'aller là où son cœur lui dicte d'être. Athos prend son frison et galope jusqu'au croisement des routes entre Paris et Rouen, cherchant Anne. Mais elle n'est pas là. Plus là. Il ramasse un gant qu'il emporte avec lui. Souvenir d'un passé qu'il aurait pu renouveler, peut-être.
Anne avait attendu, espérant, croyant, mais le destin en a décidé autrement. Elle décide de partir, seule
Athos revient à l'hôtel où d'Artagnan s'est enfin décidé à descendre, laissant sa jeune épouse, tous trois sont prêts. Mais il manque un homme. D'ailleurs tous portent désormais un morceau d'étoffe bleu à la ceinture, en souvenir de leur ami. Sur l'accord de Tréville, ils s'empressent de monter leurs chevaux et de galoper vers Douai, pour convaincre Aramis de les rejoindre et de partir à la guerre avec eux.
L'espoir les guide et leur donne des ailes. Sans Aramis, ils se sentent inachevés, incomplets.
Un temps s'est achevé, celui des complots mesquins et monstrueux d'un homme, traitre à la couronne. L'honneur des mousquetaires est sauf, et certains gouttent un bonheur de courte durée mais qu'ils emportent avec eux, tandis que d'autres se rendent à la guerre, le cœur lourd de regrets.
Tréville sourit en voyant ses hommes partir si urgemment vers leur ami. Il sait qu'il les envoie au combat, dans une guerre où l'honneur sera mis à rude épreuve et où les corps vont subir plus qu'ils ne peuvent endurer. Il ne sait pour combien de temps il els envoie loin de chez eux, ni s'ils reviendront tous. La guerre, il connaît, Il sait combien elle peut changer les hommes, en bien comme en mal. Il est conscient que tous ne reviendront pas, mais ainsi se joue la vie des soldats. Dans une peur qui travaille les corps et l'âme, et toujours dans l'attente d'un sursis dont on ne sait s'il sera pour soi ou pour d'autres. L'espoir d'un lendemain plus heureux. L'espoir de revoir ceux que l'on aime et que l'on laisse. Mais dont on emporte le doux souvenir. La peur de les perdre en se perdant soi-même. La rage de voir tomber ceux qui vous côtoient et protègent, de n'avoir pas su ou pu les protéger eux-mêmes. La boue, le froid, la faim, la douleur, les souffrances, les cris, les bruits auxquels succèdent le silence assourdissant et angoissant. Mais ces sentiments qui plongent les hommes dans l'acceptation de ces horreurs ne sont rien face à la grandeur d'âme dont beaucoup font preuve dans ces jours terribles et sombres. Cet espoir chevillé au corps qu'ils reviendront, victorieux, saufs, Tout cela se mêle dans les yeux de Tréville qui voit partir ceux qu'il aime le plus et qu'il estime. Qui sont pour toujours ses mousquetaires. Qu'il voit s'éloigner, joyeux comme des enfants qui vont chercher leur cadeau, qui n'est autre que leur frère d'arme et de cœur.
Constance le rejoint, angoissée, alors qu'elle devrait goûter au bonheur de son union toute nouvelle. Mais qui voit partir celui qu'elle vient d'épouser sans savoir s'il reviendra un jour et quel homme lui reviendra surtout car la guerre change les hommes. Elle le sait. Elle a sourit pour encourager son mari et ses amis, et pourtant la peur est chevillée à son corps. Elle doit garder espoir même si pour l'heure, elle craint plus que tout de ne pas les retrouver tous.
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