Le danger est si proche
Tréville a libéré son âme du secret qui lui pesait trop. Sa vie n'est plus en danger, mais il le fallait. Porthos méritait de savoir. La douleur est grande car le capitaine a perdu l'estime de cet homme qu'il a vu grandir comme son fils. A la fois soulagé par cette confession et foncièrement peiné par le rejet de Porthos à son encontre, il raconte tout à Athos et d'Artagnan, n'omettant aucun passage de l'histoire, quand bien même ces derniers ne sont pas particulièrement glorieux pour lui. Mais les hommes sont liés et ne peuvent rester ignorants de la vérité.
Porthos, flanqué de son inséparable ami Aramis, ont quitté Paris pour la province. En direction du château du marquis de Belgard. Ils arrivent à l'entrée du domaine quand ils sont surpris par des grilles fermées et deux jeunes filles qui tentent de fuir, vite rattrapées par un homme au ton odieux et au bâton trop vif. L'homme leur déplaît, mais il consent à ouvrir les grilles menant enfin au château. Un air sinistre domine dans le temps, pluvieux, les couleurs, de cette fin d'automne maussade et la propriété qui laisse à désirer.
Tandis qu'au Louvre, Louis sombre dans une folie qui l'éloigne de tous, sauf de Rochefort dont l'emprise sur le roi est incommensurable, Constance pleure un homme qu'elle n'a pas aimé mais qui n'en demeurait pas moins son époux. D'Artagnan la couve du regard, sans comprendre de cette femme, enfin libre. Libre d'aimer, libre de l'aimer, lui. Il le souhaite de tout son cœur, rien d'autre ne saurait trouver grâce à ceux yeux que d'entendre Constance lui avouer son amour et montrer cette joie innocente dont elle est emplie.
Mais Constance demeure loin de lui, ses robes noires marquent un deuil que la décence lui interdit de ne pas respecter, son cœur s'attriste de cette mort injuste. Elle n'a jamais souhaité que Bonacieux trouve la mort, bien qu'elle ne l'ait jamais aimé, elle avait appris à faire avec lui. Son amour pour d'Artagnan est sincère, et lui procure une joie immense qui la transporte, elle se savait épouse d'un homme respectable. Elle était consciente de le blesser, de le choquer sans doute par des mœurs qu'il n'entendait pas, mais elle n'imaginait pas que ce simple marchand d'étoffes puisse un jour finir ainsi. D'Artagnan la peine en se déclarant satisfait de la mort de Jacques. Il se montre injuste envers l'homme qu'il était et envers elle. Parce qu'il laisse libre court à son impétuosité et à sa passion dévorante, les mots qu'il prononce détourne Constance de son chemin.
- « Quand Bonacieux était en vie, vous ne pouviez le quitter, maintenant qu'il est mort, vous ne le pouvez toujours pas ! Prenez le temps qu'il vous faudra, mais n'oubliez pas, quand vous aurez décidé que vous voulez bien de moi, je ne serais peut-être plus là ! »
Les mots sont cruels, blessant, les yeux de Charles ne reflètent rien d'autre que la dureté de son cœur à cet instant. Il se ferme à Constance, interloqué par son refus. Un fossé semble se creuser entre eux et Constance s'en afflige, mais elle ne peut. Comme elle l'a dit, elle a besoin de temps. Du temps pour réaliser, du temps pour se reconstruire car tout son monde s'est écroulé. D'Artagnan, injuste et empressé, n'a pas conscience de cet état de fait. Ce qui explique son intransigeance.
Elle reste seule, dans ce cimetière où se trouve le corps de son époux. Libre, mais emprisonnée dans un deuil qui la contraint. Sa position à la cour l'oblige à veiller toujours plus attentivement sur la reine car cette dernière est isolée davantage encore par Rochefort, rejetée de son époux qui cède à la peur viscérale d'être tué. Et si Anne pouvait un instant oublier son devoir pour n'être que la femme qui rêve d'Aramis pour partager avec lui de doux moments comme une famille unie, le père, l'épouse et le fils.
