Chapitre 6




En sortant du restaurant Sienna avait cru pouvoir marcher sans sa béquille, mais à force d'être tendue, sa jambe était si contractée qu'elle en devenait douloureuse.

- Laissez-moi vous aider.

Quand sa voix virile se glissa dans la nuit noire et presque sans lune, Sienna réprima un hoquet.

- Je vais bien, s'entendit-elle murmurer en se tenant à la rambarde.

Sans lui laisser le choix, le sultan posa sa main sur son coude pour l'aider à descendre les deux dernières marches.

Ce contact suffit à faire battre son cœur dans sa poitrine et une inopportune chaleur lui monta au visage.

- Je vais vous ramener, décréta-t-il d'une voix qui ne souffrait d'aucune réplique possible.

- C'est à dix minutes à pied, je...

- Je vous ramène, coupa-t-il brutalement en la conduisant jusqu'à cette voiture noire qu'elle avait vu hier soir garée de l'autre côté du trottoir.

Sans lui laisser le moindre choix il lui prit la béquille et la posa à l'arrière.

- Soyez raisonnable, glissa-t-il en la dominant de toute sa hauteur après avoir ouvert la portière passagère.

Sienna laissa son regard errer sur son torse redoutable puis releva doucement les yeux sur son visage qui dans la nuit noire se révélait plus froid et énigmatique.

Le ventre noué elle se laissa tomber sur le siège en poussant un soupir qui fut très vite étouffé lorsqu'il claqua la portière.

Lorsqu'il se mit au volant, un pressentiment redoutable s'empara d'elle.

Rien ne lui permettait de lire les intentions de cet homme indéchiffrable et qui n'avait en aucun cas contredit ses réflexions à son sujet.

Le trajet qui d'ordinaire était court semblait plus long et elle réalisa que c'était sa présence qui le rendait interminable.

En sortant de la voiture, il ne lui laissant pas le temps de reprendre un semblant de souffle car il se tenait déjà devant la portière pour lui tendre sa béquille.

- Pourquoi ? Lui demanda-t-elle en ouvrant le portail.

- Pourquoi quoi ? S'enquit-il.

- Vous n'avez aucune raison de faire ça. Vous semblez être un homme déterminé et qui ne semble pas s'émouvoir sur le sort de qui que ce soit. Alors pourquoi ?

Son profil faiblement éclairé par la lune masquée par les nuages lui donna un frisson dans la nuque.

- Parce que je le veux et je l'ai décidé ainsi, répondit-il simplement. J'ai décidé que vous méritiez une chance de sauver cet endroit, ajouta-t-il en levant furtivement son regard sur la maison.

Que répondre à cela ?

Sienna préféra plutôt observer attentivement ce qu'il y avait au fond de ses yeux sombres.

- Je reviendrai demain dans l'après-midi pour connaître votre réponse. Cela vous laisse le temps d'alerter votre frère qui ensuite cherchera à me tuer.

- Il est protecteur.

- Et je comprends pourquoi, dit-il d'une voix basse et énigmatique. Bonne nuit mademoiselle Kendrick.

Il referma le portail et s'en alla en avalant la nuit sombre d'un pas menaçant.

Sienna entra dans la maison et ferma la porte pour coller son front à celle-ci, les yeux fermés.

Quel choix devait-elle faire ?

Était-ce un piège ?

Devait-elle en informer Ethan ou lui mentir ?

Si elle lui révélait la proposition du sultan, il refuserait catégoriquement. Pire ! Il était capable de lui imposer un déménagement forcé à Boston.

Ethan ne pouvait pas comprendre le lien fort qui l'unissait à cette maison et aux souvenirs qu'elle contenait.

Ethan n'avait pas été plongé dans le coma et avait pu commencer son deuil avant elle. Il fuyait les souvenirs parce qu'il avait déjà réussi à franchir l'étape de l'acceptation.

Pas elle.

Sienna passa sa soirée assise dans le vestibule, parce que cet endroit lui rappelait toutes les fois où elle s'était cachée derrière le rideau en attendant patiemment d'être trouvée.

Elle y resta toute la nuit...

Pour prendre sa décision...

De l'autre côté de Manhattan, les coudes appuyés sur ses genoux, les mains croisées, Mohamed fixait les grandes fenêtres ouvertes du balcon en trouvant le temps long.

À sa droite, Amar se servit un café toujours dans un silence assourdissant.

- Ton silence masque une question Amar, alors pose cette question avant que l'aube se lève, lança-t-il sans cacher son agacement.

