Décisions
Emilie de Duras. Suivie par des centaines de pauvres hères lassés de la lutte opposant la France à l'Espagne qui chaque jour jetait sur les routes davantage de malheureux, incitée par sa mère à écouter les visions dont ses nuits sont baignées. Une femme ordinaire qui, du jour au lendemain, s'est vue considérée comme une prophétesse, Jeanne d'Arc des temps modernes. Mais qui ne rien de plus que d'achever sa vie comme son illustre ancêtre. Pourtant, elle conduit ces hommes et ces femmes, accompagnés d'enfants, vers une mort certaine, au bout d'une guerre contre un ennemi bien plus aguerri et préparé au combat, bien plus nombreux.
Sa présence et ses appels à la révolte contre cet antéchrist qu'est Philippe IV dérange la cour. Certes mener une guerre contre l'Espagne ne serait pas totalement pour déplaire à Louis, mais ce dernier ne peut s'y résoudre, son épouse étant la sœur de Philippe et le royaume ne disposant pas de la force militaire de son opposant.
C'est pourquoi le roi envoie ses soldats s'enquérir de la situation aux portes de Paris. Ils observent et écoutent. Avec attention. Mais la jeune femme bénéficie d'une aura qui inquiète les mousquetaires.
Le roi a laissé, pour une fois, carte blanche à Tréville pour mettre un terme à cette agitation qui menace la cité et le pouvoir. Ce dernier décide qu'Aramis sera le plus à même de comprendre les motivations profondes de la jeune femme et, pourquoi pas, de parvenir à la détourner de son projet fou. Parce qu'il est profondément religieux. Et sans doute, parce qu'il serait bon de l'éloigner quelques temps de la ville et surtout du palais. Trop souvent, le comportement d'Aramis a laissé dubitatif le capitaine qui commence à s'interroger sur celui qui, il n'y a pas si longtemps, était pressenti pour être son second, voire son digne successeur pour le jour où lui-même devrait rendre son office.
Anne se lasse d'entendre la foule houspiller et pire encore, de commettre, au nom de ces prophéties hypothétiques, des assassinats en plein cœur de la cité contre des notables espagnols. Le danger est partout désormais. Elle n'y échappe pas, étant elle-même une fille d'Espagne.
Que faire ? La seule issue, pour elle, est de se grimer et, accompagnée de Constance qui est toujours son amie fidèle, ombre de ses pensées les plus secrètes, pour se rendre dans ce camp de fortune. Elle espère en savoir plus et qui sait, pouvoir convaincre Emilie de cesser son prêche.
Pourtant, une fois sur place, rien ne se déroule comme prévu ni espéré. Anne est arrêtée par un homme qui la reconnaît.
Aramis intervient en sa faveur, en vain. Lui est parvenu à se fondre dans les suiveurs d'Emilie. Mais cette dernière, bien que ravie de ce supposé retournement du soldat, si elle ne doute pas un instant de sa probité, sait qu'il n'est pas favorable à son message qui ne conduit qu'à des débordements et excès instigués par la haine.
Conte toute attente, c'est Emilie elle-même qui parvient à arrêter la main du bourreau prêt à tuer Anne. Et elle persuade Aramis de retourner au palais demander une audience au roi.
Pourtant, dans la nuit, alors que Constance a consommé le potage réservé habituellement à Emilie, est prise de visions abominables qui réveillent tout le monde sous la tente.
Aramis s'imagine que le potage est responsable de ce phénomène et veut en avoir le cœur net. Il le prend et le remet à Lemay, le médecin du roi. Ce dernier estime qu'il est aromatisé par un champignon hallucinogène.
En accord avec Tréville et ses amis, Aramis fait miroiter à Emilie une rencontre avec le roi pour la convaincre de se rendre, seule, au palais. Sur place, elle est arrêtée pour un prétexte fallacieux. Et les mousquetaires la conduisent en cellule.
L'expérience, pas forcément heureuse mais bien utile en ce jour, d'Athos concernant le sevrage va permettre à Emilie de se libérer des effets de cette drogue. Un temps difficile pour l'ancien comte qui certes est en mesure de soutenir et accompagner Emilie mais qui le plonge lui-même dans un parcours qu'il préfère oublier.
Contrôler le corps pour le contraindre à se battre contre les démons qui envahissent l'esprit de cette femme. L'obliger à souffrir pour se libérer, d'elle-même. Les heures s'écoulent, les cris montent, l'agitation prend Emilie. Athos se montre prévenant avec elle, et l'aide de toutes ses forces, à résister aux chimères qui lui parlent et l'appellent. Lorsque ces dernières sont trop puissantes pour une femme aussi fluette que l'est Emilie, Athos la soutient et la retient. Ancre plantée dans le monde réel. Un pilier qui l'empêche de perdre totalement l'esprit. Fil d'Ariane vers la vie. Mais quelle vie ? Athos se le demande. Il sait ce qu'elle abandonne. Il connait ces voix si intenses dans la nuit.