Porthos et Aramis, restés au château, entendent le récit du marquis. Cet homme, à l'allure dépenaillée, ce vieillard déchu par la mort d'Henri IV qu'il n'a sue empêcher alors qu'il était officier de sa garde rapprochée, raconte avoir aimé la mère de Porthos, ancienne esclave affranchie, entrée comme servante au service de la famille et dont il serait tombé amoureux au point de l'épouser, qu'il avait engrossée mais qu'il avait dû abandonner au nom de sa famille. Il aurait alors épousé une autre femme, dont il a eu une fille, Eléonore. Une femme aigrie et sombre, épouse d'un marchand vindicatif et imbu du titre que son épouse pourrait lui permettre d'acquérir. Il insulte Porthos en le faisant passer pour un coureur d'héritage. Le marquis n'a de cesse de flatter son fils, mais l'homme interroge Aramis. Toute la famille en vérité. L'attitude de chacun, l'état de ruine de la demeure l'amènent à vouloir en savoir plus, à comprendre où son ami a mis les pieds. Les soupçons qui l'inquiètent ne cessent de grandir lorsqu'il découvre le corps de l'une des deux jeunes filles précédemment rencontrées et que l'argument donné par Eléonore ne le convainc pas. Soupçons confirmés par le départ de la seconde jeune fille conduite par le mari d'Eléonore vers un lieu dont il finit par découvrir qu'elle n'est autre qu'une maison close. Pour Aramis, c'en est trop et il ne peut laisser faire sans réagir. Certainement pas seul, mais accompagné de ses deux amis, Athos et d'Artagnan, il va sauver cette jeune femme encore dans la fleur de l'âge et innocente. Il n'a aucun mal à les convaincre de se joindre à lui pour libérer la demoiselle.
Rochefort tente d'en savoir plus sur la liaison entre Aramis et la reine, et pour ce faire s'offre les services de Milady. Milady se méfie de Rochefort et se rapproche, ou du moins, le tente, d'Athos. Ce dernier reste sur ses gardes, son épouse n'est pas une femme à qui l'on peut accorder la moindre confiance. Pourtant, quelque chose lui dit que cette femme, qu'il a aimée plus que tout et qu'il hait désormais de toute son âme, ne ment pas cette fois. Elle sait quelque chose que les autres ignorent. Cette femme provoque chez le mousquetaire un dégoût qui lui répugne. Mais il la sait très introduite dans divers milieux. Elle demande trop, plus qu'ils ne peuvent lui accorder et devrait agir pour le bien de la France. Ce qu'elle ne semble pas prête à faire. Elle doit assurer ses arrières, elle est son propre maître depuis la mort de Richelieu et les richesses et largesses dont elle avait pu tirer avantage ont fondu comme neige au soleil.
Pour Tréville, la nouvelle de la déchéance de Belgard ne semble pas une surprise, bien qu'Aramis ait tenu à préciser qu'il ne croit pas le marquis coupable, mais inconscient de ce qu'il se trame dans ses murs. D'Artagnan exhorte le capitaine pour qu'il informe Porthos, lui fasse ouvrir les yeux. Mais le capitaine sait, bien que cela lui soit pénible de l'avouer, qu'il doit découvrir par lui-même la terrible personne qu'est son père. Un homme dont l'intégrité n'a jamais été prouvée et bien plutôt un homme aux lourds secrets de machinations et de désordres. La seule issue pour Porthos est de faire par lui-même cette constatation, sans quoi le peu que lui aura déjà raconté Belgard l'éloignera définitivement de lui et des mousquetaires, du droit chemin qu'il a toujours veillé à suivre jusqu'ici. Leur ami pourrait se perdre dans des considérations erronées mais bien ficelées par le marquis.
Ce dernier, en effet, distille son venin, notamment contre Tréville et de Foix dans l'esprit de Porthos, semble être victime de l'histoire de cette famille à laquelle il se doit et qui l'oblige à laisser sa fille et son gendre agir comme ils le font, car les manières de Levesque, l'époux d'Eléonore, ont montré combien il était abominable.
