III
Ce soir là, quand tout le monde fut endormi, Apuuntak se leva et sortit sans faire de bruit. Il voulait revoir l'homme et savoir si son enfant avait survécu. Il grimpa dans les arbres pour éviter les mauvaises rencontres qui surviennent la nuit, et s'orienta à la lumière qu'émettait la lune, pleine cette nuit là, qui réussissait à filtrer à travers les épais feuillages. Il ne remonta pas le chemin qu'ils venaient de parcourir pour, à partir de leur ancien camp, reprendre celui qu'il avait prit la veille : il coupa à travers la forêt, sûr de lui.
Apuuntak commençait à fatiguer, lorsqu'il aperçut une vive lueur orangée. Il fut plus léger et moins fatigué tout à coup, qu'il accéléra son rythme, pressé d'arriver sur les lieux.
Tout autour de leur campement disposé en cercle, de petits feux brûlaient, espacés à intervalles réguliers, évitant ainsi qu'ils ne se rejoignent. Très vite, Apuuntak comprit que ce n'était pas normal. Jamais les Woukini n'avaient opéré de cette façon. D'ailleurs, ce n'étaient pas eux. C'était une autre tribu. Quand il en prit conscience, Apuuntak faillit perdre l'équilibre sur sa branche. Il en descendit lentement et avec précaution, prenant le temps d'intégrer ce qu'il venait de découvrir. Mais s'il avait découvert l'existence d'une autre tribu, pourquoi n'y aurait-il pas pu y en avoir d'autres ? Penser qu'ils étaient les seuls était stupide, et il ouvrit son esprit à l'incertitude qui naissait en lui. Tout à coup, son monde paraissait beaucoup moins certain.
Il s'approcha beaucoup plus du campement qu'il ne l'avait déjà fait de celui des Woukini, car le feu pouvait le dissimuler. Il observa ces autres individus semblables à lui, et remarqua qu'ils étaient couverts de poils. On aurait dit des animaux qui avaient pris forme humaine. Ils étaient tous assis au centre du campement et resserrés autour d'un homme ou d'une femme – Apuuntak n'aurait su dire – couvert de plumes fixées sur son corps avec de la boue séchée. Celui-ci tourna soudainement sa tête vers Apuuntak et le fixa de ses yeux ronds presqu'exorbités. Son cœur rata un battement et se mit à cogner aussi fort qu'il le pouvait. Apuuntak était terrifié par cet individu. Il le regarda avec horreur, incapable de bouger, tendre son bras dans sa direction et le pointer de son doigt crochu. Deux femmes se levèrent de l'assistance et vinrent prendre chacune un de ses bras et l'amener à l'homme à plumes.
Celui-ci posa ses mains sur les épaules d'Apuuntak et les fit glisser le long de ses bras jusqu'aux coudes – là il passa son ongle sur la cicatrice – , puis les leva à l'horizontale et reprit son manège. En passant sur ses mains, l'homme y déposa quelque chose et les referma. Apuuntak n'aimait pas ça et il n'était pas rassuré. L'homme s'adressa au ciel puis il lui fit signe de regarder ce qu'il y avait dans ses mains. Avec appréhension il ouvrit ses poings pour y découvrir une plume dans sa main gauche et un petit os dans la droite. Il laissa échapper un soupir de soulagement. Puis on le fit tourner plusieurs fois sur lui-même et Apuuntak réalisa que toute la tribu était assise en tailleur autour de lui et qu'elle le regardait avec fascination. Il était apeuré, mais légèrement car tout s'était enchaîné très vite et il n'avait pas une seconde pour réfléchir. Comme pour le prouver, la foule se leva dans un même mouvement et s'écarta devant lui, formant un couloir jusqu'à l'entrée d'une des quatre tentes du campement. On le poussa doucement dans le dos et il comprit qu'il allait devoir entrer dans la tente. Tandis qu'il avançait, les bras se tendaient timidement et certaines mains le frôlèrent.
Dans la tente, l'atmosphère était plus légère et Apuuntak s'aperçut qu'il était crispé. Il se détendit, mais cela ne dura pas longtemps car il se rendit compte que l'homme était déjà assis devant lui et l'attendait ; Apuuntak n'aurait su dire comment cela était possible, puisqu'il était derrière lui quelques secondes auparavant.
L'homme lui fit signe de s'asseoir à sa droite et l'incita à parler.
– Mon nom est Apuuntak, fut la première chose qui lui vint à l'esprit.
Puis il se rendit compte que c'était stupide de sa part de donner son identité, car si jamais sa famille l'apprenait...
– Je connais ta langue Apuuntak, lui répondit l'homme après quelque temps d'hésitation.
– Comment est-ce possible ? s'étonna le Tek-Tek.
Mais il n'allait pas être au bout de ses surprises...
– J'ai connu bon nombre de tribus.
– Personne ne connaît l'existence des autres.
– Pourtant, toi, tu la connais.
– Par un des plus grands hasards.
– Mais, enchaîna Apuuntak, les tribus que vous avez observées, vous avez dû en parler à la vôtre.
– Ce n'est pas ma tribu, déclara l'homme sur un ton calme.
Apuuntak l'observa sous un jour nouveau, et remarqua que son corps ne ressemblait pas vraiment à celui des autres.
– Ces plumes... elles sont là uniquement pour les tromper sur votre origine.
– Tu observes et tu déduis vite. Moi aussi Apuuntak. Je sais que tu n'es pas comme tu l'as laissé paraître tout-à-l'heure, tu es beaucoup plus fort que ça.
– Peut-être, mais j'étais réellement terrifié.
– Tu n'aurais jamais reconnu une telle chose auparavant...
– De quel droit pouvez-vous juger ma vie que vous ne connaissez pas !
Mais en disant cela, Apuutak songea qu'il aurait mieux fait de se taire, que les choses n'étaient pas celles qu'elles paraissaient être. Il réalisa qu'il était sur le point d'accéder à une partie de la vérité.
– Mais je la connais, Apuuntak. J'ai reconnu ta cicatrice, la cicatrice que portent les chefs de la tribu Tek-Tek. Cette tribu était autrefois la plus grande qu'il puisse y avoir dans toute la forêt, plus grande encore que la tribu des Woukini et celle du Kontikaj réunies.
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