Melyna
avril 2023
— Tu me fais mal ! m'écriai-je, tandis que Chase me tirait un peu trop fort par la main.
Il tourna directement son visage vers moi, me lançant un regard inquiet dans lequel je plongeai immédiatement. Gris. Ses beaux yeux étaient d'un gris clair, trop clair, sombrant dans un bleu magnifique. C'était presque irréel. C'était magique. Je ne pus m'empêcher de sourire en l'admirant, et il grimaça, comme à son habitude. Il n'aimait pas que je le regarde avec insistance, comme si j'essayais de deviner ses pensées. Mais je le faisais quand même. Dès que j'en avais l'occasion. Et je savais que même s'il disait le contraire, une partie de lui adorait ça. Il leva la tête vers le ciel, après m'avoir regardée pendant quelques secondes, et je l'imitai. Le temps se couvrait. Les nuages s'enlaçaient les uns aux autres, et ils nous disaient bonjour. Cela annonçait une jolie journée.
— Tu n'as pas mal, me dit-il en avançant.
— Si tu continues de tirer comme un malade, si, je vais avoir mal.
Il ralentit et me laissa marcher à mon rythme, à ses côtés, sans rien dire de plus. Il était silencieux depuis que nous étions partis, mais je ne savais pas encore pour quelle raison. J'avais beau le connaître par cœur, depuis toujours, il avait toujours ce bout de lui mystérieux, pour ne pas dire muet, qui vivait en lui, et qui restait avec le temps. Je l'aimais bien, ça lui donnait un charme.
— Pourquoi tu refuses de me dire où l'on va ?
— Parce que c'est une surprise.
Chase m'avait réveillée tôt ce matin, me tirant d'un coup du sommeil, avant d'attraper un sac et d'y fourrer quelques affaires à l'intérieur. Une veste, de l'eau, et une couverture. Il m'avait aidé à m'habiller rapidement, et m'avait surtout ordonnée de le suivre, sans rien ajouter. Je ne savais ni où on allait, ni ce qu'on allait y faire, mais je l'avais suivi. Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? Lorsque nous passions nos vacances ensemble, ce n'était pas rare qu'il décidait de m'emmener dans une aventure comme celle-ci, et j'aimais ces petits rendez-vous à deux. Il était imprévisible, c'était parfois troublant, mais j'aimais ça. Je pouvais être dans mon lit et me retrouver au milieu de l'océan l'heure d'après. Être en train de travailler et finir par observer un coucher de soleil sur la plage la minute qui suivait. Ce garçon me faisait découvrir de beaux instants, et je n'aurai jamais assez d'une vie pour l'en remercier.
— Chase, sérieux, ça fait une heure que l'on marche, je suis fatiguée.
Enfin, nous étions en vacances, mais j'aimais bien ne rien faire et rester éveillée tard dans la nuit, admirer les étoiles ou regarder des films jusqu'à pas d'heure. Cependant rester avec Chase, ça voulait dire sortir, explorer, profiter. Tout ce que je ne faisais jamais lorsqu'il n'était pas là.
— On est bientôt arrivés, promis. Tu pourras te reposer là-bas.
Cela faisait déjà trois fois qu'il me disait ça en l'espace de vingt minutes, mais je ne fis aucun commentaire. Je ne voyais pas le bout de ce chemin. On jouait les aventuriers sur un sentier qui semblait ne jamais prendre fin. Je n'avais ni mangé, ni pris le temps de mettre des vêtements chauds, mais la curiosité me donnait du courage pour continuer d'avancer. Sa main dans la mienne aussi.
— Regarde, on n'est pas bien ici, toi et moi ? me demanda-t-il.
Je relevai la tête vers lui, qui fixait quelques arbres autour de nous, même si je ne savais toujours pas ce qu'il leur trouvait, et je souris. On était bien seulement parce qu'il était là, ici, avec moi. Sans lui, ce moment ne serait pas le même. Ma famille, mes amis, rien n'égalait la présence de Chase. Être à ses côtés, c'était la chose que j'aimais le plus dans ce monde, après ses baisers, bien sûr.