- Quel est votre plan ?

- Il n'y a aucun plan Amar.

- Vous en êtes sûr ? Dans ce cas pourquoi vous semblez agacé et impatient ?

Mohamed se redressa sans quitter des yeux ce point fixe qui l'aidait à se détendre.

- Vous l'emmener sur ce yacht pour lui donner une chance de sauver le quartier dans lequel elle a grandi ou vous voulez l'emmener pour...

- Assez ! Claqua-t-il en se levant brusquement. Pourquoi es-tu si inquiet Amar ? Cela ne te ressemble pas !

Réputé pour son calme et sa sagesse, Amar détourna les yeux sur la tasse de café qu'il souleva.

- Depuis qu'elle est partie de la réunion en claquant la porte, vous agissez comme un tueur en série qui s'efforce de paraître comme le bienveillant bibliothécaire du coin que personne ne soupçonne d'être l'assassin.

Mohamed aurait pu en rire s'il n'avait pas eu la même impression.

- Vous ne pouvez pas être civilisé, je commence à le réaliser, reprit Amar en reposant doucement la tasse. Cet exercice est beaucoup plus compliqué que prévu et vous n'avez qu'un seul désir là tout de suite c'est quitter New York.

- Ce n'est pas une surprise, précisa-t-il en plissant les yeux.

- Non, mais votre plan d'emmener la fille en est une, et je me permets de vous en garde votre Altesse. Êtes-vous certain de ce que vous faites ?

Mohamed lui décrocha un regard froid avant de se détourner en se passant une main furtive dans sa barbe.

- Elle a éveillé ma curiosité.

- Cette curiosité est dangereuse.

Vivement Mohamed se retourna pour lui jeter un regard menaçant.

- Nous savons tous comment ça c'est terminé pour les sept autres, je regrette si je dépasse les limites, mais cette jeune femme est trop fragile physiquement et émotionnellement pour supporter d'être traitée comme les autres femmes qui ont eu la chance et le malheur de croiser votre chemin. Qui plus est à votre demande.

Rictus aux lèvres, Mohamed tenta vainement de maîtriser sa respiration qui devenait menaçante et lourde.

- Ce n'est pas une héritière de Rhafar et encore moins une femme d'affaires hautaine qui tournera les talons pour garder la face, ajouta Amar doucement.

- Tu as raison, finit-il par admettre, mais tu ne me feras pas reculer dans ma détermination à vouloir nourrir ma curiosité surtout quand celle-ci m'empêche de penser à autre chose, conclut Mohamed en serrant les mâchoires.

Amar ne dit rien, parce qu'il savait sans doute que ça ne servirait à rien.

Il n'avait pas l'intention de reculer.

En revanche Amar avait raison sur certains points.

Et il ne pouvait pas les ignorer, songea-t-il en se tournant vers le balcon pour surveiller la montée de l'aube.

Après une nuit difficile, Sienna s'était levée dans une profonde incertitude.

Accepter ? Refuser ?

Pendant plus d'une heure elle avait hésité encore et encore jusqu'à ce que la photo de ses parents la pousse à prendre sa décision.

La seconde qui avait suivi, Sienna avait appelé son frère et lui avait délibérément caché la vérité. Elle avait prétexté une envie dévorante de partir quelques jours en vacances loin de tout, mais Ethan lui avait rapidement fait part de ses réserves.

Au bout d'une heure de bataille, Sienna avait fini par gagner, mais à quel prix ?

Pour l'heure elle ne pouvait pas le savoir.

Si elle parvient à convaincre cet homme de céder son terrain au prix que le sultan avait fixé, Sienna sauvera la maison de ses parents ainsi que la librairie.

Dans le cas contraire...

Elle ne voulait pas y songer tout comme elle ne voulait pas songer de ce qui adviendra d'elle une fois qu'elle retrouvera le sultan.

Alors qu'elle préparait un sac avec quelques affaires, quelqu'un cogna à la porte.

Son cœur s'emballa aussitôt à l'idée qui puisse s'agir du sultan.

Elle jeta un œil sur la pendule en fronçant des sourcils et ouvrit la porte.

Sienna eut la mauvaise surprise de découvrir David Marshall et à juger son expression, il n'avait pas l'air content.

- Qu'est-ce que tu prépares Sienna ? La questionna-t-il sur un ton menaçant.

- De quoi tu parles ?

- Je parle de ta petite affaire avec Mohamed Al-Rayar ! S'emporta-t-il en la foudroyant du regard. Tu crois que je n'ai pas compris hier soir au restaurant ? Tu me crois dupe ?