Porthos retourne à la garnison et exige des explications de la part de Tréville qui ne peut tout démentir. Certes il a enlevé, avec l'aide de de Foix Mais il ne peut lui dire ce qui a motivé ce geste à l'époque. Cette absence de réponse franche aboutit exactement à ce que Belgard espérait, tout est remis en question par Porthos. Le colosse, fragilisé, perturbé, ne peut plus croire en ce que lui dit Tréville. Il n'est sans doute pas l'homme qu'il croyait être, qu'il voulait être au tréfond de lui et il n'admet plus ce qui lui arrive. Pourtant, il reste une voix dans sa tête qui l'incite à la méfiance vis-à-vis de son père. Et s'il ne disait pas toute la vérité. Tréville n'a jamais failli. Porthos le connait comme un homme intègre, parfois à son propre détriment, un soldat valeureux et noble, un capitaine qui lui a tout appris, tout donné jusque-là, sans jamais trahir sa parole et sa main. La confrontation entre les deux hommes ne peut aboutir qu'à une seule conclusion, affligeante, mais nécessaire ; Porthos dégrafe son épaulière et la laisse aux mains de Tréville. Il retourne sur ses pas, rejoindre l'homme qu'il appelle son père. Et si cette vie devait être la sienne, serait-il heureux ?
Et si Constance se laissait séduire par les belles paroles de Lemay. Le médecin, impressionné par l'assurance et la jovialité, la franchise simple mais honnête de la jeune femme lui a demandé sa main. Ce qui n'a pas manqué de surprendre la jeune femme, et de l'amener à réfléchir. N'est-il pas temps de conclure ce deuil ? La proposition, très étonnante de Lemay, soulève un coin du voile qui obscurcit le raisonnement de Constance. Elle est une femme désirable, preuve en est de ces hommes dont elle attire le regard, mais également une femme libre à présent, sans véritable moyens pour subvenir à ses besoins. Une respectabilité que lui offre encore aujourd'hui le deuil qui l'a frappée, mais qui ne pourra durer éternellement. Jeune, elle est convoitée. Mais elle n'a d'yeux que pour d'Artagnan. La reine le lui confirme, Lemay est un homme intelligent, il saura comprendre et accepter. Et si, comme elle en est désormais convaincue, le noir n'était pas couleur ! Elle ôte sa robe de deuil comme pour se défaire de cette aura sombre qui l'enrobe. Et se jette dans les bras de d'Artagnan, pleine d'appréhension, mais également emplie d'enthousiasme. La vie s'offre à elle, la refuser serait un péché.
Athos et d'Artagnan se sont introduits dans cette maison close, afin de trouver une solution et de libérer la demoiselle, Camille, ainsi que les autres jeunes femmes contraintes de se livrer à des hommes sans moralité, d'obéir à ce couple cuide et pervers. L'épreuve est difficilement supportable pour le jeune homme qui découvre cette face d'une misère qui condamne des femmes à se vendre et de la perversion de certains à profiter de cette détresse. Athos, bien que plus âgé que le gascon, n'en n'est pas moins hostile. Pour une fois, il laisse libre court à sa rage. La honte rejaillit sur le couple et les hommes qui sont venus là pour se rassasier de ces jeunes filles, non sur ces demoiselles à qui l'on n'a pas laissé le choix. Comme toujours, Athos se montre froid, distant, mais la condition de ces femmes le touche d'autant plus qu'il conserve au fond de lui l'œuvre entreprise par Ninon, détruite par le cardinal mais poursuivie en province. Athos n'a pas oublié les paroles de Ninon qui étaient tombées avec tant de justesse. Et s'ils parvenaient à mettre un terme à ces pratiques. Au moins cette maison !
Encouragées par les deux hommes, les femmes s'enfuient, leurs arrières couverts par leurs épées. Aramis ne tarde pas à les rejoindre, il était contraint de patienter dehors et n'en pouvait plus, piaffant d'impatience. Sauvées, elles sont conduites à l'abri des portes de l'hôtel. Plus jamais un homme, à moins qu'elles ne l'aient choisi délibérément, ne posera les mains sur elles.
Camille évoque la façon dont s'y est pris le couple pour trouver ces jeunes femmes et les conduire à cette situation. Mais elle ignore qui est Belgard, elle ne connaît que Levesque et son épouse. La justice pourrait agir contre eux, les mousquetaires détiennent suffisamment de preuves avec des jeunes filles mais la justice est si longue à agir efficacement que cela les fait douter. Ils préfèrent en finir une bonne fois pour toute par eux-mêmes.
Et puisque cela n'implique visiblement pas Belgard, Porthos peut être laissé à l'écart de tout. Il ne croira pas ses amis comme l'ayant trahi lui.