— Ferme les yeux.
Et je fermai les yeux sans broncher, lui faisant une confiance aveugle. Il serra un peu plus fort ma main et me fit marcher durant encore une centaine de mètres, avec comme seul paysage, le noir absolu. Le silence qu'il laissait entre nous fut rapidement remplacé par les feuilles qui dansaient dans les arbres, par la terre sous nos pieds. Petit à petit, j'entendais le vent souffler un peu plus fort, je sentais l'odeur du sel venir jusqu'à moi, et j'entendais l'océan gronder, se jeter contre les rochers, un peu plus bas. Je souris, sachant pertinemment où il venait de m'emmener. Je pourrai reconnaître cette agitation autour de moi parmi tous les bruits du monde.
— Tu peux regarder.
J'ouvris les yeux et souris un peu plus. La falaise. Cette falaise. Notre falaise. Celle qui nous accueillait chaque été depuis de longues années, qui avait vécu de nouvelles rencontres en même temps que nous. Cette falaise sur laquelle on venait assister aux plus jolis couchers et levers de soleil, l'endroit où l'on faisait des nuits blanches sous les étoiles, avec nos amis, ou tous les deux. Le paysage que j'avais le plus observé ces six dernières années, près de mes proches. Ce lieu avait vécu avec nous, il avait ri, pleuré, aimé. Combien de tentes avaient été plantées, combien de boissons avaient fini renversé sur le sol, combien de cris avaient été entendus ? Je ne saurai compter le nombre de soirées qu'avait connues cet endroit, mais c'était l'un des plus beaux et des plus chers à mon cœur. Ici vivaient une bonne et grande partie de mes souvenirs. J'espère que comme moi, cette falaise ne les oublierait jamais.
— Tu vois, je t'avais dit que ça en valait la peine.
— Pourquoi ne pas avoir pris la voiture ?
— Tu connais le trajet par cœur Mely, ça ne compte pas.
On avança pour regarder l'océan en contrebas, sur lequel beaucoup surfaient. Je m'assis dans l'herbe et fixai l'horizon, profitant de cette vue que j'aimais tant. L'air emplissait mes poumons, et un grand sourire fleurit au coin de mes lèvres. Pourquoi était-il plus facile de respirer dans un endroit que l'on aimait ?
— Merci, murmurai-je.
Je n'avais pas remis les pieds dans ce lieu depuis plus de sept mois, puisque tout notre groupe d'amis s'était séparé. On s'était dit au revoir ici, dans notre endroit préféré, et je n'avais pas eu le cœur à revenir sans eux. Chacun avait pris ses valises et avait continué sa route de son côté, dans chaque coin du pays. Charly avait quitté San Diego avec Jade, pour ouvrir un magasin en Floride, Karl avait changé d'université, Lesly et Connor avaient trouvé du travail ailleurs. Je savais que je ne pouvais pas être à leurs côtés éternellement, mais je ne pensais pas que la rupture, —si on pouvait appeler ça comme ça, serait aussi douloureuse. Passer tous nos moments avec des personnes et les regarder partir sans pouvoir les suivre, c'était injuste. Et triste.
Seul Chase était resté à mes côtés, même s'il allait finir ses études cette année. Et je vivais avec lui tout le stress : les documents à remplir, les rendez-vous, les recherches d'appartements, de job. S'il ne cherchait pas à s'éloigner de San Diego et des personnes qui y habitaient, il voulait quand même prendre son indépendance. Il désirait voler de ses propres ailes, et m'emmener avec lui.