- Je ne comprends pas de quoi tu parles David, répondit-elle en s'efforçant d'adopter un ton calme. Il ne s'est rien passé au restaurant. Si tu veux bien m'excuser je dois...

Il bloqua la porte et entra de force dans la maison.

- Qu'est-ce qui te prend ! Sors d'ici immédiatement !

Contrainte de reculer, elle rencontra le mur tout en surveillant l'avancée menaçante de David.

- Ce matin, mon père a reçu un e-mail du sultan indiquant qu'il mettait en pause le projet et comme par hasard hier soir il était avec toi, commença-t-il avec colère. Je ne sais pas ce que tu mijotes Sienna mais je te conseille d'y mettre un terme immédiatement !

- Il ne s'est rien passé ! Tu te fais des idées ! Maintenant sors de ma maison immédiatement !

Agité, David émit un bref rire en posant sa main sur le mur.

- Ce projet va rapporter des millions de dollars et il n'est pas question que je te laisse foutre tout en l'air parce que tu n'as pas envie de voir cet endroit disparaître. Alors j'ignore ce qu'il s'est passé avec cet homme, mais c'est dans ton intérêt que ce projet arrive à terme.

- Est-ce une menace ? S'enquit-elle en soutenant son regard.

- Effectivement c'en est une, confirma-t-il aussitôt en baissant les yeux sur sa bouche. Nous savons tous ici que tu es la belle jeune femme qui malgré sa patte folle arriverait à séduire n'importe quel homme avec un seul battement de cils.

Blessée, Sienna serra les dents en fermant les poings tout en réprimant la peur qui grandissait en elle à mesure qu'il approchait son visage du sien.

- Mais ne t'y trompe pas Sienna, ce sultan a la dangereuse réputation veut seulement te mettre dans son lit et peu importe ce qu'il t'a promis en retour...

La douleur de l'attaque fut si intense qu'elle le gifla en ignorant les conséquences de cet acte qui pourraient suivre.

- Pars !

Il massa sa joue, le regard noir, le visage brûlant de colère.

- Ça, tu vas le regretter Sienna, le promit-il en la pointant du doigt. Si tu fais capoter le projet, je m'occuperai personnellement de ta précieuse maison.

Sur cette menace David quitta la maison en laissant la porte grande ouverte.

Tétanisée, elle resta figée, la respiration erratique puis se laissa glisser contre le mur.

Une nausée lui monta dans la gorge tandis qu'elle regardait David monter dans sa voiture de sport avant qu'il démarre en trombe.

Son cœur cessa de battre à vive allure quand elle fut certaine d'être seule.

Sa menace l'avait atteinte bien plus qu'elle l'avait imaginé dans un premier temps. Elle connaissait suffisamment David Marshall pour prendre ses propos au sérieux. Il n'avait jamais manqué une occasion de montrer son appétit pour l'argent et désormais elle comprenait mieux son implication dans le projet de son père.

Tiraillée entre la bataille qu'elle voulait mener pour sauver la maison et l'envie de tout arrêter de peur que David mette ses menaces à exécutions, elle ferma les yeux en pesant le pour et le contre.

Si elle refusait de suivre le sultan, sa maison et la librairie étaient condamnées.

Si elle acceptait de le suivre afin d'essayer de sauver le quartier, c'est David qui allait détruire sa vie.

Dans les deux cas, elle se savait piégée à moins qu'elle parvienne à revenir avant que David soit informé de l'abandon total du projet.

La mort dans l'âme, Sienna ferma la maison en repensant aux terribles insinuations de David qui avait laissé entendre qu'elle avait vendu son corps pour sauver la maison.

Un goût amer lui monta dans la gorge et ses oreilles se mirent à bourdonner si fort qu'elle ne s'était pas aperçue que la voiture noire était déjà là.

Son cœur s'affola dangereusement quand l'homme du désert en sortit dans un tenue moins professionnelle. Il portait un simple pantalon noir et tee-shirt sombre qui inévitablement faisait ressortir son affolante musculature.

D'instinct elle recula et l'homme à la beauté brute fronça des sourcils.

- Vous allez bien ? Vous êtes livide.

Prisonnière d'une respiration désordonnée, elle voulut fuir son regard mais il était déjà trop tard.

Comme un magnétisme puissant, son regard rencontra le sien, et même si dans ses yeux on pouvait lire une franche inquiétude...derrière celle-ci dansait une lueur satisfaite qu'elle l'accompagne...

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