Un calvaire qu'il a accepté de prendre, pour le bien et la paix du royaume mais qui lui coûte tant. Une souffrance qui l'accompagne encore souvent et assombri ses jours, ses nuits. Mais qu'il accepte.
Tenir encore. Toujours. Ne pas succomber aux appels. Ne pas lâcher ceux à qui il a promis d'être là, qui sont présents pour lui et l'ont été aux moments les plus sombres. Résister et s'y tenir. Malgré les doutes, malgré l'épuisement parfois. Pour eux, pour ses frères. Et pour lui, au bout du compte. Parce que la vie vaut tous les sacrifices auxquels il a consenti. Se montrer fort et faire face. Voilà l'homme qu'il était devenu, avec l'énergie du désespoir qui l'avait habité alors. Il s'était lié, il y a quelques années maintenant, à ces hommes, ils étaient sa famille. Jamais il ne pourrait abdiquer.
Alors, pour eux, pour cette femme, il serait un mur et ne cèderait pas. Mieux encore, il faisait front pour deux. Car à cet instant, elle n'était que souffrance et peurs. L'angoisse l'habitait et ses cris transperçaient la nuit, au-delà des bras d'Athos, des murs de cette cellule.
Par chance, la prison était vide. Il n'était pas dans les habitudes des mousquetaires d'infliger des tortures à leurs prisonniers, mais il aurait été vite imaginé n'importe quel drame par quiconque entendrait ces menaces proférées et ces hurlements d'angoisse.
Constance avait obtenu d'accompagner Athos et veillait à le seconder de son mieux. Elle était terrifiée par ces vociférations. Elle avait, même juste une nuit, rencontré ces démons infernaux qui n'étaient que sang, fureur et horreur. Elle imaginait aisément ce qui traversait l'esprit d'Emilie. Elle espérait être un soutien bien qu'elle ne sache trop comment. Maladroite, elle obéissait aux injonctions d'Athos ; Elle portait du vin aux lèvres de la jeune femme et l'aidait à avaler une goulée. Elle épongeait son front. Mais que pouvait-elle faire de plus ? Elle l'ignorait totalement.
La voir ainsi aux prises avec des forces qui les dépassaient tous, l'effrayait. Mais elle resterait forte. Pour Athos qu'elle appréciait particulièrement, pour d'Artagnan qu'elle aimait de tout son être, pour ses amis Porthos et Aramis qu'elle aimait comme des frères qu'elle avait choisis et adoptés. Pour Emilie, qu'elle voulait libre de ses monstres. Pour le royaume. Et particulièrement pour son amie, Anne, qu'elle respectait profondément et aimait véritablement. Elle découvrait chaque jour la solitude dans laquelle cette femme, honnête et juste, était abandonnée. Elle ne la plaignait pas, c'était le lot des femmes d'être oubliées. Mais elle tentait, chaque jour, de lui apporter son soutien, de lui manifester une amitié sans faille, entière. Dévouée.
Au bout de la nuit, de quelques nuits plus exactement, Emilie est enfin libre. Elle a dormi tout son saoule. Sans cauchemar. Sans visions ensanglantée. Sans prédication à transmettre. Une nuit ordinaire pour achever son parcours d'angoisses. Elle finit par admettre ce qu'Aramis lui rappelle ; Dieu ne lui a jamais parlé. Elle a été leurrée. Par celle en qui elle plaçait une confiance aveugle, sa mère. Elle retourne enfin au camp et renvoie tous ces misérables qui espéraient en son retour. Ils sont désabusés et cela se retourne contre la mère d'Emilie qui succombe à un jet d'une pierre. Emilie est désormais seule. Elle est une femme ordinaire. Une vie simple l'attend maintenant. Constance est retournée au palais, elle reprend sa place auprès de la reine. Elle n'est pourtant qu'une femme ordinaire également. Mais dont l'ordinaire est déjà plus extraordinaire.
Anne a repris sa place auprès du roi, une vie ordinaire de reine, mais qui semble si incompréhensible pour les gens du peuple.
Chacun s'en va, s'éloigne. Le camp est démonté et disparaît aussi vite d'un feu de paille.
