4. Il était moins une !

Violette

Sympathique... Et mon postérieur, c’est du poulet ?

Cela fait maintenant plus d’une heure que je joue les équilibristes, juchée sur la pointe des pieds, avec un poids de cinq kilos porté à bout de bras. Il paraît que ce machin est censé illuminer ceux qui brillent déjà par leur beauté tapageuse. Je comprends que Jagger ait préféré rester dans son lit avec son amant. J’ai des crampes dans les jambes et si ça continue, je vais finir avec une luxation de l’épaule !

— Violette, plus à droite le réflecteur !

J’obéis docilement, m’appliquant à déplacer le rond de toile argentée dans la direction indiquée. Une énième fois.

— Un peu plus. Encore... Voilà, that's it. C’est bien. 

— Elle fait toujours ça ? demandé-je au type à côté de moi, qui fixe du scotch sur le top d'un mannequin.

— Quoi ?

— Mélanger le français et l'anglais.

Il hausse les épaules et retourne à ses préoccupations, coller le morceau de tissu récalcitrant sur la peau de la fille.

Je ne suis vraiment qu'une poule mouillée. J’ai toujours eu du mal à dire non. Ou stop. Ou va te faire foutre ! Ce n'est pas l'envie qui me manque, mais en vérité, je suis beaucoup trop gentille. Le truc, c'est que je préfère rager intérieurement en hurlant des noms d’oiseaux plutôt que décevoir ou vexer les gens.

— OK ! À vous de jouer mes chéris, ordonne Kelly. Lâchez-vous. Montrez-moi que vous avez compris l'esprit de ce parfum. L'essence de son âme. The essence of its soul !

Elle mitraille les mannequins agglutinés autour d'un immense sofa de cuir blanc, installé au centre de la pièce. Hugo surplombe la scène tel un roi devant sa cour, tandis que les autres modèles rampent à ses pieds comme de pauvres manants. C’est l’image même que le parfumeur souhaite donner à sa dernière création : Attractive man. Bien sûr, c’est mon colocataire qui en est l’égérie.
En vérité, ce n'est guère étonnant. Ce rôle de tyran irrésistible avec le monde à ses pieds lui sied à la perfection.

Il est tellement fascinant avec ses cheveux humides et sa peau lisse, sur laquelle perlent de petites gouttes d'eau. C'est fascinant de les regarder qui dévalent lentement son torse, sillonnent la vallée de ses abdominaux pour venir se perdre sur… Merde ! Je me surprends à lécher ma lèvre avant de la mordre vigoureusement, réalisant qu’une nouvelle fois Hugo fait valser tous mes principes.

Moi qui m’étais juré de ne pas baver !

Great ! Maintenant rapprochez-vous. Je veux voir le désir dans vos regards. That’s it… c’est ça ! I want heat on bodies (Je veux de la chaleur sur les corps).

Heat on bodies… Est-ce qu'on en parle de la bouffée de chaleur qui remonte jusque dans mon crâne ?  Indifférente à mon état, la photographe s’empare d’un pot d’huile dorée qu’elle applique avec soin sur les modèles, à des endroits précis. Les yeux rivés sur la scène, je tente tant bien que mal de tenir la pose, en me tortillant pour dompter le feu qui couve au creux de mon ventre. L’atmosphère s’alourdit tandis que les effluves épicés du parfum de luxe exacerbent nos sens en alerte. Les corps se frôlent, les mains se caressent...

Rapidement, la tension se fait lascive, insolente. Elle devient hypnotique. Et même si je me sens comme une intruse dans ce tableau libertin, je ne parviens pas à détourner le regard de ces gens qui s'offrent librement à nos fantasmes. 

Cette campagne va mettre le monde en ébullition...

— Violette, please. Peux-tu repositionner le drap correctement sur Hugo ? Je ne voudrais pas que l'on perde notre concentration.

Le soulagement d’avoir quelque chose d'autre à faire est vite remplacé par la gêne.

Bon sang ! Hugo, mon Hugo, est à moitié à poil. Le tissu qui le recouvrait menace de découvrir son entrejambe. Bien évidemment, il est impossible pour lui de le replacer au risque de salir le cuir immaculé du sofa. Mais qui a eu l’idée saugrenue de mettre tout ce blanc dans la scénographie ?