Durant cette nuit de délivrance, Porthos est auprès de son père. Tous deux parlent librement du passé du colosse. De sa mère. Et Belgard montre un portrait qu'il avait fait faire de sa mère à l'homme qui se tient face à lui. Mais cette erreur lui coûte cher, car Porthos n'y voit pas sa mère, juste une belle femme, peinte sur un large médaillon. La petite voix qui s'était manifestée plus tôt, l'invitant à croire en son capitaine plutôt qu'en ce marquis, surgit à nouveau et titille les pensées de Porthos. Et s'il lui mentait ? Et si le capitaine avait dit vrai ? Son histoire se situe sans doute entre les deux. Un peu d'un amour et d'un mariage avec un homme sans foi et tant de l'amour inconditionnel de celui qui certes n'est pas son père biologique mais s'est conduit comme tel.
Le lendemain, alors que ses amis sont encore en pleine réflexion à propos du rôle de Belgard, eux estimant que tout ceci s'est fait à son nez et à sa barbe, tandis que Tréville reste convaincu de sa culpabilité car il connaît l'homme qui se cache derrière le titre ronflant, Porthos est aux prises avec le doute. Il déambule dans le château, fantomatique preuve d'un passé glorieux qui n'est plus.
Il découvre les lieux mais tout le ramène à cette pièce où se trouve l bureau du marquis. Soudain, il est dérangé par des coups frappés contre une porte. Se rendant sur place, de l'autre côté de la cour, il découvre une jeune femme effrayée, enfermée. Son père apparaît, telle une ombre, pistolet à la main. Que va-t-il faire ? Il révèle à Porthos qu'il suspectait sa fille et son gendre d'un trafic, mais sans en connaître tout. Porthos veut sortir la jeune femme et la laisser partir, mais Belgard tente de le convaincre de tuer Levesque. Celui-ci arrive, justement, avec sa femme et un groupe d'hommes armés, à leur solde ; Chacun se menace quand les mousquetaires débarquent, accompagnant Tréville.
Et si le masque tombait enfin de chacun des protagonistes de cette sombre histoire ! Il est plus que temps, en effet, de lever le voile sur le trafic et l'affaire de Levesque, sur le rôle infâme joué par Eléonore. Mais il est également temps de lever le voile de la vérité sur Belgard. Porthos est enfin prêt à entendre cette vérité, la seule et unique. Les mensonges du marquis sont mis au jour, comme l'ont été ceux de Levesque. La loyauté de Porthos envers les mousquetaires n'a jamais failli et la lumière faite sur son passé et les actes de Tréville a permis de lever ce dernier voile qui assombrissait encore le cœur de Porthos. Tréville reconnait sa culpabilité sur l'affaire mais comme étant le fruit d'une loyauté envers des frères d'armes. Il comprend cela. Plus qu'il ne l'admet. Le lien qui se tisse entre ces hommes, face au danger, en défi à la mort, est unique et seuls les hommes qui l'ont éprouvé un jour peuvent le comprendre.
Tout ce qui a fait de cet homme robuste un soldat valeureux, un homme bon et honorable ressurgit en un éclair. Tréville a dit vrai, Belgard est un homme sans valeur, un traitre à sa parole et mérite largement la déchéance qui l'a frappé.
Porthos n'a plus rien à reprocher à Tréville. L'homme a été loyal à sa parole toute sa vie durant, il en a lui-même fait les frais, mais il le comprend et l'accepte. C'est le lot des hommes d'honneur de se trouver emprisonnés dans les filets du mensonge parfois. Il est un mousquetaire, ils le sont tous. Et sa place est avec ses frères d'armes. Non dans ce château qui ne lui évoque rien, sinon la honte d'un homme qui s'est épris d'une femme mais n'a pas assumé son choix, reportant sa propre honte sur d'autres qui en ont souffert toutes leur vie.
Quittant définitivement ce château maudit et celui qui l'occupe, Porthos retrouve ses amis, et reprend cette épaulière largement méritée que lui tend Aramis.
Au palais, Rochefort, rendu furieux par le crucifix qu'Anne avait offert à Aramis, rendu sans doute téméraire par l'emprise qu'il a sur Louis, ose lui avouer son amour pour elle. La reine le repousse. Jamais elle n'a pensé à lui en ces termes et quand bien même il a été un ami sincère quand elle quittait son Espagne natale pour la France, quand bien même il semble apporter à Louis le soutient dont il a besoin, il n'en n'est pas pour autant un homme qu'elle aime. Rochefort perd la tête et tente de violenter Anne, pour l'obliger à être sienne, mais elle se défend et le blesse. Constance les découvre et devient le témoin gênant de cet acte de trahison pure. Mais Rochefort tient sa vengeance alors, dans la folie d'un amour impossible qui le dévaste, il garde à l'esprit la liaison d'Anne et d'Aramis. Il va ainsi pouvoir éliminer à la fois celle qui l'a repoussé, la femme qui la soutient trop fermement et l'encourage ainsi que les mousquetaires sont la présence es tune nuisance à ses plans.