Les hommes aussi retournent à leurs vies. Seul, Athos reste troublé par ces heures passées en compagnie d'Emilie. Il s'est mis à l'épreuve. Son cœur a manqué vaciller. Il a pourtant lutté, la peur chevillée au corps lui vrillait les tripes, mais jamais il n'a montré le moindre signe de faiblesse. Il ne pouvait pas trahir Emilie, ses frères, ni le roi. Une responsabilité qu'il assume jusqu'au bout, parce qu'il est un homme engagé et fidèle à ses principes.
Les mots d'Aramis sèment trouble. Chacun réfléchit. Emilie se croyait investie d'un message divin. Il n'en n'est rien. Mais la foi d'Aramis reste inchangée. Imperturbable, Pourtant, la tentation était grande de se détourner. D'estimer qu'Emilie n'était qu'une folle hystérique, une agitatrice. Fort de sa foi, Aramis a accepté de la rencontrer, au sens plein du terme. Avec toute l'énergie dont il est animé, avec sa finesse d'esprit et de raisonnement. Avec cette conviction qu'elle s'est fourvoyée. Il prend le temps d'apprendre à connaître la femme qu'elle est, à analyser ses motivations. Il place dans cette mission toute la détermination dont il dispose. En s'appuyant sur la force d'une raison maîtrisée mais solide.
Emilie a rejeté la main secourable d'Aramis alors que sa mère décédait dans ses bras. Elle veut s'isoler du monde. S'en détacher. Pourtant, cette main tendue était pleine de compassion. Envers une femme ordinaire, esseulée. Une femme qu'il estime au-delà du message qu'elle a véhiculé peu auparavant. Elle le repousse. Parce qu'elle conserve, au fond d'elle, cette étincelle de guerrière qui l'animait quelques jours avant. Parce qu'elle ne veut partager avec personne la peine qui l'assaille.
Tout s'achève. Le silence a envahi le camp déserté. Seul le pas des chevaux qui s'éloigne le trouble légèrement. Ce n'est pas la mort de sa mère qui étreint Emilie, ce sont les illusions perdues. Le rêve d'hommes et de femmes réveillés par ses appels. Tous ont fui. Ne demeure que la solitude, le dénuement complet qui plonge Emilie dans l'anonymat le plus absolu. Ne pas se retourner et reprendre sa vie de femme. La plus ordinaire qui soit.
Le temps file comme l'éclair. Ne laissant nul repos aux hommes. A peine ont-ils réalisé que Tréville, fondateur du régiment, leur capitaine, est redevenu un mousquetaire sans plus de charge, par simple caprice royal, qu'ils s'aperçoivent de la disparition d'Athos un beau matin.
Où est-il allé ? Dans quel guêpier s'est-il fourré ? A moins que ce ne soit encore le résultat d'une action inconsidérée et dangereuse de Rochefort. Une nouvelle attaque contre leur fière compagnie.
Les hommes sont inquiets pour leur ami, d'Artagnan n'ignore pas qu'il ne disparaîtrait pas ainsi sans informer quiconque. Tréville le suppose parti boire. Il s'était aperçu de la dureté de l'épreuve qu'il venait de subir. Bien qu'il ait tout fait pour le cacher à chacun, son capitaine le connaît trop. Il a été affecté bien plus durement qu'il ne l'admettra jamais par ces nuits à surveiller et secourir Emilie. Il en a souffert plus qu'il ne le croit lui-même et le risque est grand de sombrer à nouveau dans ses travers.
D'Artagnan n'y croit pas, cela ne ressemblerait pas à Athos de se laisser piéger ainsi. Impossible. Et comme le précise Porthos, ils ont écumé les auberges et nul ne l'a vu. Nulle part.
En désespoir de cause, accompagnés de Tréville, les trois hommes se rendent dans les quartiers d'Athos et fouillent. Ils découvrent des courriers, reçus de ses gens. Enfin, ceux dont il avait la charge en tant que comte de la Fère. La vérité est bien plus crue qu'ils ne l'imaginaient. Il se devait de retourner sur ses terres et régler quelque affaire domestique.
Mais les hommes ne se satisfont pas de ces quelques éléments de réponse. Il est certain que ce n'est pas de gaîté de cœur qu'Athos irait à Pinon. Un domaine qu'il a fui et dont d'Artagnan sait qu'il a brûlé la nuit de leur départ avec Emile Bonnaire. Par la main d'Anne de Winter.
Qu'à cela ne tienne, ils iront. Et Tréville les accompagnera, il s'est laissé convaincre.
