Chapitre 9
Mieux valait ne pas paniquer, pensa-t-elle en regardant une énième fois la robe posée sur les draps blanc.
Après le petit-déjeuner Sienna n'avait pas revu le sultan, mais lui s'était employé à marquer sa présence sans être vu.
Elle jeta un coup d'œil à la pendule qui affichait dix-huit heures et décida de se rendre à la salle de bains pour se préparer.
Le bateau ne bougeait plus, et en se rendant plus tôt sur le pont, Sienna avait aperçu l'île de Malte.
D'une main nerveuse elle retira ses affaires en évitant soigneusement de regarder son reflet dans le grand miroir.
La dernière chose qu'elle souhaitait aujourd'hui c'est de confronter la grande cicatrice qui sillonnait sa hanche jusqu'à son genou et qui lui rappelait sans cesse ce jour où toute sa vie avait basculé à jamais.
Elle se doucha rapidement et en sortant de la cabine son regard se posa aussitôt sur la robe bleue suspendue sur un cintre.
Avant de partir, Sienna avait pris le soin d'apporter sa propre robe, mais visiblement le sultan avait tout prévu dans les moindres détails.
Inévitablement elle s'empourpra en la passant tout en faisant attention de ne pas déchirer la dentelle des manches.
Depuis l'accident, c'était la première fois qu'elle sortait et qu'elle se voyait autrement qu'avec une blouse d'hôpital.
Sienna termina d'attacher le chignon dans lequel elle avait ajouté quelques tresses et c'est au moment de glisser ses pieds dans les escarpins qu'elle se mit à craindre de ne pas pouvoir marcher avec et que sa jambe ne le supporte pas.
En se levant et faisant quelques pas, elle ne ressentit aucune douleur, mais rien ne lui permettait de savoir à l'avance si sa jambe allait pouvoir supporter toute une soirée.
Soudain elle se rendit compte que son cœur battait trop vite et ça n'avait rien à voir avec sa jambe. Elle se sentait brusquement nerveuse à l'idée de retrouver l'homme.
Une boule se forma dans son estomac lorsqu'elle ouvrit la porte de la salle de bains.
Une ombre émanant d'une puissance redoutable lui barra le passage.
Sienna releva lentement les yeux sur la veste noire et sur la chemise immaculée.
- Vous êtes magnifique, déclara-t-il d'une voix rauque avant même que ses yeux atteignent les siens.
Tout en essayant d'ignorer les battements précipités de son cœur, Sienna leva son regard dans le sien et son souffle se coupa lorsqu'elle lut sur son visage une gravité inhabituelle tandis que ses yeux possédaient des lueurs insondables.
- Merci, s'entendit-elle murmurer en peinant à déglutir.
Alors qu'elle espérait qu'il s'écarte pour la laisser passer, le sultan resta sans bouger, les yeux toujours impénétrables.
- Nous sommes en retard ?
- Non, nous sommes dans les temps, répondit-il d'une voix de gorge qui lui donna le tournis.
Enfin il s'écarta et allongea son bras pour l'inviter à passer devant lui.
Sienna frémit lorsqu'elle sentit sa main se poser dans son dos. Bien qu'il s'agissait là d'un geste galant, il y avait quelque chose de différent.
Sa main ne se contentait pas de la guider...ses doigts se pressaient dans le creux de ses reins.
De plus en plus nerveuse et alors que les paroles de David continuaient de tourner en boucle dans sa tête, Sienna, piégée dans les eaux troubles ne savait plus si elle devait continuer d'avancer ou reculer.
- Détendez-vous, ordonna-t-il d'une voix puissante mais basse.
Elle était si tendue qu'il n'avait aucun mal à le voir alors qu'en serait-il des autres invités ?
Sienna inspira imperceptiblement et s'avança vers Jacob Marsh en esquissant son plus beau sourire.
" Je vais me charger de ta précieuse maison "
L'esprit prisonnier, Sienna laissa le sultan faire les présentations et quand l'élégante blonde lui serra la main pour ensuite vriller ses yeux pétillants sur le sultan, Sienna ressentit la terrible envie de se jeter par-dessus bord.
- Et donc vous travaillez avec son altesse ? S'informa Laura Jensen en prenant une coupe de champagne.
- En effet, répondit-il sur un ton posé. Nous travaillons sur un projet et j'espérais que ce projet vous intéresse monsieur Marsh.
Le vieil homme d'affaires leva un sourcil prudent.
- Et je suis toujours étonné d'avoir suscité votre intérêt, votre altesse. C'est un honneur.
- Cependant, nous savons l'un comme l'autre que ce terrain est un sujet délicat, intervint Kyle Robertson, son associé.
Sienna détourna les yeux pour mieux fuir les siens qui n'avaient de cesse de l'observer et de façon intrusive.
