Chapitre 5
Depuis son arrivée à New York, Mohamed était en exercice. Un exercice qui, selon Amar, allait l'aider à paraître un peu plus civilisé. Enfermé de ce rôle de sultan poli et civilisé, Mohamed avait l'impression que l'entièreté de son corps allait finir par exploser dans la douleurs de ses muscles raides et tétanisés à force de se contrôler.
Ce projet avait pour but de renouer l'amitié entre son île et ce pays était à son sens une perte de temps et d'énergie. Il n'avait nullement besoin des Américains, au contraire d'eux qui voulaient approcher les ressources très précieuses de son île.
Deux ans plus tôt, son cousin qui s'était emparé du trône en trahissant son propre père qui avait lui-même trahi son frère, avait détruit l'aspect paisible de Rhafar en plongeant le pays dans un chaos économique. Après une longue et impitoyable bataille, Mohamed avait repris sa place légitime sur le trône, et il avait passé un an à réparer les dégâts causés par son cousin.
Aujourd'hui et plus que n'importe quel jour, Rhafar se portait bien et la prospérité lui permettait enfin de sortir de cette guerre qui l'avait gravé dans ses chairs. Il portait fièrement ces blessures comme l'aspect le plus précieux de son physique.
Cette guerre ne l'avait pas changé, elle lui avait permis de trouver enfin qui il était et ce qu'il voulait être.
Désormais dur comme la roche et impitoyable dans son cœur, Mohamed agissait parfois comme un animal attaché aux vieilles coutumes de son pays et dont la presse internationale le surnommait le sultan mystérieux et dangereux.
Bien que ce n'était pas sans lui déplaire, Amar craignait que toutes ces rumeurs et vérités à son sujet rendent son île mystérieuse encore plus isolée et que cela empêche les touristes de revenir à Rhafar.
C'est ce qu'il voulait.
Mohamed désirait cruellement que tout le monde sache que son île était puissante et mystérieuse tout comme il l'était afin que personne d'autre envisage à l'avenir de le défier.
Aujourd'hui et alors qu'il avait planifié ce voyage de sorte de rentrer le plus tôt possible au palais, rien ne s'était passé comme il l'avait prévu et ce n'était pas sans lui déplaire.
Devant lui, ce tenait une jeune femme qui n'avait pas raté une occasion pour lui faire comprendre qu'elle était farouchement opposée à sa présence dans son quartier qu'il était sur le point de posséder.
En plus de lui tenir tête, la jeune femme aux cheveux clairs fondant sur ses épaules l'avait également troublé à un point tel qu'il avait failli perdre le contrôle dans la librairie et redevenir celui qu'il était et demeurera à jamais, mais qu'il s'efforçait de garder enfoui au tréfond de son être.
En silence, Mohamed serra les dents tout en scrutant d'un regard aiguisé la jeune femme au yeux vert et aux longs cils recourbés qui convulsivement, pinçait ses lèvres pleines et sensuelles. D'une main nerveuse elle balaya sa frange couleur blé or puis la fit retomber sur ses cuisses.
Sienna Kendrick qui fêtait ses vingt-six ans aujourd'hui possédait un lourd passé et si d'ordinnaire Mohamed ne se laissait pas attendrir facilement, son histoire et le mystère autour de la jeune femme avait retenu son attention.
Il s'était même surpris à réagir de façon assez dangereuse et presque obsédante depuis vingt-quatre heures sans qu'il puisse y mettre un terme.
Après que ses recherches sur elle le conduisent à confirmer de façon officielle le récit de son frère, Mohamed avait passé sa nuit à remettre en question son projet pour cette inconnue qui n'était rien pour lui et qui pourtant avait éveillé sa curiosité.
En la voyant avec sa béquille une heure plus tôt en train déambuler dans les rues presque désertes du quartier, il s'était senti étrangement peiné et il savait qu'il était en partie responsable du chagrin qu'elle portait sur son visage.
Mohamed quitta sa torpeur pour se concentrer sur la jeune femme qui attendait en silence qu'il lui lance cette proposition.