J'étais rassurée de savoir qu'il souhaitait être et rester près de moi, parce que je ne voyais pas mon quotidien s'il n'en faisait plus partie. J'étais habituée à le voir, à le croiser de partout, chaque jour, à passer des moments à ses côtés, à le rejoindre à la fin des cours, à partager des week-end chez l'un, chez l'autre et ça depuis toujours. Je ne me souvenais pas ne pas l'avoir dans ma vie. Il avait toujours été là. Même s'il nous arrivait de ne plus nous entendre, de nous détester, de nous éviter, ça ne durait jamais. Heureusement. Je refusais de le voir s'éloigner ou pire, de le perdre lui aussi. C'était inimaginable. Et rien que d'y penser, je sentais mon cœur se serrer un peu trop fort.
— Tu me promets de ne pas partir ? lui dis-je soudainement, en tournant la tête vers lui.
Je lui lançai un regard paniqué, qu'il remarqua immédiatement. Il ouvrit la bouche pour parler mais la referma aussitôt, comme s'il cherchait ses mots. Au lieu de dire quoi que ce soit, il caressa ma main doucement, tout en me fixant silencieusement. J'essayai de lire les mots dans ses yeux, d'y deviner ses paroles, ce que j'aimais faire par-dessus tout, sauf quand j'avais besoin de l'entendre me rassurer. On avait déjà eu cette conversation de nombreuses fois, parce que j'avais peur qu'il s'en aille, qu'il me laisse à son tour, et il me répondait toujours la même et unique chose :
— Jamais. Je te le promets.
Je détestais les promesses, il le savait, mais il adorait m'en faire, parce qu'il les tenait toutes. Du moins jusqu'ici. De la plus importante à la plus petite, de la plus idiote à la plus utile, il ne les avait jamais brisées. Pas une seule fois. Je savais qu'il pensait ses dires, qu'il se battrait pour me prouver qu'il disait la vérité. Toujours. Il était le seul à respecter ses engagements, et une partie de moi l'aimait un peu plus pour cette raison.
— Et toi, fais-moi la promesse de ne jamais laisser personne faire disparaître ce joli sourire sur ton visage.
— Je vais essayer, lui promettai-je.
C'était certainement la promesse la plus difficile à tenir, celle qui me vaudrait de nombreux efforts, que je n'aurai pas toujours le courage de faire. Mais je ferai toujours de mon mieux, comme je lui disais toujours.
— Pourquoi avoir choisi cette destination ?
— Parce que je savais que tu aimerais.
— Même si je ne voulais pas y remettre les pieds ?
— Je suis convaincu que tu le voulais, tu n'osais seule-ment pas.
Il avait raison. Même si j'étais venue des centaines de fois ici avec lui, seulement tous les deux, ce n'était pas arrivé depuis l'été dernier. Mes derniers pas sur cette falaise étaient aux côtés de nos amis, et ça me brisait le cœur de savoir que je n'aurai plus la chance de passer du temps en étant tous réunis. La moitié d'entre eux préféraient découvrir de nouveaux endroits, ne pas revenir dans un lieu qu'ils ne connaissaient que trop bien, même si c'était pour nous retrouver. Le reste avait du travail, des familles à rejoindre, des choses à faire. Peut-être qu'être encore dans les études ne m'aidait pas à comprendre, à réaliser. Mais ça me manquait. Et je refusais d'être la seule à désirer retrouver ces moments. Les balades, les journées de surf, les glaces fondues, les crabes et les colliers de coquillages. Tout semblait si loin. Je n'avais pas assez profité. Je n'avais pas assez vécu.
Chase lâcha ma main, coupant notre contact et m'éloignant de ces pensées. Tant mieux. Je ne voulais pas gâcher ce doux moment par des bribes du passé. Je le regardai glisser la couverture sur nous, couvrant nos deux corps, et nos têtes. La pluie approchait. Je collai ma tête à son épaule, contemplant l'étendue face à nous, et accueillant cette averse le sourire aux lèvres, comme je lui avais promis.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top