Porthos, de son côté, est prêt à partir mais il a quelque chose en travers de la gorge. L'héritage inespéré touché du général de Foix. Pourquoi ? Tréville lui a juré que l'homme n'était pas son père. Alors pourquoi lui ? Pourquoi ce cadeau inattendu ? il se rendra à Pinon mais exige qu'enfin son ancien capitaine lui livre le secret qu'il garde jalousement.
Ces hommes ne sont pas si ordinaires qu'ils le paraissent. Tous portent en eux des secrets, un passé qui trop souvent à leur goût, ressurgit de l'ombre et les surprend.
Athos est en effet de retour à Pinon. Pas comme il pourrait l'avoir imaginé. Lui ayant écrit à de multiples reprises pour évoquer son possible retour, les habitants de ce domaine axonais et espérant qu'il y répondrait favorablement, n'ont trouvé jusqu'ici que le silence le plus absolu. Le comte ne s'est guère plus préoccupé de ses terres qu'il n'a repensé à elles. Alors, ils se sont résolus à aller le chercher par tous les moyens possibles. Et justement une occasion s'est présentée à eux. Totalement désemparé après le sevrage d'Emilie, Athos a laissé la boisson l'emporter sur lui et ses efforts.
Assommé par une trop grande consommation, il fut aisé pour Bertrand et sa fille, secondés par quelques solides gaillards, de le conduire, totalement ivre, jusqu'à Pinon. Mais Athos ne veut plus rien avoir à faire de ces hommes, de ces terres, de ce titre par-dessus tout car tout le ramène à un passé qu'il a fui et ne supporte plus.
Pourtant, il va lui falloir revoir sa position et reprendre en main ce domaine qu'il exècre. Car le baron Delouvrier, son voisin, se fait fort de le spolier et de récupérer l'intégralité des possessions de l'ancien comte, profitant de cette opportune absence qui s'éternise. Il compte bien remettre ces terres à son propre fils, et agrandir par là-même ses propres possessions et son titre. Car en ces temps-là, possession valait titre. Hériter, d'une façon ou d'une autre des terres comtales permettrait à ce jeune aux dents longues de contracter le statut de comte. Les rapprochant ainsi, potentiellement, d'un statut convoité par ces deux hommes avides, le titre de duc.
Certes Athos n'est plus comte, du moins il estime ne plus l'être dans les faits, mais il sait reconnaître la justesse des propos de ses vassaux. Et compte bien les défendre face à l'homme qui convoite le domaine. Son sang ne fait qu'un tour, il ne cèdera pas la vie de ses gens à n'importe quelle condition.
Le mousquetaire a renoncé à son titre, pas aux terres. Elles lui appartiennent toujours, quand bien même il s'est éloigné physiquement d'elles. Le baron, qui n'est homme de principes que lorsque cela sert ses propres intérêts n'y comprend goutte. Il n'est pas homme de parole non plus.
La lutte commence, mais Athos est seul face à ce baron, son fils et leurs hommes. Les villageois n'osent pas broncher face à la violence dont le baron fait montre, hormis Bertrand et sa fille, mais ils sont vite interceptés. Le sort semble jeté pour Athos.
Un coup de feu libère Athos de la corde qui le retenait prisonnier. Dans le même temps, un homme prévient de l'arrivée de soldats par la route. Le baron et sa troupe s'enfuient, craignant l'intervention d'une troupe armée. Ils enlèvent Jeanne, la fille de Bertrand avant de s'échapper.
Peu après, quatre cavaliers au grand galop déboulent. Les mousquetaires sont arrivés.
D'Artagnan tente de ramener Athos à la raison, pour le bien des villageois. Mais ce dernier ne veut rien entendre. Le gascon sait combien les responsabilités sont lourdes lorsqu'on l'on est nanti. Bien plus que pour le commun des mortels. C'est une charge et son ami ne peut la négliger. Il a charge d'âme, comme d'Artagnan, mais semble l'oublier. Même Porthos, pourtant le moins bien placé parmi tous, s'inquiète de l'attitude de son frère d'arme. Mais c'en est trop pour Athos, qui veut fuir ; Encore une fois ce passé le poursuit et il ne parvient pas à s'en détacher. Cela le ronge. Le détruit.
Aucun ne le lâche, ni Porthos, ni d'Artagnan, ni Tréville. Tous trois le contraignent à affronter la réalité, à secourir ces villageois et leurs vies. Deux sont titrés et ont charge d'âmes, ils savent de quoi il retourne. Ils ne le laisseront pas se dérober. Pas cette fois.
Athos ne comprend pas leur insistance. Ou plutôt elle le dérange.
Athos semble les abandonner tandis qu'eux demeurent pour ce village et ces terres. Bien qu'ils ne leurs doivent rien.