Une proposition qu'elle refuserait sans aucun doute parce que dans ses yeux clairs et malgré la fougue qu'elle mettait pour le défier, une lueur de peur les habitaient. Aucune femme jusqu'à ce jour avait osé lui parler de la sorte et encore moin un homme. D'ordinaire les femmes se précipitaient pour avoir une place de choix et les rumeurs qui couraient depuis quelques mois étaient en partie vraies. Seuls quelques détails de l'histoire étaient à réécrire.
Il finit par écarter sa veste et sortit l'enveloppe qu'il avait pliée en deux pour la poser sur la table.
Elle baissa les yeux sur l'enveloppe avec prudence puis les releva dans les siens.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ouvrez et vous verrez.
À son grand étonnement elle la prit et l'ouvrit pour en sortir le contenu. La jeune femme fronça des sourcils en la survolant puis lui jeta un regard perplexe.
- Je ne comprends pas monsieur Al-Rayar.
Le sultan se redressa instantanément sous l'effet de sa voix douce.
- Voici le moyen de sauver votre librairie ainsi que votre maison, commença-t-il tirant sur cette veste qu'il ne supportait plus de porter. Je renonce à détruire ce quartier si vous arrivez à convaincre cet homme de me vendre son terrain.
L'air incrédule, la jeune femme cligna des yeux plusieurs fois en se désignant du doigt.
- Moi ? Vous voulez que je tente de convaincre un autre Roy pour vous céder son terrain pour des millions de dollars et que d'autres personnes perdent...
- Il n'y a personne sur ce terrain, aucun habitant ou commerce susceptible d'être détruit, la coupa-t-il. Le problème c'est que selon les rumeurs cet homme refuse de se faire à l'idée que son terrain ne vaut plus rien alors personne n'est assez fou pour lui proposer un somme d'argent démentielle.
- Mais vous oui ?
- Non, j'ai déjà un prix en tête. Reste à savoir si vous êtes capable de lui faire céder son terrain à mon prix et non au sien.
Sienna aspira un filet d'air sans se soucier de la présence pesante du sultan qui la défiait d'un regard énigmatique.
- Où se trouve le piège ?
- Il n'y a aucun piège mademoiselle Kendrick.
- Votre voix à le caractère d'un piège et vous ne semblez pas être vous-même.
La seconde suivante le sultan se rembrunit comme si elle venait de toucher un point extrêmement sensible. Ensuite, une lueur indéchiffrable passa furtivement dans ses yeux gris. Elle avait l'impression qu'il était lui-même étonné qu'elle lui ait dit cela.
- Qu'est-ce qui vous fait croire ça ? Finit-il par dire d'une voix pondérée.
Encore.
Sienna tentait en vain d'ignorer les battements de son cœur, mais plus la conversation devenait un peu plus profonde, plus elle avait du mal à les ignorer.
- Votre façon de vous tenir, se lança Sienna en sachant pertinemment qu'elle prenait un risque. Vous êtes tendu et vos mâchoires sont sans cesse en train de convulser. Ensuite il y a votre voix. Elle est trop pondérée, calme et équilibrée mais rapidement elle est trahie par une nuance sombre et dangereuse qui demande qu'à se manifester.
Elle déglutit en soutenant son regard impassible.
Avait-elle vu juste ?
De toute évidence la réponse était oui.
- Mon frère m'a dit que vous étiez dangereux.
- Je le suis en effet, confirma-t-il sur un ton nettement moins pondéré. Cependant je n'ai jamais fait de mal à une femme. Seulement à mes ennemis.
- Je ne suis pas votre ennemie ?
- Il en faut plus que ça pour être mon ennemi mademoiselle Kendrick, dit-il d'une voix rocailleuse qui la fit frémir.
Tout en étudiant son visage balafré, Sienna essaya de lire derrière cette paire d'yeux qui, la plupart du temps, n'exprimait aucune émotion.
- Alors ? Vous acceptez ?
- Vous savez très bien que c'est ridicule, répondit-elle en étouffant un rire. Je ne suis pas experte dans ce domaine mais vous oui. Cela n'a pas de sens.
