Chapitre 12

Les jours passaient, se transformant petit à petit en semaine. Erine faisait des progrès dans l'apprentissage du japonais, grâce à Claude qui se montrait être vraiment un bon professeur. Et le fait qu'il parle couramment français était un énorme avantage, il pouvait ainsi l'aider plus facilement et lui faire remarquer ses erreurs.

Ni l'un ni l'autre n'avait reparlé de la discussion téléphonique qu'ils avaient eux en plein milieu de la nuit, quelques semaines plus tôt. Erine avait continuée à revoir des fragments de son passé dans ses rêves, tous aussi désagréables les uns que les autres. Maintenant elle arrivait cependant à les considérer avec plus de distance et s'en retrouvait moins chamboulés. Pourtant, elle ne pouvait nier que cela avait un impact sur elle. Pas à pas, elle se rendait compte que sa mère l'avait transformée, faisant d'elle une sorte de petit monstre ambulant. Bien sur, Erine était responsable aussi, elle n'avait jamais rien fait pour changer cette image et son comportement. A tel point que c'était devenue une partie de sa personnalité, une chose qu'elle ne pourrait pas modifier uniquement avec sa volonté.

- Votre note, mademoiselle Kibo.

Le professeur énonça cela d'une voix acerbe et claquant comme un fouet. Erine baissa les yeux et se rendit compte qu'un pauvre dix sur cent ornait sa copie. Même si elle s'améliorait dans la langue, elle était loin d'en maitriser tout les rudiments. De plus, elle se plongeait tellement dedans qu'elle en oubliait de réviser tout le reste. Son esprit ne pouvait pas suivre. Elle ne s'appelait pas Okamin Rein elle.

- Fait chier, siffla-t-elle à voix basse.

Le regard de Claude se tourna vers elle, mais Erine ne le vit pas, serrant sa feuille entre ses doigts, menaçant de la déchirer à cause de la frustration et de la rage. Si seulement elle pouvait mettre fin à cette boucle infernale.

Après la journée de classe elle travailla encore deux bonnes heures avec Claude. C'était l'un des seuls contacts qu'ils avaient désormais. Erine se renfermait de plus en plus sur elle-même, refusant les relations et aides proposés.

- Dit Erine, tu fais un truc ce weekend ? demanda subitement Claude alors qu'elle mémorisait une série de mots.

- C'est-à-dire ? Sois plus explicite.

- Eh bien, tu as prévu de sortir, de faire la fête, une connerie dans le genre ?

- Non. Je reste chez moi, je dois continuer à travailler cette fichue langue.

- Je vois, pas très palpitant comme programme ! Tu dois te faire chier comme un rat mort !

- Je ne te permets pas de me comparer à une chose aussi affreuse et répugnante !

- Ce n'est qu'une expression, ricana-t-il, mais si tu veux être un rat mort libre à toi.

Erine lui lança un regard suffisant et se concentra de nouveau sur sa liste de mot. Claude fit tourner son stylo avant de le déposer sur la feuille que tenait Erine, lui masquant un peu la vue.

- A quoi tu joues là ? Je ne te paye pas pour m'emmerder que je sache.

- Je me disais que tu pourrais sortir ce weekend. Je suis tout seul, mon meilleur pote est indisponible. Donc je cherche une personne qui pourrais me tenir compagnie, histoire que je ne m'emmerde pas trop et que le temps passe un peu plus vite.

- Et donc tu te tournes vers moi, celle qui n'a pas d'amie, pour ce rôle ?

- En quelque sorte !

- Hors de question, refusa sèchement Erine, cela voudrait dire que je devrais me promener dans une ville pleine de pauvres, pour faire des activités de pauvres.

- C'est pas si mal les « activités de pauvres » tu sais. Et tu n'as jamais essayé en plus.

- Je n'ai pas besoin d'essayer pour savoir que ça sera sans intérêt et ennuyeux. Maintenant, si tu me le permets, je vais me remettre à travailler.

- Bon, comme tu voudras, abdiqua-t-il en haussant les épaules.

Ils continuèrent de travailler jusqu'à ce qu'il soit l'heure de rentrer. Erine donna une nouvelle fois l'argent à Claude et le salua avant de quitter la pièce.

Une fois chez elle, ce fut Kokuchu qui s'approcha, son petit air espiègle toujours épinglé à son visage. Le temps avait beau passer il continuait de lui mener la vie dure, la traitant comme une petite fille.

- J'ai reçu votre bulletin de note, ce n'est pas très joli à voir dit donc ! Les notes sont horriblement bases, même un enfant pourrait faire mieux que ça !

- Vous n'avez pas à regarder mon courrier que je sache ! s'énerva Erine en le voyant agiter le papier comme un bonbon.

- Allons, je suis votre dévoué serviteur, il n'y a pas de secrets entre nous, gloussa-t-il.

Erine essaya de lui arracher le relevé de notes des mains, mais Kokuchu s'échappa agilement et disparu dans le couloir en la narguant.