Le temps n'est pas laissé aux mousquetaires pour se reposer. Le danger est imminent et rôde tout autour de chacun d'eux, de la reine surtout.
Pourtant, ignorant de ce qu'il se déroule au palais depuis quelques heures, les quatre amis s'en retournent vers Paris. Les chevaux au pas les reconduisent tous vers leurs vies ordinaires et ces aventures qui les attendent. Athos devant, ouvre la voie, Aramis à ses côtés. Tous deux semblent profiter de cette journée, enfin sans pluie, qui s'achève. D'Artagnan chevauche près de Porthos et l'observe. L'homme semble épuisé. Non que ces jours aient été particulièrement difficile physiquement mais elles représentent un retour dans un passé qui pèse sur le colosse. Les regards se croisent, une main se pose sur l'épaule affaissée de Porthos. D'Artagnan l'invite à se confier s'il le souhaite, mais sait déjà bien assez de son passé. Nul n'est besoin de mots pour exprimer tout le ressentiment qu'il éprouve contre l'homme qu'il aurait voulu appeler son père, de souffrance pour sa mère. Les yeux dans le vague, tournés vers un passé qui le rogne, Porthos est silencieux. Ce qui n'est pas dans ses habitudes. Conforté par ce geste d'amitié sincère, il revoit son histoire. Une introspection à laquelle il s'est toujours bien gardé de faire appel, tant elle est douloureuse. Aujourd'hui, il a besoin de faire le point sur lui-même, pour savoir où il va. Ses amis l'entourent, de cela il est certain. Ils sont toujours là et ne jugent pas l'homme qu'il était. Leur amitié se satisfait de ce qu'ils sont tous. La famille qu'il vient de découvrir et qu'il devrait pouvoir, fièrement brandir, n'était qu'un mensonge. Ils ont trahi sa mère, l'ont trahi lui et ne représentent pas l'homme qu'il est. Jamais il ne portera ce nom, jamais il n'exigera ce titre. Il aime les honneurs, il apprécie la gloire mais seulement ceux et celles qu'il emporte lui-même à la force de ses bras et de sa personne. Il n'est pas orgueilleux, il ne réclame que ce qu'il mérite d'obtenir.
Porthos pris une grande inspiration et commença son récit. Dans sa tête, sa voix était basse, sourde, tantôt fébrile, tantôt emplie d'une colère qui le rongeait. Tout refluait en lui, par vagues successives, les images, les odeurs, les sons. Mais rien ne portait à sourire. Cette carrure cachait une fragilité comme une carapace derrière laquelle il avait refoulé des années de doutes et d'errances. Et s'il n'était plus le même demain ?
Né d'une femme noire d'Afrique, affranchie mais venue dans le royaume de France pour servir comme domestique, sa mère, Marie-Cezette, si l'on en croit Belgard qui semble pour une fois avoir dit la vérité, avait été engagée par la famille du marquis de Belgard. Le fils de ce dernier semble s'être épris d'elle et l'avoir épousée. L'enfant né de cette union, nommé Porthos, un nom avec une résonnance étrange dans le royaume mais qui lui vient peut-être de ses origines africaines ou d'une ville du sud de la France, non loin de Pau, est donc un enfant légitime et qui, en tant que puîné peut en effet prétendre à l'héritage des Belgard ainsi qu'au marquisat.
Mais, enfant, Porthos ignore tout cela. Sa mère a été conduite, en urgence, par Tréville et de Foix, deux amis de Belgard, loin de la fureur de ce dernier. Liés par un serment écrit dans le sang des batailles, les deux hommes ont juré d'emmener la femme et le bébé loin du château. Ils l'ont conduite dans le seul lieu, sans doute, où une femme noire, seule et avec un nourrisson, pouvait espérer être acceptée sans questions : la cour des miracles.
