3. Toi mon chou
Violette
L’appartement dans lequel nous pénétrons est un magnifique exemple d’architecture haussmannienne. Plafonds hauts aux moulures caractéristiques, parquets de grande qualité et cheminées de style Louis V… Le parfait combo pour figurer dans un magazine de déco.
Sauf qu’à l’intérieur, ça grouille comme dans une fourmilière. Il y a autant d'agitation que dans les couloirs du métro à l'heure pointe.
— Viens, dit Hugo en prenant ma main.
Indifférent au brouhaha, il m'entraine à travers les pièces, dont l’organisation reprend le schéma classique de la grande époque. D’abord une réception qui s’ouvre sur un salon double, suivie d’une salle à manger à la taille imposante. Là, un studio photo a été aménagé pour accueillir le shooting. Mon Dieu, c'est déjà l'effervescence, là-dedans !
— Mazette ! Ils ont dû payer une petite fortune pour louer ce logement, marmonné-je dans le dos d'Hugo.
— Oui. La journée doit coûter plus cher que ce que tes extras te rapportent à l’année.
— Ah ! Hugo. Te voilà enfin !
La femme qui se faufile jusqu'à nous est un mélange étrange d’élégance et d’excentricité. Grande, blonde, les cheveux tirés en un parfait chignon, elle affiche un maquillage outrancier qui fait ressortir ses grands yeux bleus. Son tailleur rouge vif à la coupe simpliste agrémenté d’accessoires rutilants, allonge sa silhouette déjà fine et ses chaussures aux semelles pailletées ajoutent une touche extravagante à l’ensemble. Jessica Wurtz, la directrice de campagne de l’agence de communication, est ce qu’on appelle un personnage. Peu avenante, elle a cette fâcheuse tendance à mépriser tout le monde.
Sans retenue, elle saisit le jeune homme par les épaules et embrasse le vide, de chaque côté de son visage, à la manière des stars. Sans doute une façon de préserver l’épaisse couche de rouge qui couvre ses lèvres. Puis elle recule légèrement pour observer Hugo d’un œil critique.
— Toi, mon chou, tu n’as pas assez dormi ! dit-elle en levant son index sous son nez.
À défaut de plaider coupable, l'accusé hausse les épaules.
— Fait attention. Ça fatigue de trop baiser mon garçon… tu vas te choper des rides avant l’âge et c'en sera terminé de ta carrière.
Cette remarque déplacée me fait tousser. Par réflexe, je plaque ma main sur ma bouche pour étouffer le bruit. Trop tard. La femme se penche déjà sur le côté pour voir d’où provient ce coassement de grenouille déplacé.
— C’est quoi, ça ? demande-t-elle en me toisant d’un air hautain, les sourcils relevés en accents circonflexes.
Mince !
— Oh, ce n’est rien. C'est Violette qui m’accompagne, s’empresse de répondre Hugo.
J’apprécie moyennement le “rien”, qui ne semble toutefois pas assez convaincant pour Jessica Wurtz.
— Hugo, tu sais très bien que je ne veux pas que tu emmènes des filles au boulot. Je m'en fiche de qui tu baises, mais je refuse que tu mélanges le boulot et tes histoires de cul.
Je suis choquée d'entendre de tels propos dans la bouche de cette femme. Sa vulgarité est aussi impressionnante que sa classe.
Au-delà de ça, je sens dans ses paroles, une légère pointe de jalousie tandis qu'elle m’examine de haut en bas.
— Ce n’est pas une fille. C’est Violette, insiste Hugo.
De mieux en mieux. J'adore...
— Eh bien Violette ou pas, on a déjà perdu trop de temps. Alors tu la poses dans un coin et tu lui demandes de ne pas te déranger pendant le shooting ! Je ne veux pas la voir trainer dans tes pattes, c'est compris ?
Dans un monde idéal, Hugo aurait crié "on ne laisse pas "Pupi" dans un coin". Mais en réalité, il se tait. Pour mon plus grand désarroi. Sans un regard de plus, la mégère tourne les talons et nous laisse comme deux ronds de flan.
— C'est décidé. Je hais cette bonne femme ! murmuré-je au bout de quelques secondes, avant de donner une tape sur la poitrine de mon ami. Et toi, je te déteste aussi !
Il écarte les bras en signe d’impuissance.
— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Ce n’est pas une fille ! répété-je en l’imitant. Nan mais carrément ! Et je suis quoi alors ? Un meuble ? Une plante verte ?
— Arrête, ce n’est pas ce que je voulais dire, Pupi.
Sa bouche qui s'étire sur un petit sourire en coin ferait fondre n’importe quel glacier. Mais je résiste et croise les bras sur ma poitrine pour marquer mon mécontentement.
— Ah ouais ? Et tu voulais dire quoi exactement ?
Il s’approche et m’attrape par la taille pour m’obliger à lui faire face.
— Je voulais dire que tu n’es pas comme les autres. Toi, tu es mon amie. La seule femme de ma vie.
Oh bon sang ! Pourquoi mon cœur fait-il un bond dans ma poitrine à chaque fois qu’il me dit ce genre de choses ? Déception et joie se mélangent pour former un étrange cocktail.
— C’est ça ! Tu veux certainement dire la seule qui soit capable de vivre avec un débauché comme toi !
Il éclate de rire.
— C’est pour ça que tu m’aimes, avoue.
Cette fois, ma respiration se bloque. Je secoue la tête et coupe court à cette conversation avant qu’elle ne devienne vraiment dangereuse pour mon petit cœur.
— Tu ferais mieux de te préparer au lieu de dire des âneries. Sinon, tu vas mettre la harpie en rogne.
Il jette un rapide coup d’œil à sa montre avant d'emmêler mes doigts aux siens.
— OK. Mais avant, viens avec moi. J’ai quelqu’un à te présenter.
Il m’entraine dans une pièce attenante, dans laquelle tout un attirail a été installé.
— Kelly ?
Je n’ai même pas le temps de réagir que déjà, il rejoint la femme occupée à brancher des câbles sur un ordinateur.
— Oh my God ! Hugo Castelli ! Mon cher ami, l’accueille t-elle avec un accent américain prononcé. Quel plaisir quand j’ai appris que tu faisais partie du casting !
— Plaisir partagé Kelly. C’est toujours un honneur de poser pour vous.
Je reste un peu à l’écart lorsqu’ils s’embrassent, comme le feraient de vieux amis.
— Kelly, ajoute Hugo en m’invitant à les rejoindre. Je vous présente mon amie, Violette Le Bon. En deux mots.
Je lève les yeux au ciel mais le sourire avenant de la femme m’incite à approcher.
— Madame Clarks, c’est un honneur de vous rencontrer, dis-je d’une voix timide en lui tendant la main.
— Violette étudie la photographie et je lui ai promis de vous présenter…
L'artiste m’observe pendant quelques instants par-dessus ses lunettes rondes. J'ai l'impression qu'elle cherche à m'analyser.
— Perfect! Tu vas pouvoir m’aider, mon petit.
La surprise me fait ouvrir la bouche.
— Jagger, mon second assistant, m'a plantée ce matin. Version officielle : le pauvre bichon a la grippe. Mais les mauvaises langues disent qu’il a préféré rester au lit avec son nouveau biscuit. Ungrateful ! Mais peu importe. J’ai besoin de quelqu’un pour m’aider avec la lumière. Tu crois que tu pourrais faire cela ?
Oh mon Dieu, je crois rêver. Hugo m’encourage à accepter et je ne sais pas pourquoi, mais je décide de suivre son conseil.
— Bien, déclare-t-il en glissant ses mains dans ses poches, l'air satisfait. Alors, je vous la confie, Kelly. Maintenant, je file me préparer avant que le dragon ne me transforme en tas de cendres.
— Ah ah ! Effectivement, il ne s’agirait pas de brûler ce joli minois. Go ! Je m’occupe de... Violette, that's it ?
Hugo adresse un clin d’œil à Kelly avant de se pencher vers moi pour appliquer un baiser chaste sur ma tempe.
— Tu vois, Pupi. Je t’avais dit que ce serait amusant.
Sans plus attendre, il s’éloigne, me laissant seule avec la photographe.
— Nan mais regardez-moi ce cul, s'extasie la quinquagénaire.
Je manque de m’étouffer quand elle désigne le postérieur de mon ami, en m'adressant un clin d'œil entendu. J'acquiesce, oubliant qu'un feu brûlant est en train de colorer mes joues en cramoisi.
Hugo a raison. Cette matinée s’annonce plutôt sympathique.
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