2. Comme ma petite sœur
Violette
Derrière chaque tableau idyllique, se cache un univers qui ne l'est pas. C'est triste à dire, mais sexe, drogue et scandales font, comme on le sait, partie du monde de la mode. Un monde surfait empli de paillettes et d'artifices. Ce n'est plus un secret ni un tabou. La poudre qui circule dans les coulisses n'est pas de la poussière de fées et la "promotion canapé" loin d'être une simple comédie. Mon ami n'échappe pas à ces travers, et même s'il limite les frais à fumer de la marijuana de temps en temps et boire quelques verres en soirée, il est capable de monnayer son corps pour obtenir les faveurs d'un créateur. Et accessoirement, le contrat qui va avec. Mais comme il se plait à le dire, après tout, ce n'est qu'un outil de travail !
— Bien sûr que je viens avec toi ! Il faudrait être dingue pour refuser l'opportunité de rencontrer la grande Kelly Clarcks et la voir en plein travail...
Personnellement, j'ai choisi l'autre côté du décor pour m'épanouir, en devenant celle qui œuvre derrière l'appareil. Sauf que dans mon objectif, point de podium ni de plastique parfaite, mais de la cuisine... C'est dans la photographie culinaire que j'ai choisi de faire ma place et cela fait maintenant trois ans que j'apprends à magnifier les assiettes et compositions des plus grands chefs en France et en Europe.
J'adore ce que je fais. Vraiment. Avec mes études, j'ai la chance de voyager, de goûter à des plats qui font frétiller les papilles, de faire des rencontres passionnantes avec des gens passionnés, et accessoirement, de pouvoir payer une petite fortune pour ce magnifique duplex que je partage avec Hugo dans le Marais. Bien sûr, c'est lui qui paye la plus grosse partie du loyer. Mais après tout, il passe beaucoup plus de temps que moi sous la douche. Malgré cela, sans les extras que je facture en free-lance à mes clients, jamais je ne pourrais m'offrir cette vue incroyable sur les toits de la capitale.
J'aime déjà le métier auquel je me destine. Pour autant, j'ai toujours voué un culte sans limite à la photographie de mode. Capter l'essence même d'un être vivant sur papier glacé a quelque chose de fascinant, même si mon professeur se plaît à dire que sublimer une dinde farcie est plus compliqué que mettre en valeur une canon de la beauté. Alors bien évidemment, il faudrait que je soit folle pour refuser d'accompagner Hugo sur le plateau de tournage de la prochaine campagne Armani ! Ce sera non seulement une fabuleuse occasion de rencontrer une artiste dont j'admire le travail, mais aussi de profiter un peu plus de celui qui occupe toutes mes pensées, même si je ne l'avouerais pour rien au monde.
Je sais, mon côté masochiste frôle la débilité. D'autant plus qu'entre Hugo et moi, il n'y aura jamais rien de plus qu'une profonde amitié. Une relation purement fraternelle. Nous nous connaissons depuis notre plus jeune âge, ayant grandi ensemble dans notre maison familiale de Saint-Germain-des-Prés. Et, contrairement à moi, depuis toujours, l'objet de mes fantasmes me considère comme une petite sœur plutôt que comme une femme. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il m'a donné le même surnom que son doudou : Pupi, une petite peluche marionnette multicolore qu'il garde précieusement sur son lit, comme un gosse. Un gosse de 24 ans, doté d'un physique de mâle Alpha à damner les Saints...
Finalement, j'ai l'impression que je ne serai jamais que ça pour lui. Un fantoche. Une poupée qu'on serre contre soi quand on a besoin de réconfort, mais qu'on balance négligemment dans un coin de sa chambre pour la dernière Barbie à la mode...
C'est tragique de rêver continuellement à quelque chose qui nous restera inaccessible, quoi que l'on fasse. Et c'est surtout parfaitement ridicule. Cependant, jusqu'à présent, je me suis toujours contentée de chérir chaque moment passé avec Hugo comme un cadeau, en me convaincant de la chance inouïe de partager le quotidien de cet homme qui fait tourner tant de têtes... Parce que contrairement à toutes ces beautés qui défilent dans son lit avant de disparaitre aussi vite que des éphémères, moi, je partage son univers.