C'est donc dans ce lieu de misère et de maladies, au milieu des indigents et des pestiférés, des voleurs et assassins, qu'a grandi Porthos. Jusqu'à l'âge de 5 ans, il vit, sans doute de petits emplois et d'expédients, de l'aumône et peut-être de quelques rapines, ou plutôt il survit avec sa mère. Cependant, la fièvre emporte cette femme qui était un rempart contre la plus grande des misères, laissant l'enfant seul, sans autre moyen de survie que son envie de vivre et son agilité. Dans son malheur, il se lie d'amitié avec Charon et Flora, voleurs à la tire et joueurs. Le petit groupe se soutient et s'entraide. Au fil des années, Porthos grandit, en âge mais aussi en taille et en force. Il est un colosse dont la grande taille et la force herculéenne ne l'empêchent pas d'être un voleur doué. Le trio s'est rapidement forgé une réputation au sein de cette ville dans la ville, ne laissant rien passé, ils se protègent mutuellement. Porthos diffère quelque peu, prenant souvent la défense d'un homme menacé par d'autres ou partageant son maigre pain avec une femme, ou un enfant, plus affamés que lui. De nature enjouée, Porthos exprime son plaisir souvent, d'un rire tonitruant, qui le fait remarquer rapidement, ce qui le distingue largement de Charon, homme plus sombre mais sur lequel Porthos sait qu'il peut compter à tout instant. Charon est une ombre qui observe et manipule quand Porthos est un jeune homme charismatique et rassurant, Le cœur sur la main, il est toujours prêt à protéger, veiller sur les siens, ceux de la cour des miracles, ce qui favorise l'influence grandissante au sein de la population de cette cité de miséreux. Pourtant il ne s'en satisfait pas, cette vie ne lui convient pas. Et même son amour pour Flora ne le retient pas. Il rêve de batailles, de victoires et de renommée. Il a besoin d'être reconnu pour ce qu'il est et admiré. L'armée lui tend les bras. C'est alors une période faste pour lui car sa bravoure sur le champ de bataille rivalise avec la loyauté dont il fait montre.
Sur le champ de bataille, alors que la victoire semblait incertaine encore, Porthos avait conduit un groupe de soldats dont le supérieur était tombé peu avant, droit vers l'ennemi. Une charge héroïque et désespérée sans nul doute. Mais qui fut un succès malgré les pertes nombreuses de cette journée. La surprise créée par cette attaque pris l'ennemi de court. Usant autant de son épée, qu'il maniait avec une aisance et une agilité surprenantes pour un homme de sa corpulence, que de ses poings tels des massues, l'homme avait surpris Tréville qui combattait non loin avec ses hommes. Suivant l'élan de ces soldats, Jean-Armand incita la troupe à suivre le mouvement. Mais alors qu'il était en fâcheuse posture, faisant face à deux soldats espagnols qui le menaçaient, déséquilibré alors qu'il reculait pour assurer ses coups, il était tombé au sol. Il venait de subir un assaut sérieux et surtout un fendant qui, s'il n'avait chuté en arrière, lui aurait valu d'être coupé en deux. Sans qu'il ne comprenne comment, Porthos était sur les deux hommes frappant l'un avec une telle force qu'il le décolla tout en poursuivant le mouvement qui fendit l'air et tailla son adversaire d'un coup net. Se baissant, il tendit une main ferme et chaude au capitaine qui se relevait difficilement. Puis il repartit avant même que Tréville n'ait eu le temps de le remercier, se portant au secours d'autres hommes. Il était partout, il dégageait une tranquillité qui contrastait étrangement avec l'agitation environnante. Au milieu de ce chaos, l'homme détonait. Tréville apprécierait fortement de le trouver parmi les siens.
Parvenus à percer l'arrière-garde espagnole, les soldats menaçaient désormais les officiers ennemis qui s'empressèrent de tourner bride pour se mettre à l'abri, ailleurs.
L'énergie de cet homme, sa taille immense le rendant aussi visible que le clocher d'une église dans la campagne, galvanisaient les troupes qui le suivaient. Il était réputé chanceux et fort comme un bœuf. Les deux atouts combinés rassuraient et encourageaient à le suivre. Mais Tréville, avant qu'il ne soit emmené à l'abri sous une tente médicale où il fut pris en charge et soigné, avait pris le temps d'observer sa progression du coin de l'œil et de noter la stratégie audacieuse qu'il avait mise en œuvre. Cet homme était intelligent, il comprenait le champ de bataille et son analyse était juste. Ce jour-là, la victoire lui revenait bien que les généraux français en aient tiré toute la gloire.