- Un sujet délicat parce que vous refusez de le vendre à un prix raisonnable, précisa le sultan, des inflexions assez froides dans la voix.
Sienna ne put s'empêcher de relever le regard sur lui et capta sur la ligne féroce de ses mâchoires qu'il s'efforçait de garder une attitude détendue.
- Vous comprenez bien qu'il est impossible pour nous d'envisager une perte d'argent conséquente étant donné l'ampleur de votre construction.
- Personne jusqu'ici ne s'est tenté à le racheter au prix que vous le voulez et il y a une raison à cela n'est-ce pas ?
La voix du sultan avait le caractère d'un piège et le sourire furtif et forcé de Kyle montrait que le piège était en train de se refermer.
- Le terrain possède quelques avantages, mais également des inconvénients. Cependant, la vue sur Manhattan est l'avantage le plus coûteux.
Était-ce le moment pour elle d'intervenir ?
Figée sur les paroles de David alors que le sultan négociait de façon redoutable, Sienna ne savait plus quoi faire.
- Qu'en pensez-vous très chère ? Lui demanda Jacob Marsh.
- Je pense que...le terrain sera parfait pour le projet de sa Majesté, répondit-elle platement. L'offre qu'il propose est une opportunité qui ne se refuse pas. Cela vous permettra d'investir ailleurs.
Ayant la nausée, elle reposa la flûte de champagne sur le plateau derrière elle.
- Nous pourrions investir ailleurs en effet, lança Jacob d'une voix pensive.
- Sienna a raison, ajouta l'homme à sa droite, vous pourriez investir au cœur de Manhattan dans l'immobilier et cette offre qui ne se refuse pas va très certainement vous permettre le rachat de plusieurs sociétés en faillite afin de les redresser. En revanche, je tiens à vous préciser que je n'irai pas au-delà de ma dernière offre en date.
Implacable, les traits ciselés du sultan étaient aussi durs que la pierre. Il ne regardait pas Jacob Marsh mais son associé.
Sienna avait l'impression de regarder un combat de boxe et elle attendait de savoir qui allait finir au tapis.
Dans un silence assourdissant où seul le bruit des vagues réchauffait un peu l'atmosphère, Kyle baissa les yeux puis les tourna vers Marsh.
Cet homme au regard sombre avait réussi en à peine quinze minutes à faire plier Jacob Marsh et Sienna avait presque honte de ne pas s'être battue pour sa maison.
N'est-ce pas la raison qui l'avait poussé à faire des milliers de kilomètres en compagnie de cet homme ?
Pourquoi avait-elle l'impression d'être figée et incapable de parler ?
La réponse se trouvait dans sa tête.
La menace de David Marshall demeurait lourde et pesante à un point tel qu'elle voulut crier à voix haute d'arrêter cette négociation.
Après tout, quel serait le pire ?
Voir la maison de ses parents être détruite au bulldozer ou la voir périr dans les mains de David ?
Néanmoins elle se demandait pourquoi Mohamed Al-Rayar ne lui avait presque pas donné l'opportunité de se battre.
Troublée, elle leva son regard vers son visage au profil inquiétant.
Il paraissait froid et distant de la conversation qui avait lieu en ce moment même. Ses sourires semblaient tout aussi forcés que la politesse avec laquelle il répondait à ses invités.
Craignant que quelqu'un s'aperçoive qu'elle l'étudiait sans la moindre discrétion, Sienna détourna les yeux sur Kyle Robertson et s'efforça de lui rendre le sourire qu'il lui adressait.
- Mademoiselle Kendrick je peux vous parler un instant.
Ce n'était pas une question et elle le comprit quand il pressa ses doigts chauds sur son coude pour la guider à contresens de ses invités.
- Que se passe-t-il ? Lui demanda-t-elle en ayant peine à le suivre.
Il la conduisit jusqu'au salon et c'est sans un mot ni même un regard qu'il fit demi-tour et ferma la baie vitrée derrière lui.
Bouche bée, Sienna resta plantée au milieu du salon sans savoir si elle devait s'offusquer immédiatement ou attendre une explication.
Le seul réconfort qu'elle trouva dans le geste incompréhensible du sultan c'est qu'elle pouvait enfin retirer ces chaussures à talons qui commençaient à lui faire mal.
Sienna arpenta le salon en vérifiant l'horloge chaque minute qui passait et qui l'éloigner un peu plus d'une explication.
Sa jambe l'empêcha d'arpenter plus longtemps le salon et l'obligea à s'arrêter.
Agacée et trop nerveuse pour attendre plus longtemps Sienna s'élança en direction de la baie vitrée mais au moment de l'atteindre, une haute silhouette imposante l'obligea à se stopper.
- Je peux savoir ce qu'il se passe ? Lui demanda-t-elle sur un ton accusateur.