Athos ne part pas aussi loin qu'ils le craignent. Il se rend simplement sur les traces de son passé, pour tenter de se remémorer les quelques instants de bonheur qu'il a pu goûter alors. Ils furent brefs, mais intenses. Rien cependant ne le retient plus en ces lieux. Le manoir est noirci par le feu, détruit, comme le cœur d'Athos est déchiré par le drame qu'il a connu là.
Les ruines semblent solides encore. N'ayant pas totalement été vaincues.
L'espoir d'un lendemain ? Le souvenir d'un autrefois ? Tout revient, hante le comte et le tourmente au-delà de ce qu'il peut supporter. Son frère, étendu sur le sol glacial de cette salle, mort.
Une voix l'appelle. Le sortant de sa torpeur. Catherine, la promise de Thomas, celle qui aurait dû devenir sa belle-sœur. C'est elle qui l'a tiré des cordes qui l'emprisonnaient. Pourquoi est-elle restée dans cette seule partie intacte du manoir ? Aucun avenir ne l'a prise, elle n'a pu se résoudre à abandonner le peu qui lui restait.
Pendant ce temps, les quatre amis organisent le sauvetage de Jeanne. Il est ors de question de la laisser aux prises avec ces hommes sans scrupule ni moralité. Jamais un mousquetaire digne de ce nom ne pourrait s'y résoudre. Même pour tout l'or du monde. Ce sont des hommes d'honneur e l'honneur leur commande d'intervenir. Porthos et Aramais iront donc. Tandis que d'Artagnan et Tréville s'apprêtent à rassembler hommes et armes dans le village pour élaborer une stratégie de défense.
Catherine rappelle Athos à ses devoirs, au temps où elle lui était promise mais qu'il lui a préféré une autre femme. Fourbe. Cupide. Menteuse et voleuse. Assassine. Elle le conduit à prendre une décision concernant le baron car elle s'apprête à lui céder afin de retrouver une gloire perdue mais qu'elle estime devoir lui revenir. Elle le ramène sur les traces d'Anne. Qu'elle croit morte, pendue. Et lui n'ose encore lui avouer la vérité. Qu'Anne est en vie. Et qu'elle est la favorite du roi. Qu'elle mène grand train quand Catherine se morfond dans un réduit, à vivre chichement.
Jeanne libérée, les deux hommes retournent au village et retrouvent leurs amis désespérés par le peu de moyens dont disposent les villageois pour se défendre. C'est alors qu'Athos fait irruption dans l'auberge et attire d'Artagnan avec lui dans un lieu tenu secret par sa famille. Un cache, réserve d'armes bien entretenues au fil du temps par le père d'Athos et par Athos lui-même quand il était encore compte en ses terres. Dans l'éventualité d'un appel aux armes par le roi. Ainsi que le voulait leur charge comtale.
Profitant de ce répit, au milieu de l'agitation au cœur de Pinon, les deux hommes se détendent. Les armes sont belles, propres, et n'attendent que d'être employées à des fins utiles.
D'Artagnan s'avance vers Athos et se décide à l'affronter. Il est plus que temps.
- « Comment peux-tu laisser Anne continuer de te miner ainsi ? J'ai appris comment tu t'étais retrouvé embarqué par tes gens, mais comment as-tu pu trahir ta parole ? »
D'Artagnan fulmine. La colère a monté en lui et elle s'exprime enfin. Il en veut à Athos car il sait combien il fut difficile pour lui de se décider à l'aider. Il ne supporterait pas de devoir en repasser par là.
Athos n'avait pas été le seul à souffrir. Charles n'a pas oublié les mots de rejet prononcés alors. Ils ont resurgi comme un lapin de son terrier lorsqu'il a appris qu'il avait été ivre mort à nouveau. S'il avait eu son frère en face de lui, il l'aurait frappé. A mort sans doute. Si personne ne l'avait arrêté. Une chance qu'à ce moment, Athos ait été loin de ses poings et de sa rage.
- « Tu ne peux pas comprendre... »
- « Pas comprendre ? Quoi ? » la voix s'est assourdie tant il enrage.
- « Emilie, ces nuits passées à la soutenir. C'était trop. J'ai tout pris en pleine figure. Je n'ai pas pu en supporter davantage. »
Athos s'appuie sur les murs de la cave. Qui est aussi le caveau familial. Il observe les tombes et particulièrement celle qui trône au centre, la tombe de Thomas. Ce frère qui n'a pas eu le temps de devenir un homme. Que la mort a fauché bien trop tôt. Ce frère à qui l'avenir souriait.
