Case 2 - Spectacle pour un enterrement de Noël
Maxine
Adossé contre le comptoir du Torb'j, les bras croisés sur la poitrine, je regarde un quinquagénaire s'installer sur la scène pour faire son one man show. Le gars à une calvitie bien attaqué, un pull moche. Rouge avec des flocons dessus. Il tient une feuille dans sa main tremblante, pas rassuré de devoir prendre la responsabilité d'animer la salle ce soir.
— Salut tout le monde ! Joyeux Noël ! Ou presque... enfin, ça dépend. Moi, perso, Noël, ce n'est pas ma fête préférée. Surtout depuis que je suis adulte. Enfant, t'attends des cadeaux, et maintenant... t'attends que quelqu'un paye le repas. Hein ?
Silence.
Oui, bon, ça commence bien. Il a refroidi les spectateurs, mais ne se démonte pas et enchaîne :
— Alors, petite blague de Noël pour chauffer la salle. Attention, vous êtes prêts ? Pourquoi est-ce que le père Noël a peur des cheminées ? Hein ? Parce qu'il trouve ça... flippant !
Il prend une pause gênante.
— Vous avez compris ? Flippant ? Parce qu'il flippe... dans une pente... OK, laissez tomber.
Diantre ! Où est-ce que le boss les trouve sérieusement ?
Il tousse et regarde ses fiches.
— Ah oui, sinon... vous avez remarqué les guirlandes ? Franchement, les guirlandes électriques, c'est comme ma vie amoureuse : elles s'allument une fois sur deux, et quand elles le font, ce n'est pas avec moi.
On pourrait entendre les cloches des rennes tant le silence est malaisant.
— Oh là là, on sent l'ambiance des fêtes ici, hein !
Ouais, tu nous donnes envie de nous pendre. Je passe ma main sur mon visage, dépité de devoir supporter ça. Mais c'est ma punition pour ne pas être venu la veille au tirage au sort. Les forçant à le reporter.
— Bon, sinon, j'ai une devinette. Alors : qu'est-ce que le père Noël dit quand il rentre dans un bar ? Hein ? « Ho ho ho, une bière pression pour le monsieur. »
Il émet un sourire crispé
— Oui, c'est nul. Mais au moins, ça reste dans le thème.
Il se frotte les mains, mal à l'aise.
Ce mec devrait prendre des cours pour être drôle. Ce n'est pas possible. Un jeune me commande une bière, forçant un sourire compatissant à mon grand désespoir. Bien sûr, la perche et le boss sont tranquillement dans le bureau loin de cette torture.
— Sinon, le sapin, hein, le pauvre sapin. On l'arrache à sa forêt, on le décore comme une voiture tunée, et on le jette aux encombrants trois semaines plus tard. Mais bon, joyeux Noël ! Enfin... sauf pour lui. C'est un peu la fête du sapin... funéraire. Hein ? Funéraire ? Sapin ? Bref, voilà, c'est drôle si on y réfléchit... ou pas.
Calcul rapide si j'utilise une paille pour me faire une sarbacane. J'introduis un pic ombrelle, et avec un bon souffle, sans compter sur le mien, je le lui plante dans la carotide. Bon, pour réussir mon coup faudrait que je sois à moins de trois mètres de lui. Reste l'efficacité de mon warfare. Je me perds dans mes pensées de trajectoire avec mon arme tandis qu'il continue :
— Vous savez comment le père Noël vérifie s'il a oublié un cadeau ? Il fait une check-list ! Hein ? Liste... check ? Non ? OK, je vais m'arrêter là, je crois que je viens de ruiner la magie de Noël.
Il regarde le public, gêné.
Ruiner est faible comme mot.
— Bon, ben... merci d'être venus, hein ! C'est soit ça, soit regarder une rediffusion de « Maman, j'ai raté l'avion », non ? Allez, bonnes fêtes, et rappelez-vous : si vous recevez une boîte de chocolats dégueux, c'est que quelqu'un vous déteste en secret. Joyeux Noël !