- Je pourrais vous poser la même question, rétorqua le sultan sur le même ton.
Elle remarqua qu'il ne portait plus la veste noire, mais seulement cette chemise immaculée dont les trois premiers boutons étaient ouverts au col...laissant un triangle de peau hâlée visible.
- Je vous demande pardon ?
Son regard noir la fit frémir et elle se recula instinctivement.
- Vous n'avez rien dit, rien fait, commença-t-il en s'approchant avec une démarche lente comme un chasseur sur le point de piéger sa proie. Vous étiez censé vous battre pour votre maison, et vous n'avez rien dit.
- Vous ne m'en avez pas donné l'occasion ! Se justifia-t-elle en sachant que ce n'était pas vrai.
- Bien sûr que si, répliqua-t-il en se plantant devant elle. Vous étiez tout sauf ici, avec moi. Je vous ai donné une chance de sauvegarder votre maison et la librairie, mais au lieu de vous affirmer, vous êtes restée silencieuse.
- Vous avez dominé la conversation ! Vous ne m'avez pas laissé l'occasion de parler ! J'avais l'impression d'assister à une négociation déjà actée.
Il tiqua après avoir tressailli des mâchoires.
- Que s'est-il passé ? Que s'est-il passé avant notre départ ?
- Rien du tout.
Son cœur se mit à s'emballer.
- Quand Jacob Marsh a accepté mon offre, vous vous êtes décomposée au lieu de vous en réjouir. Vous n'avez pas l'attitude d'une femme heureuse de préserver les souvenirs de ses parents.
Sienna ne voulait pas lui dire, mais elle ne s'était pas préparée à ce qu'il soit aussi déterminé de découvrir ce qu'elle cachait.
- Je n'étais pas dans mon assiette tout simplement, finit-elle par dire en soulevant difficilement les paupières pour le regarder. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de soirée. L'ambiance était pesante et on ne peut pas dire que vous avez fait un effort pour l'améliorer. Une seconde de plus et la blonde vous sautez dessus et vous passiez Kyle Robertson par-dessus bord.
Un pli dur sur les lèvres, il redressa la tête en baissant uniquement ses yeux sur elle.
- Vous n'aviez pas besoin de moi pour cette négociation n'est-ce pas ? Reprit-elle en essayant de lire dans son regard.
- Non, mais si cette négociation a eu lieu c'est pour vous, précisa-t-il d'une voix presque sourde. La moindre des choses c'est de vous impliquer.
- Pourquoi ? Je ne comprends toujours pas pourquoi vous m'avez amené ici, alors que vous saviez clairement que Jacob Marsh allait accepter votre offre.
Impassible, le sultan serra les mâchoires et son silence confirmait sans le vouloir qu'elle avait raison.
- Monsieur Al-Rayar, et si vous me disiez les véritables raisons qui vous ont poussées à me faire monter sur ce bateau.
- Mademoiselle Kendrick, dites-moi les véritables raisons qui vous ont poussées à ne pas vous battre ce soir, s'enquit le sultan d'une voix sombre.
Sienna retint sa respiration quand il s'avança pour combler les derniers centimètres qui les séparaient.
Il la défiait du regard, et elle ne se sentait pas de taille à le défier en retour. Cependant, Sienna releva le menton pour ne pas lui montrer la moindre faiblesse.
Elle avait autant perdu ce soir que gagné.
La seule chose qu'elle pouvait lui demander c'est de ne pas en parler à David avant qu'il l'ait ramené.
Hélas rien ne lui permettait d'affirmer que le sultan allait tenir parole.
- Tout ce que je vous demande, c'est de ne rien dire à David Marshall et à son père tant que je ne suis pas de retour à New York. S'il vous plaît.
Il plissa les yeux comme deux fentes impénétrables.
- Je ne vais pas me contenter de ça Mademoiselle Kendrick, dit-il d'une voix faussement posée. Vous me demandez de taire l'annulation de mon projet auquel j'ai renoncé...pour vous.
Elle serra les lèvres pour se retenir de lui avouer la vérité et en réponse, le sultan se pencha de toute sa hauteur pour l'atteindre.
Il la dévisagea longuement, le visage si proche du sien qu'elle pouvait sentir son souffle tiède se déposer sur sa peau.
- Bien, commença-t-il presque dans un chuchotement. Dans ce cas, je vous annonce dès ce soir que votre retour sera retardé. Veuillez en informer David Marshall.
- Qu...quoi ?
- Tant que vous ne me direz pas la vérité, nous allons rester ici, au milieu de la méditerranée, annonça-t-il en se redressant pour mieux s'éloigner. J'ai tout mon temps mademoiselle Kendrick.
Il ouvrit la baie vitrée et rajouta sur un ton étrangement calme.
- Tout mon temps...
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