- « Tu n'as pas le droit, crie d'Artagnan, au comble de la colère la plus noire. Tu n'as pas le droit. Je te l'interdis. » Les derniers mots sont prononcés dans un souffle.
Sa main touche l'épaule d'Athos. Elle se raccroche à lui.
- « Tu ne sais pas ce que tu me demandes ! Tu ne veux pas voir ! Je ne suis plus rien. Elle m'a tout pris. Ma vie, mes rêves. Il respire un instant, cherchant les mots en son cœur. Elle m'a privé de tout et ces derniers jours m'ont rappelé tout cela. Je ne trouvais plus d'issue. »
La vérité le heurte, elle est douloureuse. Mais, parler le libère d'un poids. Il n'ose regarder Charles.
- « Olivier. Non, ne m'interrompt pas. Pourquoi n'as-tu rien dit ? Ne sommes-nous pas tes amis ? Ne suis-je pas ton frère ? Nous sommes tous liés et si l'un de nous trébuche, nous tombons tous ! Tu ne peux abandonner. Tu dois te battre. Et ton combat est notre combat. Nous serons à tes côtés. Toujours. »
Une accolade les réunis. Ils sont plus soudés qu'ils ne le disent encore. La souffrance de l'un devient l'enfer de tous. Nul ne saurait regarder sans réagir. Ils sont unis par ce lien plus fort que le sang, tous pour un, un pour tous.
Athos sourit, enfin. Les mots ont percé les ombres. La force insufflée par Charles lui rend ce regain d'énergie dont il se sentait si privé. Il redresse les épaules puis lève les yeux. Ils sont brillants. Il est prêt à se battre pour les villageois, pour son domaine. Pour sa vie.
Ayant chargé poudre, pistolets piques et épées, les deux hommes s'apprêtent à quitter le manoir. Pour affronter ce baron et ses troupes. Pour défendre l'honneur d'un village. Pour rappeler à la vie qu'elle doit compter avec eux. Tous les cinq.
Catherine les interrompt un instant. Fugace mais comme pour signifier à Athos qu'il n'en n'a pas encore totalement fini avec son histoire. Il lui avoue qu'Anne est toujours en vie, qu'elle est la maîtresse de Louis. Dépitée, elle le gifle. C'est une évidence qu'il n'a pas mis un terme à son passé. Pourtant, il va de l'avant. Il se sait entouré par de fidèles amis, des frères. Il garde la tête haute car il n'est pas seul.
Tous sont liés, dans ce défi permanent à la vie et contre la mort. Plus ils affrontent l'une, plus ils font reculer la seconde. Un combat les attend qui parle d'honneur, de loyauté et de courage. Ils l'acceptent sans regret, sans état d'âme. Ils sont soldats. Ils se battent. Et c'est ainsi qu'ils gardent espoir dans leur chance.
D'Artagnan lui rappelle que son devoir est d'être là, avec les habitants de Pinon. A leurs côtés. Athos lui répond, sèchement, mais en le regardant en face cette fois :
- « Tu crois me connaître mais tu te trompes ! »
Que lui cache-t-il encore ? Il l'ignore mais chacun porte en lui une part d'obscurité qu'il ne trahira jamais, des rêves engloutis au tréfond de son cœur et une solitude que nul ne peut atteindre. Qu'importe. Athos est à ses côtés et tous vont défendre l'honneur de son nom, de ses vassaux. Et rien d'autre ne compte pour le gascon. Il est soldat. Le combat lui convient pour faire triompher la vie. A sa façon il la célèbre. Il la vénère plus que tout.
Le soleil se couche sur Pinon. Les chevaux galopent, emportant les espoirs d'un village d'un côté, une jeune femme sauve de l'autre. Tous vont se rejoindre sur la place et préparer une dernière nuit de tranquillité avant que le combat ne se prépare. La guerre fera rage demain, assourdissant les oreilles et brutalisant les corps.
Au petit matin, Les habitants ne sont pas prêts, mais les soldats les attendent. Fiers guerriers, ils s'affairent pour former chacun au mieux en si peu de temps, encourageant les uns, conseillant les autres. Les bras devront être plein de vigueur et les cœurs vaillants. Ce sera brutal. Ce sera dur. Le sang coulera. Mais la promesse de la liberté vaut bien tout ce prix.
Tréville les a exhortés. Comme il sait le faire. En soldat, en capitaine. Il leur a donné le courage. Il les guide vers la victoire.
Un pour tous. Tous pour un. Chacun veille sur l'autre. Personne ne flanche. Malgré la brutalité des assaillants. Malgré la peur qui broie leurs estomacs. Ils tiennent. Ils ne font qu'un. Pour Pinon.