Je vais devoir escalader tout le monde pour remettre le "truc" en place. Mais pourquoi moi ? Parce que Dimitri, le “premier” assistant de Kelly est déjà occupé avec le projecteur. Et parce ce que j’ai accepté d’aider la photographe avec la volonté clairement affichée de me faire bien voir. Ça m’apprendra à jouer les lèche-bottes, tiens !

Sans lâcher mon accessoire, j’enjambe les modèles avec précaution pour m’approcher d’Hugo, indifférente aux ricanements amusés et autres râles de mécontentement. Lorsque je lève la tête vers mon coloc, il ancre ses yeux de jais aux miens. Je crois deviner un léger sourire s’afficher sur ses lèvres à l’ourlet parfait. Non mais je rêve ! Il est là, avachi sur le dossier du canapé, les bras écartés… comme un prince. Et il se fout allégrement de moi.

Le salaud ! Il sait que je suis dans tous mes états. De toute façon, c’est impossible pour moi de le cacher ! Je dois être rouge comme une tomate. Je saisis le coin du drap en serrant les dents et le ramène précautionneusement sur son bas-ventre, en prenant soin de ne pas le tremper dans le liquide doré. Son air moqueur lui vaut un regard noir.

— Arrête de rire où je t'étrangle avec le chiffon  !

Mais le rustre se fiche bien de ma menace.

— Que se passe-t-il, Pupi ? T'es gênée ?

Je me redresse, un peu trop rapidement et pousse un cri.

Quelles probabilités avais-je de glisser en me relevant ? Quatre-vingt, quatre-vingt-dix pour cent ? Je ne veux même pas le savoir. À cet instant, seule m’importe la perspective horrible de me vautrer comme une crêpe sur le sol. Ou plutôt sur les mannequins qui baignent à présent dans l’huile parfumée comme des putains de sardines.

Je vois la catastrophe arriver. Mais alors que je me prépare déjà à la chute, deux bras puissants me saisissent par la taille pour me retenir.

Ouf ! Il était moins une !

J’échappe le réflecteur qui roule sur le carrelage dans un bruit de casserole, brisant le silence embarrassant qui s’est installé. Le sang quitte mes joues lorsque je me retrouve plaquée contre le torse d’un parfait inconnu, dont le parfum suave taquine mes narines. C’est dingue, les autres n’ont pas bougé d’un centimètre. J’aurais pu me fracasser la tête, ils seraient restés figés comme des statues. Bande d’ingrats ! 

— Hey ! Attention. Vous allez vous blesser. Ce serait dommage d'abîmer ce joli minois.

Je me fige. La voix de celui qui se tient dans mon dos est juste à tomber à la renverse. Grave, avec un grain particulier, légèrement éraillé… Mon Dieu. C’est toutes mes terminaisons nerveuses qui se mettent en alerte quand je sens la chaleur de son corps, tout contre moi.

Mais je suis vite refroidie lorsque mon regard croise celui d’Hugo qui semble hurler "c'est qui celui-là ?". Brusquement, je réalise que je suis collée à un type que je ne connais pas et que rester plus de cinq secondes dans cette position, est plus qu’indécent. Je m’écarte pour faire volteface, les joues cramoisies. L’homme qui se retrouve face à moi est grand, athlétique et me fixe avec un large sourire.

Génial ! Il y en a au moins un qui s’amuse, ici ! 

— Ça va aller ? demande-t-il d’une voix aimable, indifférent à mon air idiot.

Je hoche la tête, mais déjà le type se penche pour ramasser le réflecteur qu’il me tend. Je m’empresse de le placer devant ma poitrine. Comme si ce truc pouvait me protéger de je ne sais quoi, d’ailleurs ! 

— Merci ! m’obligé-je à murmurer, pour ne pas paraître impolie.

— De rien. C’était un plaisir.

Oh vraiment ? Machinalement je lance un coup d’œil à Hugo, dont les yeux menacent de sortir de leur orbite. Qu'est-ce qui lui prend ?

Kelly frappe dans ses mains, interrompant brusquement notre échange visuel. 

— OK, thank you so much, guys (merci beaucoup les gars) ! On fait une pause. 

La photographe s’avance, bras ouverts.

—  Cole ! Tu viens de sauver mon shooting ! 

Est-ce que je me sens visée lorsqu’elle me jette un regard de biais ? Oui. Est-ce que j’ai honte ? Terriblement !

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