Alors qu'il se remettait de sa blessure, fort heureusement assez superficielle pour qu'il puisse en guérir, mais qui lui laisserait une cicatrice en souvenir de cette journée, Tréville entrepris de rechercher cet homme qui avait piqué sa curiosité. Il interrogeait les soldats, les officiers et voulait savoir qui il était, d'où il venait. Au fur et à mesure qu'il s'enquerrait de lui, il découvrait un homme dont les valeurs lui plaisaient de plus en plus. Un homme droit, simple mais que tous appréciaient. Un homme honnête et vaillant. Un compagnon que les soldats louaient.
La valeur se moque de la couleur de peau ou des croyances, de la naissance, elle était un don qui permettait à des soldats de vaincre et de sauver des vies. Cela seul importait aux yeux de Tréville. Il lui faudrait donc retrouver Porthos.
Jean-Armand n'avait pas disposé du temps ni de l'occasion de retrouver Porthos comme il l'avait espéré. Renvoyé sur un autre front, il perdit sa trace un temps. Mais ne l'oubliait pas. Et lorsque le roi lui demanda de constituer ce nouveau régiment, son esprit se tourna de suite vers ce souvenir. L'homme était jeune alors, il devait maintenant avoir pas loin de 20 ans. Il serait une bonne recrue. Il plaisait à Tréville de n'engager que des Gascons, mais il était prêt à une exception s'il le fallait, pour lui. Faisant appel à ses amitiés militaires, il obtint le nom du régiment dans lequel servait encore Porthos. Il le fit appeler et venir à Paris. La proposition qu'il lui fit, ouvrit de grands yeux au soldat. Mais ses yeux s'illuminèrent et sans perdre une seconde la main se tendit dans un accord ferme et chaleureux. Il ne cessait de répéter, « mousquetaire du roi ». Il passa les tests avec brio et rapidement les hommes apprirent à se méfier de sa musculature puissante. Mais il tendait toujours la main à celui qu'il venait de jeter au sol et l'aidait à se relever dans un grand sourire. Sa bonhommie était communicative et tous l'apprécièrent rapidement. Il se fit une place, un nom et le roi, impressionné par ce grand homme, demandait souvent à ce qu'il accompagne ses chasses.
Il avait, assez vite, lié d'amitié avec Aramis dont la carrure était à l'opposé de la sienne. Un homme fin, rapide, mais dont l'œil aiguisé avait attiré le colosse. Leurs jovialités se trouvaient identiques et acheva de cimenter une connivence que nul ne pouvait défaire.
L'intégration d'Athos s'était faite d'elle-même, sans même y penser, car l'homme malgré la mélancolie qui l'habitait était un meneur naturel. Le duo avait besoin d'un homme tel que lui pour les guider sur des chemins moins tortueux que ceux qu'ils prenaient. Le jeu et les femmes étaient des divertissements mais l'un comme l'autre pouvait mener les deux mousquetaires à leur perte. Athos savait les freiner. Du moins suffisamment pour que les ennuis restent assez loin, assez longtemps. Bien que le caractère de cet homme soit totalement contradictoire, leur amitié se trouva comme une évidence. Depuis un peu plus d'un an, d'Artagnan avait rejoint ce groupe, et étonnamment, alors que le trio semblait en équilibre, il avait pris place auprès d'eux. Sa jeunesse, sa fougue, tout en lui concordait pour faire de ce trio un quatuor explosif, dangereux, car efficace, mais solide.
Sortant enfin de cet état de torpeur dans lequel ses souvenirs l'avaient plongé, Porthos se prit à sourire. Un sourire franc, massif, joyeux. Il était avec eux, ils étaient liés, ils étaient frères d'armes et cela suffisait à son bonheur. Oubliant ses craintes, il redresse le dos, tourne la tête vers d'Artagnan et lui propose une course pour terminer ce voyage de retour qu'il lui tarde d'achever. Le jeune homme ne demande qu'à profiter, et tous deux lancent leurs chevaux au galop. Bientôt suivis par Aramis et Athos qui ne veulent pas être en reste.
- « Le dernier arrivé paye sa tournée ! » lance Porthos dans un grand rire.
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