Tout comme Jeanne libérée juste à temps, Pinon retrouve sa liberté quand elle semblait sombrer. Parce qu'Athos a offert les terres aux habitants, ils puisent leur énergie en elles. Elles sont à eux. Ils veulent y demeurer. Libres.
Les mousquetaires ont entendu l'appel de leur chef, de leur capitaine. Ils adhèrent à ses paroles. C'est leur raison d'être et de vivre. Porthos a un compte à régler avec Tréville c'est certain, une explication à avoir avec l'homme. Mais il suit le capitaine, les yeux fermés. Il possède cette même énergie, elle bouillonne en lui. Elle est ce qui le fonde. Viscéralement. Tout son corps ne vibre que par le combat qui l'attend. Toujours un d'avance. Parce qu'il est soldat. Parce qu'il est mousquetaire.
Aramis ne dit rien, mais il n'en pense pas moins. Il aime la folie qui le saisit au cœur de la bataille, elle lui offre la paix dont il a besoin dans sa vie d'homme. L'œil affûté, il choisit sa cible comme le faucon fond sur sa proie. Rien ne saurait l'en détourner. Les coups de sa lame sont ajustés, précis. C'est un homme de l'art. Un esthète. Son épée est aussi rapide et propre que les coutures auxquelles il s'adonne pour soigner les blessures de ses amis.
D'Artagnan est revigoré par les mots du capitaine. Ils résonnent en lui avec la précision d'une horloge. Tout son enthousiasme le précipite vers la lutte. C'est un guerrier dans l'âme. Il se jette au cœur de la bataille tel l'enfant qu'il reste toujours se précipitant sur son jeu. Son épée est le prolongement de son bras, Ils font corps tous les deux. Avec une folle envie de vivre qui ne le quitte jamais. Fin, il est taillé pour cette arme qui le lui rend si bien. Il est son épée, elle est d'Artagnan.
Athos, fidèle à lui-même, reste concentré sur l'adversaire. Un objectif net. Calculé. Et cette apparente froideur qui ne le quitte jamais le rend toujours aussi intelligent. Bretteur talentueux, le soldat parle avec génie des mots que sa lame entend. Une dernière fois, il va défendre ces hommes et ces femmes, ces enfants, ces terres qui ne lui appartiennent plus désormais. Son épée traduira sa pensée la plus exactement possible.
Les mots de Tréville sont percutants. Ils invitent chacun à sa propre introspection. Rien n'est gagné d'avance, mais tous savent que les mousquetaires seront à leurs côtés. Nul ne recule. Ils font front, ils font corps. Tous pour un et un pour tous.
Le village organise sa défense. Le capitaine retrouve ses vieilles habitudes et ordonne. Il est efficace. Il sait guider les esprits et son œil est pointu. Paysans, artisans ne sont pas aussi habiles que des soldats, mais ils y mettent tout leur cœur. Ils défendent leurs biens les plus précieux et rien ne saurait les détourner de leurs vœux le plus cher, qui les motive comme un seul homme : leur liberté.
Fusse au prix du sang.
La bataille fait rage quand les assaillants se lancent à l'assaut des barricades de fortune installées par tous. Les armes produisent un tonnerre fracassant, les corps tombent. Mais voilà que les épées remplacent les pistolets et arquebuses ou mousquets. Le tintamarre du métal parfois couvert par des cris. Les uns attaquent, d'autres défendent, quelques-uns -est-il encore besoin de dire lesquels- se battent avec force hardiesse. Pour un peu, nous pourrions voir se dessiner le sourire sur le visage des mousquetaires. Ils sont là où se trouve leur place. Au milieu du tumulte de la bataille. Disciplinés, ils obéissaient aux ordres du capitaine, mais bientôt chacun doit se préoccuper du seul adversaire qui lui fait face, parfois de deux dans le même temps. D'Artagnan, impatient, devance ses adversaires, il a soif d'en découdre. Athos, une lame dans chaque main, s'en donne à cœur joie d'écourter la vie de quelques-uns tandis que Tréville lutte pour sa vie, sauvé par Porthos qui veille toujours au grain pour chacun des siens. Aramis se montre inventif pour surprendre l'ennemi, frappant l'un, détaillant le suivant de son épée.
Comme il le disait si bien à d'Artagnan, juste avant que le combat ne fasse rage :
- « Je suis resté éveillé la nuit dernière, pensant à ce que je faisais ici ? Que ce n'est pas mon combat. Ce matin, j'ai réalisé que c'est exactement ce pour quoi je suis né. Surtout juste se battre, tout risquer, tout mettre en jeu, Sinon, comment puis-je savoir que je suis vraiment vivant ? »
Au cœur même de la bataille, ces soldats sentent la vie les porter, les pousser à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Une première victoire, les forces doivent se regrouper. C'est un répit de courte durée sans nul doute.