- Vous devriez vous mettre au sport, cela ne vous ferait pas de mal !

- Allez-vous faire foutre espèce d'enfoiré de première !

Elle n'avait que très rarement insulté Kokuchu, mais à c'était sortit tout seul. Est-ce qu'il était en train d'insinuer qu'elle était grosse ? Prise d'une crainte soudaine, elle se précipita devant un miroir pour constater la réalité. Bon, elle n'était pas la fille ayant la ligne parfaite, ses hanches étaient un peu large et elle avait des cuisses un peu épaisse, mais elle se trouvait convenable, elle faisait du 42 en pantalon, il y avait pire.

- Tsss, il n'a qu'à se trouver une mannequin s'il est pas content.

Elle quitta le miroir et se laissa porter jusqu'au lendemain.

C'était le weekend, et maintenant elle travaillait depuis quelques heures sur son japonais. L'aiguille de sa montre semblait pétrifiée, figer dans un espace temps qui refusait de la faire avancer, rendant chaque seconde insupportable à Erine. A force de travailler, elle sentait la pression l'écraser, la rendant malade et créant des céphalées monstre dans son crâne.

- Bon, je vais faire une pause.

Elle s'éloigna de son bureau et s'étira pour délier ses muscles et sa nuque endoloris. Rester toujours dans la même position n'était pas une bonne idée, sauf si elle avait envie d'avoir des douleurs un peu partout. A cet instant précis, elle aurait désiré s'éloigner loin, faire autre chose que travailler et réfléchir.

Le destin ramena alors à son esprit la proposition que Claude lui avait faite la veille. Pouvait-elle espérer qu'elle tenait toujours ? Faisant preuve d'un effort surhumain, elle attrapa son portable et composa le numéro de Claude. Mais, juste avant d'appuyer sur le petit icône du téléphone vert, son doigt se figea. Etait-ce vraiment une bonne idée ? Le doute s'insinua dans son esprit, après tout il lui avait demandé ça juste pour ne pas être seul. Elle se posa subitement la question : que représentait-elle pour lui ?

- Ne te pose donc pas ce genre de question !

Elle serra fermement son portable entre ses doigts, il n'était qu'un camarade l'aidant à apprendre le japonais. Et à l'inverse, elle était pour lui celle qui fournissait de l'argent. Il n'y avait pas à chercher plus loin. Dans ce cas, il n'y avait pas de mal à se servir l'un de l'autre.

- Allô ? Erine ?

Elle avait finalement appelé, passant outre son hésitation.

- Oui, je voulais savoir quelque chose, est ce que ta proposition tient toujours ?

- Pour sortir aujourd'hui tu veux dire ?

- Oui, tu ne m'as pas demandé trois milles choses différentes il me semble.

- En effet ! rigola-t-il, mais navrée j'ai trouvée une autre fille pour me tenir compagnie, sois plus rapide la prochaine fois petite princesse !

Erine sentit une colère violente naitre en elle. Incapable d'en dire la provenance, elle savait juste que son sang s'était mis à bouillir, devenant presque de la lave, parcourant son corps et réduisant tout en cendres. Elle avait l'impression que sa vue venait de se réduire, ne montrant plus rien devant ses yeux.

- Pauvre connard.

Deux mots qui sortirent avec un calme olympien, contrastant avec le sentiment qui venait de se développer en elle, comme une fleur venant de s'ouvrir sous les rayons du soleil. Suite à cela, elle raccrocha. Bien sur, une fille remplaçable, c'était si facile de changer. Qu'avait-elle cru ? Pourquoi, pendant un court instant, son cœur avait-il frissonné d'un frêle espoir ? L'espoir d'être spéciale aux yeux d'une personne, d'être importante.

Son portable se mit à sonner à peine quelques secondes après qu'elle eut raccroché. Le numéro de Claude s'affichait. Son premier réflexe aurait été de raccrocher sans chercher à comprendre, mais ses doigts ne bougèrent pas. Espérait-elle encore ?

- Je peux savoir pourquoi tu me rappelles ? décrocha-t-elle finalement, je ne vais pas m'amuser à tenir la chandelle pour toi et ta copine !

- Erine, c'était une blague, je suis tout seul en vrai.

- Ah oui ? C'est un peu facile de dire ça !

- Je ne plaisante pas, je te connais, je sais comment tu réagis à force, et j'adore te taquiner.

Etrangement, Erine ne trouva pas le ton mesquin et narquois habituel. Il était relativement sérieux.

- Si tu ne me crois pas sors de chez toi, je t'attends devant le manoir qui te sert de maison.

Erine fronça les sourcils et quitta sa chaise pour se rendre à sa fenêtre. De là, elle put voir une petite touffe rouge en forme de tulipe, attendant à côté du portail.

- Allez, ramène toi sinon je pars vraiment sans toi !

- Ne me donne pas d'ordre, c'est moi qui décide de ce que je fais !

Elle raccrocha une seconde fois et s'empara de son manteau et sac à main. Franchement, quel idiot ce Claude ! 

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