Hugo le clame haut et fort : il veut croquer la vie à pleines dents comme une pomme bien juteuse, préférant prendre tout ce qu'il peut tant que son charme ravageur opère. Hors de question pour lui de s'emprisonner dans une relation houleuse, qu'une routine assassine finira forcément par déliter. Sa perception de l'amour est parfaitement claire. Catégorique et Radicale. Pour lui, il ne surpassera jamais l'intensité d'une brève histoire de sexe.
Hugo cherche des expériences fortes de rapprochement des corps. Il veut une fête. Une célébration du plaisir au sens littéral du terme jusqu'à l'oubli de soi. Mais après... Après avoir brûlé ses sens jusqu'à en perdre raison et conscience... Il n'y a plus rien.
Oui, pour Hugo, l'amour n'est qu'un filet dans lequel on s'emmêle jusqu'à se détester soi-même. Alors il s'abandonne dans la luxure.
Et croyez-moi, dans cette course à la concupiscence, le bellâtre est le maître. Et bien évidemment, on ne peux pas dire qu'il manque de candidates. Ni de candidats d'ailleurs - nombre d'hommes ont cherché à se glisser dans son lit, en fin de soirée. Quelques-uns y sont même parvenu, venant allonger la liste des victimes du charme ravageur de celui que l'on surnomme Casanova. Bref. Tout ça pour dire que mon ami assume pleinement son mode de vie, n'en déplaise aux prudes et aux bienséants.
— Dis plutôt que c'est une nouvelle occasion de te rincer l'œil...
L'intéressé me sort brusquement de ma rêverie et se place devant moi, avec ce sourire aux lèvres qui me fait frissonner de la tête aux pieds Qu'est-ce que je disais ? Son regard sans équivoque prouve qu'il est parfaitement conscient de l'effet qu'il produit sur les autres. Cependant, je ne suis pas n'importe qui. Pendant toutes ces années, j'ai appris à jouer la comédie à la perfection. Preuve en est lorsque je m'appuie nonchalamment contre le placard en bois laqué, en croisant mes bras sur ma poitrine, ignorant les battements accélérés de mon cœur. Le mensonge, il n'y a que ça de vrai ! Et je suis devenue maître en la matière.
— Je te rappelle que tu dors régulièrement à poil dans mon lit, Hugo. Il n'y a rien dans ce que je vais voir, que je ne connaisse déjà. Alors pas d'inquiétude, je ne vais pas me pâmer devant un morceau de chair. Même s'il t'appartient.
Ma remarque le fait rire et ce son m'apparaît comme un rayon de soleil perçant à travers les nuages... Bon sang, je suis vraiment irrécupérable quand il s'agir de lui.
— Ouais, tu as raison. Parfois j'ai tendance à oublier que tu es comme ma petite sœur et que je ne te fais aucun effet.
Oh bon sang ! S'il savait... Je me mors la lèvre, mais déjà le jeune homme s'avance et place ses mains sur le plateau en marbre, de chaque côté de ma taille, m'écrasant de son aura maléfique. Sans demander la permission, il replace une mèche rebelle derrière mon oreille, avec une douceur qui me fait frémir.
— Allez petite sœur, il est temps de te préparer si tu veux que je t'emmène avec moi.
Mon Dieu, a-t-il la moindre idée du mal qu'il me fait en disant cela ? Est-il conscient que son affection toute fraternelle est pour moi un véritable fardeau ? Une torture ?
J'en doute. Depuis presque quinze ans que l'on se côtoie, je n'ai montré le moindre signe sur mes sentiments envers lui. Bien sûr il sait que je l'aime profondément, c'est indéniable. Mais jamais, au grand jamais, je ne lui ai laissé pensé que ce que j'éprouvais pour lui était autre chose que l'amour d'une sœur pour son frère.
Oui. Dans cette relation étrange qui me lie à Hugo Castelli, pour le coup, c'est moi la reine de l'hypocrisie.
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