Catherine qui avait rejoint Athos n'y a pas pris part. Elle a entendu les villageois parler de leurs terres au baron, elle ressenti un haut le cœur en comprenant qu'Athos a distribué les terres à chacun, elle y compris certes, mais cela ne lui suffit pas. Elle voulait être leur seigneur et maître à sa place. Elle s'est sentie volée. Outrée, elle avait abandonné son poste avant même le début des combats pour se torturer l'esprit pendant que chacun se défend de son mieux.
Tous se préparent au second assaut. Armais et d'Artagnan ont préparé une surprise de leur cru aux attaquants. Ils seront bien reçus. Puis à nouveau chacun se lance au-delà des barricades. Au-devant du danger, ne laissant aucune trêve aux hommes du baron. Ils veulent en finir avant que la journée ne soit achevée. A nouveau les mousquetaires font montre de leur habileté à l'épée. D'Artagnan prenant celle d'un adversaire qui tombe sous la sienne, exécute la prouesse de combattre des deux mains avec autant d'adresse pour l'une que pour l'autre. Tréville ne faiblit pas devant un adversaire supérieur en nombre pourtant. Porthos alterne entre l'épée et le poing herculéen et Aramis s'illustre par ses coups portés avec élégance. Athos, défié par le fils du baron, une dague en main gauche et l'épée dans la droite relève le challenge, déterminé à vaincre.
Faute d'adversaires encore debout, les hommes attendent la fin du duel qui oppose leur ami au scélérat qui tentait de spolier les habitants de Pinon. Edmonds tombe, invite Athos à en finir mais Catherine l'arrête, menaçant le mousquetaire d'un pistolet. Chacun est interdit, leurs épées rangées aux fourreaux sont silencieuses. Pourquoi ? Elle veut lui faire payer l'outrage dont elle s'estime doublement victime : Anne toujours en vie et le domaine qui lui échappe. Athos tente de la raisonner, ses armes jetées à terre. Edmonds tire un poignard de sa manche et tente d'abattre cet honorable combattant de façon traitre, mais Catherine tire à cet instant. La balle atteint le jeune homme qui s'effondre. Le baron se précipite, juste à temps pour voir la vie quitter son fils.
Les amis s'inquiètent pour Athos, mais la balle l'a manqué. Ce n'était pas son heure. Pas aujourd'hui, pas ici à Pinon.
Tous retournent vers le village, derrière les barricades. Laissant le baron tout à sa peine. Il est temps de remettre de l'ordre. Chacun s'affaire. Tréville veut remercier Porthos de lui avoir sauver la vie, plus tôt dans la journée et lui tend la main. Main que Porthos refuse de prendre.
- « Je l'aurai fait pour n'importe quel mousquetaire. Mais je ne serrerais pas votre main. Pas tant que vous ne m'aurez pas dit la vérité. »
Le soldat a laissé place à l'homme qui ne peut oublier le silence de Tréville le concernant. La vérité sur son père et son histoire.
L'aventure à Pinon s'achève. .es quelques hommes du baron, encore valides ou blessés sont rassemblés. Ils seront livrés à la justice. Ainsi qu'il se doit. Les mousquetaires en ont fini de cette mission qu'ils s'étaient donnés et s'apprêtent à retrouver leurs montures pour se rendre à Paris, chez eux.
Athos a transmis les terres aux habitants, nommant comme il se doit Bertrand maire de la ville. Il n'est plus désormais le comte de la Fère, plus jamais. Il n'est qu'un homme presque ordinaire. Il demeure tout de même, sous ses airs simples, un soldat de valeur. Un homme d'honneur.
Ses amis chevauchent à ses côtés, il est là où il doit être, parmi les siens. Ceux qu'il a choisi et qui l'ont accueilli. Il est un mousquetaire et cela suffit à son bonheur. La haie des villageois qui accompagne sa sortie du village est la dernière qu'il connaîtra à Pinon, il ne compte pas y revenir. Jamais. Il a laissé ce passé à sa place. Avec les souvenirs qu'il enfouit en lui, profondément cachés. Il n'espère pas les déterrer avant longtemps. A vrai dire, il ne compte pas le faire du tout. Le passé doit rester derrière soi. Athos en a fini. Et avec souvenirs, demeure à jamais enfoui les excès qui l'accompagnaient.
Ces terres l'empêchaient de vivre et d'aller de l'avant. Il a fermé les pages de ce sombre livre pour toujours.
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