- C'est un défi, un moyen de sauver ce quartier si cher à votre cœur. Je suis sûr qu'avec un peu d'énergie vous serez capable de convaincre n'importe qui. La preuve, vous l'avez fait avec moi.
Sienna plissa les yeux parce qu'elle avait un mauvais pressentiment.
" Il est dangereux Sienna "
- Je sens qu'il y a un piège derrière tout ça et je suis pressé de savoir ce qui se passera si j'accepte.
L'ombre d'un sourire passa sur ses lèvres.
- Si vous acceptez, je vous emmène avec moi cela va de soi, commença-t-il sur un ton neutre. Une petite réception sur mon yacht en pleine méditerranée près des côtes Sicilienne.
- C'est là le piège ! S'exclama-t-elle avec un rire nerveux. Vous pensez sincèrement que je vais vous suivre au beau milieu de la méditerranée sur un yacht alors que je ne vous connais pas ? Me pensez-vous stupide à ce point ?
- Pas stupide, seulement prête à tout pour sauver ce quartier, rectifia-t-il en la défiant du regard. Je suis un homme de parole mademoiselle Kendrick et quand je vous dis que vous ne risquez rien avec moi, je suis sincère. Considérez ceci comme un petit voyage et je suis persuadé que vous en avez besoin. Jacob Marsh se trouvera à bord le temps d'une soirée. Ça sera votre créneau pour le convaincre. Si vous réussissez, tout fini bien, mais si vous échouez, ce quartier disparaîtra.
Un frisson glacé courut dans sa nuque parce que dans sa dernière phrase, elle avait senti la pointe de menace.
Elle tenait à la librairie...oh ça oui elle y tenait. Mais pouvait-elle se permettre de courir le risque de suivre cet homme qui ne lui avait pas caché sa dangerosité et qui l'avait même confirmé ?
- Mon frère va...
- À vingt-six ans, je pense que l'on est assez grande pour prendre ses propres décisions.
Sienna secoua de la tête imperceptiblement et instinctivement toucha sa jambe.
- Ethan vous a parlé, vous n'êtes pas sans savoir que je ne suis pas apte à marcher convenablement et j'ai besoin de mon traitement. C'est une mauvaise idée. Je regrette.
- Vous aurez tous les soins nécessaires à bord, rien ne sera laissé au hasard. Ce n'est pas votre jambe le soucis mais plutôt la peur qui vous empêche de me suivre.
- Je n'ai pas peur, je me méfie de vous, rectifia-t-elle en soutenant son regard.
Une lueur énigmatique passa dans ses yeux perçants.
- Vous n'avez rien à craindre de moi, déclara-t-il d'une voix solennelle.
- Qui me dit que vous n'allez pas attendre que je sois sur ce yacht pour ordonner la destruction du quartier ? Qui me dit que tout ceci n'est pas une manœuvre pour m'éloigner ?
Un court silence passa dans le restaurant puis il se redressa lentement pour poser son avant-bras sur la table.
- Je suis peut-être un monstre, un homme dangereux, mais je ne pratique pas ce genre de méthode mademoiselle Kendrick, répondit le sultan en plongeant son regard dans le sien.
Sienna détourna les yeux en exhalant un soupir tremblant.
- Je vous laisse un jour pour réfléchir, ajouta-t-il ensuite avec un jeu de mâchoires qui lui envoya une onde étrange dans le dos.
Un battement de trop cogna dans ses tempes.
Le serveur se matérialisa devant la table et posa les assiettes avant de s'en aller.
- C'est votre anniversaire, et si vous êtes seule ce soir, c'est en partie de ma faute.
Son accent lui donna encore plus de palpitations cardiaques.
- Je vous propose de dîner et je vous invite à me poser toutes les questions qui vous aideront à prendre votre décision.
Dans cette ambiance feutrée, Sienna avait l'impression qu'une onde froide et dangereuse flottait au-dessus de la table.
Que faire ?
Est-ce que la librairie de ses parents méritait qu'elle prenne un si grand risque ?
Était-elle prête à cette folie pour sauver les souvenirs de ses parents et cette maison si chère à son cœur ?
Elle connaissait déjà la réponse...
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