Il salue le public et s'enfuit rapidement de la scène. La musique s'élève dans les enceintes, détendant l'ambiance de suicide collectif. Il faut impérativement que j'aille m'en griller une avant que je m'explose le crâne contre le mur de bouteille. Je lève la main, fais signe à une serveuse, puis file aussi vite que je le peux dès qu'elle me remplace.
Assise sur une cagette, je savoure la nicotine qui me soulage de ce poison humain. La température a encore bien baissé, mais ma graisse a le don de m'apporter un peu de chaleur. Je cale ma tête contre le mur du bâtiment, fumant tranquillement et laissant la fumée s'élever dans les airs.
La porte de service s'ouvre.
— Alors ce spectacle ? demande la perche en s'allumant une blonde.
Je ferme les yeux. Pas envie de lui répondre. Or, je les ouvre instantanément quand j'entends à nouveau la voix du gars qui vient de distribuer une corde à tout le monde. La perche regarde l'écran de son téléphone, un large sourire placardé sur le visage.
— Vous n'avez pas osé ?
Il arque un sourcil, sans lever le regard sur moi.
— On avait coupé le son, mais tes réactions de décomposition étaient uniques.
Je bondis sur mes pieds pour lui chiper le téléphone, mais il lève le bras, rendant l'objet hors d'atteinte.
— Les paris ont fusé entre tout le monde, pour savoir si tu allais le tuer rapidement où non, indique-t-il avec un sourire narquois.
Fichtre ! Les salauds.
J'essaie de lui grimper dessus sans succès. Il coince sa cigarette entre ses lèvres, glisse son autre bras autour de ma taille et me bloque contre lui.
— Mollo l'asticot, tu ne fais pas le poids face à moi.
— C'est ce que l'on va voir, grogné-je en gesticulant.
La perche resserre sa prise. En profite pour ranger son tel dans la poche arrière de son pantalon noir. Inatteignable, car il me bloque les bras aux passages. Me restent deux choix face à sa prise : continuer jusqu'à l'épuiser ou m'arrêter là, car c'est moi qui n'en peux déjà plus. Un point pour lui. J'ai veillé tard la nuit dernière dans la morgue à l'hôpital.
— Brave fifille, rit-il en faisant secouer ma tête.
Je grommelle en prononçant des paroles inintelligibles, ce qui constitue à accentuer les secousses de son torse. Il reprend son contrôle glacial après quelques secondes, relâchant sa prise et me libérant de son étreinte.
— Alors ça a donné quoi hier soir pour que tu nous poses un lapin ? demande-t-il en écrasant sa cigarette dans son cendrier portable.
— Qui a gagné le pari ? interrogé-je en évitant de répondre à sa question.
Il me scrute un instant. Cherchant à savoir ce que je lui cache, mais je ne laisse rien transparaître sous mon sourire de diablotin des neiges.
— Ginette, répond-il sans me lâcher du regard. On pensait tous que tu allais briser tes principes.
— C'est mal me connaître, rétorqué-je avec un large sourire.
C'était surtout pas loin d'être le cas si le gars avait fait un autre bide. Il se dirige vers la porte de service, indiquant que Vava va faire son show. C'est certain que l'ambiance mortuaire du bar va se transformer en ring pour chien en rut. Il disparaît dans l'embrasure de la porte.
Je sors mon téléphone et ouvre ma messagerie. Ma visite à la morgue la veille n'était pas anodine. Une connaissance des States était dans le coin, mais avec ma mission, nous nous sommes loupés. Je n'ai pu que le retrouver que dans ce tiroir, m'attendant sagement dans son lit réfrigéré. C'est là que j'ai reçu ce message. Étrange. Inconnu. Une enveloppe de Noël animé s'ouvrant avec une musique à faire grincer les dents. Les seuls mots apparaissant dessus :
— Tu es la prochaine.
Contrat sur ma tête, pour pas changé. Toujours à la même période. Salaire double. Poids double. Et ma gueule en tête d'affiche. Youpi !
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