IV

     – Elle se déplaçait alors beaucoup moins qu'aujourd'hui, et pourtant nul ne connaissait son existence. C'est encore le cas aujourd'hui.

     – Non ! et Apuuntak sauta sur ses jambes en disant cela. Vous la connaissez et ils viennent de l'apprendre.

     – Le Kontikaj te croit être un cadeau du feu. Et en ce qui me concerne, écoute ce que j'ai à te raconter. Car, je crois savoir que tu n'accèdes à ce savoir qu'en devenant sage...

     Apuuntak ne comprenait pas comment il était possible que l'homme en sache autant sur sa tribu, sa famille. Alors il l'écouta sans l'interrompre une seule fois. Mais peut-être qu'au fond de lui il connaissait la réponse...

     – Les trois tribus que tu connais existaient déjà depuis très longtemps, même si elles n'ont pas le même âge. Chacune a une organisation différente : les Tek-Tek sont les plus vieux, les plus évolués et les femmes et les hommes sont égaux, tout comme l'enfant est l'égal de l'adulte ; les Woukini sont quelque peu plus jeunes que les Tek-Tek, et l'homme l'emporte sur la femme, les enfants sont mis en retrait, et ils portent un horrible défaut qui pourrait leur être fatal : ils n'observent pas leur environnement, ils pensent le dominer et ne le respectent pas ; enfin, le Kontikaj est la plus jeune tribu et n'a pas encore fini son évolution – d'un point de vu de notre espèce, tu as vu leur corps, tu en as été étonné – et la femme domine l'homme, elle est quasi vénérée pour mettre au monde les enfants.

     >> Il faut que tu saches que ce n'était pas le cas il y a beaucoup trop longtemps pour que l'on en garde la trace dans les mémoires. J'ai dû demander aux plus vieux membres de me raconter tout ce qu'ils savaient, alors qu'ils étaient mourants. Cela peut te paraître cruel mais nous avons besoin de ce savoir, même si pour l'instant il n'y a que toi et moi qui savons. Je disais donc, qu'avant, il y avait d'autres tribus. Elles se connaissaient et elles ne faisaient appel aux autres qu'en cas d'extrême nécessité. Puis un jour, plusieurs d'entre elles disparurent. Je ne sais pas comment, mais c'est peut-être une clef qu'il nous faut. Dès lors, il n'y eut plus que ces trois tribus. Les Woukini et le Kontikaj continuèrent leur histoire tranquillement et en oubliant.

     >> Mais les Tek-Tek devaient subir une autre épreuve. Une fille naquit. Elle était précoce, trop précoce. Elle savait manier l'arc à quatre ans, et elle s'appelait Rilaan. Oui Apuuntak, comme ta fille. Ton père connaît cette histoire puisqu'il est sage, et tu vas savoir pourquoi il a choisi de la nommer ainsi. Rilaan avait un jeune frère nommé Ipal. Il imitait le cri des animaux et le chant des oiseaux comme s'il en était un. Les deux enfants chassaient ensemble, et Ipal avait inventé le chant d'un oiseau qu'il parvenait à faire résonner de façon à ce que sa sœur l'entende de loin, pour communiquer. Ils ne faisaient qu'un. Ils dormaient à part des autres, dans un arbre, et Ipal chantait tous les soirs pour endormir sa sœur. Sa tribu en profitait aussi. Un jour, un grand oiseau que personne n'avait jamais vu l'emporta on ne sait où. Le lendemain il le rapporta : il était mort. Son corps était entaillé de tous les côtés, mais il n'y avait plus beaucoup de sang qui s'en écoulait. On le nettoya, on l'enterra. On appliqua la tradition. Deux jours plus tard, un quart de la tribu était faible. Quatre jours plus tard, il était maigre. Cinq jours plus tard, un autre quart commençait à se sentir faible. Six jours plus tard, le premier quart de la tribu se vidait de son sang par les oreilles et le nez et le second quart maigrissait tandis que le cycle se répétait pour d'autres encore. Vingt-huit jours après la mort d'Ipal il ne restait qu'une famille, et les autres étaient tous morts. La famille de trois générations qui avait survécu était celle d'Ipal et Rilaan. Rilaan déterra Ipal, lui tira une flèche dans le cœur, se planta une flèche enflammée dans son propre cœur et ils brûlèrent au pied de leur arbre et avec lui. Le feu prit des proportions gigantesques, et au bout d'une journée et d'une nuit les parents et les grands-parents réussirent à l'éteindre et ils s'enfuirent car le feu avait attiré les animaux. Le reste de leur famille partit donc loin de cet endroit qui abritait une tragédie, pleura tout le reste de la tribu et continua à faire des enfants. Peut-être étaient-ils immunisés, peut-être avaient-ils développé autre chose qui leur permit de survivre. Car, par deux fois, la deuxième génération de la famille procréa un garçon et une fille qui firent des enfants entre eux sans jamais que la consanguinité ne les affecte.

     – Et vous avez observé tout cela...

     – J'ai participé à tout cela. Et je l'ai fui.

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